par Pierre-Marie Ganozzi, prof d’Hist-Géo, chercheur associé au GERME
(Groupe d’Etude et de Recherches sur les Mouvements Etudiants)
Les conditions dans lesquelles 
s’effectue la rentrée d’octobre 1967 provoquent une certaine agitation 
chez les étudiants. En effet, le manque de place et de professeurs dans 
les facultés et la nouvelle réforme Fouchet entraînent d’importants 
mécontentements. A cela s’ajoute  une réelle volonté d’émancipation dans
 la société de la part d’une jeunesse encore sous tutelle familiale. 
Le paysage politique montpelliérain
Dans ce contexte, une certaine politisation du milieu étudiant 
s’effectue par l’intermédiaire du syndicalisme. Ainsi l’UGEM (adhérente 
de l’UNEF) anime et coordonne la défense des droits étudiants. 
Toutefois, le syndicat est en déclin, regroupant à peine 5% d’entre eux,
 et encore certains n’y adhérent que pour l’obtention des ronéos. En 
crise, l’Unef l’est notamment à cause de ses luttes politiques internes.
Les étudiants communistes regroupent une cinquantaine de personnes au 
sein de l’UEC et  représentent ainsi la force politique la plus 
importante. En outre, ils sont pratiquement la seule formation à 
apparaître par voie d’affiches ou de tracts. Mais leur attitude sectaire
 éloigne certains jeunes. L’UEC dirige l’Unef mais se trouve concurrencé
 par les ESU (étudiants du PSU). Ceux-ci se consacrent pour l’essentiel à
 la lutte contre l’impérialisme américain par l’intermédiaire du CVN 
(comité Viêt-Nam national), avant de reprendre en main le syndicalisme 
universitaire. En phase avec les préoccupations de la jeunesse, ils 
attirent un certain nombre de jeunes en rupture idéologique.
Plus à gauche sur l’échiquier, la JCR, récemment créée, regroupe une 
quinzaine d’étudiants. Particularité locale, la plupart  des ses 
animateurs ne proviennent pas de l’exclusion de l’UEC mais d’une rupture
 avec la JUC (jeunesse universitaire chrétienne). Ils se définissent 
avant tout comme guévaristes et Tiers-mondistes, Trotsky n’apparaissant 
qu’en toile de fond. L’essentiel de leur activité militante est 
consacrée au soutien des luttes révolutionnaires dans le monde et au 
Vietnam en particulier (CVN).
Les évènements de Mai
Les affrontements de la Sorbonne le vendredi 3 mai provoquent 
l’indignation de tout le microcosme militant. En réunion alors à Paris, 
les ESU reviennent à Montpellier avec une vision précise des évènements.
 Dès 08H, le lundi 6 mai, ils parcourent les amphis pour témoigner de 
leur vécu. Une grève sur le tas s’organise alors spontanément et à 10H30
 le bureau du doyen est occupé. Paul Valéry devient ainsi une des toutes
 premières facs de France touchée. Le lendemain, à l’initiative de 
l’Unef et du SNESup, une manif parcourt le centre-ville. Avec environ 
3000 personnes, l’affluence étonne. Après la nuit des barricades à Paris
 (10 au 11 Mai), le mouvement se durcit et s’étend. La fac de Médecine, 
l’école d’agronomie et les classes prépas se mettent en grève à leur 
tour et la quasi-totalité du milieu scolaire se trouve bloqué. Une 
intersyndicale très large appelle alors à une grève générale pour le 13 
Mai. Cette journée commence par des débrayages qui paralysent l’activité
 économique de la région. Puis une foule compacte évaluée à 15 000 
personnes se rassemble sur la place de la Comédie (mobilisation 
historique). 
Le lendemain, la grève se généralise. Les trains s’arrêtent, le courrier
 n’est plus distribué et les quelques usines de la région cessent le 
travail, même celles où il n’existe aucun syndicat. Dès le 18, un comité
 intersyndical se met en place afin de coordonner le mouvement. Au 21 
mai, toute la vie économique de Montpellier est paralysée avec plus de 
18 000 grévistes.  Lorsque le constat de Grenelle est proposé aux 
syndicats et que De Gaulle a recours au vieux remède du référendum, les 
étudiants rassemblés autour d’un poste de radio raillent l’initiative. 
Mais le mouvement se divise. En effet, l’UEC considère qu’il s’agit là 
d’une incontestable victoire, les ESU se montrent déçus, tandis que 
l’extrême gauche dénonce une trahison. Les facultés de Droit et de 
Pharmacie reprennent alors les cours. Toutefois les autres facs et 
lycées restent paralysés. Le 30 mai se déroule une nouvelle grande 
manifestation, cette fois-ci directement centrée contre le pouvoir 
gaulliste. Ainsi en quelques jours, la contestation a largement dépassé 
son cadre originel.
La structuration du mouvement
Paradoxalement, malgré des débats parfois houleux voire conflictuels, 
les amphis restent bondés pendant les AG qui durent souvent plus de 2H, 
preuve que le mouvement de grève est très suivi et légitime pour une 
bonne partie des étudiants.  A partir de l’AG naissent des comités 
d’action (CA) qui structurent le mouvement. Chaque CA agit comme il 
l’entend mais sont tous révocables. Certains s’organisent par filière, 
d’autre sont plus politiques (le CLEOP par exemple, « comité de liaison 
étudiant/ouvrier/paysan »). Un service d’ordre d’une cinquantaine de 
personnes, composé notamment par des dockers CGT de Sète, se met en 
place pour éviter tout débordement ou provocation extérieure. Ainsi, 
après la rumeur d’une attaque d’Occident, ils passent une nuit sur le 
toit de l’amphi principal de Paul Valéry en compagnie d’une dizaine de 
jeunes ravis et fiers d’avoir les prolétaires à leurs côtés.
La faculté des Lettres devient le quartier général du mouvement. Les 
intersyndicales de la ville s’y réunissent quotidiennement, signe d’une 
entente cordiale entre le monde du travail et le milieu universitaire, 
les AG inter-facultés aussi. La grève étudiante s’effectue sans piquets 
de grève puisque les discussions ont rapidement convaincu d’annuler les 
cours, faute d’élève ou d’enseignant. 
Pour le ravitaillement alimentaire, des collectes s’effectuent auprès 
de paysans conciliants, puis une distribution s’organise pour l’ensemble
 des grévistes. L’essence nécessaire est fournie par le comité de grève 
d’une société pétrolière de Frontignan. A la fac, les occupant(e)s 
remettent en marche le resto-U.
Vers le reflux de la mobilisation
Radiodiffusée, l’allocution du président qui explique la 
dissolution de l’Assemblée nationale provoque l’exode d’une grande 
partie des étudiants. Le retour du jeu politique ainsi que 
l’officialisation du report des examens incitent beaucoup à refaire le 
monde sur les plages de Palavas. Le 12 juin, le gouvernement interdit 
toute manifestation et dissout les organisations d’extrême gauche dont 
les militants se cachent. Dès lors, les facs se privent des militants 
les plus aguerris. En outre le 7 juillet, le doyen Laubrier décide de 
fermer la fac des Lettres qui est évacuée sans grande résistance par la 
police. Une éphémère « Université populaire » tente de faire perdurer 
l’utopie, mais,  après le raz-de-marée gaulliste, les troupes et la 
dynamique n’y sont plus.
Article paru dans le mensuel de la LCR34 Motivée-e-s (2008) 
A lire aussi : Montpellier : Un mouvement précoce et bon enfant (entrevue avec Pierre-Marie Ganozzi)
Illustrations
Illustrations
 (tiré de http://www.hautcourant.com/Mai-68-La-democratie-deferle-sur,377 pour l'anniversaire du mouvement en 2008)
 Affiche de la Ligue Communiste sur la Palestine, 1970
Pour en savoir plus sur mai 68 : Mai-Juin 68. Et vint la grève générale par Patrick Le Moal
Introduction : En 1968 la société apparaît bloquée, alors qu’elle ne demande qu’à évoluer. La nuit des barricades étudiantes du 10 mai va mettre le feu aux poudres. Les organisations syndicales sont obligées de réagir et d’organiser le 13 mai
 une journée de grève et de manifestations dans tout le pays afin de 
protester contre les violences policières. Le succès est considérable  :
 des centaines de milliers de personnes à Paris, 450 manifestations en 
France. Des mots d’ordre hostiles à De Gaulle fleurissent  : «  De 
Gaulle aux archives  » «  Dix ans ça suffit  ».























