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Histoire ouvrière du Languedoc-Roussillon : journaliers, terrassiers, domestiques...dans la première moitié du XXe siècle


LA CONDITION DES OUVRIERS AGRICOLES
EN LANGUEDOC MÉDITERRANÉEN-ROUSSILLON
DANS LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XXe SIÈCLE

Article extrait de la revue Recherches contemporaines, n°2, 1994
Jean SAGNES

Avec ses quatre départements (Gard, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales), le Languedoc méditerranéen et le Roussillon possèdent ensemble une unité que n'a pas la région de programme créée en 1955 sous le nom de Languedoc-Roussillon avec un cinquième département : la Lozère. A la différence de ce dernier, exclusivement montagnard, ces quatre départements, qui bordent la Méditerranée entre Rhône et Pyrénées, s'ordonnent en gradins d'amphithéatre de la mer à la montagne. De plus, sur une grande partie de leur superficie, ces départements possèdent des conditions géographiques identiques qui ont permis à partir du milieu du XIXe siècle le développement de la viticulture industrielle (1).

C'est à cette époque en effet que la région, où le vignoble est fort ancien, se transforme en une zone de monoculture grâce au développement du chemin de fer. Celui-ci contribue doublement à cet avènement : d'une part en permettant des transports massifs et rapides des vins du Languedoc et du Roussillon, d'autre part en amenant des blés moins coûteux contre lesquels ceux de la région ne peuvent lutter. Dès lors la vigne se répand rapidement sur les coteaux et dans les plaines. En 1850, elle couvre près de 310.000 hectares et en 1874, 444.000. La production passe de 6.600.000 hectolitres à 20.000.000 car les rendements durant la même période augmentent considérablement. Dès ce moment, la part de nos quatre départements que l'on appelle le Midi tout simplement, représente environ 30% de la production totale française.

Au début des années 1850, le champignon Oïdium Tuckeri ravage le vignoble jusqu'à ce que l'on ait trouvé la parade efficace : le soufrage à la fleur de soufre. Beaucoup plus grave, dans les années 1870, est l'offensive d'un insecte, le phylloxéra, qui détruit le vignoble dont la superficie recule (287.000 ha en 1885) ainsi que la production (5 millions d'hectolitres la même année). La lutte contre le phylloxéra requiert pendant des années tous les efforts des vignerons. Finalement, insecticides, submersion des vignes, plantation dans les sols sablonneux du cordon littoral et adoption de plants américains sur lesquels on greffe le greffon français, ont raison de l'insecte. Le vignoble est reconstitué : en 1890, il couvre 325.000 hectares et produit 11.800.000 hectolitres, en 1900, 462.000 hectares et 24.200.000 hectolitres. C'est l'âge d'or de la viticulture méridionale. Durant ces années, la part du Midi oscille entre 30 et 50% de la production française avec même une pointe à plus de 59% en 1897 (2). Mais la petite propriété a moins bien résisté que la grande car la reconstruction postphylloxérique a été très onéreuse. Nombre de petits propriétaires se prolétarisent  tandis que la grande propriété requiert une main-d'oeuvre salariée beaucoup plus nombreuse qu'auparavant en raison des soins plus réguliers dont le vignoble doit désormais être l'objet. Ces anciens propriétaires indépendants, ayant en général conservé un lopin de terre, viennent grossir le nombre d'ouvriers agricoles qui reçoit aussi l'apport d'immigrants descendus des montagnes voisines et venus d'Espagne ou d'Italie.

Les diverses catégories de travailleurs

L'enquête agricole de 1929 permet de mesurer la place de la main-d'oeuvre agricole salariée dans la main-d'oeuvre agricole totale (3). Pour l'ensemble des quatre départements viticoles du Midi, cette main-d'oeuvre salariée représente 318.519 personnes sur 552.124, soit 58% ; cette proportion atteint 75% dans le département de l'Hérault qui est le plus viticole de France. Il faut en effet prendre garde que ces chiffres se rapportent à l'ensemble de l'agriculture et non pas à la seule viticulture : les salariés de la viticulture pour le Midi représentent environ la moitié de l'ensemble et bien davantage dans l'Hérault.

La statistique de 1929 distingue également entre main-d’oeuvre permanente et main-d’oeuvre temporaire : la main-d’oeuvre salariée permanente représente 37% de la main-d’oeuvre salariée. La part des femmes est
variable selon que l'on envisage la main-d’oeuvre permanente (20% seulement) ou temporaire (54%) à cause des vendanges, travail temporaire s'il en est.

Cependant, cette distinction entre main-d’oeuvre salariée permanente et main-d’oeuvre salariée temporaire n'a pas de valeur absolue car beaucoup de salariés, classés en main-d’oeuvre temporaire, travaillent en réalité de façon permanente pour le même patron.

Tout cela montre la difficulté qu'il y a à fournir une évaluation globale chiffrée des ouvriers de la viticulture du Midi. Aussi est-il nécessaire de recourir à d'autres éléments. Par exemple L'indicateur des vignobles méridionaux de Charles Gervais paru en 1903 et qui recense les principales exploitations viticoles en donnant pour chacune d'elles leur production annuelle moyenne. Gervais a ainsi recensé 1.415 domaines viticoles produisant chacun plus de 3.000 hectolitres de vin dans l'ensemble des six arrondissements viticoles du Midi :

Arr. de Béziers 515
Arr. de Narbonne 252
Arr. de Montpellier 208
Arr. de Perpignan 160
Arr. de Nîmes 155
Arr. de Carcassonne 125

Or, ce sont ces grands domaines qui emploient l'essentiel de la main-d’oeuvre salariée. En réalité, pour pouvoir appréhender avec précision la place des ouvriers agricoles dans les communautés villageoises, il faut examiner la structure sociale au niveau de chaque commune. Ainsi, en 1906 à Marsillargues-en-Lunellois, commune de 3421 habitants, sur une population active de 1451 personnes, 549 – soit 38% – sont des ouvriers agricoles (4). De même, en 1911, dans 18 communes situées au nord et à l'ouest de Béziers, les ouvriers agricoles forment 54% de la population active (5). Mais cette main-d’oeuvre salariée n'est pas homogène. Elle se divise en plusieurs catégories (6).

Tout d'abord, tout en haut de la hiérarchie, le régisseur. Dans une région comme le Languedoc méditerranéen-Roussillon où l'absentéisme des propriétaires est une pratique courante, le régisseur est le véritable fondé de pouvoir du propriétaire. Même si celui-ci réside, il se décharge sur le régisseur de la gestion du personnel. En général peu instruits, obséquieux envers leurs employeurs dont ils adoptent souvent le comportement politique ou religieux, les régisseurs n'en ont pas moins la réputation de s'enrichir aux dépens du maître. La principale catégorie d'ouvriers agricoles est celle des journaliers, c'est-à-dire des ouvriers embauchés à la journée. Ce sont les véritables ouvriers qualifiés de la viticulture justement réputés pour leur compétence en matière de taille, de greffage, etc. Au début du siècle, ils sont pour l'essentiel formés d'autochtones, les salariés étrangers n'accédant à cette condition de journaliers qu'au bout d'un certain nombre d'années. Environ la moitié de ces journaliers sont des propriétaires dont la propriété est trop réduite pour les faire vivre et qui doivent se louer auprès des grands propriétaires. Le reste est composé de
véritables prolétaires sans terre. Quoique officiellement embauchés à la journée, d'où leur nom, ces ouvriers le sont plutôt à la semaine et pour une partie variable d'entre eux pratiquement à l'année. Sur les grands domaines, ces ouvriers travaillent en équipes appelées les "colles" dirigées par un "meneur" ou "mousseigne".

Si les ouvriers propriétaires travaillent leur propre propriété après leur journée principale chez leur employeur, les ouvriers non propriétaires ont depuis longtemps l'habitude de faire des heures supplémentaires – "l'emperau" en occitan – en général chez des propriétaires de moyenne importance. Cette situation particulière explique que la durée de la journée de travail est en général assez courte, même si elle est soumise à fluctuations selon les lieux et les périodes : elle peut être de sept ou même de six heures. Les femmes font partie de ces journaliers. Un certain nombre de travaux leur sont réservés comme le ramassage des sarments, l'épandage du fumier, l'échaudage contre les insectes mais elles participent aussi au soufrage et au sulfatage, travaux pénibles et salissants. Néanmoins, les salaires des femmes sont dans l'immense majorité des cas la moitié de ceux des hommes. Ajoutons que les adolescents de sexe masculin qui commencent à être embauchés sur ces domaines le sont comme "femmes", c'est-à-dire aux conditions de travail et de salaires des femmes...

Aux côtés des journaliers, voici les terrassiers et les domestiques. Les terrassiers, plus nombreux à certaines périodes qu'à d'autres sont en général, au début du siècle, des étrangers, notamment des Espagnols ou des Italiens, qui ont pour tâche non pas de travailler la vigne proprement dite mais de creuser ou de curer les fossés, d'aplanir le terrain, bref de faire les gros travaux de terrassement. Ces terrassiers sont payés à la tâche. Les domestiques ont pour fonction essentielle de travailler avec les chevaux. Ils s'occupent de labourage, de transports et du soin des bêtes à l'écurie. Ce sont des montagnards, venus des Pyrénées ou du Massif Central et appelés "gavatchs" en Languedoc. Ils sont embauchés à la quinzaine ou au mois et sont nourris et logés à la propriété. Leur journée de travail est plus longue que celle des journaliers. La quasi totalité d'entre eux est donc composée de célibataires.

Un domestique marié a pour fonction d'encadrer les ouvriers et les domestiques. C'est le "ramonet" en Biterrois et en Narbonnais, le "padre" dans le Montpelliérais. La femme du "ramonet" (la "ramonete" ou la "maire") prépare les repas des domestiques. Si le domaine n'est pas trop grand, il peut arriver que le ramonet joue le rôle de régisseur. Au moment des vendanges, à l'automne, toute cette main-d’oeuvre est renforcée par des salariés temporaires : tandis que les domestiques conduisent les attelages, journaliers et terrassiers deviennent dans les vignes "porteurs" des récipients contenant les raisins ou bien effectuent le travail dans les caves, tandis que les femmes coupent les raisins. La main-d'oeuvre temporaire très nombreuse vient des villages de la plaine, du Massif central et même des Pyrénées. Les salaires sont nettement supérieurs à ceux de l'année mais la journée de travail est alors beaucoup plus longue, pouvant aller jusqu'à 10 heures.

Des années 1900 à la Seconde Guerre mondiale, la part des ouvriers étrangers en particulier espagnols n'a fait qu'augmenter, notamment parmi les journaliers. En effet, la main-d’oeuvre autochtone est insuffisante en nombre et les propriétaires caressent souvent l'espoir de trouver dans ces étrangers une main-d’oeuvre plus docile.

Le travail et les salaires

Les travaux effectués par l'ensemble des ouvriers de la vigne ont peu varié de la reconstitution post-phylloxérique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Après les vendanges, l'automne est consacré à la taille des longs sarments qui ont porté les raisins et au premier labour. En hiver, on déchausse les pieds de vigne pour les aérer, on taille à nouveau mais cette fois pour réduire le nombre de bourgeons. Au printemps, les hommes fument les vignes tandis que les femmes ébourgeonnent. Un second labour destiné à recouvrir le pied des ceps entouré de fumier précède le traitement des maladies cryptogamiques : le sulfatage contre le mildiou, le soufrage contre l'oïdium. Au début de l'été, on ne pratique guère qu'un troisième labour pour ameublir la terre et lui permettre de capter l'humidité nocturne. Dans les basses plaines, on arrose pour augmenter les rendements. Enfin, au début septembre, ont lieu les vendanges, qui durent de 15 à 21 jours environ et qui vont de pair avec la vinification (7).

Les ouvriers agricoles travaillent souvent avec leurs outils personnels (pioche ou trident). Le travail, pénible, est devenu malsain avec les traitements chimiques. De plus, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, ces ouvriers ne jouissent d'aucune garantie sociale en cas d'accident de travail ou de chômage. Ils sont embauchés ou débauchés selon les intérêts des exploitants. En cas de mauvais temps, ne travaillant pas, ils ne perçoivent aucun salaire. Durant l'année, ils chôment régulièrement plusieurs dizaines de jours notamment en juillet-août puis en octobre-novembre. A ces périodes habituelles de chômage s'ajoutent celles des temps de crise, 1901-1907, 1931-1935 par exemple. Face à cette situation, les syndicats agricoles réclament l'ouverture de chantiers communaux. Au début, seules les municipalités socialistes acceptent cette revendication puis les municipalités radicales ou simplement républicaines suivent le mouvement. Ajoutons aux difficultés de leur travail, la longueur des trajets le matin et le soir entre leur lieu de travail et le village où ils résident : plusieurs kilomètres à faire à pied avant la généralisation de la bicyclette durant les années 1920-1930. Le temps passé pour les trajets d'aller et de retour est l'objet de discussions entre les propriétaires et les ouvriers, qui demandent qu'il soit décompté sur le temps de travail. Dans certains cas, où le rapport de forces joue en faveur des ouvriers, ceux-ci obtiennent que la moitié de ce temps soit pris en compte par les propriétaires.

En ce qui concerne les horaires de travail ainsi que les salaires, il y eut toujours une grande variété d'usages locaux. L'effort des ouvriers à travers l'action syndicale fut toujours d'obtenir l'unification des conditions de travail et de rémunération, puis de les faire consigner dans des contrats. Dans les villages du Biterrois, durant les années 1900-1930, on commençait à travailler avec le jour, c'est-à-dire en été à 5 heures solaires (soit à 7 heures de notre actuelle heure d'été) et en hiver à 7 heures solaires (soit à 8 heures de notre actuelle heure d'hiver). On travaillait quatre heures d'une traite et on s'arrêtait une heure pour le petit déjeuner. Dans certains domaines, le patron payait cette heure, dans d'autres il en payait la moitié. La journée reprenait ensuite pendant quatre heures et, en été, se terminait donc à 14 heures solaires. Quelquefois la journée était plus courte : 7 heures ou même 6 heures. Dans tous les cas, cela permettait à l'ouvrier soit d'aller faire une, deux ou même trois heures de travail supplémentaire chez un moyen ou un petit propriétaire, soit de fournir la même quantité de travail sur son propre lopin de terre souvent en utilisant le cheval prêté par le patron (8).

Dès la fin du XIXe siècle, les ouvriers réclament, en sus de leur salaire, une certaine quantité de vin arguant du fait que, pour le propriétaire, l'octroi de ce supplément représente peu de choses puisque le vin est vendu par lui au prix de gros. Les propriétaires résistent longtemps et la situation évolue selon les rapports de force. C'est ainsi que, pour attirer les ouvriers dans les manifestations viticoles de 1907, les propriétaires font souvent cette promesse qui n'est pas toujours tenue (9). Peu à peu cependant, l'usage se généralise de donner à l'ouvrier agricole trois litres de vin par jour et un litre pour la femme ouvrière, et cela y compris pendant les vendanges. Mais il y a vin et vin. Bien souvent le vin ainsi alloué est de mauvaise qualité. Il s'agit de fonds de barriques non buvables et surtout non commercialisables. C'est pourquoi, lorsque des contrats sont signés entre propriétaires et ouvriers, ces derniers s'efforcent de faire introduire, à propos de l'allocation de vin, la formule : «Le vin sera fourni loyal et marchand».

Il n'est pas facile de suivre l'évolution des salaires ouvriers durant plusieurs décennies en raison des variations concernant le nombre d'heures de travail dans la journée, le nombre de jours de travail dans l'année, le taux horaire des salaires, les usages locaux, etc. Rémy Pech a utilisé les registres de semaine d'un grand domaine de la plaine biterroise, la Grande Canague à Capestang. Il a ainsi comparé les salaires à l'indice des prix de détail à la consommation établi par Alfred Sauvy, et a constaté une stagnation au niveau des salaires réels et même un léger recul (10).

Pour notre part, utilisant les renseignements fournis par la statistique officielle des grèves des années 1900 à 1936-1939 concernant le département de l'Hérault, nous concluions à une adéquation remarquable entre indice des salaires et indice du coût de la vie avec, à la fin de la période, un léger avantage pour les salaires (11). La période de la Seconde Guerre est ici comme ailleurs une période de graves difficultés dues au blocage des salaires et à une forte augmentation des prix. Le net relèvement des salaires qui se produit en 1944-1945 permet seulement de retrouver le niveau d'avant-guerre avant que les premières conventions collectives ne viennent sensiblement améliorer les salaires.

Il est cependant nécessaire de compléter ce tableau d'ensemble par l'étude de quelques budgets familiaux dans la mesure où cela permet la prise en compte de l'appoint fort variable des salaires des autres membres de la famille, la femme et les enfants. Au début de l'année 1907, le secrétaire de la Bourse des coopératives socialistes de France, lors du sixième congrès national de la coopération socialiste, évalua à environ un millier de francs les recettes d'une famille où seuls le mari et la femme rapportaient un salaire, soit 760F. pour le premier et 200F. pour la seconde (12). Le père gagnait 2F50 par jour et travaillait 260 jours. A cela il fallait ajouter 60F. de majoration pour les journées de vendanges et 50F. de travail supplémentaire divers. Les dépenses étaient évaluées à 1.000F. : 120F. pour le loyer, 365F. pour le pain, 365F. pour l'épicerie, le chauffage, la viande, les légumes, 150F. pour l'habillement et les chaussures. Dans un tel cas de budget négatif, il n'y avait aucune possibilité d'épargne. Un autre exemple est donné en 1919 par l'officielle Commission régionale d'études du coût de la vie en la personne d'une famille de Saint-Jean-de-Fos dans la moyenne vallée de l'Hérault (13). Dans ce cas, l'homme gagnait 2.750F. par an, la femme 900F. et les deux enfants 1.800F. ensemble. Le salaire de l'homme ne représentait donc que la moitié de l'ensemble des revenus de la famille. Les dépenses étaient évaluées à 5.091F., dont 3.533F. pour l'alimentation, 1.285F. pour l'habillement, 120F. pour le logement. Si donc le travail de tous les membres de la famille était rigoureusement nécessaire pour la satisfaction des besoins les plus élémentaires de ses membres, il n'en reste pas moins qu'une possibilité d'épargne existait qui représentait environ 10% du revenu annuel. C'est de cette façon, grâce à un travail acharné de toute la communauté familiale, que ces prolétaires agricoles pouvaient accéder à la petite propriété. Par contraste avec la dure condition des ouvriers agricoles du Midi, il est nécessaire en conclusion d'évoquer la condition des moyens et des grands propriétaires de la vigne. Tous les renseignements statistiques, tous les témoignages convergent pour nous montrer une classe de grands propriétaires menant une vie large et facile, sauf naturellement au paroxysme des crises viticoles. Construction de belles maisons de maître, séjour dans les villes d'eau, achat de bijoux, engouement pour le théâtre, l'opéra, la musique caractérisent cet état délicieux de grand et même de moyen propriétaire viticole du Midi. Durant l'entre-deux-guerres, un des indicateurs de l'évolution du pouvoir d'achat des viticulteurs de l'Hérault est tout simplement l'achat de pianos (14) ! Il est tout à fait légitime de voir dans ce contraste des conditions sociales de l'ensemble de cette population viticole une des sources, mais non la seule, du syndicalisme agricole de cette région, d'un syndicalisme qui fait partie intégrante de l'identité du prolétariat viticole du Languedoc méditerranéen et du Roussillon.

1. G. Galtier, "La viticulture", in M. de Dainville (dir.), Languedoc-Méditerranéen et Roussillon d'hier à
aujourd'hui, Nice, s. d. [1947] 393 p.
2. R. Pech, Entreprise viticole et capitalisme en Languedoc-Roussillon. Du phylloxéra aux crises de
mévente, Toulouse, 1975, 580 p.
3. Statistique agricole de la France, Enquête agricole de 1929, Paris, 1936.
4. Archives départementales de l'Hérault, 115 M 151 (2).
5. G. Gillet et C. Bruguier, Structures socio-professionnelles dans les communes du Biterrois en 1911,
Maîtrise d'histoire, Université Paul-Valéry, Montpellier III, 1970.
6. Voir l'étude ancienne mais toujours valable de M. Augé-Laribé, Le problème agraire du socialisme :
la viticulture industrielle du Midi de la France, Paris, 1907, 362 p. ainsi que R. Pech, op. cit.
7. G. Galtier, art. cit.
8. Interview d'Hervé Galinier, ouvrier agricole né en 1907, le 3 juillet 1978.
9. Voir J. Sagnes, Le mouvement ouvrier en Languedoc, Toulouse, Privat, 1980, 320 p. et Le Midi Rouge.
Mythe et réalité, Paris, Anthropos, 1982, 310 p.
10. R. Pech, op. cit.
11. Au début du siècle, à la veille des grèves de 1904, le salaire horaire moyen du département de
l'Hérault, après les baisses décidées par les employeurs à cause de la crise économique, était de
0F31. Il est porté à 0F41 après ces grèves, puis à 0F47 à l'issue des grèves de 1910-1911, pour
atteindre 0F50 en 1914. Ainsi, entre 1903 et 1914, le salaire moyen dans la viticulture a augmenté de
61,3%, alors que les prix de gros subissaient une hausse de 14% et les prix de détail d'environ 20%.
On peut donc considérer que le salaire réel des ouvriers agricoles a augmenté d'environ 41% durant
cette période. Après la première guerre mondiale et l'apparition de l'inflation, les calculs sont
apparemment plus compliqués. Cependant l'établissement entre les deux guerres d'un indice du
coût de la vie départemental étendu rétrospectivement jusqu'en 1914, permet de faire les
comparaisons indispensables. Sans entrer dans les détails, précisons que si, de 1914 à 1926, les
salaires retardent sur les prix, les augmentations qui interviennent à la suite des grèves de cette
année-là font que les deux courbes se rejoignent. Les diminutions de salaires des années de crise
(1932 et 1933) font passer la courbe du coût de la vie au-dessus de celle des salaires, puis la poussée
des salaires de 1936 permet à ceux-ci de passer au-dessus de la courbe des prix et de le demeurer
jusqu'en 1939. La encore, comme avant 1914, il y a avantage des salaires sur le coût de la vie, mais
moins prononcé. Voir J. Sagnes, Le mouvement ouvrier..., op. cit. et, du même, Politique et syndicalisme
en Languedoc, Montpellier, 1986, 524 p.
12. X. Guillemin, "La production coopérative vinicole", in Sixième congrès national de la Coopération
socialiste, Troyes, 31 mars- 2 avril 1907.
13. A.D. Hérault, 128 M 9.
14. J. Milhau, Le pouvoir d'achat des viticulteurs, Montpellier, s. d. [1945], 186 p.




Sur le comité d'Argelliers : Le 11 mars 1907, le signal de la révolte est donné par un groupe de vignerons du Minervois, dans le village d'Argeliers. Ils sont menés par Marcelin Albert et Élie Bernard lequel fonde le Comité de défense viticole ou Comité d'Argeliers. Ils organisent une marche, avec 87 vignerons, vers Narbonne, pour avoir une entrevue avec une commission parlementaire. Après ses dépositions, le Comité de défense fait un tour de ville en chantant pour la première fois La Vigneronne, qui dès ce jour là devint l'hymne de la révolte des gueux. Le Comité était composé de : Président : Marcelin Albert, Vice-Président : Édouard Bourges, Secrétaires : Cathala, Richard, Bernard.


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