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En réponse à Philippe Corcuff et à sa charge contre le "crétinisme" du NPA...


 Une boussole politique qui perd le nord

Par Antoine (Montpellier)

Suite au billet ci-dessous lire ma Non-réponse à Philippe Corcuff...

Dans un récent billet publié sur Mediapart, Humains désorientés face à l’horreur : quelle boussole ?, Philippe Corcuff n'y va pas de main morte : l'attitude du NPA face aux attentats de Paris est paradigmatiquement gauchiste. Elle manifesterait une terrible régression politique par rapport à "la grande tradition intellectuelle de la LCR" dont cette organisation est issue : ce qui lui vaut d'être affublée du qualificatif invalidant, voire insultant, de "crétine". Le coup est rude, en particulier pour quelqu'un qui, comme moi, continue à militer, sans se raconter des histoires sur la marche inexorable vers la révolution, dans ladite organisation. Mais il n'est pas question d'esquiver la volée de bois vert et de tomber dans le panneau de la réaction purement émotionnelle, celle de la dénégation sans plus, ne serait-ce que pour retourner à Philippe Corcuff qu'un crétin gauchiste du NPA conserve quelques ressorts de cette "raison sensible" que notre bon universitaire revendique pour lui et par laquelle il invite (et de quelle façon !) à l'accompagner dans la recherche d'une boussole pour aider "au surgissement d’une nouvelle gauche de l’émancipation au milieu des décombres, après les déceptions générées par la gauche sociale-libérale de gouvernement comme par la gauche radicale de 1995".

Tout part, dans la charge de Philippe Corcuff contre le NPA, du communiqué émis par celui-ci dès le lendemain des attentats : Leurs guerres, nos morts: la barbarie impérialiste engendre celle du terrorisme.

Le diagnostic est sans appel, il n'y a là qu'"amalgame", soit mélange d'éléments hétérogènes, où le NPA "aplatit le maximum d’horreurs et de logiques sur un même axe : les attentats parisiens, les bombardements français en Syrie, les bombardements russes, « le dictateur Assad », « le contrôle des sources d'approvisionnement en pétrole », l’« intervention pitoyable » de François Hollande à la télévision, les attaques contre « les libertés fondamentales », « l’union nationale », la constitution des musulmans en « bouc émissaire », « le racisme », « le système capitaliste »". Disons-le, il y a, dans ce raccourci accolant, dans une sarabande ridicule, les thématiques du communiqué évoqué, une profonde malhonnêteté : l'objet "communiqué du NPA" observé est malignement cassé dans son déroulement argumentatif pour ne donner à voir que ce que l'on postule, celui d'un "grand n'importe quoi" gauchiste, infantile, crétin. Le NPA ne pense pas, dans son confusionnisme mental il rapporte tout sur un même axe alors qu'on le constate immédiatement à la lecture du billet corcuffien, dans un contraste saisissant, son auteur, lui, sait faire multiaxial, se poser en chantre de l'hétérogène des causes et des effets, en promoteur du multifactoriel. En un mot, il sait ce que veut dire nuancer dans le saisissement des données de la situation si complexe d'une horreur hyperbolique comme celle de ce 13 novembre parisien ! Et pourtant... Et si le NPA ne se laissait pas si facilement "réduire" (rétrécissement et soumission) à ce que Philippe Corcuff dit être sa "vérité" ?

Une lecture du communiqué incriminé, alternative au corcuffisme, peut en effet y retrouver une  logique (ah oui, logique, dis donc) celle d'une mise en perspective, dans son immédiateté, de l'évènement catastrophique, sous l'angle d'une intelligibilité, qui vaut ce qu'elle vaut mais a, au moins, le mérite de poser dans l'urgence que la politique ne peut pas céder devant l'émotion absolue suscitée par le crime odieux. Elle ne peut pas céder d'abord et avant tout, Philippe Corcuff sous-estime totalement ce point, parce que c'est là l'objectif premier des tueurs : commettre une horreur sans nom pour que la sidération soit totale, pour que soient annulés les dispositifs mentaux, les procédures intellectuelles à l'oeuvre en chacun de nous, pour que le sang versé submerge la raison, en premier lieu la raison politique ! La réponse du NPA, en ce moment de célébration oecuménique de l'émotionnel comme "la seule attitude humaine acceptable", a saisi au plus près ce qui "fait" l'évènement : l'assassinat, aussi, de la politique. Ce que Philippe Corcuff catalogue sommairement comme simplisme du NPA est tout... simplement son refus instantané du simplisme émotionnel qui consiste à poser que "la politique, on verra après" (Mélenchon), comme si la politique pouvait être congédiée, ne serait-ce que quelques secondes. Alors que, et c'est le deuxième temps fort, oui temps fort, ne t'en déplaise Philippe Corcuff, du positionnement du NPA, cet apolitisme de l'émotionnel absolu est immédiatement exploité... politiquement, pour instaurer, rien que cela, l'état d'urgence. Exploitation par ceux qui prennent le masque de l'humain, de l'hommage humaniste, en ce que l'humanisme sait souvent prendre comme masque du non-humain, voire de l'inhumain. Exploitation par ceux qui ... ne pensent qu'aux victimes mais qui immédiatement construisent la barbarie incontestable des tueurs comme l'envers radicalement contradictoire de leur propre humanité. Comme si l'émotion valait preuve d'humanité. Dans cette situation d'instrumentalisation politique de l'apolitisme émotionnel, le NPA déconstruit immédiatement, avec ... raison : "La barbarie impérialiste et la barbarie islamiste se nourrissent mutuellement." Il se retrouve bien seul à tenir cette position (LO et quelques autres en sont aussi), comme on tient, sous le souffle des détonations, une colline ? Cela souligne d'autant plus la nécessité qu'il s'y tienne : pour qu'une voix, même isolée (si isolée que cela ?) atteste qu'il y a, malgré ce que les circonstances tragiques imposent, autre chose, de l'alternative politique. Si l'on ne peut faire du positionnement de témoignage une politique en temps normal, il n'en va pas de même, dans la catastrophe. Et le NPA a eu ce courage de le comprendre et de le poser publiquement. On évaluera, en temps voulu, les retombées qu'il y aura à cette façon de se mettre à l'écart du courant émotionnel dominant. Rien n'est gagné à coup sûr, il y a pari. Mais pari pour pari, il vaut largement celui que Philippe Corcuff a fait que les manifestations Charlie étaient politiquement prometteuses et, semble-t-il, le sont toujours. L'impasse politique et le déboussolement qu'il reconnaît caractériser la période et qui justifient régulièrement (ici encore) ses propositions à en sortir, ne plaident pas en faveur de cette promesse Charlie ! Pour tout dire nous avons la sensation étrange que Philippe Corcuff (et son organisation la Fédération Anarchiste) participe de l'isolement politique qu'il impute au NPA et que cela ne le place pas idéalement pour lui faire la leçon sur le sujet.

La raison invoquée par le NPA n'en est pas moins, pour reprendre la terminologie empruntée par Philippe Corcuff à Sophie Wahnich, sensible; le communiqué ouvre sur ces mots "Les attentats horribles qui ont eu lieu à Paris vendredi soir, faisant plus de 120 morts, des dizaines de blessés, cette violence aveugle, suscitent la révolte et l'indignation. Le NPA les partage et exprime sa solidarité aux victimes, à leurs proches. Ce drame est d'autant plus révoltant qu'il frappe des victimes innocentes, que les attaques meurtrières visaient la population. " Plus loin, nous venons de le voir, les auteurs du massacre sont désignés relevant de la barbarie, d'une "barbarie abjecte". La riposte nécessaire aux guerres impérialistes est présentée comme indissociable de la lutte contre le terrorisme, à moins que ce ne soit l'inverse, car le bellicisme impérialiste et le mortifère terrorisme sont les deux faces du Janus de l'horreur du moment. A Paris, en ce 13 novembre, c'est l'honneur du NPA de l'avoir dit haut et fort au coeur du déferlement émotionnel, au demeurant absolument compréhensible. Il y a dans l'assaut à la hache que Philippe Corcuff fait subir au NPA l'idée qu'il a euphémisé l'horreur (le reproche de l'avoir aplatie, qui plus est, rhétoriquement) : posons la question, y a-t-il une figure imposée de l'émotion face à l'horreur, y a-t-il une limite, et sur quel critère, en deçà de laquelle, on est pointé comme insensible à l'horreur ? N'y a-t-il pas, pour les individus comme pour les collectifs, diverses façons légitimes, avec, aux extrêmes, force extériorisation de pathos ou une sobriété pudique, d'exprimer sa sympathie, sa solidarité, son affection quand il y a mort d'hommes et de femmes ? En fait, Philippe Corcuff cède ici aux impensés du moment : la désignation du NPA, de LO, mais aussi de la CGT, comme extérieurs à la "communion" avec les morts et les survivants, s'inscrit dans un processus politique et médiatique de délégitimation des "alternatifs" ou "résistants"/légitimation des tenants de l'ordre en place qui se trouvent être précisément ceux du désordre par lequel le terrorisme trouve son espace propre. Son espace propre et paradoxalement imbriqué dans celui qu'il conteste, enchâssé, quoique décalé, dans la logique de ses ennemis ! Le tout avec un désastreux  mimétisme entre ceux qui massacrent "là-bas" et ceux qui ripostent en massacrant "ici"... comme ils massacrent "là-bas" !

Il y aurait tant d'autres choses à répondre à Philippe Corcuff sur ce qu'il fait de ce communiqué du NPA, sur une lecture de ce texte qui se caractérise par une volonté polémique tournant vite à vide. D'autant plus à vide qu'elle mutile le réel du positionnement du NPA qui ne se réduit pas à ce texte : il n'y a qu'à voir le billet, où la sensibilité de la raison se fait plus forte, publié le même jour en page d'accueil du site du NPA Vos guerres, nos morts, texte suivi par Attentats : pourquoi il faut agir et discuter politique qui n'est pas un décalque du communiqué. On peut s'étonner au demeurant qu'un adepte de la scientificité critique comme est Philippe Corcuff s'exonère de dégager un corpus autrement plus significatif de la position qu'il analyse à partir d'un seul document. Un communiqué est bien entendu un document spécifique qui émane en théorie de la direction même de l'organisation qui l'émet mais l'orientation de ladite organisation ne saurait se réduire à lui : il y a dans cette façon...de réduire et d'amalgamer le tout du NPA à quelques dizaines de lignes une façon assez cavalière de faire de l'analyse politique.

Revenons pour finir à ce tournoiement à vide du raisonnement  antiNPA de Philippe Corcuff que nous avons sommairement pointé plus haut. En effet, on pourrait attendre de cette déconstruction en règle du gauchisme npaesque que soit apportée la démonstration irréfutable qu'il est possible de penser autrement (mais, on nous l'a asséné, le NPA ne pense même pas, au sens noble du terme), autrement plus profond. Et là, disons-le, grande est la déception. Tout cela pour ça ? En effet qu'oppose, en quelque sorte, Philippe Corcuff, au crétinisme gauchiste qu'il vilipende ? Usant d'une rhétorique convenue de l'humilité, du doute, du pragmatisme, etc. qui ne saurait, au vu de la charge en cours, donner le change, nous découvrons, finalement gêné, que la boussole à retrouver se décline en des généralités assez dérisoirement hors sol au vu des enjeux lancés à la figure du NPA : appel à la rupture avec les dominations, les inégalités et les discriminations, à la lutte contre les fondamentalismes islamistes, contre l'islamophobie... Appel à mener un travail d'éducation populaire "sur le terrain local" (traduire "dans les quartiers" ?), recours à des spécialistes de l'islam et à des croyants musulmans pour délégitimer les violences fondamentalistes... Appel à promouvoir "une spiritualité laïque qui opposerait le sol des fragilités humaines et leurs impuretés aux fantasmes d’absolus et de pureté des kalachnikovs d’âmes meurtries et meurtrières". Voilà donc les propositions radicalement fortes (et à l'efficacité foudroyante ?) opposées au supposé refus du NPA d'expliquer "comment" combattre le fondamentalisme ! (1)

La montagne du démolissage total de l'approche politique (si, si) des attentats par le NPA accouche d'une dérisoire souris de mesures, placées avec grandiloquence sous l'égide de la boussole de l'émancipation à retrouver, dont on peut légitimement douter qu'elles puissent être une alternative au "crétinisme" du NPA. 

Encore ceci avant d'en finir avec ce mauvais moment de ce qui s'assimile à un assez scandaleux faux-procès formulé en ces termes : "les fondamentalismes islamistes, en tant que forces politiques organisées et militarisées à l’origine directe des assassinats ne semblent pas vraiment constituer [pour le NPA] des adversaires. Ils ne sont pas désignés en tant que tels [dans son communiqué], on ne dit pas qu’il faudrait aussi les combattre, ni donc comment." A rapprocher de ce qu'un autre penseur de la gauche radicale écrit dans un aussi mauvais billet que celui-ci "« [Le NPA écrit] Pour mettre fin au terrorisme, il faut mettre fin aux guerres impérialistes qui visent à perpétuer le pillage des richesses des peuples dominés par les multinationales ». Chers camarades du NPA, il ne reste plus qu’une feuille de papier à cigarette entre votre analyse et une valorisation anti-impérialiste de Daesh ; vous en rendez-vous compte ?" (Claude Gabriel : Après les attentats du 13 novembre à Paris : La guerre et le risque d’un « marxisme purement verbal »). Comme s'il était inconcevable qu'il existe un anti-impérialisme totalitaire à combattre tout comme l'impérialisme "démocratique" ! Quand un membre de la Fédération Anarchiste comme Philippe Corcuff et un membre d'Ensemble (Claude Gabriel) convergent pour déconstruire les positions du NPA en termes de complaisances et autres proximités avec les djihadistes tueurs, il est bon de les informer de ceci : le NPA a été au premier rang, avec d'autres, pour appeler à soutenir les Kurdes dans leur lutte armée contre Daech, à soutenir aussi les forces laïques de l'opposition à Assad et à Daech. Y compris en appelant à obliger les gouvernements occidentaux à fournir des armements à ces forces, ce qui lui a valu d'être taxé, par certains (crétins ?), de pro-impérialiste. Complaisant avec Daech, inféodé à l'impérialisme, le NPA, pris dans ces tirs croisés, pourrait à bon droit déplorer que certaines boussoles intellectuelles se prêtent si peu à travailler les voies de l'émancipation et se perdent dans de si dommageables polémiques et autres imputations scandaleuses (2). Si peu à la hauteur des circonstances.

Antoine

(1)  Il y a une vraie rhétorique qui pose des ultimatums, en particulier dans leur mise en cause du NPA, sur la nécessité de ... combattre les djihadistes et de dire comment ! Mais ceux qui s'adonnent à cet exercice sont vraiment à la peine pour nous expliquer concrètement leurs propositions en la matière : nous ne les imaginons pas constituer des brigades pour dénicher les nids de terroristes, nous ne les imaginons pas en appeler à des mesures policières telles que les politiques sécuritaires et l'état d'urgence les autorisent. Alors quoi ? Ne serait-il pas plus simple, au lieu de partir en excommunications vaines contre le NPA, de reconnaître que, dans le contexte actuel d'affaiblissement des forces d'alternative et de rupture, nous n'avons rien de sérieux à proposer en dehors de la dénonciation politique sans concession du terrorisme. Et cela en travaillant à prendre pied dans des quartiers populaires où nous nous sommes tous montrés incapables de gagner un minimum de crédibilité et d'où, tout en prenant la mesure que les djihadistes ne constituent à cet endroit qu'une frange marginale, nous pourrions mener un début de travail "antiterroriste", indépendant de l'Etat, opposé à l'Etat. Il y a aussi les actions de solidarité à mener avec ceux/celles qui combattent en première ligne Daech, les Kurdes par exemple. Sur ce point le NPA a démontré (voir la fin de ce billet), ce n'est pas le cas de tous ceux qui l'attaquent, qu'il "donne" largement. 

L'arme de destruction massive par laquelle on cible tel ou tel parti, avec l'accusation de ne pas être à la hauteur sur le combat contre le terrorisme, est une arme qui se retourne contre ceux qui l'utilisent de façon démagogique et irresponsable.

(2) Grand est notre étonnement que les contempteurs du NPA soient si peu loquaces sur les positions adoptées par leur organisation respective. Nous pardonnera-t-on de trouver que le NPA n'a pas à pâlir de voir une députée, membre d'Ensemble (Front de Gauche), Jacqueline Fraysse, voter l'état d'urgence, qui plus est en reconnaissant que le texte qu'elle a voté est attentatoire aux libertés fondamentales (son blog de Mediapart)? Quant à la FA, le communiqué émis lors des attentats est particulièrement pauvre dans la mise en cause des responsabilités des gouvernements impérialistes en tant qu'étoiles jumelles de ces terroristes qui, qu'on le veuille ou non, sont leurs créatures, même si elles leur échappent et se retournent contre eux, retournent contre eux la violence qu'ils sèment au Moyen-Orient ... en s'attaquant à leurs populations ! Philippe Corcuff nous gratifiera-t-il prochainement d'un billet sur la carence de ses camarades libertaires ?


Quelques autres textes du NPA sur les attentats, leurs causes et leurs conséquences
 
L’Etat d’urgence permanent?
L’escalade guerrière renforce le terrorisme djihadiste
Combattre le terrorisme, c'est défendre les libertés et l'égalité sociale. Non à la guerre et à l'état d'urgence
Manifestation de solidarité avec les migrants
Répondre aux attentats : Prendre la route des migrantEs

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