Dictature : l'attitude de l'Eglise argentine en question après l'élection du pape
Libération 14 mars 2013
Jorge Mario Bergoglio en 2005. (Photo Enrique Marcarian. Reuters)
Le nouveau pape a été entendu comme témoin dans l'enquête sur l'emprisonnement de deux jésuites en 1976. Il a toujours nié toute implication.
La controverse sur l’attitude de l’Eglise argentine pendant les années de dictature (1976-1983) a ressurgi après l’élection comme pape de l’archevêque de Buenos Aires Jorge Bergoglio, entendu comme témoin par la justice en 2010 sur l’emprisonnement de deux jésuites.
Jorge Bergoglio a toujours nié toute implication dans ces enlèvements. Il dirigeait à l’époque l’ordre des jésuites en Argentine. Les deux missionnaires avaient pris fait et cause pour l’opposition à la dictature et Bergoglio les avait exclus au nom de la neutralité politique de la Compagnie de Jésus. Son objectif était de conserver l’unité des jésuites face à la tentation de la théologie de la libération.
Horacio Verbitsky, auteur de l’ouvrage «Double jeu, l’Argentine catholique et militaire», est un de ses principaux accusateurs et dit avoir connaissance de «cinq nouveaux témoignages, qui confirment le rôle de Bergoglio dans la répression du gouvernement militaire au sein de l’Eglise catholique qu’il préside aujourd’hui, dont la disparition de prêtres».
Jeudi, dans le quotidien Pagina 12, proche du gouvernement, Horacio Verbitsky écrit avec ironie que «les luttes internes de la curie romaine suivent une logique tellement inexplicable que les faits les plus obscurs peuvent être attribués à l’esprit saint». Déjà en 2005, le nom du cardinal argentin avait été associé à l’enlèvement des jésuites.
«Un homme irréprochable»
En novembre 2010, alors cardinal et primat d’Argentine, Mgr Bergoglio avait été interrogé comme témoin par des magistrats à l’archevêché dans le cadre d’un procès sur des crimes commis pendant la dictature. Jorge Bergoglio a toujours nié toute implication et affirme au contraire avoir interpellé à l’époque le chef de la junte militaire, Jorge Videla, pour obtenir la libération des deux jésuites.
«Il leur a même permis de quitter le pays vers l’Italie», souligne José Maria Poirier, directeur de la revue catholique Criterio. «Certains curés ont été silencieux, des religieux ont été complices ; des membres de l’épiscopat étaient des sympathisants de la dictature, mais ce n’est pas le cas de Bergoglio, un homme irréprochable», affirme l’expert argentin.
En 2007, un ancien aumônier de la police, Cristian von Vernich, a été le premier prêtre argentin condamné à la prison à perpétuité. Il a été reconnu coupable de complicité dans sept meurtres, 31 cas de tortures et 42 enlèvements dans la province de Buenos Aires.
Après la dictature, la conférence épiscopale a demandé pardon publiquement pour ne pas s’être plus engagée en faveur du respect des droits de l’Homme. La dictature argentine a fait 30 000 morts ou disparus, selon les organisations de défense des droits de l’Homme.
Aussitôt après l’annonce de l’élection, les réseaux sociaux ont relayé des tweets comme «Le nouveau pape, ami de ceux qui ont violé les droits de l’homme», «Le pape Bergoglio s’est opposé au mariage gay, à l’euthanasie, à l’avortement et a participé à la dictature, qu’est-ce qu’ils célèbrent ?» ou «François cache un passé obscur lié à la dernière dictature militaire».
Quelques heures après son élection au Vatican, un graffiti accusateur apparaissait sur un mur proche de la cathédrale de Buenos Aires : «Le pape est un ami de (Jorge) Videla», président de l’Argentine aux pires heures de la dictature.
Dans un pays où les trois quarts des 40 millions d’Argentins se disent catholiques, l’influence de l’Eglise s’est considérablement affaiblie au cours des mandats de Nestor Kirchner (2003-2007) et de son épouse Cristina Kirchner (depuis 2007), qui ont fait voter une loi sur le mariage homosexuel et accordé aux transsexuels le droit de changer d’état-civil. En revanche, l’avortement n’a pas été légalisé, sous la pression de l’Eglise. Mais l’arrivée au Saint-Siège d’un pape argentin «peut inverser la tendance et renforcer l’Eglise» argentine en lui donnant un visage plus séduisant, estime le directeur de la revue Criterio.
L'article sur le site de Libération
"Il est au contraire soupçonné de ne pas avoir dénoncé les crimes de
la dictature, de ne pas avoir demandé des comptes et donc, par son
silence, d'avoir couvert ces actes." Curé de la province de El
Chamical, dans la province de La Rioja, Gabriel Longueville avait été
enlevé avec son vicaire Carlos Murias le 17 juillet 1976. Leurs corps
avaient été retrouvés le lendemain criblés de balles et portant des
traces de tortures.
Extrait : "Ce pape n'est certainement pas une grande figure de la défense des droits de l'Homme", a jugé jeudi Me Thonon.
"Le pape François a une conception traditionnelle du pauvre" (entretien avec Michael Lowy, Le Monde)
Contrairement aux Eglises du Brésil et du Chili, qui ont joué un rôle capital dans la défense des victimes de la répression et dans la lutte pour les libertés, la hiérarchie argentine a montré une indifférence coupable face aux horreurs commises. Elle fermait la porte aux proches des victimes et refusait de s’impliquer dans des démarches humanitaires. Les religieux et religieuses solidaires des Mères de la place de Mai étaient des francs-tireurs, qui n’étaient pas soutenus par leurs supérieurs, et qui ont payé parfois avec leur vie leur compassion et leur fraternité.
Bergoglio/François : pape des pauvres ou ami de la dictature ? (Rue 89)
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