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Montpellier. 1300 ? 2500 ? 3000 ? La mobilisation continue...


 Nous entrons dans la phase de basculement de l'action dans les lieux de travail...


On n'attend certes pas de Midi Libre qu'il fasse dans la dentelle analytique : en énonçant que les manifestant-es montpelliérain-es n'étaient que 1300, ce qui lui permet de boucler en titre sur la "faible mobilisation à Montpellier", le journaleux missionné ce jour dans la rue a dû penser, dans le meilleur des cas, qu'il faisait dans le factuel. Donc dans le vrai ou la réalité, ce qui pour certains revient au même. On osera pourtant ici opposer sobrement mais fermement que la réalité ne se donne pas à voir dans la limpidité des évidences qu'elle sécrèterait : elle présuppose du construit, de la mise en perspective, en somme, tant pis pour la méchanceté, elle nécessite d'être un minimum pensée ! 

On peut ainsi avancer ce qui pourrait être une donnée de base du processus actuel de mobilisation contre la Loi Travail : les manifestations pour les manifestations, leur répétition somme toute assez mécanique, sont en train de montrer leurs limites. Pensons à ce qui s'est passé en 2010 lors des grandes mobilisations pour la défense des retraites : une ritournelle de journées d'actions sans prise d'appui sur une dynamique de grèves soutenues par les confédérations syndicales toutes prises-prisonnières qu'elles étaient de leur volonté de faire "syndicalisme rassemblé" avec la patronale et gouvernementale CFDT !

Aujourd'hui, mais pourquoi demander à Midi Libre de dépasser l'écume des choses, on remarquera que si le phénomène d'usure des manifestations est à nouveau à l'oeuvre, un certain nombre de paramètres inédits pourraient indiquer que 2016 ne sera pas 2010 : d'abord exit le "syndicalisme rassemblé", la CFDT, comme le roi, est nue dans sa collaboration intégrale avec le mauvais coup du gouvernement ! Et corollaire décisif de ce délestage syndical : les confédérations entrées dans la lutte demandent pour la Loi Capital ce qu'elles n'ont jamais demandé pour la contre-réforme des retraites, son retrait pur et simple. En préalable à toute négociation ! Le tout s'accompagne, avec toutes les précautions oratoires qu'on voudra, mais elles n'étaient pas de mises en 2010, d'une évocation par ces mêmes syndicats mobilisés de la possibilité ou la nécessité, c'est selon, de passer à la grève reconductible et à sa généralisation. Il y a dans l'air quelque chose qui s'apparente à la grève générale sans que toujours le mot soit lâché. 


Voilà en quelques mots et, dans l'attente de plus de développements, des indices forts de radicalisation des structures syndicales dont on ne peut pas prédire qu'elle ira jusqu'au bout, à savoir un blocage général de l'économie. Mais dont on peut dire que ce blocage, c'est ce que nombre d'équipes syndicales dans les entreprises et les services s'attachent à construire. Le défi est grand tellement pèsent les défaites et le scepticisme sur ce qui peut être obtenu par l'action revendicative, accumulés au moins depuis cette année 2010. Mais il y a aussi, en contrepoint, une colère sourde et parfois plus manifeste chez certain-es salarié-es comme chez nombre de jeunes (et de moins jeunes) face à un gouvernement totalement discrédité dont on pressent qu'il ne tire sa force que de nos faiblesses ! L'inflammabilité sociale est là, il reste à trouver les moyens de mettre l'incendie !

Pour revenir à la manifestation du jour, dont déjà une comptabilité honnête, indépendante des (fausses) méthodes de calcul de la police, devrait amener à situer dans la fourchette de 2500 à 3000 le nombre de participant-es, il y a fort à parier qu'elle paye en fait le prix nécessaire (différence avec 2010 !) de l'enracinement de la mobilisation sur les lieux de travail eux-mêmes. On ne peut être à la fois au four de la rue et au moulin de l'entreprise... Convaincre l'ensemble des salarié-es que les manifestations doivent s'adosser à la cessation du travail car c'est désormais la seule riposte crédible au coup du 49.3, voilà qui "mobilise" nombre de syndicalistes et de proches sympathisant-es loin de la manifestation du jour alors que, bien entendu, ils/elles sont de tout coeur avec elle et que probablement ils/elles rejoindront celle de jeudi ! Tout cela se vérifiera ou s'infirmera très vite : avec les grèves reconductibles lancées demain à la SNCF, suivant des modalités encore diverses, les blocages routiers et portuaires qui se mettent en place, la paralysie envisagée des dépôts d'hydrocarbure, etc. (lire ci-dessous), l'actualité des manifestations du jour prend un tout autre sens que celui qu'en donne le grand quotidien local... dont la liberté revendiquée dans son titre mériterait de s'étayer d'une libération de sa grille d'analyse des choses qui font le quotidien du monde du travail, de façon plus générale, du peuple, de ses luttes en particulier... !

Il a été question de tout cela et d'autres choses à l'AG appelée par Nuit Debout après la manifestation : ce regroupement militant a confirmé sa volonté de construire avec les syndiqué-es et les salarié-es une ... convergence pour le tous ensemble irradiant des lieux de travail vers l'ensemble de la société. Pour le retrait de l'infâme réforme PS-Medef ! A suivre.

Antoine


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L'intervention de l'AG Populaire Nuit Debout de Montpellier à la fin de la manif


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Partout en France, manifestations et blocages

De fait, au-delà du cortège parisien, qui a rassemblé à peu près autant de monde que jeudi dernier (12 000 personnes selon la police, et 50 000 selon les syndicats), c'est un paysage un peu nouveau qui s'est dessiné ce mardi. Des manifestations au bord des routes, dans les centres commerciaux, à l'extérieur des villes ainsi qu'une série d'actions coup de poing, mêlant parfois des étudiants ou des participants de Nuit debout. 

La CGT, notamment, mise sur les grèves à répétition pour inverser le rapport de force. « On est au-delà du bras de fer. On n'a aucune raison d'arrêter le mouvement, ce projet de loi n'est ni amendable, ni négociable. La posture de François Hollande ne nous surprend pas, il ne fait que montrer au grand jour le visage antisocial de ce gouvernement », a réagi Olivier Mateu, secrétaire général de la CGT dans les Bouches-du-Rhône, après la déclaration de François Hollande – « Je ne céderai pas » – en début de journée sur Europe 1.

Les chauffeurs routiers, mobilisés notamment contre l'inversion de la hiérarchie des normes, c'est-à-dire le fait que les accords d'entreprise puissent primer sur le code du travail ou les conventions collectives, et la baisse de la rémunération des heures supplémentaires (qui pourrait passer de + 25 % à + 10 %), ont donné le coup d'envoi des mobilisations dans la nuit de lundi à mardi. Les fédérations FO, CGT et Sud-Solidaires ont appelé à une grève reconductible avec le blocage de zones logistiques et de sites dits sensibles, ainsi que la tenue de barrages filtrants et d'opérations escargot. 
 
• Dans le Nord-Pas-de-Calais, les routiers se sont mobilisés dès lundi soir, sur plusieurs sites stratégiques ou symboliques comme le péage de Saint-Omer. Ils ont aussi mené d’autres actions mardi matin au Centre régional de transport et de distribution (CFTD) de Lesquin, autour de la plateforme multimodale de Dourges ou de la zone industrielle et du centre-ville de Boulogne-sur-Mer, et bloqué l’entrée de Béthune. Les différentes opérations étaient prévues pour durer jusqu’en début d’après-midi, au départ des manifestations.

À Calais, près de 150 personnes se sont rassemblées dans la matinée devant la sous-préfecture. Dans la foule, des drapeaux des syndicats Sud, Force ouvrière, FSU et CGT, ainsi que des lycéens et des membres du mouvement Nuit debout. Un lycéen a été interpellé dans l'après-midi alors que des actions se poursuivaient au rond-point de la sortie d’autoroute Calais/Saint-Pierre, a rapporté la Voix du Nord

Une centaine de manifestants se sont rassemblés à Arras, 200 à Cambrai, 400 à Valenciennes et autant à Douai. À Maubeuge, c'est l'entrée de la ville qui a d'abord été bloquée par les manifestants, qui ont ensuite bloqué les accès au magasin Auchan.

• En Seine-Maritime, une quinzaine de points de blocage, aux entrées majeures du Havre, notamment au niveau de l'autoroute, du pont de Normandie et devant le dépôt de la raffinerie Total de Gonfreville-L'Orcher, ont regroupé 3 000 personnes, selon l'intersyndicale CGT, FO, FSU, Solidaire et Unef. Réunis en assemblée générale sur chacun des seize points de blocage au Havre, sur les zones portuaire et industrielle, les manifestants ont décidé, unanimement, de reconduire le mouvement demain mercredi dès 5 h 30, au moins jusqu'à 14 heures.

À Grand-Quevilly, François Hollande, en visite au laboratoire pharmaceutique Ethypharm – protégé par plusieurs cars de CRS, les manifestants tenus à bonne distance – a estimé qu’il fallait « trouver les bons compromis, l'équilibre entre protection et libéralisme ». 

À Rouen, les locaux du Parti socialiste ont de nouveau été visés. Bilan : la vitrine cassée.

• Dans le Calvados, plusieurs centaines de manifestants issus du cortège caennais contre la loi Travail ont décidé de rejoindre à pied le barrage filtrant des routiers. La préfecture a décidé la fermeture deux heures durant du périphérique.

• En Loire-Atlantique, « le port de Saint-Nazaire a complètement cessé ses activités depuis hier [lundi] soir, comme tous les ports français », a précisé au Télégramme Pascal Pontac, secrétaire général CGT du port de Nantes/Saint-Nazaire. Quasiment tous les accès à la zone portuaire de Montoir-de-Bretagne, près de Saint-Nazaire, mais aussi au terminal portuaire de Bouguenais, près de Nantes, ont été bloqués mardi matin.
Le blocage s’est étendu à la raffinerie Total de Donges, où un mouvement de grève de 24 heures avait été voté lors d'une assemblée générale par « 92 % » des salariés, a indiqué Fabien Privé Saint-Lanne, secrétaire général CGT de la raffinerie. « Plus aucune goutte de pétrole ne rentre ni ne sort », a assuré Christophe Hiou, responsable CGT.
Du côté de Nantes, les chauffeurs routiers de la CGT transports et FO transports ont bloqué de grandes centrales de distribution de marchandises dès lundi soir et empêché le départ de plus de 300 camions et camionnettes. Dans la ville, la manifestation s'est une nouvelle fois tendue.

 • En Bretagne
À Rennes, 2 500 à 3 000 manifestants ont défilé sans incidents, puis quelques centaines se sont dirigés vers la rocade entourant la ville pour converger avec les barrages routiers, où les forces de police ont fait usage de grenades lacrymogènes. Plusieurs centaines de manifestants ont en effet convergé dans une zone comprise entre le centre commercial Alma et l'entrée de la rocade. Le centre commercial a été fermé près d'une heure par mesure de sécurité.
Environ 800 personnes ont défilé à Brest, 300 à 500 à Saint-Brieuc, le trafic des trains a été perturbé à Quimper et près de Morlaix tandis qu'à Lanester, la RN 165 a été complètement bloquée une partie de la matinée.

• À Toulouse, la journée de mobilisation a débuté par une action de la CGT qui a muré la permanence du député PS Christophe Borgel, lequel n’a pas apprécié : « Je veux condamner fermement la dégradation contre ma permanence parlementaire. À ce jour, plus de trente parlementaires ont été victimes de ce type d’agissements. Ces actes n’ont rien à voir avec le débat démocratique », a-t-il déclaré dans un communiqué. La manifestation a rassemblé 2 300 manifestants selon la police et 8 000 selon la CGT.

En Gironde, des chauffeurs-routiers, accompagnés de membres de Nuit debout et d'intermittents du spectacle, ont quitté dans la nuit leur point de blocage à Cestas (Gironde), pour installer un nouveau blocus devant les transports Perguilhem à Ambès, près de Bordeaux.
À Bordeaux, la manifestation, qui a rassemblé environ 2 000 personnes selon Sud-Ouest, a démarré sous tension avec une bagarre entre CNT et CGT puis a été émaillée de quelques affrontements. 

 • À Lyon, 2 000 personnes selon la police, 7 000 selon la CGT, sont parties en fin de matinée de l’ancienne gare des Brotteaux pour rejoindre la place Bellecour. Surtout, « il n’y a plus une seule goutte d’essence qui sort de la raffinerie Total de Feyzin », affirme Rue89Lyon« En fonction de la mobilisation, dans 72 heures, on pourrait arrêter l’exploitation », précise Frédéric Seguin, le secrétaire FO (majoritaire) du comité d’entreprise de la raffinerie.

• À Marseille, entre 6 200 (selon la police) et 80 000 (selon les syndicats) personnes ont défilé du Vieux-Port à la place Castellane. « Aujourd'hui le mouvement s'intensifie, comme au port où un arrêt de travail de 72 heures a été voté. La réaction de François Hollande n'arrange rien. Il joue le tout pour le tout, c'est dangereux pour le pays », estime Pascal Galéoté, secrétaire général CGT du port de Marseille. En fin de manifestation, « deux cents jeunes casseurs ont été à l’origine de jets de projectiles sur les forces de l’ordre et ont envahi les voies ferrées entre les gares de la Blancarde et de Saint-Charles, occasionnant une interruption du trafic ferroviaire durant une heure », a indiqué la préfecture de police dans un communiqué. Cinquante personnes ont été contrôlées et huit interpellées.
Des barrages routiers ont eu lieu à Fos-sur-Mer et Vitrolles.

• À Grenoble, le cortège est parti de la gare à 10 heures. La préfecture évoque 1 600 manifestants contre 7 000 selon les syndicats. Après la manifestation, des jeunes se sont dirigés vers le lycée Champollion, relate France 3, puis jusqu'au boulevard Joseph-Vallier où les manifestants comptaient bloquer les accès à l'A480 à hauteur du pont de Catane. Là, un cordon de CRS les a arrêtés et, pendant une petite heure, les deux camps se sont regardés en chiens de faïence. 
• Un millier de manifestants se sont réunis à Bayonne.

À la SNCF, la CGT-cheminots et SUD-rail appellent à la grève reconductible à la fois pour peser dans les négociations sur les conditions de travail des cheminots et protester contre le projet de loi. Les organisations ont opté pour des modalités différentes de grève, chaque mercredi et jeudi pour la CGT-Cheminots et tous les jours pour Sud-Rail.
Le trafic aérien devrait être perturbé jeudi avec l'appel à la grève lancé par l'Usac-CGT, premier syndicat de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC). L'impact sur la navigation aérienne devrait être connu mardi. Mercredi 18 mai, une manifestation à l'appel des syndicats policiers à Paris ainsi qu'une série d'actions contre les violences policières risquent d'occuper l'agenda dans la capitale.

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 Neuf des dix personnes qui avaient été interdites de manifester ont obtenu gain de cause mardi devant le tribunal administratif. Les notes blanches produites par la préfecture étaient quasiment vides, comme le montre l'une d'entre elles, publiée par Mediapart. Mais le fait que l'un des militants n'ait pas obtenu gain de cause prouve qu'il est possible d'interdire a priori de manifester, au nom d'un état d'urgence lié au terrorisme. 

Il s’en est fallu de très peu pour que la préfecture de police de Paris soit complètement ridiculisée. Neuf opposants à la loi sur le travail ont obtenu gain de cause devant le tribunal administratif, dans le cadre d’une procédure de référé-liberté. Fort de l’état d’urgence lié au terrorisme, le préfet de Paris leur avait interdit de rejoindre les rangs du cortège au motif « qu’il y a tout lieu de penser que leur présence aux rassemblements organisés contre le projet de loi vise à participer à des actions violentes ». La juge a considéré qu’il s’agissait d’une « atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir et à la liberté de manifestation », le préfet de police ne produisant « aucun élément permettant de retenir qu'ils ont personnellement participé à ces dégradations et violences » (voir une des ordonnances en intégralité – elles sont presque toutes similaires). Le tribunal a cependant considéré que pour un dixième opposant, l’interdiction était justifiée.Sur quoi se fondait concrètement la préfecture ? Rien de bien précis, comme le montre une des notes blanches (a priori rédigées par les services de renseignement).

Dans les jours précédents, la préfecture était même allée plus loin. Elle avait adressé une interdiction de séjour à NnoMan (un pseudonyme), photographe de son état. L’État allait-il bafouer la liberté de la presse ? Lundi soir, devant le tollé suscité, la préfecture a préféré reculer en plaidant l’ignorance : elle ne savait pas que l’homme était membre du collectif OEIL (Our Eye is Life) et qu’il était journaliste. Ce qui en dit long sur la profondeur des enquêtes menées.
Fin de l’histoire ? Même pas. Mardi après-midi, et alors que l’arrêté le concernant avait été levé depuis plusieurs heures, le photographe a été interpellé par les forces de l’ordre au seul motif qu’il portait un casque et un masque. « Incompréhensible », a réagi son avocat, Me Hosni Maati. Avant que NnoMan soit de nouveau autorisé à faire son travail…

Ce même flou, peu artistique, était perceptible mardi matin devant le tribunal. Dans le cadre d’une procédure d’urgence rendue nécessaire par l’imminence de la manifestation, les avocats des militants y ont vigoureusement contesté l’« interdiction de séjour » ordonnée par la préfecture et rendue possible par l’état d’urgence.
Dix des quelque trente individus concernés par les arrêtés du préfet de Paris avaient en effet décidé de contester les arrêtés. Seulement un quart d’heure avant l’audience, leurs avocats, Me Raphaël Kempf et Me Aïnoha Pascual, avaient eu connaissance de notes blanches les concernant. Jusque-là, ils n’étaient accusés que d’avoir pris part à des manifestations dans lesquelles des violences étaient survenues. Or les manifestants ne nient pas avoir participé à des rassemblements contre la loi sur le travail. Ils expliquent seulement n’avoir jamais commis le moindre acte violent. Ils n’ont jamais été déférés devant la justice, encore moins condamnés.
Surprise à l’audience : dans les notes blanches, les affirmations sont à peine plus étayées. Le représentant du préfet de police, Jean-Paul Lambin, fait valoir que deux d’entre eux ont été interpellés au cours d’une manifestation, munis d’une arme (sans qu'on en connaisse la catégorie). Et finalement, c’est à l’un d’entre eux, résidant dans les Yvelines, que le tribunal donnera tort. Selon la note, le 30 janvier, au cours d’une manifestation contre la déchéance de nationalité et contre l’état d’urgence, il a « été identifié comme l’auteur de violences volontaires sur deux militaires ». Rien d’autre n’est évoqué : ni certificat médical, ni témoignage. « Mon client aurait été identifié pour ces faits graves, et cela n’aurait donné lieu à aucune procédure judiciaire ? », s’étonne Me Kempf.
Pour le cas de cet homme de 26 ans, militant antifasciste, le tribunal a suivi les services de renseignement les yeux fermés. Ce qu’il n’a pas fait pour les neuf autres mis en cause, sans qu’on comprenne pourquoi il opérait ce distinguo. Le représentant du préfet s’est en effet plusieurs fois senti bien nu à la barre. À tel point que depuis son pupitre, il a tenté d’appeler on ne sait qui, afin qu’on lui transmette de supposés procès-verbaux d’interpellation, qu’il ne produira finalement pas. 

« La préfecture de police engage sa responsabilité sur ces notes »
 
Si les notes blanches mentionnent l’interpellation de certains militants, parfois munis d’une arme, ceux-ci nient farouchement. Et là encore, la cohérence semble faire défaut : certains auraient été contrôlés casqués avec une arme, ce qui est une infraction pénale. Mais cela n’aurait donné lieu à aucun déferrement en justice ?
Et les autres ? Certains sont accusés d’avoir participé à des rassemblement non autorisés, voire d’avoir été violents, sans plus de détails. « Évidemment, s’ils avaient été interpellés en flagrant délit, on ne serait pas ici, explique le représentant du préfet. Là, on est dans le cadre de la prévention. »
Un autre manifestant est « fortement soupçonné d’avoir agressé un militaire » lors d’un rassemblement en février en hommage à Ilan Halimi. Le préfet parle d’une enquête préliminaire en cours, plaide qu’il faut du temps pour aboutir dans ce type d’affaires où les « groupes sont casqués, organisés, masqués ». En attendant, il n’a aucun élément à apporter. Le jeune homme, présent, explique qu’il n’a jamais entendu parler de cette affaire. « En face non plus, ils n’ont pas d’éléments pour contester », argumente la préfecture, qui, faute de preuves, tente l’argument d’autorité : « La préfecture de police engage sa responsabilité sur ces notes. »
Tout juste le représentant du préfet consent-il à lâcher un peu de lest sur une situation incongrue : si l'arrêté est confirmé, six des mis en cause ne pourront rester chez eux alors qu'ils habitent un des arrondissements dans lesquels il leur est interdit de se rendre. « On n’ira pas les chercher chez eux », explique la préfecture. Et s’ils doivent acheter du pain ou des cigarettes ?
La préfecture évoque pêle-mêle un lycéen interpellé ce week-end pour tentative d’homicide sur un policier, les casseurs qu’on voit témoigner à la télévision et qui discréditent les bons manifestants, la lutte antiterroriste qui fait que les policiers ont autre chose à faire que de gérer des violences au sein des manifestations, le service d’ordre de la CGT qui a été agressé. Certes. Mais en quoi cela concerne-t-il les mis en cause ?, ont beau jeu de plaider leurs avocats.
« Le préfet aurait pu interdire la manifestation. Il fait le contraire. Il tente de l’encadrer », tente encore Jean-Paul Lambin, qui s’appuie par ailleurs sur une décision du 11 décembre 2015 du Conseil d’État. À l’époque, il s’agissait de savoir s’il pouvait être légitime d’assigner à résidence des militants écologistes n’ayant rien à voir avec le terrorisme, fait générateur de l’état d’urgence. Le Conseil d’État avait répondu par l’affirmative dès lors que pesait une « menace pour la sécurité et l'ordre publics ».
Une interprétation contestée par les mis en cause, qui s’attardent cependant davantage sur un autre point : en droit, il n’existe pas de possibilité d’interdire préventivement de manifester. Ce type d’interdiction ne peut survenir que dans le cadre d’une peine complémentaire, quand une personne a été reconnue pénalement coupable d’une infraction.
À ces militants anti-loi sur le travail, âgés d’une vingtaine d’années, il est reproché d’« entraver l’action des pouvoirs publics ». Mais n’est-ce pas là l’objectif de chacun des manifestants ? Faire que la loi ne passe pas ? « Avec cette logique, toute personne devrait être interdite de manifester », explique Me Kempf.
Dans les notes blanches qui comportent juste une date, mais pas de signature, il est aussi reproché à ces proches du collectif Action antifasciste (AFA) Paris-Banlieue ou du Mouvement interluttes indépendant (Mili) d’être des « membres actifs de l’ultragauche ». « Mais qu’est-ce que c’est, l’ultragauche ? Et quelles difficultés cela pose ? Le but est seulement d’arrêter des opposants politiques ? », demande Me Kempf.
Me Aïnoha Pascual enchaîne : « On vous parle de violence, mais le Mili a été créé après l’expulsion de Leonarda, pour apporter un soutien aux sans-papiers, pour le droit au logement. Son dernier combat portait sur l’avortement en Espagne. Cela n’a rien de violent. Quant à l'AFA, son but est de lutter contre les discriminations, et il affiche sa solidarité avec les sans-papiers. Il suffit de lire leur site internet pour voir qu’ils récusent toute violence, même en réponse à l’extrême droite. »
Les avocats peuvent être satisfaits : le tribunal leur a donné raison 9 fois sur 10. Mais derrière ce quasi raz-de-marée, la condamnation d’un militant montre que la plupart des arguments de principe (« détournement de pouvoir », impossibilité d’interdire a priori de manifester, état d’urgence pour terrorisme instrumentalisé) n’ont pas été entendus. Dans ces conditions, il n’est pas impossible que la préfecture tente de nouveau sa chance dans les semaines qui viennent. Cliquer ici pour retrouver l'article sur le site de Mediapart, accès réservé aux abonné-es


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