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OGM. Danger des emballements médiatiques et politiques et nécessité des exigences scientifiques


 
Les rats, les OGM et l’opération de communication

Par SYLVESTRE HUET (Libération 24 septembre 2012)
 
Un désastre pour le débat public, sa qualité, sa capacité à générer de la décision politique et démocratique. C’est, pour l’instant, le résultat majeur de l’opération de communication organisée par l’équipe du biologiste Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen. Une opération relative à son expérience d’ingestion par des rats de maïs résistant à l’herbicide Round Up de Monsanto, publiée dans la revue Food and Chemical Toxicology.

C’est, pour l’instant, son seul résultat disponible. Les commentaires conclusifs sur l’expérience elle-même et les leçons à en tirer pour la protection des populations contre un risque sanitaire sont prématurés. Qu’ils soient en faveur de la thèse finale de Gilles-Eric Séralini - il faut interdire sans attendre l’usage des plantes transgénique résistantes à cet herbicide - ou en sa défaveur. Même s’ils ont pu noter tel défaut ou telle qualité de l’expérience relatée, ils n’ont pas eu le temps d’expertiser complètement l’expérience, ses données brutes et les hypothèses biologiques qui la sous-tendent.

Si les commentateurs du contenu scientifique ont parlé trop tôt… que dire des responsables politiques ou qui ont répondu autre chose que : «Nous avons décidé de confier par la loi l’examen de ce type de risque à des agences publiques recourant à l’expertise des scientifiques de nos universités et organismes de recherche, et nous attendons leurs avis».

Il est en revanche possible de tirer de claires leçons de l’opération de communication qui visait une mauvaise information du public. Comment ? Comparons avec la science «normale», même lorsque ses résultats sont spectaculaires et controversés. Lorsqu’une équipe de physiciens travaillant au Cern est tombée sur une mesure stupéfiante d’une particule se déplaçant plus vite que la lumière, elle a écrit un article pour soumettre le problème à ses pairs. Ayant compris que l’écho médiatique serait important, les institutions scientifiques ont averti les journalistes spécialisés, afin qu’ils puissent contacter d’autres scientifiques. Le résultat fut, en général, de bonne qualité. Les articles faisaient part des critiques des physiciens sceptiques, de leurs raisons, et concluaient en avertissant que ce résultat de mesure ne serait considéré comme fiable qu’après confirmation par une expérience indépendante. La fin de l’affaire - la mesure stupéfiante résultait d’un problème mécanique subtil - démontre la justesse de la démarche.

Qu’a fait Gilles Eric Séralini ? Tout l’inverse. Il a dealé avec un seul journal. Un deal mortifère pour les impératifs déontologiques journalistiques, puisqu’il passe par une exigence : pas de contre-expertise, interdiction de montrer l’article à d’autres scientifiques et donc… pas de critiques. Le Nouvel Observateur a publié sept pages sur ce sujet avec un défaut d’enquête sidérant. Et un titre étendant à «les OGM» un résultat portant sur une seule plante transgénique et un seul transgène, sans aucune justification scientifique, voire de bon sens. Le prix à payer pour un scoop ne devant rien à une enquête et tout à une opération de communication. Déjà, des journaux et journalistes étrangers (du New Scientist à Carl Zimmer du New York Times sur son blog) protestent contre cette démarche.

Les conséquences d’un tel deal sont patentes : outre les ministres pris au piège de la réaction à chaud, la plupart des organes de presse ont, dans un premier temps emboîté le pas au Nouvel Observateur sous la pression du temps.

Des opérations de communications similaires, souligne Carl Zimmer, correspondaient à une science médiocre. Entraînant réfutations et non confirmations. Cela ne signifie pas ipso facto que l’étude réalisée par Gilles-Eric Séralini fait partie de cette catégorie. En revanche, la justification de telles méthodes par la crainte de voir le système d’expertise publique gangrené par des conflits d’intérêts ou des scientifiques malhonnêtes n’est pas acceptable. De mauvais moyens ne peuvent servir à de bonnes fins. Pour lutter contre ces dérives - qui ont existé -, il faut recourir à des méthodes connues. Elles consistent à exiger que l’expertise publique suive les critères suivants : sélection transparente des experts, publication des conflits d’intérêts possibles, composition du groupe respectant la diversité disciplinaire et de points de vue, publication des opinions minoritaires dans le rapport final, explicitation des incertitudes.

Ironie de l’affaire : le lendemain de son déclenchement, une étude de l’Inra, poursuivie sur douze ans, prouvait qu’il est possible de se passer d’herbicide pour nos grandes cultures, sans en altérer fortement les rendements, une solution radicale aux problèmes soulevés par Gilles-Eric Séralini (Libération du 22 octobre). Plus d’herbicides, plus de plantes résistantes aux herbicides… et Monsanto perd son marché.


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