Accéder au contenu principal

À la Une...

Pour débattre à gauche du PS...

Mélenchon, la gauche, et l’impérialisme linguistique

S’il est un domaine où Jean-Luc Mélenchon a été abondamment critiqué par les écologistes, l’extrême gauche et les milieux alternatifs, sans pour autant, étonnamment, susciter de rupture à l’intérieur du Front de Gauche, c’est celui de sa défense assumée du patriotisme et de son ambiguïté vis à vis de l’impérialisme français.

En pleine campagne présidentielle, il se distinguait par exemple d’Eva Joly et de Phillipe Poutou en défendant le principe du défilé militaire du 14 Juillet. Pas banal dans la gauche dite « radicale ». La campagne fut également le théâtre de la promotion d’un certain nationalisme associant les symboles cocardiers à la défense des intérêts « français ». Pas banal non plus pour une gauche revendiquée comme étant « des travailleurs » et issue du socialisme internationaliste. Quelques années auparavant, quand il dirigeait le courant PRS qui allait devenir le PG à sa sortie du Parti socialiste, Jean-Luc Mélenchon créait la polémique en refusant de condamner la répression du Tibet par le régime chinois, alors responsable de plus de 400 morts à Lhassa. Il niait alors l’existence d’un problème d’oppression nationale, en niant tout simplement la réalité nationale du Tibet, renvoyant les revendications tibétaines à la défense du féodalisme et réduisant l’opposition au gouvernement chinois des mouvements démocratiques internationaux à un soutien au Dalaï Lama [1].

Parmi les questions qui touchent de près ou de loin celle de la nation, il existe un autre aspect de la politique de Jean-Luc Mélenchon qui pose de sérieux problèmes : c’est celui des langues. Dans son travail de réactivation symbolique des références historiques de la République Française, comme justification « par l’Histoire » de la légitimité de son programme politique, Jean-Luc Mélenchon a repris cette position dite « républicaine » de la défense exclusive du français, qui, si elle a en partie permis d’unifier le pays, a également conduit à l’éradication de sa diversité linguistique.

En refusant des droits à des groupes de locuteurs en tant que tels, s’opposant par exemple à la reconnaissance constitutionnelle de l’enseignement des langues régionales, Jean-Luc Mélenchon participe d’une entreprise de construction politique qui a nié la réalité anthropologique des populations durant deux siècles d’histoire républicaine. La conclusion en France, résultant bien d’une politique éducative organisée par l’Etat et non d’une évolution naturelle des usages, aura été la disparition, par exemple, du breton, du basque ou encore du corse, sans parler des dialectes locaux de la langue française pratiqués partout dans notre territoire.

Jean-Luc Mélenchon réduit le rôle des langues à un simple système véhiculaire et pose la nécessité de l’exclusive du français comme la garantie d’un langage partagé permettant l’unification des revendications du peuple. C’est en fait la vision classique de la gauche française, qui en a fait son credo tout au long du vingtième siècle : en parlant la même langue, les classes populaires pourront s’unir dans la défense de leurs droits et élaborer un destin commun.

C’est en partie vrai. Mais l’erreur historique de la gauche française aura été de réduire la langue à sa fonction véhiculaire et de confondre universalisme et exclusive.

La langue ne permet pas seulement d’échanger des informations à la façon de la circulation des marchandises. Elle est également le lieu de l’organisation de l’abstraction mentale et donc le creuset même de toute construction de la pensée. La diversité linguistique est donc la garantie de la robustesse et de la diversité de la pensée humaine. On peut faire le parallèle avec la biodiversité, dont le maintien est la garantie de la robustesse des écosystèmes dont nous sommes issus. A ce titre, l’actuelle course pour faire de l’anglais la langue exclusive de la recherche scientifique, y compris jouée au sein du système universitaire français, est une bien mauvaise nouvelle.

En liquidant des langues appartenant à nos territoires, des langues parfois non indo-européennes comme le basque, nous avons liquidé des sources possibles d’enrichissement de la construction critique en réduisant la disponibilité des architectures de pensée susceptibles de l’accueillir.

Opposer l’universalisme à l’exclusivité aurait dû conduire l’Etat, au début du vingtième siècle, à garantir la diffusion et l’enseignement du français de façon à établir un socle linguistique autorisant la recherche d’un destin commun, tout en respectant la réalité des pratiques et en intégrant l’enseignement des langues régionales au sein du corpus éducatif.

L’Histoire est l’histoire, et il serait vain de regretter ce qui a été. Il est par contre regrettable que nous ne sachions pas en tirer un enseignement pour élaborer une politique d’aujourd’hui.

En 2012, la diversité linguistique perdure notamment grâce à l’immigration. Si les français sont connus pour être globalement peu doués dans la pratique des langues étrangères, il existe une partie de la population qui inclue une part massive de polyglottes en son sein : celle des français issus de familles immigrées, et notamment, d’un point de vue numérique, originaires du Maghreb. Dans quelques décennies, quand le Front national aura disparu et avec lui sa pression idéologique insupportable sur notre société, nous constaterons à nouveau une occasion manquée. La France aurait pu faire le choix de valoriser la richesse linguistique existant dans les quartiers populaires, permettant en outre à de nombreux élèves de trouver au sein de leur patrimoine familial des supports de réussite scolaire quand celui-ci reste en général plutôt source de discrimination, en permettant à l’école et au collège l’enseignement de l’arabe au même rang que l’anglais ou l’espagnol.

Durant la campagne présidentielle, c’est vers les français de l’étranger que Jean-Luc Mélenchon s’est tourné, pour défendre la diffusion et le rayonnement du français. En s’adressant aux expatriés, il vantait le mérite du rayonnement international de notre langue, prenant comme engagement électoral le soutien massif des Alliances françaises, ces établissements, privés, diffusant la francophonie [2]. On ne pouvait pas mieux faire pour caresser dans le sens du poil les milliers de cadres de nos grandes entreprises partis s’expatrier pour défendre et faire prospérer à l’étranger notre capitalisme national, en concurrence avec les impérialismes anglophones.

En outre, la diffusion du français par les établissements privés implique l’approfondissement de graves clivages sociaux dans les pays anciennement soumis à notre domination coloniale.

En voyage au Maroc, je me suis procuré le magazine indépendant d’actualité « Tel quel », qui dans son numéro de début mai proposait un article éclairant intitulé « Ma langue, mon drame », signé de Mohammed Boudarham, et dont je reprends ici le propos. L’article est disponible en ligne sur le site du magazine [3]. L’auteur y brosse le portrait de la diversité linguistique du Maroc et des problèmes spécifiques auxquels doit faire face la société marocaine. Du fait de l’existence de nombreuses langues berbères et de l’arabe marocain, sans oublier celle des langues coloniales, le français et l’espagnol, le Maroc est un pays qui bénéficie d’un très riche patrimoine linguistique. Les disparités sociales se superposent parfois aux différenciations linguistiques, au détriment par exemple de certaines populations berbérophones du nord du pays. L’enseignement scolaire des langues, la définition d’un socle linguistique commun pour une unification politique du pays, sont autant d’enjeux à relever pour le Maroc d’aujourd’hui.

Dans ce concert, le français trône à la tête de la pyramide, au détriment des classes populaires et des perspectives individuelles des jeunes issus de ces milieux. Dans les établissements publics fréquentés par les couches populaires, le français est enseigné au titre des langues étrangères à partir du collège. Il est par contre enseigné dès l’école primaire en tant que première langue scolaire dans les établissements privés fréquentés par les milieux les plus favorisés, ceux que Jean-Luc Mélenchon se propose de soutenir massivement.

Pour Mohammed Boudarham « sur le marché du travail, en particulier dans le secteur privé, ne pas maîtriser le français est un sérieux handicap quand on cherche un emploi ». Citant le sociologue et linguiste marocain Ahmed Boujous « le français est comme la langue de la modernité (…) il est le moyen de communication de prédilection dans les secteurs des services et dans les médias ». Plus loin, pour Mohammed Boudarham « si cette langue [le français] n’est pas nécessaire pour certains jobs, elle est souvent exigée car elle sert de tamis social. Parler couramment français laisse entendre à l’autre qu’on est issu d’une classe sociale plutôt aisée, voire dominante, cas sa maîtrise suppose généralement d’avoir été scolarisé dans les écoles privées ou à la mission française ».
En défendant le « rayonnement du français », Jean-Luc Mélenchon pense défendre le rayonnement des idéaux des lumières. Comme s’il était impossible de les exprimer en arabe ou en amazigh.
En réalité, Monsieur Mélenchon défend une politique qui favorise la pérennité de clivages sociaux consolidant le pouvoir des bourgeoisies nationales nées des ruines du néo-colonialisme, au détriment des classes populaires vers lesquelles la gauche française devrait en premier lieu manifester sa solidarité internationaliste. Au Maroc, par exemple, cette politique de soutien des établissements privés d’enseignement français se traduit par une consolidation du pouvoir des classes les plus aisées, piliers de la très peu républicaine et très peu démocratique monarchie alaouite.

Pour finir, un roman de science fiction américain des années 50 en guise de conseil de lecture : « Les langages de Pao », de Jack Vance.

Alexis Martin

PS : On me dit deux choses, par mail. Qu’à l’heure où Jean-Luc Mélenchon affronte Marine Lepen il ne faudrait pas le critiquer.

Et que la proposition d’enseigner l’arabe à l’école française est en contradiction avec la critique du fait d’enseigner le français au Maroc.

Pour la première : Jean-Luc Mélenchon n’a pas l’exclusivité du combat contre le Front bational. Il ne l’a pas non plus localement, et encore moins l’antériorité, dans la circonscription où il s’est imposé et qu’il entend utiliser pour médiatiser sa politique.

Par ailleurs, les gauches ont trop souffert de la propension de leurs partis dominants à refuser la critique, en agitant le chiffon de l’ennemi qu’on favoriserait en remettant « la ligne » en question. Quand l’extrême gauche dénonçait le stalinisme et ses crimes, le PCF la taxait de « faire le jeu du fascisme » et la désignait comme le parti de « l’hitléro-trotskisme ». Quand elle critiquait la bureaucratie et la dictature à l’est, on l’accusait de « faire le jeu de l’impérialisme ». Aujourd’hui, remettre la gauche institutionnelle en question serait faire le jeu de la droite et du FN. La ficelle est un peu grosse, surtout en 2012.

Pour la seconde : il n’est pas contradictoire de défendre en France l’enseignement obligatoire du français comme première langue scolaire assorti de la possibilité d’étudier l’arabe comme langue étrangère et du droit d’étudier une langue régionale comme telle, et de critiquer par ailleurs l’enseignement à deux vitesses du français au Maroc. Une vitesse dans les établissements privés pour la jeunesse dorée, créant de vrais bilingues qui accaparent toutes les perspectives professionnelles dignes, et une vitesse pour les autres dans les établissements publics, créant de mauvais francophones discriminés ensuite à l’embauche, quelles que soient leurs compétences pour les emplois visés.


Notes

[1] sur le blog de Jean-Luc Mélenchon : http://www.jean-luc-melenchon.fr/20...

[2] sur le site d’Europe Solidaire Sans Frontières (article 24896), « C’est à l’étranger que j’ai le mieux ressenti l’amour de la France » : http://www.europe-solidaire.org/spi...

[3] sur le site du magazine « Tel Quel » : http://www.telquel-online.com/node/2642 Disponible sur ESSF (article 25303), Maroc : Ma langue, mon drame.


Repris de Europe Solidaire Sans Frontières (ESSF:) : Mélenchon, la gauche, et l’impérialisme linguistique

A lire aussi

 28 mars 2012. NPA. Occitània anticapitalista internacionalista
Des milliers de voix pour l'occitan (FR3)
Lo NPA e son candidat Philippe Poutou dison : En Occitània, coma endacòm mai, cal aparar e promòure las lengas e culturas regionalas dins un projècte anticapitalista, antiproductivista e internacionalista.

Le NPA et son candidat Philippe Poutou déclarent : en Occitanie, comme partout ailleurs, il faut défendre et promouvoir les langues et les cultures régionales dans un projet anticapitaliste, antiproductiviste, démocratique et internationaliste. 

Le 31 mars 2012 se tiendra la manifestation « Anem òc per la lenga occitana » à Toulouse.
D’autres manifestations similaires se tiendront au même moment en Bretagne, au Pays-Basque, en Alsace, en Corse et en Catalogne.

...............................

Lo NPA e son candidat Philippe Poutou dison : 
En Occitània, coma endacòm mai, cal aparar e promòure las lengas e culturas regionalas dins un projècte anticapitalista, antiproductivista e internacionalista.
28_03_12_Occitan.bmp

En Occitània, coma endacòm mai, lo NPA sosten los combats per aparar e promòure las lengas e culturas regionalas per çò qu’es un enjòc màger, la preservacion de la diversitat lingüistica e culturala dins lo monde de uèi.
Contra la politica repressiva de l’Estat francés, e coma per totas las autras lengas, l’alsacian, lo basc, lo breton, lo catalan, lo còrse, lo creòl… la lenga occitana deu èsser afortida per una volontat politica que passa per las accions presentadas çai-jos :
Establir la reconeissença juridica de las lengas e culturas regionalas
• En modificar la Constitucion per garantir la reconeissença, la proteccion e la promocion de la diversitat de las lengas dels territòris.
• En ratificar la Carta europèa de las lengas regionalas o minoritàrias.
• En aplicar una lei que balhe totas garantidas per assegurar la perennitat e l’espandiment de las lengas regionalas o territorialas.
Generalizar l’ensenhament
Totes los escolans, a la demanda dels parents, devon poder seguir un ensenhament de la lenga que causisson, sia dins de classas bilingüas publicas a paritat orària, sia dins lo cursus de l’ensenhament de las lengas del servici public. Element d’emancipacion et de desvelopament intellectual, l’ensenhament de la lenga e de la cultura occitanas deu èsser integrat dins lo servici public de l’Educacion nacionala, de l’escòla mairala fins a l’universitat.
Desvelopar de mejans de comunicacion e la creacion culturala en lenga regionala
Radio France e France Télévision devon establir un equilibri entre las emissions en francés e en lenga regionala. Lo NPA es favorable a la creacion d’una cadena publica de ràdio o de television per caduna de las lengas regionalas.
En Occitània, coma endacòm mai, cal favorisar los mejans de comunicacion audiovisuals e premsa escrita associatius, e tanben la creacion literària, teatrala, cinematografica e musicala. Cal permetre un espandiment social e public de totas las lengas.
Per lo NPA, aquesta volontat politica s’intègra dins un projècte global anticapitalista, antiproductivista, democratic e internacionalista.
Contra la decentralisacion liberala dins las collectivitats territorialas, fargant de « governàncias » localas, mesclant actors publics e privats pel benefici dels mercats e de la concurréncia, bastissent de projèctes gigants pels sols interès privats (autorotas, LGV…), cal impausar una economia al servici dels besonhs socials e ecologics, gràcias a una democracia que s’apèva sus d’assembladas elegidas a la proporcionala integrala.
Contra la captacion identitària de las lengas e culturas regionalas per d’idèias nacionalistas e xenofòbas, cal impausar una vista internacionalista, obèrta a totas las culturas dels pòbles del monde, e la solidaritat que fa besonh amb totas las lutas contra l’ espleitacion , e las opressions, ont que viscan.
Tolosa, 31 de març de 2012

28_03_12_Dans_l__autre_sens.jpg

Le NPA et son candidat Philippe Poutou déclarent : en Occitanie, comme partout ailleurs, il faut défendre et promouvoir les langues et les cultures régionales dans un projet anticapitaliste, antiproductiviste, démocratique et internationaliste.

En Occitanie, comme partout ailleurs, le NPA soutient les luttes pour défendre et promouvoir les langues et les cultures régionales parce que la préservation de la diversité linguistique et culturelle dans le monde est un enjeu majeur.
Contre la politique répressive de l’État français, et au même titre que toutes les autres langues, l’alsacien, le basque, le breton, le catalan, le corse, le créole… la langue occitane doit faire l’objet d’une volonté politique qui mette en œuvre les mesures suivantes :
Établir la reconnaissance juridique des langues et cultures régionales
• Par la modification de la Constitution pour garantir la reconnaissance, la protection et la promotion de la diversité des langues de ses territoires.
• Par la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
• Par la mise en place d’une loi-cadre qui donne toutes les garanties pour assurer la pérennité et le développement des langues régionales ou territoriales.
Généraliser leur enseignement
À la demande de leurs parents, tous les enfants doivent pouvoir bénéficier totalement d’un enseignement de la langue qu’ils souhaitent au sein de classes bilingues publiques à parité horaire, ou bien dans le cadre de l’enseignement des langues dans le service public. 
Élément d’émancipation et de développement intellectuel, l’enseignement de la langue et de la culture occitane doit être intégré dans le service public de l’Éducation nationale, de la maternelle à l’université. 
Développer des médias et une création culturelle en langue régionale
Radio France et France Télévision doivent établir un équilibre d’émissions en français et en langue régionale. Le NPA est favorable à la création d’une chaîne publique de radio ou de télévision dans chacune des langues régionales.
En Occitanie, comme ailleurs, la mise en place de médias audiovisuels et presse écrite associatifs doit être soutenue, ainsi que la création littéraire, théâtrale, cinématographique et musicale. Il faut permettre un développement social et public de toutes les langues.
Pour le NPA, cette volonté politique s’inscrit dans un projet global anticapitaliste, antiproductiviste, démocratique et internationaliste.
Contre la décentralisation libérale dans les collectivités territoriales, organisant des « gouvernances » locales, mêlant acteurs publics et privés au bénéfice des marchés et de la concurrence, impulsant de grands projets utiles aux seuls profits privés (autoroutes, LGV…), il s’agit d’imposer une économie répondant aux besoins sociaux et écologiques, grâce à une démocratie de proximité, s’appuyant sur des assemblées élues à la proportionnelle intégrale.
Contre la récupération identitaire des langues et des cultures régionales à des fins nationalistes et xénophobes, il s’agit d’imposer une vision internationaliste, affirmant son ouverture à toutes les cultures des peuples du monde, et la nécessaire solidarité avec toutes les luttes des exploitéEs et des oppriméEs où qu’ils vivent.

 Dossier Front de Gauche





Consultez les articles par rubrique


CORONAVIRUS

LUTTES SOCIALES
FÉMINISME
ANTIRACISME ANTIFASCISME
>


SOLIDARITÉ MIGRANTS
ÉCOLOGIE
JEUNESSE ENSEIGNEMENT


POLITIQUE LOCALE
DÉBATS
POLITIQUE NATIONALE


INTERNATIONAL
RÉPRESSION
NPA