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L'histoire au présent. Sète, ville italienne, espagnole...et française !


Partis dans la nuit, les premiers chalutiers reviennent au port dans l'après-midi, escortés par des myriades d'oiseaux marins.
Sète, fille de la Méditerranée

Ulysse | • Mis à jour le

Une "île singulière". Les Sétois aiment cette expression poétique locale pour désigner leur ville. Sète, un gonflement de côtes greffé sur le cordon du littoral méditerranéen ; un promontoire de calcaire dominé par le belvédère naturel du mont Saint-Clair ; une sorte de grosse perle lovée entre Montpellier et Agde, arrimée entre la mer, au sud, et l'étang de Thau, au nord. Deux univers marins reliés par des canaux qui ont valu à la cité portuaire cette autre expression de "petite Venise" languedocienne. Voilà pour le qualificatif. Mais à Sète, c'est le démonstratif qui l'emporte.

Le verbe de ses habitants, la fierté de leurs origines mêlées, le défi chevaleresque des joutes nautiques, l'orgueil de compter des célébrités parmi les enfants du pays (Paul Valéry, Georges Brassens, Jean Vilar) et d'autres que Sète a adoptés (Agnès Varda, Pierre Soulages). Un port démonstratif, assurément. Jusqu'à l'ambiguïté de l'adjectif ("Cette") qui fut longtemps son nom avant d'être - "équivoque" oblige - changé en "Sète" par décret républicain, en janvier 1928.

Une "île singulière", donc. La formule est de Paul Valéry. Elle a le mérite de souligner l'originalité de la cité portuaire et de son histoire. Un passé gallo-romain, forcément, comme toute la région. Mais avec, très tôt, une industrie florissante dédiée à la saumure du poisson. Au Moyen Âge, la ville vit toujours de la pêche. Jusqu'à ce que Colbert lance (en 1666) la construction du môle Saint-Louis pour protéger la rade. En reliant la ville au Canal du Midi dès son inauguration (1681), le chantier inaugure la grande tradition portuaire de Sète qui devient vite une plaque tournante d'exportations (sel, eau de vie, produits manufacturés) vers le bassin méditerranéen et certains pays nordiques. Au XVIIIe siècle, la population est passée en quelques décennies de 120 à 6 500 habitants.
Dans le Quartier haut, les plus anciens parlent un patois singulier, mélange subtil d'occitan et d'italien.
Mais qui sont ces Sétois, artisans de l'histoire moderne de la ville ? "Le vrai Sétois a des origines italiennes, affirme sans détour Philippe Malric, journaliste au Midi Libre. Je suis né ici, mais mon nom fait que je ne suis pas considéré comme un authentique enfant de la ville." La légende locale n'affirme-t-elle pas que les premiers habitants de la ville vinrent d'Italie pour la construction du port, dès le milieu du XVIIe siècle ? Le nom même de "Cette" n'est-il pas directement issu de "Cetara", cette petite commune italienne de la province de Salerne en Campanie ?

Derrière la fenêtre ouverte de son kiosque à journaux, une modeste guérite incrustée comme une huître dans la façade des halles du centre-ville, Gérard n'en démord pas : "Non, Sète n'est pas italienne ! Bien sûr, de nombreux émigrants sont autrefois venus d'Italie s'installer ici. Mais la ville compte aussi des Français de souche, des Catalans puis des Maghrébins. Sète, c'est d'abord un brassage." 


De mère aveyronnaise et de père héraultais, Gérard, 62 ans, se considère comme un "authentique" Sétois, lui qui est né en face des halles, dans les locaux de la mairie où ses grands-parents étaient concierges. Blotti dans sa veste de laine marron, les tempes grisonnantes, entouré de milliers de magazines, il se souvient encore du temps où il aidait sa mère lorsqu'elle devint propriétaire du kiosque en 1969, deux ans avant la démolition des anciennes halles métalliques. "C'est quand même vrai que l'Italie est très présente ici, finit par concéder Gérard, le sourire à peine dissimulé. Regardez l'annuaire de Sète et vous aurez compris". Feuilletage rapide : Di Rosa, Liguori, Cianni, Nicoletta, Giordano... Quelles que soient les lettres - et en dépit de la dilution des appellations lors des mariages mixtes - les noms à consonance italienne tiennent le haut du pavé postal.

Curieusement, en revanche, ceux des rues, quais et places de la ville ont des sonorités bien françaises. Quai du Général-Durand, rue Jean-Jaurès, place Aristide-Briand, rue de Belfort... Et si tout se passait à Sète comme si les origines transalpines d'une partie de la population devaient être contenues, pour ne pas dire effacées ? Que dire par exemple de la récente interdiction [Note : cet article est de 2010] de ces "fêtes italiennes" qui pendant plusieurs années, à la fin mai, à l'initiative de nombreux commerçants, ont vu Sète se couvrir de drapeau vert blanc rouge ?

"Juste une mauvaise organisation", assure-t-on à l'office du tourisme. "C'est possible, lâche un restaurateur des quais. Mais c'est vrai aussi que cela donnait une connotation «nationale» trop marquée dans une ville qui reste avant tout cosmopolite et ouverte sur toute la Méditerranée." Le port est beaucoup trop habitué au brassage pour faire de la diversité culturelle un sujet de discorde. Même l'expression locale qui dit que "les Espagnols sont venus manger le pain des Italiens" amuse tout le monde, Catalans comme "Ritals". Reste que Sète fut sans doute la seule ville en France où certains bars ont chaudement fêté, un certain 9 juillet 2006, en finale de la coupe du monde de football, la défaite de la France face à... l'Italie.

Toponymie urbaine sélective, fête "nationale" conjurée : les traces de la culture italienne à Sète ne sont pourtant pas près de disparaître. Le patois parlé ici (par les plus anciens) est un curieux mélange d'occitan et d'italien. Les principales spécialités culinaires de la ville (tielles, macaronades, frescati, etc.) - et dont tous les Sétois sont fiers - portent la marque incontestée de la traditionnelle cuisine napolitaine. Sans oublier la grande activité du port, la pêche au chalut (près de 20 000 tonnes de poissons par an) qui fait de Sète le plus grand port français de pêche en Méditerranée.

"Si les Catalans ont apporté la voile latine, ce sont les Italiens qui ont inventé la technique de pêche «au chalut», avec les fameux bateaux-bœufs qui traînaient le filet entre les deux embarcations", raconte Vincent Alfonso, directeur adjoint de la Criée de Sète. Son grand-père est né à Gaeta, une presqu'île de Naples, avant de venir s'installer ici dans les années 1930. Selon Vincent, plus de 90 % des patrons de la trentaine de chalutiers en activité à Sète ont des origines italiennes.

"Beaucoup sont nés, comme moi, dans le Quartier haut, ce flanc de colline qui grimpe jusqu'au mont Saint-Clair. C'était le coin des pêcheurs italiens et de leurs familles." Dans sa série printanière intitulée «la Parole aux quartiers» de Sète, le Midi Libre a consacré en mars 2009 une page à cette zone baptisée par la rédaction « Un petit coin d'Italie ». Certes, aujourd'hui des maisons ont été vendues, cédées à des artistes, notamment, dont les ateliers se succèdent le long des trottoirs qui serpentent entre les maisons dont certaines remontent au XVIIIe siècle).

Mais la confusion de rues, impasses, placettes et escaliers du Quartier haut fleurent encore bon l'Italie. Par le nom des familles qui y vivent toujours. Mais aussi par les souvenirs de ceux qui, logés aujourd'hui dans d'autres quartiers, ont passé ici leur enfance. Mathieu Di Stefano est de ceux-là. Un mètre quatre-vingts pour 130 kilos, ce colosse de 34 ans est issu d'une famille venue d'Italie en... 1860. Tee-shirt rouge, lunettes de soleil et cheveux noirs en brosse, l'enfant du pays se dit "avant tout Sétois" même si ses origines italiennes "comptent beaucoup".
Mathieu Di Stefano est jouteur depuis l'âge de six ans. Aujourd'hui, il est le fier président de la Jeune Lance sétoise.
"Quand je reviens dans ces rues du Quartier haut, près de ma maison de famille, je revois encore les tomates séchées, le linge accroché aux balcons et les mères crier en italien sur leurs enfants." Nostalgique ? Un peu, sans doute. Mais Mathieu est loin d'être un inconditionnel des racines italiennes de sa ville. "Prenez les joutes, c'est une tradition qui n'a rien à voir avec l'Italie." Jouteur depuis l'âge de six ans, Mathieu vient d'être nommé président de la Jeune Lance sétoise, l'une des sept sociétés de joute de la ville.

"Parmi les jouteurs, le premier champion d'origine italienne n'a été sacré qu'en... 1919, alors que les joutes ont une histoire vieille de plusieurs siècles." Le lien entre la pêche, métier des familles venues d'Italie, et le défi nautique s'est pourtant peu à peu imposé. L'actuel champion des joutes, Aurélien Evangélista, est un fils d'émigrés italiens. Et, selon Mathieu, "près de la moitié des jouteurs de Sète a du sang italien dans les veines".

Quartier haut, toujours. Une impasse discrète, baptisée "le trou de Poupou", en mémoire d'une ancienne propriétaire réputée joufflue. Gaston Macone vit dans une modeste maison de ville. Celle-là même où il naquit, en 1936, d'une famille venue d'Italie au XIXe siècle. Entouré de livres, d'anciens manuscrits et d'une impressionnante collection de photos d'archives, ce technicien territorial à la retraite s'est très tôt passionné pour l'histoire de Sète. A l'été 2009 sortira le cinquième tome de ses ouvrages consacrés à la cité portuaire.

Accoudé à la table de sa salle à manger, Gaston écoute nos remarques sur l'empreinte italienne qui semble si fortement marquer sa ville. Patient, il finit par sourire. Puis il se lève, sort des livres, des statistiques et tient surtout à mettre les points sur les i. "Arrêtons les légendes et la mythologie et faisons de l'histoire, lance-t-il, mi-amusé, mi-sérieux. Sète est une ville partagée aujourd'hui entre trois grandes communautés et leurs cultures : italienne, espagnole et française de souche. La première est venue au XIXe siècle, pas avant, à une époque où la pauvreté poussait les Italiens à chercher du travail à l'étranger ; la seconde a fui la dictature de Franco, dès la seconde moitié des années 1930 ; la troisième est une constante entre les origines et des migrations successives venues des régions voisines ».

Dernière visite dans la ville, l'espace Georges Brassens, incontournable. Voilà bien une figure sétoise a priori 100 % "culture française". Mais en feuilletant les livres présentés dans le centre, en discutant avec certains de ses animateurs spécialistes de la vie du chansonnier, le doute revient. Nous découvrons que la mère de l'artiste, Elvira Dagrosa, avait des parents originaires de... Marsico Nuovo dans la région de Basilicate (Italie du Sud).

Puis nous apprenons que la musique de Georges a "de nombreuses influences des chants populaires napolitains". Et voilà enfin que les paroles d'une vieille rengaine résonnent : "Ainsi, mon cher, tu t'en reviens / Du pays dont je me souviens / Comme d'un rêve / De ces beaux lieux où l'oranger / Naquit pour nous dédommager / Du péché d'Eve." Et plus loin : "Tu t'es bercé sur ce flot pur / Où Naples enchâsse dans l'azur / Sa mosaïque, / Oreiller des lazzaroni / Où sont nés le macaroni / Et la musique." Une chanson intitulée "À mon frère revenant d'Italie". Elle est signée Georges Brassens...


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