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Les droits des invisibles par Dominique Rousseau (Libération)

DOMINIQUE ROUSSEAU est professeur à l’université de Montpellier-I et membre de l’Institut universitaire de France.  

Le vote Front national ne demande pas des frontières. Il demande du droit. Le droit de vivre dans un logement décent et un environnement propre. Le droit à une alimentation simple. Le droit à des soins sûrs. Le droit à l’école. Le droit d’offrir à ses enfants quelques jours de vacances. Le droit de se promener tranquillement, de raconter des histoires, de rencontrer des amis, de faire la fête. Or, ces droits font défaut aux «petites gens», à tous ces travailleurs précaires, pauvres, intérimaires, chômeurs, ces délocalisés, RMistes, mais aussi ces employés, étudiants en galère, artisans, infirmières, ces travailleurs qui peinent à payer leur accession récente à la propriété dans les campagnes autour de la grande ville. Depuis cinq ans, les lois ont donné des droits aux gens importants et enlevé des droits aux gens de peu. Et quand les droits manquent, la colère explose et s’exprime comme elle peut, dans les formes qu’elle trouve à un moment donné. Car ces gens de peu sont sans forme institutionnelle, invisibles. Là est le problème politique.

Tant que le tiers état a été invisible, il a été sans droits. Tant que les gens de peu resteront invisibles, ils n’auront pas de droits. Pour qu’ils deviennent visibles, il faut une assemblée qui les présente, qui les fasse monter sur la scène publique et qui leur donne une voix dans le débat politique. Comme l’a fait le tiers état en inventant l’Assemblée nationale, il faut, aujourd’hui, inventer l’Assemblée sociale. «Les plus belles idées meurent de ne pas trouver leur véhicule», écrivait Chateaubriand. Il ne servirait à rien de vanter le caractère social de la République ou d’allonger la liste des droits sociaux si n’était créée une assemblée qui, par sa composition, en soit l’instrument normatif. L’idée n’est pas nouvelle. Dès 1962, Pierre Mendès France écrivait qu’«à côté de l’Assemblée qui exprime les diversités idéologiques et politiques, la présence des groupes socioprofessionnels est devenue nécessaire dans une seconde assemblée». De Gaulle, sous une forme plus compliquée, en avait repris l’idée en 1969. Et, en 1895, le juriste Léon Duguit affirmait qu’«un pays où la double représentation des individus et des groupes n’est pas assurée n’a point de Constitution».

Ce n’est pas d’une VIe République dont la France a besoin, qui donnerait un peu moins de pouvoir au président, un peu plus au Premier ministre et au Parlement. C’est d’une République nouvelle qui organise la représentation des invisibles, les rende visibles et donc accueille leur demande de droits. Une République nouvelle, mais qui continuerait l’histoire commencée en 1789 quand les révolutionnaires affirmaient dans la déclaration que «l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements».

Les droits des invisibles (Libération)
 

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