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Union Européenne. L’absence de coordination économique européenne est la conséquence de l’incapacité des bourgeoisies d’Europe à s’unir au sein d’une fédération européenne

Europe, l’introuvable unité


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Le constat est désormais partagé par tous. La crise économique qui dévaste les économies capitalistes frappe avant tout l’Europe et son maillon faible – les pays du sud du continent. Tout ceci autorise à parler d’une crise spécifique de l’euro, du dispositif instauré par le traité de Maastricht. Et rares seront les observateurs qui nieront qu’à la racine de cette crise, il y a la fragmentation du continent.
Retour sur une question décisive. 

Le siècle passé a été celui de l’émergence de l’impérialisme et de la domination américaine sur le monde. Mais d’où venait cette puissance américaine ? Avant tout de la capacité qu’avait eu la bourgeoisie étatsunienne d’unifier le continent nord-américain sous sa houlette, de disposer ainsi d’une base territoriale, démographique, etc. Cette unification, obtenue par une guerre civile terrible, saluée par l’Internationale de Marx-Engels, ouvrit la voie à un développement prodigieux des forces productives

À l’inverse, les principaux États nationaux d’Europe se sont avérés incapables de se fondre dans des ensembles plus vastes, mieux adaptés aux exigences du capitalisme à son époque impérialiste. L’unification allemande, par exemple, laissa sur le côté des régions telles que le Danemark ou l’Autriche. Résultat : le XXe siècle fut celui d’un déclin des vieilles puissances européennes, morcelées et percluses de contradictions internes.

La question de l’unité européenne – la concurrence entre puissances rivales – a donc été au centre de la politique européenne durant la quasi-totalité du XXe siècle. Elle est largement à l’origine des deux guerres mondiales, dont il faut rappeler que l’épicentre se trouvait en Europe.

Il faut pourtant noter que dès 1926, Briand, alors Premier ministre, pose la question de l’unité européenne en réaction à ce relatif déclin. Mais son rapport pour la Société des nations (SDN) sera vite enterré. Dans un discours célèbre de 1946, Churchill s’affirma aussi partisan de la construction d’« États-Unis d’Europe », considérés comme la seule alternative possible aux guerres qui avaient dévasté le continent. Mais là encore, les actes ne suivront pas les discours, en l’absence de force sociale apte à prendre le leadership de l’unification continentale.

La « construction européenne »

C’est donc en 1957 que fut fondée la Communauté économique européenne, l’ancêtre de l’actuelle Union européenne. Il est notable que le Traité de Rome se prononce pour « un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun », ce qui serait déjà une raison suffisante pour le dénoncer.
On notera aussi que le traité évite toute allusion à une quelconque fédération européenne, à des États-Unis d’Europe – l’idée était que le « rêve européen » se matérialiserait via la constitution d’un marché européen. Le dispositif mis en place était en fait centré sur la libre circulation des marchandises et capitaux, ainsi que sur l’harmonisation des politiques agricoles. Il se distinguait par ailleurs par le soin extrême mis à ne pas remettre en cause la souveraineté des États membres.

Ernest Mandel constatait d’ailleurs alors que « [...] Le véritable pouvoir au sein du Marché commun reste dans les mains du « conseil des ministres », sans que celui-ci puisse imposer en pratique des décisions à un quelconque gouvernement qui ne désirerait pas les appliquer ». Étant entendu que « [...] ils n’ont pas créé un État bourgeois commun, ni un gouvernement commun, ni une monnaie commune ». À l’exception de la question monétaire (on y reviendra), cette caractérisation demeure fondamentalement valable. Ainsi, il n’existe toujours pas d’État européen, même embryonnaire : l’UE reste un nain politique dépourvu de diplomatie, de forces de protection (police, armée), son budget représente à peine plus de 1 % du PIB des pays membres...

Il est vrai que depuis 1957, un certain renforcement de la CEE, puis de l’UE a eu lieu. Mais ceci s’est fait dans le strict respect de « l’Europe des nations ». De Gaulle, par exemple, veillait à la préservation jalouse des intérêts de la bourgeoisie française – par exemple ce qui restait de son empire colonial (la « Françafrique »).

La bourgeoisie britannique rejoignit la CEE en 1969 tout en s’assurant méticuleusement de pouvoir conserver son autonomie – donc sa capacité de manœuvre autonome. Et encore actuellement, on est frappé par l’effacement de Barroso, Van Rompuy & Co face à Merkel ou Sarkozy et Hollande dans la conduite des affaires européennes...

Ce morcellement politique, les peuples d’Europe le paient actuellement au prix fort. Car c’est incontestablement un facteur décisif expliquant la profondeur de la crise actuelle.

À propos de Maastricht

Les lecteurs de Tout est à nous ! savent combien ce traité, qui mit en place l’euro, la BCE et tutti quanti est critiquable – on ne s’étendra pas. Il existe par contre des faiblesses intrinsèques au dispositif fonctionnant depuis 1992 qu’il faut souligner.

La politique monétaire est traditionnellement l’un des attributs centraux d’un État, articulée à d’autres (politique budgétaire, économique...). Or si les États bourgeois de l’UE ont accepté de se défaire de cette prérogative monétaire, ils ont conservé les autres. D’où un compromis bancal et voué à prendre l’eau à la moindre bourrasque. Le TSCG est d’ailleurs censé « corriger » cette faiblesse en permettant une coordination des politiques budgétaires (en clair : appliquer l’austérité partout sans faiblir).

On sait aussi que le traité ne devait initialement englober que les pays satisfaisant à des critères dits « de convergence » – en clair, les pays d’Europe du Nord et la France. Mais Paris était peu désireux d’être vassalisé face à l’impérialisme allemand et ses alliés, bref d’accepter un rôle de puissance de seconde zone. On intrigua donc tant et plus pour permettre aux pays dits du « Club Med » (Espagne, Grèce...) d’intégrer le dispositif.

Tout le problème est qu’une politique monétaire est étroitement liée à l’économie du pays considéré. Or dans le cas européen, ces besoins étaient largement contradictoires, entre pays du Nord tournés vers l’exportation et pays du Sud dont la production était tirée par la consommation intérieure.

Dans ces conditions, depuis 1992, la politique suivie par la BCE a surtout abouti à accentuer les déséquilibres au profit des pays les plus forts. Ainsi, la Grèce a vu disparaître la quasi-totalité du peu d’industrie dont elle disposait alors que l’Allemagne regorge d’excédents commerciaux. Quant à l’Espagne, la croissance dont elle a pu bénéficier était largement factice, facilitée par des taux d’intérêts réels artificiellement bas, car déterminés au niveau européen.

Le redressement allemand

En fait, le traité de Maastricht fut adopté dans une période très particulière, dans la foulée de la réunification allemande, elle-même rendue inséparable de l’effondrement du stalinisme.

Dans ce contexte, Kohl, le chancelier d’alors, fut obligé de mobiliser d’immenses ressources pour réunifier le pays et absorber les territoires de l’Est, l’ex-RDA.

Il revint à Schröder, qui succéda à Kohl, de stabiliser la situation via un « agenda 2010 » qui s’avéra catastrophique pour la classe ouvrière allemande. « Entre 1998 et 2007, le coût salarial unitaire nominal est resté constant en Allemagne, alors qu’il a augmenté de 27 % dans le Sud et de 15 % dans l’ensemble constitué par la France et le Nord hors Allemagne. »1 On ne le répétera jamais assez : cette politique s’est avérée un véritable désastre social pour les travailleurs allemands, qui n’ont guère vu de retour en échange de ces sacrifices. Notamment, elle a abouti à un boom des délocalisations vers les pays de l’Est à bas salaire (Slovaquie, Pologne...). Parallèlement, en Allemagne, on a assisté à une croissance des emplois dans les services, souvent précaires, mal rémunérés.

Mais en ce qui nous concerne, le problème essentiel est que ce redressement allemand, en l’absence de toute planification économique à l’échelle européenne, s’est largement fait aux dépens des autres pays européens, surtout les plus affaiblis. La compétitivité renforcée des produits allemands a permis qu’ils remplacent nombre de productions locales.

Une Union Européenne à plusieurs vitesses ?

On est désormais entrés en plein dans la crise. Après la Grèce et le Portugal, l’Espagne est désormais frappée de plein fouet. Le système bancaire vacille.

Pour donner une idée de ce qui est devant de nous, indiquons que des économistes prévoient que « fin 2016, la demande intérieure serait inférieure de plus de 25 % à son niveau de 2007 en Grèce et de près de 15 % au Portugal » (2).

Selon Berlin, l’« assainissement » de la situation passe nécessairement par une austérité renforcée. Mais ça ne peut suffire à stabiliser la situation.

Dans ce contexte, Merkel a annoncé son intention de progresser dans la voie de l’Union politique de l’Europe. En fait, il ne s’agit pour Berlin que de se donner les moyens politiques de poursuivre l’offensive contre les peuples en renforçant la « légitimité » des institutions de l’UE (par exemple par l’élection du président de la Commission).

Au-delà, sous une forme ou une autre, on s’achemine vers une UE à plusieurs vitesses. Déjà, nombre de voix s’élèvent à Londres pour quitter l’UE. Quant aux pays « faibles », ceux qui ne pourront suivre les injonctions de l’impérialisme seront laissés à leur sort.

Quelle politique européenne ?

Comme on le voit, en matière d’unification européenne, de planification économique, le constat de faillite de l’Europe des capitalistes, est sans appel.

Partant de ce constat, la gauche réformiste (« antilibérale ») en arrive à préconiser un renforcement des politiques de l’UE. Ces vœux pieux ne mènent nulle part. En fait, l’absence de coordination économique européenne est la conséquence de l’incapacité des bourgeoisies d’Europe à s’unir au sein d’une fédération européenne. Dépasser cette fragmentation, discipliner les intérêts nationaux contradictoires, demanderait de recourir aux méthodes révolutionnaires mises en œuvre par Lincoln ou les bourgeoisies d’Europe au XIXe siècle.

Les bourgeoisies d’Europe savent bien qu’elles n’ont pas les moyens d’avancer dans cette voie. C’est pourtant la seule solution envisageable pour enrayer le recul du continent.

En ce sens, la perspective d’unification européenne est inséparable de celle de rupture avec le capitalisme. 

Les États-Unis d’Europe seront socialistes ou ils ne seront pas ! 
  

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