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"Il y a un monolithisme de la pensée extraordinaire, auquel ont participé les hauts fonctionnaires socialistes, chiraquiens ou sarkozystes"

Thomas Coutrot : « Le pacte de croissance de Hollande n’est qu’un habillage » (par Mathieu Magnaudeix, sur le site de MEDIAPART)

Thomas Coutrot est économiste, coprésident d’Attac et animateur du Collectif pour l’audit citoyen de la dette publique, le “CAC”. Le “CAC” regroupe des syndicats (FSU, Solidaires, des fédérations CGT, etc.), des associations (Agir ensemble contre le chômage, Emmaüs International, Ligue des Droits de l’Homme, le Réseau Education Populaire, etc.) ou encore les Économistes Atterrés.
À rebours de l’orthodoxie économique, le collectif milite pour un « débat démocratique sur la dette », qui s’élève aujourd’hui à 1.700 milliards d’euros. Le 2 juillet, jour où la Cour des Comptes révélait son audit sur les finances publiques, le CAC publiait un « contre-audit », intitulé « Que savons-nous aujourd’hui sur la dette publique en France ? »

 
Pour définir sa trajectoire budgétaire, le gouvernement s’est largement inspiré de l’audit sur les finances publiques, récemment remis par la Cour des comptes, qui préconise une rigueur extrême afin de réduire les déficits. Une erreur, selon vous ?

La mission de la Cour des comptes était de regarder l’exécution du budget 2012. À ce titre, ce rapport contient des informations intéressantes et peu contestables. Mais quand il passe aux préconisations, c’est une autre affaire. Le reproche majeur que nous faisons à ce rapport et à la commande politique initiale, c’est de ne pas retracer la dynamique de constitution de cette dette. Tout se passe comme si la dette publique était un phénomène météorologique, ou encore une météore qui tombe du ciel et dont il faut s’accommoder. Alors qu’elle résulte au contraire d’un certain nombre de contradictions économiques du système néolibéral. On ne peut ni la comprendre ni la traiter sans avoir décortiqué cette mécanique.

La dette résulte en effet de décisions politiques, conscientes et systématiques, comme par exemple l’obligation faite aux États de se financer sur les marchés et non plus auprès de la Banque centrale. C’est le sens du traité de Maastricht qui a réorienté le financement des États vers les marchés. Or ce choix n’est pas fait par les États-Unis et la Grande Bretagne, qui se financent certes sur les marchés, mais aussi directement auprès de leur banque centrale.

Elle s’explique aussi par le choix politique fait il y a une vingtaine d’années de baisser les impôts et les cotisations. Ces baisses ont réduit les recettes publiques et aggravé les déficits. En 2010, le rapporteur UMP du budget, Gilles Carrez estimait que l’État s’était, depuis le début des années 2000, privé de 100 milliards de recettes, à cause de multiples exonérations fiscales : la baisse de l’impôt sur le revenu de Raffarin et Fillon, la taxe professionnelle, la baisse de la TVA restauration, la baisse des droits de successions, etc.
Par ailleurs, les niches fiscales et sociales représentent, selon la Cour des comptes, 140 milliards d’euros par an. C’est la totalité du déficit actuel. Quant aux exonérations de cotisations sociales, elles représentent 30 milliards d’euros chaque année. La Cour des comptes elle-même dit que l’évaluation de ces exonérations restait à mener, mais que les effets sur l’emploi paraissaient minimes par rapport aux sommes dépensées. En tout cas, le chiffre officiel de 800.000 emplois créés grâce à ces exonérations (estimation reprise notamment à son compte par des économistes proches de François Hollande comme Gilbert Cette – ndlr) est une mauvaise plaisanterie, qui repose sur une étude techniquement pas crédible.

Vous insistez aussi sur l’aggravation récente de la dette après la crise financière de 2008…

La dette a en effet grimpé dans les pays occidentaux avec cette crise systémique, due au développement de l’endettement privé et à l’instabilité du système financier dérégulé. Or ces mécanismes sont liés aux politiques néolibérales : d’une part la substitution du salaire par l’endettement des ménages pour soutenir le pouvoir d’achat, d’autre part le développement de l’instabilité financière avec la dérégulation, l’avènement de marchés instables et explosifs. Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire que l’impact de la récession a été massif, de l’ordre de 20 à 30 points de PIB en France, et plus encore dans d’autres pays. Tout se passe aujourd’hui comme si on ne voulait pas entendre parler de ces causes.

Nos dirigeants font comme si la dette était un phénomène inévitable, venu de nulle part, auquel l’humanité et l’Europe doivent d’adapter. Nous devrions plutôt nous poser la question collectivement : une dette engendrée par ces mécanismes-là peut-elle justifier de sacrifier l’État social, l’emploi, et le modèle européen ?

Court-on en France vers un scénario à la grecque ?

Non, on n’y est pas encore. En revanche la France s’est engagée (depuis 2010 – ndlr) dans un programme budgétaire qui l’engage dans une stratégie de réduction des dépenses publiques, mais aussi de réduction de la demande privée à travers des hausses d’impôt. Cette politique va avoir un effet récessif. Si on réduit de deux points le déficit sur 2013, l’effet risque d’être une amputation d’un point de la croissance, or elle est déjà à peu près nulle.

À court terme, le chômage et les déficits vont donc augmenter. Et la réduction du déficit sera beaucoup moins forte qu’initialement espérée, voire quasi-nulle. Il est quasiment certain désormais qu’on va vers une récession forte dans l’Union européenne en 2013, avec, par ailleurs, un risque bancaire très important. On est au bord du gouffre, et on fait tout ce qu’il faut pour y plonger.

Les politiques menées par les dirigeants européens et l’actuel gouvernement français sont criminelles. On ignore les leçons du passé. On ignore le fait que des politiques déflationnistes menées de concert dans une zone aussi large que l’Union européenne ne peuvent amener qu’une déflation, une explosion du chômage et des troubles politiques et sociaux.

La gravité de la situation est négligée par le gouvernement, l’opinion publique et les médias. On est en train de généraliser des politiques absurdes. Et on laisse dire à François Hollande qu’il a « réorienté la construction européenne », comme il s’en est vanté après le sommet des 28 et 29 juin.

C’est faux ?

Ce pacte pour la croissance de 130 milliards d’euros mis en avant par François Hollande est « ridicule et insignifiant », comme l’a dit le prix Nobel d’économie américain Paul Krugman. Insignifiant, parce qu’il représente moins de 1 % du PIB européen. Ridicule, car en réalité, ces sommes n’existent pas. Pour une bonne moitié, elles étaient programmées dans le budget de l’Union européenne et déjà affectées. On va donc simplement les redéployer.

Dans les 130 milliards d’euros, le seul élément nouveau, ce sont les 10 milliards de recapitalisation de la Banque européenne d’investissement. Ils sont censés générer 50 milliards de prêts nouveaux pour des projets européens mais c’est loin d’être acquis : aujourd’hui, les entreprises ne se bousculent pas auprès de la BEI pour obtenir des prêts, tout simplement parce qu’il n’y a pas de commande publique. Les fameux 130 milliards n’ont rigoureusement aucun sens économique. Ils sont mis en avant comme un outil de communication pour justifier la signature du pacte budgétaire. C’est de la communication politique, un habillage pur et simple.

 

« Croyance collective »


Le Collectif citoyen pour l’audit de la dette prône un référendum sur le pacte budgétaire. François Hollande, lui, entend le faire ratifier par le Parlement en septembre.

Hollande dit que le pacte ne changera rien à la trajectoire budgétaire, ce qui est factuellement vrai puisqu’il en a accepté la logique. Sauf que ça va rendre plus difficile un retour en arrière s’il se rend compte un jour que la France est à feu et à sang à cause de sa politique. Évidemment, on peut aussi ne pas respecter ce traité, d’ailleurs le pacte de stabilité n’a pas été respecté et il est probable que celui-ci ne le sera pas davantage. La Commission européenne peut certes essayer d’imposer des sanctions à des États qui dérivent, mais politiquement, cela risque d’être très difficile, car elle donnerait le sentiment de les enfoncer un peu plus encore.

Le plus probable est que ce traité ne serve à rien. Reste que symboliquement, il marque un moment important. Un référendum permettrait d’avoir un débat sur la rationalité de tout ça, avec des arguments contradictoires. Or aujourd’hui, les arguments contre cette folie sont inaudibles. Nous souhaitons faire valoir l’exigence démocratique, même s’il faut admettre que nous avons peu de chances d’être entendus dans ce consensus politique et médiatique.

Le gouvernement comme les économistes de la Cour des comptes nous disent pourtant que la réduction des déficits est nécessaire pour assainir nos finances publiques…

Il s’agit d’une croyance collective. La doxa néolibérale s’est imposée de façon hégémonique dans l’administration française au cours des années 1990. Tout le monde pense exactement de la même façon dans les hautes sphères de l’administration économique et financière, encore plus d’ailleurs qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni.

C’est un monolithisme de la pensée extraordinaire, auquel ont participé les hauts fonctionnaires socialistes, chiraquiens ou sarkozystes. Tous pensent, par exemple, que lorsqu’on réduit les déficits ou qu’on augmente les impôts, les gens se précipitent pour consommer. Sauf que ça me marche pas. Au contraire, plus les gens ont la trouille, plus ils épargnent.

À cet aveuglement idéologique, il faut ajouter une croyance, partagée par les milieux industriels et financiers et nos dirigeants, selon laquelle l’Europe doit subir un ajustement structurel, passer par une phase drastique de réduction de ses coûts pour se replacer dans la concurrence internationale. C’est à mon sens le projet sous-jacent qui sous-tend cette cohérence. Nos dirigeants font l’analyse, rarement explicitée en tant que telle, que la zone euro ne pourra survivre que si elle reconquiert une compétitivité dans la mondialisation et réduit ses coûts de production. Mais c’est un pari un peu fou, car les risques politiques sont énormes, à commencer par des conflits sociaux et la montée de l’extrême-droite.

Vous peignez un tableau dramatique… Quelles seraient les pistes de sortie ?

En premier lieu, il faudrait pouvoir mobiliser la Banque centrale européenne pour éteindre les incendies les plus menaçants. C’est une solution de court terme, mais ça permettrait déjà de limiter la casse. Aujourd’hui, l’Allemagne n’en veut pas. Mais en réalité, c’est quasiment inévitable. On va vite s’apercevoir que le fonds européen ne peut pas sauver le système bancaire.

Les croyances des uns et des autres vont être balayées. Celle des Allemands, mais aussi les nôtres ! On tance beaucoup les Allemands, mais quand il s’est agi d’organiser le défaut de la Grèce, c’est la France et pas l’Allemagne qui a résisté bec et ongles, les banques françaises en particulier. Pareil sur la taxe sur les transactions financières : les Allemands l’ont poussée, alors qu’en coulisses, les Français faisaient tout pour qu’elle ne se fasse pas.

Dans un deuxième temps, il faudra s’occuper de la dette. « Auditer » la dette, redire d’où elle vient et comment elle s’est construite, est indispensable pour imposer une autre narration que celle que l’on entend partout : « on a trop dépensé », « nos enfants vont en pâtir », etc, des expressions que Jean-Marc Ayrault a reprises à son compte dans son discours de politique générale.

Ces discours sont extrêmement puissants et frappent l’imaginaire, mais si on se laisse enfermer dans cette vision, on est cuits. On ne pourra pas se trimballer avec de tels montants de dette publique en pensant les rembourser avec la seule croissance. En réalité, il faudra un cocktail de mesures nouvelles : un peu d’inflation, un peu de défaut (mais il doit être fait dans l’intérêt des débiteurs et pas des créanciers, au contraire de ce qui s’est passé en Grèce), ou encore une taxe exceptionnelle sur les grandes fortunes, pour rembourser la dette. Au sein du réseau Attac Europe, nous commençons d’ailleurs à réfléchir à la forme qu’elle pourrait prendre.

À plus long terme, se pose la question d’un vrai budget européen et de politiques de convergences fiscales, sociales, productives, mais aussi une politique commerciale commune qui soit autre chose qu’un libre-échange intégral. Mais en réalité, ce qui nous manque le plus aujourd’hui, ce n’est pas un programme : c’est un mouvement social européen qui permettrait de pousser cet agenda-là. En Grèce, le parti Syriza s’est positionné dans une perspective pro-européenne et a fait un très bon score avec ce discours-là, c’est positif, un signe d’espoir.

Mais dans les autres pays européens, on a du mal à voir émerger des mouvements significatifs, qui travaillent ensemble. Autour de réseaux associatifs et syndicaux réunis dans la Joint Social Conference, nous essayons de dessiner un calendrier social européen pour 2012 et 2013. Nous travaillons en particulier à un agenda de mobilisation commune, avec une rencontre européenne à Florence en novembre, une journée d’action commune dans plusieurs pays en janvier 2013 et un alter-sommet européen à Athènes en mai ou juin.



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