Etre un-e communiste solidaire avec l'Espagne en lutte contre Franco
Nous publions ci-dessous un document particulièrement éclairant sur la mobilisation des communistes héraultais en défense de la République espagnole durant la Guerre civile. On notera l'évocation critique, quoique trop allusive, qui y est faite de la politique de l'URSS stalinienne dont le soutien militaire aux républicains, en lui-même insuffisant à renverser le rapport de forces défavorable vis-à-vis de l'armée franquiste, s'est doublé d'une véritable action contrerévolutionnaire menée via les communistes espagnols et , particulièrement, catalans, en appui des fractions bourgeoises de la République.
La chasse au POUM [Parti Ouvrier d'Unification Marxiste, à la gauche du PCE], avec, comme point d'orgue, l'assassinat de son dirigeant Andrés Nin, et la recherche de la neutralisation des mobilisations les plus avancées des anarchistes donnèrent la mesure d'un antifascisme communiste soumis à la diplomatie conciliatrice de l'Etat soviétique vis-à-vis des démocraties occidentales et , pour cette raison même, capable d'une intransigeance totale à l'encontre des, selon lui, "aventurismes révolutionnaristes" en Espagne. Mener le processus révolutionnaire engagé comme première réponse efficace au coup d'Etat franquiste au maximum de ses possibilités n'était pas l'assurance de la victoire sur le franquisme, s'opposer à lui, comme le firent les communistes espagnols avec l'appui des services soviétiques était l'assurance de la défaite. Toutes choses qu'il était bien difficile d'appréhender dans la situation tendue et confuse de l'époque pour des militants communistes de l'Hérault, par ailleurs souvent admirables dans leur soutien aux républicains espagnols mais dépendants d'une politique du PCF inscrite, malgré des critiques envers le Front populaire qu'il soutenait, dans la ligne soviétique de subordination (et, de fait, d'annihilation) de l'action révolutionnaire à des intérêts de caste bureaucratique. L'hommage que rend à ces femmes et ces hommes solidaires cette publication sur notre blog ne nous dispense cependant pas d'appeler à revisiter la critique nécessaire de l'orientation du PCE, du PSUC catalan et de l'Etat stalinien contre la révolution espagnole.
Les communistes héraultais et la guerre
d’Espagne
L’Espagne est une
priorité du parti communiste de 1936 à 1938. Le parti se détermine avant
tout comme section du Komintern. C’est la stratégie internationale qui
prime. Avec une détermination totale jusqu’en juin 1938. Les
communistes qui vivent dans des départements proches de l’Espagne sont
particulièrement concernés. L’Aude et l’Hérault forment une Région
communiste en 1936. Il s’y trouve, bien avant cette date, une forte
colonie espagnole. Le PCF est proche du PSUC, le Parti socialiste unifié
de Catalogne. L’action antifasciste est aussi nourrie par la présence
d’immigrés italiens dans les arrondissements de Sète et de Béziers. Chez
les communistes, l’analyse des causes de la guerre civile et de ses
implications n’a pas varié. En interne, même en 1939, ils ne se sont pas
divisés. Mais les défaites des Républicains et les évolutions de la
diplomatie soviétique les ont obligés à adapter leur militantisme à ces
variantes externes.
Avec quels moyens ?
Et quels objectifs ?
Dans l’Hérault, ils ne
tiennent pas les leviers du pouvoir : pas de députés ni de conseillers
généraux, pas de mairies de grandes villes. Et pas d’argent. Ils ne
disposent pas de réseaux d’influence : leurs dirigeants sont des
ouvriers agricoles. Ce n’est pas fortuit : cela correspond dans cette
époque aux choix ouvriéristes de l’encadrement, assorti de séjours dans
les écoles du Parti. Balmigère premier secrétaire de Région, passe 6
mois à partir d’août 1936 à l’École centrale du Parti ; il en va de même
pour Marc Domenech, secrétaire du rayon de Montpellier l’année suivante.
Antonin Gros, communiste et unitaire, va en URSS à la fin de 1937.
La force du PCF tient à
l’engagement des militants et à leur nombre. Justement, la dynamique du
Front populaire joue à plein. De 400 adhérents dans l’Hérault et 650
adhérents en Région au début de 1936, ils passent à plus de 2500 et
3 000 en 1937. Les Jeunes communistes, dans les mêmes intervalles,
passent de 200 à 1 200 puis 2 350. A la fin de 1936, le journal
régional, Le Travailleur du Languedoc a du succès : il tire à
5000 exemplaires dans l’Hérault et 6500 dans l’Aude.
Or, la presse communiste
est la seule qui suive de près les évènements d’Espagne. Dès juillet
1936, elle publie informations et articles de soutien aux républicains
espagnols. Comme L’ Humanité , la presse locale réclame « des
avions et des canons pour l’Espagne ». Les communistes ne doutent pas :
le camp républicain détient la légitimité. Ils croient à la victoire des
Républicains. Un républicain espagnol qui prend la parole à Montpellier,
en septembre dans le restaurant coopératif tenu par Michèle et Marc
Domenech[1]
fait l’historique de la révolution espagnole et dit : « l’Aragon et
la Castille ne seront jamais foulés par les rebelles ». Le front
communiste est uni sur la question espagnole. Le gouvernement Blum est
critiqué pour son adhésion à ce qui est nommé « le blocus contre
l’Espagne »[2].
Mais l’URSS a adhéré au
Comité de non-intervention. Et Staline ne veut pas engager militairement
l’URSS : c’en serait fini de la politique de consensus avec les Fronts
populaires. Alors il trouve un moyen de répondre aux aspirations de la
base des partis communistes en accédant à une demande relayée par
Maurice Thorez. Le 18 septembre 1936 le Komintern est chargé de
recruter des combattants dans tous les pays et de les envoyer en
Espagne. C’est l’acte fondateur des Brigades internationales.
Désormais, les
communistes ont leur feuille de route. La première consigne claire de
soutien à l’Espagne. Cela consiste à héberger les brigadistes, à leur
assurer des moyens de transport par terre ou par mer : sur des bateaux
de pêche, ou des voiliers espagnols, avec l’aide du consulat
républicain. Béziers est le principal point de passage des brigadistes.
Paul Balmigère est chargé de l’organisation du passage des brigadistes
par Axat. Beaucoup de réfugiés politiques fournissent les cadres :
Italiens, Polonais, Allemands, Tchèques ; des Français aussi : le
catalan André Marty est l’un d’eux. Le secrétaire régional Philomen
Mioch le rejoint en Espagne en avril 1938 mais revient en mai et subit
une disgrâce. Balmigère hérite de ses responsabilités dans l’Hérault.
Onze jeunes héraultais sont tués en Espagne dont 4 communistes. Les
familles des brigadistes reçoivent une allocation. Un comité
Franco-espagnol a été créé. Il rassemble en quelques jours une centaine
d’Espagnols et une vingtaine de Français. Le comité achète un camion, le
pavoise aux couleurs de la France et de l’Espagne, et fait la collecte
des vivres, des vêtements, des colis que les Espagnols de la région
destinent à leurs familles en Espagne. Un bateau chargé de vêtements et
de vivres part de Sète le 16 février 1937. Les dockers travaillent
bénévolement, à l’exemple de ceux de Marseille [3].
Tout cela est organisé
avec l’appui du Secours rouge international[4].
La solidarité humanitaire est une motivation. Ce n’est pas la seule : on
trouve dans les feuilles du Travailleur du Languedoc tout
l’argumentaire politique qui sous-tend l’action communiste :
c’est la montée des fascismes en Italie, en Allemagne et désormais en
Espagne, qui menace la France elle-même. C’est un danger pour la paix et
un ferment de guerre civile[5].
Il y a jusqu’en
décembre beaucoup de réunions dans diverses communes. Des discours, des
affiches, des tracts. L’intérêt pour la question espagnole ne se dément
pas. Il est attesté tant par la fréquence des meetings du parti
communiste en 1936 et 1937 que par le nombre des participants. On y
écoute des intervenants espagnols qui sont des militants antifascistes,
et des députés communistes comme le marseillais Cristofol , comme
Jacques Duclos et Guy Mocquet : faute de place, il faut parfois mettre
dehors des hauts-parleurs. Le député de Courbevoie, Etienne Fajon, qui
est le fils du maire de Jonquières, et le responsable en France des
Ecoles du Parti vient souvent dans l’Hérault.
Mais, si on se réfère
aux rapports des RG sur ces réunions, la question espagnole est peu à
peu éclipsée en 1937 par d’autres priorités propres à la France : Léon
Blum a annoncé en février la pause des réformes, il y a une reprise des
grèves, la crise économique est grave. La confiance dans la victoire des
républicains s’affaiblit.
Jusqu’à la fin de 1937,
il y a très peu de réfugiés en Languedoc et l’Hérault n’est pas un
département d’accueil. Le gouvernement Blum a reconnu le droit à l’asile
politique mais assorti d’un éloignement de la frontière « sauf attaches
sérieuses». En mai, le gouvernement a désigné 45 départements d’accueil
provisoire, tous au nord de la Garonne. Les hommes de 18 à 48 ans en
sont exclus : il sont refoulés. Depuis la chute du premier gouvernement
Blum, le ton s’est durci. La France ne consent à garder que les femmes,
les enfants et les blessés.
EXODES
Mais la guerre arrive à
la frontière des Pyrénées. En juillet 1937, le préfet de l’Hérault
adresse une circulaire à tous les maires : il leur demande de prévoir
des locaux et des secours pour les réfugiés espagnols. Il reçoit en
réponse une vague de refus : pas de locaux et trop de chômage pour que
les communes puissent disposer de fonds. Lamalou invoque les besoins des
touristes et des curistes, et en plaine on garde les locaux pour les
vendangeurs. Des particuliers se disent prêts à l’accueil. Mais on ne
prévoit pas ce que sera la Retirada. En novembre, le gouvernement croit
encore pouvoir endiguer les flux et les coûts et organiser le
rapatriement.
L’opinion est loin
d’être unanime : les réfugiés espagnols ont une belle image dans les
milieux communistes mais elle est détestable chez les conservateurs qui
ne les voient pas comme des victimes mais comme de dangereux
révolutionnaires, des anarchistes, voire des criminels. Pour certaines
corporations ils sont des concurrents sur un marché du travail déjà
sinistré. En 1938, la crise viticole rassemble une masse d’ouvriers
agricoles dans les meetings. Les communistes persistent dans leur effort
de solidarité : en octobre Balmigère à Béziers, annonce que le parti
communiste va lancer un emprunt international en faveur des républicains
espagnols.
1938 a été difficile
pour les communistes français. Ils se retrouvent isolés politiquement.
Et troublés aussi par l’évolution de la politique de l’URSS à l’égard de
l’Espagne : en juin, le principe du retrait des brigadistes est acquis.
La thématique de l’antifascisme et des fronts populaires cède la place à
la critique de l’impérialisme et des puissances occidentales. La
mobilisation en faveur de l’Espagne, déjà difficile à cause des
divisions de l’opinion et des partis, pâtit du désengagement soviétique.
Or, la bataille de Catalogne est engagée en décembre 1938. Bien des
réfugiés arrivent dès les dernières semaines de l’année. Des
responsables communistes de Sète racontent qu’un bateau chargé de
réfugiés est arrivé au port et qu’ils ont pu les abriter dans un magasin
du quai Vauban ; ils ont découvert un nouveau-né abandonné dans la cale
et il a été recueilli par un couple de militants. Environ 1 000 réfugiés
viennent dans l’Hérault par mer.
Les consuls espagnols
avaient averti les préfets des départements les plus proches de
l’Espagne du risque d’un exode massif si la Catalogne tombait aux mains
des franquistes. Mais Albert Sarraut leur avait ordonné de ne rien faire
qui pût donner aux Espagnols l’impression qu’en cas de défaite, tout
était prêt en France pour les recevoir. A deux reprises le gouvernement
français avait suggéré la création d’une zone refuge neutre en Espagne
pour les Catalans : ni le républicain Negrỉn ni le Général Franco
n’avaient donné leur accord[6].
Le 10 février 1939 les
troupes nationalistes contrôlent toute la frontière Pyrénéenne. Quinze
jours plus tard, Angleterre et France reconnaissent le gouvernement du
général Franco.
La frontière d’abord
fermée fin janvier, gardée par des gendarmes, des gardes mobiles et des
troupes coloniales, est quand même ouverte le soir du 27 janvier pour
les civils et les blessés, puis du 5 au 9 février pour le passage des
soldats républicains qui doivent abandonner leurs armes. C’est un exode
dantesque souvent décrit. Une circulaire du ministère de l’Intérieur du
14 février 1939 a fait de ces réfugiés des suspects politiques.
Les civils sont
rapidement envoyés vers l’intérieur sauf s’ils peuvent justifier d’un
accueil. Chez les communistes héraultais il y a alors beaucoup d’actes
de solidarité individuels. Les réfugiés arrivés en masse sont hébergés
dans des conditions souvent précaires ou internés à Agde. Plus de
7 000 miliciens, des Catalans, sont dans le camp en mars. Pour continuer
à tenir malgré tant d’épreuves et maintenir une forme de résistance ils
luttent pour la sauvegarde de l’identité culturelle qu’incarnait la
République espagnole. Avec des moyens dérisoires, les internés
organisent des séances d’alphabétisation, d’enseignement des langues, de
causeries sur la poésie. Ils créent de petits bulletins, souvent
manuscrits[7].
La solidarité des communistes héraultais se traduit alors par une aide à
cette survie culturelle. Ils soutiennent l’effort du Parti communiste
espagnol et du parti communiste de Catalogne, pour faire entrer dans le
camp des journaux : L’Humanité, mais aussi Treball, organe
du PSUC. Sept numéros paraissent entre fin février et fin mars 1939,
puis les autorités françaises ordonnent la suspension. A Montpellier, un
mouvement proche du PSUC, L’ Alianza nacional de Catalunya arrive
à éditer huit numéros de Reconquesta. Les publications sont
éphémères parce que le gouvernement français cède aux pressions de
Franco qui veut qu’on traque « les rouges ».
Montpellier est un
pôle de solidarité avec les intellectuels catalans qui sont pris en
charge par un Comité : 180 sont dans ce cas en mai. Ils échappent ainsi
à l’internement. Heureusement les communistes ne sont donc pas les seuls
à avoir apporté un soutien. Le nombre des internés a augmenté de 7 000
en mars jusqu’à plus de 23 000 en juin - juillet, et a décru ensuite
jusqu’à 2 600 en septembre[8].
Les camps sont devenus des réservoirs de main-d’œuvre quand la France a
organisé les CTE (Compagnies de Travailleurs étrangers) par unités de
250 hommes valides de 20 à 48 ans. Deux CTE ont été prélevées sur Agde,
essentiellement pour des travaux agricoles. En septembre, c’est pour des
travaux d’intérêt militaire que les internés ont été requis dans les
camps de quatre départements : Hérault, P.O., Tarn et Garonne, et Basses
Pyrénées. Enfin, malgré de grandes réticences, on a enrôlé les réfugiés
valides dans l’armée. En exigeant de tous une stricte neutralité
politique, sous peine d’expulsion.
Il y a eu environ 25 000
réfugiés espagnols dans l’Hérault. En 1940 quand l’Hérault deviendra
département d’accueil, il recevra 132 000 réfugiés. Les Espagnols ont
été les seuls à souffrir d’une véritable discrimination. Leurs alliés
communistes le sont aussi. Marc Domenech a recruté des remplaçants dans
la double perspective des arrestations – elles ont commencé avec la
signature du pacte germano-soviétique en août-, et de la mobilisation.
Le secrétaire général de la Région communiste, Raoul Calas, Marc et Jean
Domenech, Paul Balmigère, Philomen Mioch, sont mobilisés
[9].
Antonin Gros, plus âgé, aide les internés d’Agde avec le responsable
communiste du Secours populaire français, mais il est surveillé. Il
sera arrêté et interné en avril 1940. Le parti qui a été le plus ardent
défenseur de la cause des républicains espagnols se voit peu à peu
réduit à l’impuissance.
Finalement, le PCF, le
PCE et le PSUC sont interdits le 26 septembre 1939 et les responsables
espagnols restés en France sont internés.
Hélène Chaubin.
[1] Maitron :biographies de Michèle et Marc
Domenech
[2] A.D. Hérault, 1M1123, Parti communiste.
[3] Notes de Jacques Blin.
[4] Théo Lalande, « Souvenirs de lutte »,
brochure éditée par la section de Sète du PCF, 1960.
[5] Le Travailleur du Languedoc, août
et septembre 1936.
[6] Geneviève Dreyfus-Armand, L’exil des
républicains espagnols en France, Albin Michel, Paris, 1999,
475p.
[7] Geneviève Dreyfus-Armand, op. cité.
[8] A.D. Hérault, 4M1796, Etats statistiques
des réfugiés espagnols par commune et par département de mars à
septembre 1939.
[9] Maitron. Biographies.
Les communistes héraultais et la guerre d’Espagne (tiré de http://jacques.blin2.free.fr/chaubinespagne.htm)
A lire aussi
On se reportera à l'ouvrage essentiel, pour saisir les données de la révolution pendant la Guerre d'Espagne, de Pierre Broué et Emile Témime qui est reproduit intégralement sur le web : La Révolution et la Guerre d’Espagne
Extraits : "L'affaire espagnole, aux yeux de Moscou ne doit, à aucun prix, fournir l'occasion d'isoler l'U.R.S.S. et de la séparer des démocraties occidentales ! Si l'on ajoute que Staline n'a pas la moindre envie de soutenir un mouvement révolutionnaire dont il considère certains des animateurs, anarchistes et communistes dissidents du P.O.U.M., comme ses pires ennemis parce que concurrents éventuels du monopole des P.C. sur la classe ouvrière, on comprend que l'U.R.S.S. n'ait fait aucune difficulté pour adhérer, dès sa formation, au Comité de non-intervention.[...]
Le parti communiste espagnol et sa filiale, le P.S.U.C. – plus libres de leurs mouvements, car ils n'ont pas à compter, comme le parti socialiste, avec une opposition intérieure – ont souvent pris même avant eux, des positions plus nettes encore. Après le 19 juillet [1936], la majorité de leurs militants ont suivi le courant révolutionnaire, participant et soutenant l'action des Comités-gouvernement. Leurs directions, par contre, ont soutenu toutes les tentatives républicaines pour préserver l'État. [...]
La presse communiste internationale n'a pas toujours compris du premier coup cette politique. Le Daily Warker du 22 affirme que l'on « s'achemine vers la République soviétique espagnole », par le triomphe de la « milice rouge ». Cependant, très vite, le tir est rectifié. Le 3 août, l'Humanité, à la demande du P.C. espagnol, précise que le peuple espagnol ne lutte pas pour l'établissement d'une dictature du prolétariat », et qu'il « ne connaît qu'un but : la défense de l'ordre républicain, dans le respect de la propriété ».
Le 8 août, Jesus Hernandez déclare : « Nous ne pouvons parler aujourd'hui de révolution prolétarienne en Espagne, parce que les conditions historiques ne le permettent pas... Nous voulons défendre l'industrie modeste qui est dans la gêne, au même titre et peut-être plus que l'ouvrier lui-même. » Les buts du parti communiste sont clairement fixés par son secrétaire général José Diaz : « Nous ne désirons lutter que pour une république démocratique avec un contenu social étendu. Il ne peut être question actuellement de dictature du prolétariat, ni de socialisme, mais seulement de la lutte de la démocratie contre le fascisme » [...]
A partir de septembre 1936, nous l'avons vu, le parti communiste et le P.S.U.C. deviennent un facteur prépondérant de la vie politique. De 30 000 environ au début de la guerre civile, ils passent en quelques mois à plusieurs centaines de milliers de militants, pour atteindre le million en juin 1937.
Mais les dirigeants espagnols du P.C. et du P.S.U.C. ne jouent plus seuls cette partie importante depuis que le gouvernement de Moscou s'y est engagé. Dès la fin de juillet, des délégués de l'Internationale communiste prennent en mains la direction et l'organisation du parti. A Madrid, ce sont l'Argentin Codovila, connu sous le pseudonyme de Medina, le Bulgare Stepanov et surtout l'Italien Togliatti, dit Ercoli, connu sous le nom d'Alfredo, éminence grise de Moscou en Espagne. A Barcelone, c'est le Hongrois Geroe, connu sous le nom de Pedro. Ils sont entourés de techniciens et de conseillers dont l'expérience sera précieuse et qui semblent avoir été la plupart du temps des agents de services secrets russes. C'est ainsi que toute la politique militaire du P.C. espagnol est entre les mains de l'Italien Vittorio Vidali, un des agents les plus importants du N.K.V.D. à l'étranger. [...] Les uns et les autres disposeront de fonds importants qui leur permettront la mise sur pied d'un sérieux appareil d'action et de propagande.
Alors que la presse réactionnaire du monde entier s'efforce de décrire en Espagne les ravages d'une « révolution bolcheviste », inspirée par les communistes et « l'or de Moscou », le parti communiste a pris, dès les premières heures, une position nettement affirmée en faveur du maintien de l'ordre républicain, pour la défense de la propriété et de la légalité. Tous les discours de ses dirigeants reprennent le même thème : il ne s'agit pas, en Espagne, de révolution prolétarienne, mais de lutte nationale et populaire contre l'Espagne semi-féodale et les fascistes étrangers, en même temps que d'un épisode de la lutte qui oppose dans le monde « les démocrates » à l'Allemagne et à l'Italie. Le parti communiste condamne vigoureusement tout ce qui peut apparaître comme susceptible de briser « l'unité de front » entre la classe ouvrière et les « autres couches populaires ». Il se montre particulièrement soucieux de conserver de bons rapports avec les dirigeants républicains et répète inlassablement ses mots d'ordre de « respect du paysan, du petit industriel, et du petit commerçant ». « Nous nous battons », proclame José Diaz, « pour une république démocratique et parlementaire d'un type nouveau ». Un tel régime suppose la « destruction des racines matérielles de l'Espagne semi-féodale », « l'expropriation des grands propriétaires », la destruction du « pouvoir économique et politique de l'Église », la « liquidation du militarisme », la « désarticulation des grandes oligarchies financières ». Or ces résultats, selon lui, sont déjà atteints. La seule tâche du jour est donc de se battre : « Vaincre Franco d'abord » est le mot d'ordre central des communistes. Pour y parvenir, il faut consolider le « bloc national et populaire », renforcer l'autorité du gouvernement de Front populaire : les communistes soutiennent le gouvernement Companys contre le Comité central [des milices], la Junte de Martinez Barrio contre le Comité exécutif populaire, les autorités légales contre les « Comités irresponsables ». Ils défendent, depuis la première heure, la nécessité de la constitution d'une armée régulière. [...] José Diaz déclare à plusieurs reprises que « se lancer dans des essais de socialisation et de collectivisation... est absurde et équivaut à se faire les complices de l'ennemi ». Aussi, le parti communiste mène-t-il campagne acharnée contre tous ceux qui parlent de poursuivre la révolution. « Nous ne pourrons faire la révolution si nous ne gagnons pas la guerre, déclare José Diaz... Ce qu'il faut, c'est d'abord gagner la guerre.» Aussi, dans le camp républicain, dirige-t-il tous ses coups à sa gauche, contre les révolutionnaires. « Les ennemis du peuple sont les fascistes, les trotskystes et les incontrôlables », affirme José Diaz, dans le même discours, et les propagandistes du P.C., s'appuyant sur les procès de Moscou, reprennent inlassablement le thème anti-trotskyste : « Le trotskysme n'est pas un parti politique, mais une bande d'éléments contre-révolutionnaires. Le fascisme, le trotskysme et les incontrôlables sont les trois ennemis du peuple qui doivent être éliminés de la vie politique, non seulement en Espagne, mais dans tous les pays civilisés.» Franz Borkenau a montré les conséquences d'une ligne politique qui entraînait les organisations communistes « staliniennes », au-delà de l'organisation de la lutte contre Franco, vers une lutte ouvertement dirigée contre la révolution en Espagne même, au nom de son inopportunité : « Les communistes ne s'opposèrent pas seulement à la marée des socialisations, ils s'opposèrent à presque toute forme de socialisation. Ils ne s'opposèrent pas seulement à la collectivisation des lopins paysans, ils s'opposèrent avec succès à toute politique déterminée de distribution des terres des grands propriétaires terriens. Ils ne s'opposèrent pas seulement, et à juste titre, aux idées puériles de l'abolition locale de l'argent, ils s'opposèrent au contrôle de l'État sur les marchés... Ils ont non seulement tenté d'organiser une police active, mais montré une préférence délibérée pour les forces de police de l'ancien régime tellement haïes par les masses. Ils ont non seulement brisé le pouvoir des Comités, mais manifesté leur hostilité à toute forme de mouvement de masse, spontané, incontrôlable. Ils agissaient, en un mot, non avec l'objectif de transformer l'enthousiasme chaotique en enthousiasme discipliné mais avec comme but de substituer une action militaire et administrative disciplinée à l'action des masses et de s'en débarrasser complètement »
Cette politique conservatrice assure le développement du P.C. et du P.S.U.C. et élargit leur audience. En Catalogne, le décret sur la syndicalisation obligatoire a regonflé les effectifs de la faible U.G.T. contrôlée par le P.S.U.C. C'est sous son égide que se constituera en syndicat le G.E.P.C.I. (Fédération des Gremios y Entidades de Pequeños Comerciantes y Industriales)qui, sous couleur de défense professionnelle des commerçants, artisans et petits industriels, sera l'instrument de lutte de la moyenne et petite bourgeoisie contre les conquêtes révolutionnaires. Dans le Levante, où l'U.G.T. a au contraire, une base de masse chez les petits paysans, le P.C., avec Mateu, organisera une Fédération paysanne indépendante que soutiendront tous les adversaires de la collectivisation, caciques compris.
De façon plus générale, c'est vers le P.C. et le P.S.U.C., défenseurs de l' « ordre et de la propriété » que se tournent les partisans de l'ordre et de la propriété en Espagne républicaine. Magistrats, hauts fonctionnaires, officiers, policiers, trouvent en lui l'instrument de la politique qu'ils souhaitent, en même temps qu'un moyen de s'assurer, le cas échéant, protection et sécurité. Du même coup, le P.C. cesse d'être un parti à composition prolétarienne : à Madrid, en 1938, selon ses propres chiffres, il ne compte que 10 160 syndiqués sur 63 426 militants, ce qui indique un faible pourcentage d'ouvriers. La propagande du P.C. met d'ailleurs l'accent sur les « personnalités » recrutées, dont certaines sont, pourtant, loin de présenter toutes les garanties en ce qui concerne la sincérité de leur dévouement à une cause « ouvrière ».
Il serait cependant erroné de n'expliquer la croissance du P.C. que par sa politique modérée et son loyalisme républicain. Dans le chaos des premiers mois, en effet, le parti communiste s'avère une remarquable force d'organisation, un instrument terriblement efficace. Avec certaines de ses réalisations, ses appels à l'unité antifasciste rencontrent un immense écho chez tous ceux, républicains, socialistes, syndicalistes, inorganisés, qui veulent avant tout se battre contre Franco. Les Hernandez, Pasionaria, Comorera même, ne sont pris au sérieux dans leurs diatribes contre les Comités et les « incontrôlables», dans leurs appels à la discipline et au respect de la légalité, que parce que leur parti s'est révélé capable de bien se battre, parce qu'il sait construire et donner l'exemple.
L'histoire de la défense de Madrid montre aussi, que, dans certaines circonstances, le parti communiste est capable, non seulement de faire appel à des traditions révolutionnaires comme celles de l'octobre russe ou de l'armée rouge, mais encore d'utiliser des méthodes proprement révolutionnaires, en un mot d'apparaître, aux yeux de larges masses, comme un parti authentiquement révolutionnaire. Bien des militants espagnols ou « internationaux » ont vécu dans la défense de la capitale une épopée révolutionnaire dont l'emblème purement antifasciste n'était à leurs yeux que provisoire. Contre les mercenaires allemands ou italiens, ils se voulaient combattants de la Révolution prolétarienne internationale. Nombre d'entre eux ont combattu la révolution dans l'immédiat, avec la conviction qu'il ne s'agissait que d'un repli tactique provisoire, et qu'au bout de la lutte antifasciste se trouvait la Révolution communiste mondiale.
[...] Les communistes staliniens, devenus intouchables depuis la livraison des armes russes, défenseurs conséquents du programme antifasciste de restauration de l'État, organisateurs de l'Armée, deviennent ainsi les éléments les plus dynamiques de la coalition gouvernementale. Azaña, Companys, Prieto, Largo Caballero lui-même, leur montrent la même confiance, leur accordent l'appui qu'ils reprocheront plus tard à un Del Vayo de leur avoir accordé. Leur position se renforce tous les jours, non seulement dans l'opinion publique, mais peut-être plus encore dans l'appareil d'État. Nous venons de voir la place qu'ils occupent dans les cadres politiques et militaires de l'armée populaire. Ce sont également des communistes qui contrôlent les services de la censure et du chiffre. Leurs hommes, Burillo à Madrid, Rodriguez Salas à Barcelone, détiennent les postes-clés de la nouvelle police. Leur cohésion et leur discipline posent désormais un problème : ne constituent-ils pas, déjà, un État dans l'État ?
Quelques incidents sérieux montrent qu'ils sont décidés à utiliser leurs positions à des fins que ne justifie pas le souci, si souvent affirmé, de l'unité de front et de l'intérêt général et – ce qui est plus grave encore – qu'ils entrent dans cette voie sur les indications du gouvernement russe. Lorsque se constitue à Madrid la Junte de défense, malgré la décision prise d'y représenter tous les partis, le parti communiste oppose un veto absolu à la présence du P.O.U.M. qualifié de « trotskyste » et d' « ennemi de l'Union soviétique ». La Batalla [organe du POUM] proteste et porte le conflit au grand jour : « Ce qui intéresse réellement Staline, écrit-elle le 15 novembre, ce n'est pas le sort du prolétariat espagnol et international, mais la défense du gouvernement soviétique suivant la politique des pactes établis par certains États contre d'autres. » Le 28 novembre, dans une note à la presse, le consul général de l'U.R.S.S. à Barcelone, Antonov Ovseenko, n'hésite pas à intervenir dans la politique intérieure de l'Espagne républicaine, dénonçant en la Batalla, « la presse vendue au fascisme international ». C'est cette affaire qui amènera une crise ministérielle en Catalogne, et, finalement, l'exclusion du P.O.U.M. du Conseil de la Généralité. Le commentaire, dans la Pravda du 17 décembre, de cet événement, venant après les premiers procès de Moscou, constitue une menace non déguisée : « En Catalogne, l'élimination des trotskystes et des anarcho-syndicalistes a déjà commencé ; elle sera conduite avec la même énergie qu'en U.R.S.S. »
Extraits : "L'affaire espagnole, aux yeux de Moscou ne doit, à aucun prix, fournir l'occasion d'isoler l'U.R.S.S. et de la séparer des démocraties occidentales ! Si l'on ajoute que Staline n'a pas la moindre envie de soutenir un mouvement révolutionnaire dont il considère certains des animateurs, anarchistes et communistes dissidents du P.O.U.M., comme ses pires ennemis parce que concurrents éventuels du monopole des P.C. sur la classe ouvrière, on comprend que l'U.R.S.S. n'ait fait aucune difficulté pour adhérer, dès sa formation, au Comité de non-intervention.[...]
Le parti communiste espagnol et sa filiale, le P.S.U.C. – plus libres de leurs mouvements, car ils n'ont pas à compter, comme le parti socialiste, avec une opposition intérieure – ont souvent pris même avant eux, des positions plus nettes encore. Après le 19 juillet [1936], la majorité de leurs militants ont suivi le courant révolutionnaire, participant et soutenant l'action des Comités-gouvernement. Leurs directions, par contre, ont soutenu toutes les tentatives républicaines pour préserver l'État. [...]
La presse communiste internationale n'a pas toujours compris du premier coup cette politique. Le Daily Warker du 22 affirme que l'on « s'achemine vers la République soviétique espagnole », par le triomphe de la « milice rouge ». Cependant, très vite, le tir est rectifié. Le 3 août, l'Humanité, à la demande du P.C. espagnol, précise que le peuple espagnol ne lutte pas pour l'établissement d'une dictature du prolétariat », et qu'il « ne connaît qu'un but : la défense de l'ordre républicain, dans le respect de la propriété ».
Le 8 août, Jesus Hernandez déclare : « Nous ne pouvons parler aujourd'hui de révolution prolétarienne en Espagne, parce que les conditions historiques ne le permettent pas... Nous voulons défendre l'industrie modeste qui est dans la gêne, au même titre et peut-être plus que l'ouvrier lui-même. » Les buts du parti communiste sont clairement fixés par son secrétaire général José Diaz : « Nous ne désirons lutter que pour une république démocratique avec un contenu social étendu. Il ne peut être question actuellement de dictature du prolétariat, ni de socialisme, mais seulement de la lutte de la démocratie contre le fascisme » [...]
A partir de septembre 1936, nous l'avons vu, le parti communiste et le P.S.U.C. deviennent un facteur prépondérant de la vie politique. De 30 000 environ au début de la guerre civile, ils passent en quelques mois à plusieurs centaines de milliers de militants, pour atteindre le million en juin 1937.
Mais les dirigeants espagnols du P.C. et du P.S.U.C. ne jouent plus seuls cette partie importante depuis que le gouvernement de Moscou s'y est engagé. Dès la fin de juillet, des délégués de l'Internationale communiste prennent en mains la direction et l'organisation du parti. A Madrid, ce sont l'Argentin Codovila, connu sous le pseudonyme de Medina, le Bulgare Stepanov et surtout l'Italien Togliatti, dit Ercoli, connu sous le nom d'Alfredo, éminence grise de Moscou en Espagne. A Barcelone, c'est le Hongrois Geroe, connu sous le nom de Pedro. Ils sont entourés de techniciens et de conseillers dont l'expérience sera précieuse et qui semblent avoir été la plupart du temps des agents de services secrets russes. C'est ainsi que toute la politique militaire du P.C. espagnol est entre les mains de l'Italien Vittorio Vidali, un des agents les plus importants du N.K.V.D. à l'étranger. [...] Les uns et les autres disposeront de fonds importants qui leur permettront la mise sur pied d'un sérieux appareil d'action et de propagande.
Alors que la presse réactionnaire du monde entier s'efforce de décrire en Espagne les ravages d'une « révolution bolcheviste », inspirée par les communistes et « l'or de Moscou », le parti communiste a pris, dès les premières heures, une position nettement affirmée en faveur du maintien de l'ordre républicain, pour la défense de la propriété et de la légalité. Tous les discours de ses dirigeants reprennent le même thème : il ne s'agit pas, en Espagne, de révolution prolétarienne, mais de lutte nationale et populaire contre l'Espagne semi-féodale et les fascistes étrangers, en même temps que d'un épisode de la lutte qui oppose dans le monde « les démocrates » à l'Allemagne et à l'Italie. Le parti communiste condamne vigoureusement tout ce qui peut apparaître comme susceptible de briser « l'unité de front » entre la classe ouvrière et les « autres couches populaires ». Il se montre particulièrement soucieux de conserver de bons rapports avec les dirigeants républicains et répète inlassablement ses mots d'ordre de « respect du paysan, du petit industriel, et du petit commerçant ». « Nous nous battons », proclame José Diaz, « pour une république démocratique et parlementaire d'un type nouveau ». Un tel régime suppose la « destruction des racines matérielles de l'Espagne semi-féodale », « l'expropriation des grands propriétaires », la destruction du « pouvoir économique et politique de l'Église », la « liquidation du militarisme », la « désarticulation des grandes oligarchies financières ». Or ces résultats, selon lui, sont déjà atteints. La seule tâche du jour est donc de se battre : « Vaincre Franco d'abord » est le mot d'ordre central des communistes. Pour y parvenir, il faut consolider le « bloc national et populaire », renforcer l'autorité du gouvernement de Front populaire : les communistes soutiennent le gouvernement Companys contre le Comité central [des milices], la Junte de Martinez Barrio contre le Comité exécutif populaire, les autorités légales contre les « Comités irresponsables ». Ils défendent, depuis la première heure, la nécessité de la constitution d'une armée régulière. [...] José Diaz déclare à plusieurs reprises que « se lancer dans des essais de socialisation et de collectivisation... est absurde et équivaut à se faire les complices de l'ennemi ». Aussi, le parti communiste mène-t-il campagne acharnée contre tous ceux qui parlent de poursuivre la révolution. « Nous ne pourrons faire la révolution si nous ne gagnons pas la guerre, déclare José Diaz... Ce qu'il faut, c'est d'abord gagner la guerre.» Aussi, dans le camp républicain, dirige-t-il tous ses coups à sa gauche, contre les révolutionnaires. « Les ennemis du peuple sont les fascistes, les trotskystes et les incontrôlables », affirme José Diaz, dans le même discours, et les propagandistes du P.C., s'appuyant sur les procès de Moscou, reprennent inlassablement le thème anti-trotskyste : « Le trotskysme n'est pas un parti politique, mais une bande d'éléments contre-révolutionnaires. Le fascisme, le trotskysme et les incontrôlables sont les trois ennemis du peuple qui doivent être éliminés de la vie politique, non seulement en Espagne, mais dans tous les pays civilisés.» Franz Borkenau a montré les conséquences d'une ligne politique qui entraînait les organisations communistes « staliniennes », au-delà de l'organisation de la lutte contre Franco, vers une lutte ouvertement dirigée contre la révolution en Espagne même, au nom de son inopportunité : « Les communistes ne s'opposèrent pas seulement à la marée des socialisations, ils s'opposèrent à presque toute forme de socialisation. Ils ne s'opposèrent pas seulement à la collectivisation des lopins paysans, ils s'opposèrent avec succès à toute politique déterminée de distribution des terres des grands propriétaires terriens. Ils ne s'opposèrent pas seulement, et à juste titre, aux idées puériles de l'abolition locale de l'argent, ils s'opposèrent au contrôle de l'État sur les marchés... Ils ont non seulement tenté d'organiser une police active, mais montré une préférence délibérée pour les forces de police de l'ancien régime tellement haïes par les masses. Ils ont non seulement brisé le pouvoir des Comités, mais manifesté leur hostilité à toute forme de mouvement de masse, spontané, incontrôlable. Ils agissaient, en un mot, non avec l'objectif de transformer l'enthousiasme chaotique en enthousiasme discipliné mais avec comme but de substituer une action militaire et administrative disciplinée à l'action des masses et de s'en débarrasser complètement »
Cette politique conservatrice assure le développement du P.C. et du P.S.U.C. et élargit leur audience. En Catalogne, le décret sur la syndicalisation obligatoire a regonflé les effectifs de la faible U.G.T. contrôlée par le P.S.U.C. C'est sous son égide que se constituera en syndicat le G.E.P.C.I. (Fédération des Gremios y Entidades de Pequeños Comerciantes y Industriales)qui, sous couleur de défense professionnelle des commerçants, artisans et petits industriels, sera l'instrument de lutte de la moyenne et petite bourgeoisie contre les conquêtes révolutionnaires. Dans le Levante, où l'U.G.T. a au contraire, une base de masse chez les petits paysans, le P.C., avec Mateu, organisera une Fédération paysanne indépendante que soutiendront tous les adversaires de la collectivisation, caciques compris.
De façon plus générale, c'est vers le P.C. et le P.S.U.C., défenseurs de l' « ordre et de la propriété » que se tournent les partisans de l'ordre et de la propriété en Espagne républicaine. Magistrats, hauts fonctionnaires, officiers, policiers, trouvent en lui l'instrument de la politique qu'ils souhaitent, en même temps qu'un moyen de s'assurer, le cas échéant, protection et sécurité. Du même coup, le P.C. cesse d'être un parti à composition prolétarienne : à Madrid, en 1938, selon ses propres chiffres, il ne compte que 10 160 syndiqués sur 63 426 militants, ce qui indique un faible pourcentage d'ouvriers. La propagande du P.C. met d'ailleurs l'accent sur les « personnalités » recrutées, dont certaines sont, pourtant, loin de présenter toutes les garanties en ce qui concerne la sincérité de leur dévouement à une cause « ouvrière ».
Il serait cependant erroné de n'expliquer la croissance du P.C. que par sa politique modérée et son loyalisme républicain. Dans le chaos des premiers mois, en effet, le parti communiste s'avère une remarquable force d'organisation, un instrument terriblement efficace. Avec certaines de ses réalisations, ses appels à l'unité antifasciste rencontrent un immense écho chez tous ceux, républicains, socialistes, syndicalistes, inorganisés, qui veulent avant tout se battre contre Franco. Les Hernandez, Pasionaria, Comorera même, ne sont pris au sérieux dans leurs diatribes contre les Comités et les « incontrôlables», dans leurs appels à la discipline et au respect de la légalité, que parce que leur parti s'est révélé capable de bien se battre, parce qu'il sait construire et donner l'exemple.
L'histoire de la défense de Madrid montre aussi, que, dans certaines circonstances, le parti communiste est capable, non seulement de faire appel à des traditions révolutionnaires comme celles de l'octobre russe ou de l'armée rouge, mais encore d'utiliser des méthodes proprement révolutionnaires, en un mot d'apparaître, aux yeux de larges masses, comme un parti authentiquement révolutionnaire. Bien des militants espagnols ou « internationaux » ont vécu dans la défense de la capitale une épopée révolutionnaire dont l'emblème purement antifasciste n'était à leurs yeux que provisoire. Contre les mercenaires allemands ou italiens, ils se voulaient combattants de la Révolution prolétarienne internationale. Nombre d'entre eux ont combattu la révolution dans l'immédiat, avec la conviction qu'il ne s'agissait que d'un repli tactique provisoire, et qu'au bout de la lutte antifasciste se trouvait la Révolution communiste mondiale.
[...] Les communistes staliniens, devenus intouchables depuis la livraison des armes russes, défenseurs conséquents du programme antifasciste de restauration de l'État, organisateurs de l'Armée, deviennent ainsi les éléments les plus dynamiques de la coalition gouvernementale. Azaña, Companys, Prieto, Largo Caballero lui-même, leur montrent la même confiance, leur accordent l'appui qu'ils reprocheront plus tard à un Del Vayo de leur avoir accordé. Leur position se renforce tous les jours, non seulement dans l'opinion publique, mais peut-être plus encore dans l'appareil d'État. Nous venons de voir la place qu'ils occupent dans les cadres politiques et militaires de l'armée populaire. Ce sont également des communistes qui contrôlent les services de la censure et du chiffre. Leurs hommes, Burillo à Madrid, Rodriguez Salas à Barcelone, détiennent les postes-clés de la nouvelle police. Leur cohésion et leur discipline posent désormais un problème : ne constituent-ils pas, déjà, un État dans l'État ?
Quelques incidents sérieux montrent qu'ils sont décidés à utiliser leurs positions à des fins que ne justifie pas le souci, si souvent affirmé, de l'unité de front et de l'intérêt général et – ce qui est plus grave encore – qu'ils entrent dans cette voie sur les indications du gouvernement russe. Lorsque se constitue à Madrid la Junte de défense, malgré la décision prise d'y représenter tous les partis, le parti communiste oppose un veto absolu à la présence du P.O.U.M. qualifié de « trotskyste » et d' « ennemi de l'Union soviétique ». La Batalla [organe du POUM] proteste et porte le conflit au grand jour : « Ce qui intéresse réellement Staline, écrit-elle le 15 novembre, ce n'est pas le sort du prolétariat espagnol et international, mais la défense du gouvernement soviétique suivant la politique des pactes établis par certains États contre d'autres. » Le 28 novembre, dans une note à la presse, le consul général de l'U.R.S.S. à Barcelone, Antonov Ovseenko, n'hésite pas à intervenir dans la politique intérieure de l'Espagne républicaine, dénonçant en la Batalla, « la presse vendue au fascisme international ». C'est cette affaire qui amènera une crise ministérielle en Catalogne, et, finalement, l'exclusion du P.O.U.M. du Conseil de la Généralité. Le commentaire, dans la Pravda du 17 décembre, de cet événement, venant après les premiers procès de Moscou, constitue une menace non déguisée : « En Catalogne, l'élimination des trotskystes et des anarcho-syndicalistes a déjà commencé ; elle sera conduite avec la même énergie qu'en U.R.S.S. »
Et aussi
La naissance du POUM
Land and Freedom - Wikipédia
La bande annonce du film Land and freedom de Ken Loach
« Land and Freedom le passé imparfait