« Capitalistes et autres psychopathes », par William Deresiewicz
Un essayiste américain publiait en mai dernier
dans l’International Herald Tribune un essai brillamment documenté, en
référence à un écrivain anglais oublié, Bernard Mandeville, établissant
que les capitalistes sont de véritables psychopathes. Rafraîchissante
lecture au vu de notre actualité du moment…
« Il y a un débat en cours aux États Unis sur les
riches : qui sont-ils, quel peut être leur rôle social, sont-t-ils des
bons ou des mauvais ?
Bien, considérons ce qui suit. Une étude de 2010 a
montré que 4% d’un échantillon de dirigeants d’entreprises présentaient
un seuil clinique que l’on peut qualifier de psychopathe, à comparer à
1% de la population en général. (Cependant, l’échantillon n’était pas
représentatif comme l’ont signalé les auteurs de l’étude).
Une autre étude a conclu que les riches sont probablement plus
enclins au mensonge, à la tricherie et à enfreindre la loi.
La seule
chose qui me laisse perplexe dans ces affirmations c’est que n’importe
qui peut les trouver surprenantes. Wall Street c’est le capitalisme
absolu, et le capitalisme est fondé sur les mauvais comportements. Cela
devrait à peine sembler nouveau.
L’écrivain Anglais Bernard Mandeville l’exprimait il y a presque
trois cent ans dans un traité sous forme de poème satirique et
philosophique : « La Fable des Abeilles ». Le sous-titre du livre est : « Vices privés, bénéfices publics ».
Un Machiavel du royaume de l’économie – un homme qui nous a montré
comme nous sommes et pas comme nous aimerions imaginer que nous pensons
être – Mandeville a montré que la société commerciale crée de la
prospérité en exploitant nos impulsions naturelles : fraude, luxure et
orgueil.
Par « orgueil » Mandeville voulait dire vanité ; par luxure il
voulait dire indulgence sensuelle. Tout cela crée de la demande comme
chaque publicitaire le sait.
Du côté de l’offre, comme l’on dit maintenant, il y avait de la fraude.
« All Trades and Places knew some Cheat,/No Calling was without Deceit. »
Autrement dit, Enron, BP, Goldman, Philip Morris, Merck, etc., etc.
Comptabilité frauduleuse, évasion fiscale, dumping, violation de la
sécurité sanitaire des produits, trucages, surfacturations, parjures. Le
scandale de corruption de Wal Mart, le scandale du piratage de News
Corp. – ouvrez les pages économiques n’importe que jour moyen !
Baiser vos ouvriers, faire du mal à vos clients, détruire
l’environnement. Laisser le secteur public payer l’addition. Ce ne sont
pas des anomalies ; c’est ainsi que le système fonctionne : vous partez
avec ce que vous pouvez et vous tentez de vous en sortir, si vous êtes
pris, en misant sur l’ambiguïté des Lois.
J’ai toujours trouvé que la notion de « business school »
était amusante. Quels cours offrent-t-ils ? Voler la veuve et
l’orphelin ? Opprimer les pauvres ? Faire les deux ? S’en mettre plein
les poches grâce aux fonds publics ?
Il y avait un documentaire, il y a plusieurs années qui s’appelait « L’Entreprise » et qui prenait pour principe que les entreprises sont des personnes et qui se demandait quels genres de gens elles étaient.
La réponse était précisément des psychopathes : indifférents aux
autres, incapables de culpabilité, exclusivement concernés par leurs
intérêts propres.
Il existe des entreprises éthiques et des dirigeants éthiques, Mais
l’éthique capitaliste c’est purement facultatif, extrinsèque. S’attendre
à de la morale dans les marchés, c’est commettre une erreur de
classement.
Les valeurs capitalistes sont contraires aux valeurs chrétiennes.
(Comment les plus tapageurs des Chrétiens dans la vie publique peuvent
aussi être les partisans les plus belliqueux d’un marché libre et
déchaîné constitue une affaire à régler avec leurs propres consciences).
Les valeurs capitalistes sont aussi contraires aux valeurs
démocratiques.
Comme l’éthique chrétienne, les principes d’un
gouvernement républicain nous imposent de prendre en considérations les
intérêts des autres. Le capitalisme qui implique la simple recherche du
profit nous conduit à penser que tout est « chacun pour soi » !
Beaucoup a été dit, ces derniers temps, sur les « créateurs d’emplois », une notion engendrée par Frank Luntz, le gourou de droite, inspiré par le fantôme d’Aya Rand.
Les riches méritent notre gratitude et tout le reste qu’ils possèdent, autrement dit, nous sommes dans le domaine de l’envie.
D’abord, si les entrepreneurs sont des créateurs d’emplois, les
ouvriers sont des créateurs de richesses. Les entrepreneurs se servent
de la richesse pour créer des emplois pour les ouvriers.
Les ouvriers se servent de leur travail pour créer de la richesse
pour les entrepreneurs – la productivité en excès, au-dessus des
salaires et des autres compensations, va dans les profits des
entreprises. Ce n’est jamais le but du jeu de faire profiter l’autre,
cependant c’est ce qui arrive !
Aussi, les entrepreneurs et les riches
sont différents et constituent des catégories qui se chevauchent.
La plupart des riches ne sont pas des entrepreneurs ; ce sont des dirigeants d’entreprises bien établies, des « managers »
institutionnels d’une autre sorte, les plus riches des médecins et des
avocats, les entraîneurs les plus chanceux et les athlètes, des gens qui
ont simplement hérité ou, bien sûr, ceux qui travaillent à Wall
Street.
Plus important, ni les entrepreneurs ni les riches n’ont le monopole
de l’intelligence de la sueur et du risque. Il y a les scientifiques –
et les artistes et les lettrés – qui sont autant doués que n’importe
quel entrepreneur, seulement ils sont intéressés par d’autres
récompenses.
Une mère célibataire qui travaille et s’implique dans un lycée public
travaille autant que n’importe quel dirigeant d’un fond spéculatif. Une
personne qui contracte un emprunt – ou un prêt pour ses études, ou qui
va faire un enfant - sur la base d’un travail qu’elle sait pouvoir
perdre à n’importe quel moment - (grâce, peut-être à l’un de ces
créateurs d’emplois), prend autant de risques que quelqu’un qui démarre
une affaire.
Un immense domaine de la politique dépend de ces représentations :
qu’allons nous taxer et combien ; qu’allons nous dépenser et pour
lesquels ? Mais alors que les « créateurs d’emplois » peuvent
constituer une nouvelle expression, l’admiration qu’elle exprime – mais
le mépris qu’a contrario elle signifie clairement – ce n’est pas : « les Américains pauvres doivent se détester », Kurt Vonnegut l’a écrit dans « L’abattoir numéro cinq ». Ainsi, « ils se moquent d’eux-mêmes et glorifient leurs supérieurs ». Notre mensonge le pire, ajoute-t-il : « est qu’il est très facile pour tout américain de faire de l’argent ».
Le mensonge continue. Les pauvres sont paresseux, stupides et
malfaisants. Les riches sont excellents, courageux et bons. Ils
répandent leurs réussites sur nous tous.
Mandeville croyait que la poursuite individuelle de l’intérêt
individuel pouvait contribuer à l’intérêt public, mais, contrairement à
Adam Smith, il pensait que cela n’allait pas de soi.
La « main » de Smith était « invisible » - l’action automatique du marché. Mandeville impliquait : « le comportement malin d’un politicien habile » - en termes modernes, la législation, la régulation, la taxation.
Ou bien il en faisait un vers : « Vice is beneficial found,/When it’s by Justice lopt and bound ».
(*) William Deresiewicz est essayiste et critique ; il est l’auteur de « A Jane Austen Education ».
« Capitalistes et autres psychopathes » a été publié par l’International Herald Tribune le 18 mai 2012.
(Traduction Maximilien)