Le 27 janvier 2012, Jean-Luc Mélenchon a répondu à un questionnaire 
soumis par l’Action des citoyens pour le désarmement nucléaire. Il 
conclut sa lettre par cette affirmation saisissante, venant du candidat 
du Front de Gauche : «  je ne peux m’engager à ne jamais utiliser d’arme nucléaire contre quelque peuple que ce soit » [1].
A-t-on jamais lu ou entendu un représentant de la « gauche de la gauche » parler ainsi ?
La réponse de Jean-Luc Mélenchon à ce questionnaire a été 
soigneusement pesée. Elle s’inscrit dans une orientation d’ensemble qui 
exalte « l’amour de la France » [2], qui valorise le rôle de l’Etat français sur le plan international et prône le renforcement de ses « capacités militaires souveraines » [3].
Cette orientation d’ensemble est totalement étrangère à tout 
l’éventail des traditions de la « gauche militante », de rupture avec 
l’ordre établi – qui va de l’antimilitarisme révolutionnaire au 
pacifisme. Elle est étrangère à toute la tradition anti-impérialiste et 
anticolonialiste qui s’est opposée (et s’oppose encore [4])
 à notre propre impérialisme. Si Jean-Luc Mélenchon dénonce virulemment 
l’impérialisme étatsunien, il considère en revanche que l’Etat français 
n’est pas impérialiste et ne menace aucun peuple.
Voilà une question qui n’est pas anodine ! Elle porte sur la nature 
même de l’Etat et se trouve au cœur de tout projet de transformation 
sociale radicale, dans un pays comme la France. Pourtant, les 
déclarations de Jean-Luc Mélenchon en ce domaine n’ont suscité que bien 
peu de réactions. D’autres points de vue se sont certes manifestés, y 
compris au sein du Front de Gauche. Sur le site du FdG Finistère (7e circonscription), Yves Jardin (Douanenez) martèle par exemple : « le
 Front de Gauche doit s’exprimer haut et fort pour dénoncer l’“union 
sacrée“ mortifère de la course aux armements, de l’acceptation de l’arme
 nucléaire et des interventions néo-impérialistes. » [5] – mais de telles positions ont été maintenues « à la marge » du débat politique à la gauche de la gauche.
L’habit présidentiel. Rien n’obligeait Jean-Luc Mélenchon à brandir, au nom de la politique de dissuasion, la menace d’utiliser l’arme nucléaire « contre quelque peuple que ce soit ».
 Rien, si ce n’est la volonté d’affirmer sa « responsabilité » de 
prétendant à la magistrature suprême ; car il a véritablement pour 
ambition d’être élu président et c’est une donnée politique très 
importante pour comprendre ses positionnements. Il mise sur un échec de 
la gouvernance socialiste sous François Hollande conduisant à une 
alternance qui profiterait, cette fois-ci, à la gauche de la gauche et 
non à la droite ou à la droite extrême.
Il est assez inquiétant de voir avec quelle facilité le chantre le la VIe République endosse l’habit présidentiel de la Ve République. Cette posture a en effet bien des implications : se projeter en chef des armées et héraut de la nation, notamment.
Etat, nation, armée. Le discours de Jean-Luc Mélenchon sur 
l’Etat, la nation et l’armée ne semble pas cependant de pure opportunité
 (se placer dans la course à la présidence), mais semble répondre aussi à
 une vision profonde. C’est la question que soulève François Sabado dans
 un article récent : « Sur le plan politique et historique, 
l’orientation réformiste de la direction du Front de gauche s’accompagne
 des positions “républicaines“ de Mélenchon. Non pas celle des 
communards, qui opposaient la république sociale aux classes 
bourgeoises, mais des républicains qui fusionnent dans leur défense de 
la république les mots “nation“, “république“ et “Etat“. Cette 
conception subordonne la “révolution citoyenne“ ou “la révolution par 
les urnes“ au respect des institutions de l’Etat des classes 
dominantes. » [6]
Ainsi, dans sa Lettre aux Français à l’étranger, Jean-Luc Mélenchon déplore que le « réseau diplomatique » de la France soit « démantelé ». Dans sa réponse à l’ACDN, il expose les fondements de sa démarche : « Il
 s’agit de réaffirmer la seule légitimité des Etats souverains en 
matière de politique internationale. Cette conception des relations 
internationales fondée sur les États-nation impose de conforter la 
puissance de la France, c’est-à-dire sa capacité à infléchir la volonté 
d’autrui. C’est la résultante de sa capacité économique, son potentiel 
scientifique et technologique, mais aussi sa capacité militaire. »
Renforcer la capacité militaire de la France est aussi l’un des fils conducteurs de la contribution qu’il a envoyée à la Revue Défense nationale : « Une
 France mise au service de la paix ne peut être privée des moyens de se 
défendre. Mon propos n’est pas d’augmenter le budget militaire de la 
France. Mais je n’envisage pas sa réduction. Elle paralyserait nos 
capacités opérationnelles. Je déciderai un moratoire sur la diminution 
des effectifs. »
Il faut en particulier renforcer les capacités opérationnelles des armées françaises : « Les
 interventions en Afghanistan ou en Libye ont montré les limites de 
l’organisation et des moyens de nos armées. Il est inacceptable 
d’envoyer en opération des soldats sous-équipés, de dépendre d’autres 
puissances pour le transport des troupes, le ravitaillement en vol ou 
l’observation. Le format des armées et les programmes d’armement, à 
réexaminer au cas par cas, seront adaptés à la nouvelle réflexion 
stratégique. En tout état de cause, l’acquisition d’une capacité de 
projection autonome d’une brigade interarmes est un objectif 
raisonnable. Il suppose d’augmenter les capacités en termes de 
renseignement et de soutien. Mais aussi de décider des moyens 
nécessaires de la projection, tant aériens que maritimes. »
Il faut encore rétablir le lien entre la « nation », la « Patrie républicaine » et « son » armée : « Je
 rappelle que la conscription est seulement suspendue et non supprimée. 
Le lien entre la Patrie républicaine et son armée ne doit donc jamais 
être compromis ! J’engagerai donc aussi une réflexion sur la réserve, 
dans ses composantes citoyennes et opérationnelles. Elle est le trait 
d’union entre l’armée et la nation. C’est aussi un vivier de 
compétences. C’est pourquoi je m’engage à son développement. »
La force de frappe. C’est pour assurer la puissance de la France que Jean-Luc Mélenchon s’oppose à toute politique de désarmement unilatérale, car « en l’état actuel, la dissuasion nucléaire demeure l’élément essentiel de notre stratégie de protection. ». S’il veut supprimer sa « composante aérienne », c’est uniquement par ce qu’il la juge « aujourd’hui obsolète ».
Mélenchon prône certes le désarmement multilatéral, mais il n’y a là 
rien d’original ni de radical. L’appel à un monde débarrassé de l’arme 
nucléaire a été l’un des thèmes centraux du profil affiché par Barak 
Obama après son investiture présidentielle. Tous les chefs d’Etat 
impérialistes affirment se préparer à la guerre pour mieux défendre la 
paix. Tous jurent que leur politique est « strictement défensive ».
La France est l’un des rares pays engagés dans la « modernisation » 
de l’arme nucléaire ; elle est activement partie prenante de la course 
aux armements. En popularisant l’idée d’une arme nucléaire « tactique » 
ou « propre », les Puissances veulent rendre son utilisation 
politiquement acceptable. Elle a été effectivement utilisée en 1945, 
elle le sera à nouveau un jour ou l’autre si les mouvements populaires 
n’imposent pas son éradication.
La doctrine de la dissuasion nucléaire a toujours été le cache-sexe 
d’une politique de puissance. Elle donne une image trompeuse d’équilibre
 ou de gel, mais en justifiant la possession de l’arme atomique par 
certains, elle a justifié sa possession par d’autres. La « dissuasion » a
 conduit à la prolifération, comme elle nourrit une course sans fin aux 
armements. Ce n’est en rien une doctrine de gauche, progressiste...
La sortie de l’Otan. Il en est de même des raisons qui rendent, pour Jean-Luc Mélenchon, impératif de quitter le commandement militaire de l’Otan. « L’acte
 fondateur de cette stratégie sera la sortie de l’Otan et le refus de 
toute politique européenne de défense en sous-traitance de celle des 
États-Unis ou de quoi que ce soit qui autoriserait un contrôle de nos 
décisions, de nos moyens d’action ou une limitation de leur usage 
souverain. »
Si l’on excepte le rôle central qu’il accorde à l’Onu, son argumentaire est de facture très gaulliste : « L’Otan
 n’est plus rien d’autre que le bras armé de l’intérêt des États-Unis. 
Sa mue en alliance globale doit être stoppée nette. » « Nous n’avons pas
 à cofinancer le redéploiement étasunien en Asie-Pacifique, face à la 
prétendue “menace chinoise“. Aussi souhaitable soit-elle, la 
construction d’une force européenne indépendante de l’Otan est donc pour
 l’heure une chimère. Il serait irresponsable de lui sacrifier notre 
capacité de défense souveraine. »
L’altermondialisme, cadre diplomatique ? « La politique de défense que je propose », affirme Jean-Luc Mélenchon dans sa contribution à la Revue Défense nationale, « est
 altermondialiste : elle encourage l’émergence d’un monde multipolaire, 
libéré de toute forme d’hégémonisme. La France doit se porter aux 
avant-postes d’une nouvelle alliance mondiale. J’affirmerai donc une 
option préférentielle pour l’action avec les pays émergents. La 
condition initiale de cette politique est la récupération de notre 
souveraineté militaire. »
Rappelons à ce sujet un passage déjà cité de sa réponse à l’ACDN : il « s’agit
 de réaffirmer la seule légitimité des Etats souverains en matière de 
politique internationale. Cette conception des relations internationales
 fondée sur les États-nation impose de conforter la puissance de la 
France… »
L’altermondialisme a vu naître un espace mondial propre aux 
mouvements sociaux qui, précisément, refusaient de s’identifier à la 
logique de « leurs » Etats respectifs. Au contraire, Mélenchon présente –
 et il n’est pas le seul –l’altermondialisme comme un cadre de 
coopération diplomatique « multipolaire » entre Etats où la France 
occuperait toute « sa » place. Le grand perdant dans l’affaire est 
évidemment l’internationalisme. L’altermondialisme serait-il une somme 
de nationalismes et d’étatismes ?
La gauche française. Bien entendu, la dynamique suscitée par 
la campagne du Front de gauche est portée avant tout par les questions 
sociales. Je ne prétends en aucune manière présenter un jugement 
d’ensemble sur la portée politique du succès de la candidature 
Mélenchon.
Cependant, durant la campagne présidentielle, l’invocation de « la 
France », de « mon pays », de « ma nation », de sa « grandeur » 
supposée, de son « éminent rôle » dans le monde a été mille fois 
répétée, jusqu’à l’écœurement. Or, Jean-Luc Mélenchon n’est pas le 
dernier à avoir entonné le chant national. On peut douter que ce soit la
 façon la plus efficace de lutter contre le FN, qui s’adresse 
aujourd’hui « à tous les patriotes de droite et de gauche ». Pire, cela 
banalise à gauche – y compris dans la gauche de gauche – l’usage d’un 
verbe nationaliste. Voilà qui très dangereux.
On ne peut s’en remettre à la seule « dynamique » de la « révolution 
par les urnes » ou des mobilisations sociales pour éradiquer ce 
nationalisme que l’exaltation de la nation nourrit. On ne saurait faire 
l’économie d’une bataille politique, en défense de l’internationalisme.
Pierre Rousset
Notes
[1] La lettre de Jean-Luc Mélenchon est disponible dans son intégralité sur le site d’ESSF (article 25011), « je
 ne peux m’engager à ne jamais utiliser d’arme nucléaire contre quelque 
peuple que ce soit, cet engagement serait de mon point de vue 
contre-productif pour la cause de la paix que je défends ».
[2] Voir par exemple la lettre de Jean-Luc Mélenchon aux Français à l’étranger, disponible sur le site d’ESSF (article 24896), « C’est à l’étranger que j’ai le mieux ressenti l’amour de la France ».
[3]
 Voir en particulier la réponse de Jean-Luc Mélenchon à la Revue Défense
 nationale, disponible sur le site d’ESSF (article 25071), Une
 défense souveraine et altermondialiste – « La grandeur de la République
 est pour moi une idée claire. Quand d’autres veulent la diluer dans la 
soumission au marché et à l’atlantisme, je crois que son destin, depuis 
Valmy, est de résister, de vaincre et d’inspirer ».
[4] Voir notamment l’article de Philippe Pierre-Charles, ESSF (article 25065, Mélenchon, le PCF et les colonies.
[5] Article disponible sur ESSF (article 25137) « Aujourd’hui
 le Front de Gauche doit s’exprimer haut et fort pour dénoncer l’« union
 sacrée » mortifère de la course aux armements, de l’acceptation de 
l’arme nucléaire et des interventions néo-impérialistes ».
[6] François Sabado, ESSF (article 25134) : Front de gauche : et maintenant ?.
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