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Roms. Appel :"Après l’éviction de la droite éhontée, on assiste à l’avènement d’une gauche honteuse"


Roms: la commune humanité bafouée (Mediapart)

 
Alors que Manuel Valls se rend en Roumanie, Mediapart publie cet appel – à signer en ligneconcernant la politique menée à l'égard des Roms. Les 105 premiers signataires, parmi lesquels Étienne Balibar, Luc Boltanski, Cécile Canut, Éric Fassin, Danièle Lochak, Ariane Mnouchkine, Jean-Luc Nancy, Pap Ndiaye, Gérard Noiriel et Sophie Wahnich, reprochent au gouvernement socialiste la «banalisation de la xénophobie et du racisme par l’État français».


Le nouveau gouvernement a choisi la continuité avec l’ancien: la politique d’expulsion des camps de «Roms» étrangers continue de plus belle. Aux mêmes motifs. Avec à peu près les mêmes mots, les mêmes images. Avec les mêmes présupposés et les mêmes conséquences. À commencer par l’ethnicisation de familles issues de lieux et d’histoires multiples, qui ne se reconnaissent pas nécessairement de destin commun, sauf celui auquel on les assigne: le cercle vicieux de la misère et de l’exclusion.

Cela, nous ne voulons, nous ne pouvons pas l’accepter. Il y a deux ans, il importait déjà de se dresser en opposition à la politique de stigmatisation et de persécution menée sous la houlette de Nicolas Sarkozy, dans l’esprit du discours de Grenoble, contre les Roms et les gens du voyage. C’est avec la même détermination que nous nous élevons aujourd’hui contre la politique menée aux dépens des Roms sous la responsabilité du président de la République et de son premier ministre par leur ministre de l’Intérieur.

Manuel Valls renoue en effet avec une rhétorique qui avait mené un de ses prédécesseurs à la présidence de la République, et la République au bord de l’abîme. Or combien sont-ils, ceux qu’on veut expulser? 12.000? 15.000 tout au plus? Sont-ils à ce point une menace pour l’ordre public qu’il faille impitoyablement les déloger sans solution de rechange?

Si les nouveaux responsables invoquent autant la sécurité que les anciens, ils revendiquent (à l’instar de François Hollande pendant la campagne) un juste milieu entre «fermeté» et «humanité». Mais qui peut croire que c’est pour leur bien qu’on détruit le lieu de vie de ces migrants ? En tout cas, pas les premiers intéressés. Car ils l’ont vite compris: si l’on se souciait tant de leur bien être, on ne les abandonnerait pas ensuite à leur sort, en oubliant de les reloger. Ils ne font qu’aller un peu plus loin. S’ils parviennent à se cacher, c’est au risque d’être encore plus abandonnés à eux-mêmes et privés des droits sociaux les plus élémentaires. Déplacer ainsi les gens, c’est bien sûr redoubler leur précarité, et faire obstacle à la scolarisation de leurs enfants.

Certes, Jean-Marc Ayrault préconise la concertation. Mais sur le terrain (faut-il s’en étonner?), ces engagements ne sont pas respectés. Des centaines de familles se retrouvent dans des situations inextricables. À Lyon comme à Lille ou à Marseille ou en région parisienne, le travail des associations de bénévoles a été ruiné en quelques heures. En Essonne, plusieurs expulsions de bidonvilles ont eu lieu sur arrêtés municipaux, sans solution de relogement réel. Dans de nombreux départements, trop de communes tentent de ne pas scolariser les enfants Roms.

La majorité gouvernementale croit-elle donc qu’en agitant les peurs sécuritaires, elle échappera au reproche de «laxisme»? C’est tout le contraire: dans ce domaine, elle n’ira jamais assez loin. La droite, en attendant peut-être l’extrême-droite, fera toujours mieux, c’est-à-dire pire. La gauche gouvernementale le paiera donc cher, y compris dans les urnes. En tout cas, les sondages suggèrent déjà qu’elle n’y gagne rien – pas plus qu’hier la droite au pouvoir. Seul le Front national pourra récolter les fruits de cette politique.

En outre, les concessions au populisme identitaire et sécuritaire ne feront pas avancer le pays dans sa mobilisation citoyenne face à la dictature des marchés et aux destructions d’emploi, bien au contraire. S’en prendre aux Roms ne suffira donc nullement à gagner les suffrages populaires. Cela ne peut que diviser, affaiblir là où il faut rassembler, agir. Singer la droite? C’est décidément un mauvais calcul.

Il ne suffira pas davantage de renvoyer cette réalité migratoire à son origine – en l’occurrence la Roumanie, ainsi que la Bulgarie. Comme dans de nombreux pays de l’Europe de l’Est, la violence ordinaire vis-à-vis des «Tsiganes» se poursuit et risque de s’intensifier à mesure que la situation économique se dégrade. En même temps, la légitimation par l’État français de leur caractère indésirable ne peut que renforcer ce racisme.
Surtout, plutôt que de faire peser cette migration sur les gouvernements nationaux d’origine, comme l’a fait le ministre de l’Intérieur, il faut faire valoir une responsabilité de l’Union au lieu de mettre en péril l’idéal européen en la réduisant aux politiques néolibérales sans même la caution des droits de l’homme. Bref, il faut que Viviane Reding, commissaire européenne aux Droits fondamentaux, parle haut et fort comme en 2010, et non qu’elle soit réduite au silence face à l’État français.

Nous ne ressentons pas moins d’indignation qu’alors; en revanche, notre colère est plus grande. Pourquoi changer de Président, sinon pour changer de politique? Or plus ça change, plus c’est la même chose: les Roms sont encore et toujours pris pour boucs émissaires. Au lieu de jouer à son tour sur les peurs et les ressentiments, ce gouvernement aurait pu faire le pari des valeurs démocratiques: la liberté et l’égalité, pour les Roms aussi. Nous en sommes loin. Après l’éviction de la droite éhontée, on assiste à l’avènement d’une gauche honteuse.

Aujourd’hui, nous voulons donc interpeller la majorité gouvernementale:
Rien ne vous oblige à ce choix. Il est contraire aux principes que vous revendiquez; pour autant, il n’est pas davantage dans vos intérêts. Votre responsabilité n’en est que plus grande. Nous vous tenons donc comptables aujourd’hui, comme l’histoire vous tiendra comptables demain, de cette banalisation de la xénophobie et du racisme par l’État français, au mépris des leçons du passé et des menaces qui pèsent sur l’avenir.

Pour rejoindre cet appel, on peut signer en ligne ici.

Voici la liste des premiers signataires:

1. Karim Abboub, psychanalyste
2. Benjamin Abtan, Président du Mouvement Antiraciste Européen EGAM
3. Michel Agier, directeur d'études EHESS
4. Eric Alliez, Philosophe, Université Paris 8 / Kingston University
5. Jean-Loup Amselle, anthropologue
6. Etienne Balibar, philosophe
7. Fethi Benslama, Professeur de Psychopathologie
8. Anne Emmanuelle Berger, professeure de littérature et d'études de genre, Paris 8
9. Jacques Bidet, professeur émérite à l'Université de PARIS OUEST
10. Bertrand Binoche, professeur à Paris-I
11. Luc Boltanski, directeur d'études à l'EHESS
12. Matthieu Bonduelle, président du Syndicat de la magistrature
13. Frank Burbage, Professeur de philosophie
14. Alain Brossat, Professeur de philosophie (émérite), Université Paris 8
15. Cécile Canut, linguiste, Paris Descartes
16. Alice Cherki, psychiatre, psychanalyste, essayiste
17. Ariane Chottin, psychologue
18. Nathalie Chouchan, Professeur de philosophie
19. Hélène Cixous, Ecrivain
20. Olivier Clochard, président de Migreurop
21. Michèle Cohen-Halimi, maître de conférences en philosophie à l'Université de Paris Ouest Nanterre
22. Patrice Cohen-Séat, Président d'Espaces-Marx
23. Catherine Coquio, professeure de littérature à Paris-Diderot (Paris 7)
24. Philippe Corcuff, maître de conférences à l'IEP de Lyon et membre du conseil scientifique d'Attac
25. Claude Corman, cardiologue
26. Marie Cuillerai, département de philosophie de Paris 8
27. Jean-Pierre Dacheux, docteur en philosophie
28. Françoise Dastur, Professeur honoraire des universités, Archives Husserl de Paris
29. Marianne Denicourt, comédienne
30. Ivaylo Ditchev, Professor of cultural anthropology
31. Suzanne Doppelt, auteur
32. Stéphane Douailler, Professeur de philosophie, Université Paris 8
33. Espaces Marx
34. Eric Fassin, sociologue , Paris 8
35. Michel Feher, philosophe, président de l'association cette France-là
36. Goran Fejic, analyste politique, ancien fonctionnaire international
37. Franck Fischbach, Philosophe, Univ. Nice Sophia-Antipolis
38. Geneviève Fraisse, philosophe, directrice de recherches CNRS
39. Frédéric François, linguiste
40. Marie Gaille, philosophe, chargée de recherche au CNRS
41. Patrick Gonin, Enseignant chercheur Université de Poitiers
42. Elisabeth Gauthier
43. François Gèze, éditeur
44. Lisa Ginzburg, journaliste
45. Alfredo Gomez-Muller,  Professeur Université de Tours
46. Robert Guédiguian, cinéaste
47. Serge Guichard, Association de Solidarité en Essonne aux Familles Roms.
48. Jean-Frédéric de Hasque, réalisateur – anthropologue
49. Chantal Jaquet, Philosophe, professeur à l'université Paris1-Panthéon-Sorbonne
50. Alain Joxe, ancien directeur d'études à l'EHESS, directeur du CIRPES
51. Alain Keler, Photographe
52. Françoise Kerleroux, linguiste, professeur à la retraite, Paris 10 Nanterre
53. Cécile Kovacshazy, maître de conférences en littérature comparée
54. Denis Lachaud, écrivain
55. Thomas Lacoste, cinéaste et éditeur
56. Catherine Larrère, Université Paris 1
57. Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire
58. Jean-Pierre Lefebvre, Ecole Normale Supérieure
59. Olivier Legros, MCF Université de Tours et membre Urba-Rom
60. Catherine Lévy, sociologue
61. Jean-Marc Lévy-Leblond, Professeur émérite de l'université de Nice
62. Jean-Pierre Liégeois, sociologue
63. Daniėle Lochak, universitaire, présidente honoraire du Gisti
64. Isabelle Lorand, chirurgienne, responsable Droits et liberté PCF
65. Michael Löwy,  directeur de recherches émérite au CNRS,  Paris
66. Seloua Luste Boulbina, Directrice de programme, Collège International de Philosophie
67. Charles Malamoud, Indianiste, directeur d'études honoraire, Ecole pratique des hautes Études
68. Philippe Mangeot, enseignant
69. Nicolas Martin-Granel, chercheur associé à l'ITEM (CNRS/ENS)
70. Stéphane Maugendre, président du Gisti
71. Jacques Message, Chaire supérieure de philosophie (Amiens)
72. Renée Le Mignot co-présidente du MRAP
73. Christophe Mileschi, écrivain, italianiste
74. Ariane Mnouchkine, metteuse en scène
75. Richard Moyon, Réseau Education sans frontières, RESF
76. Laurent Mucchielli, sociologue
77. Jean-Luc Nancy, philosophe
78. Pap Ndiaye, historien EHESS
79. Catherine Neveu, Directrice de recherche au CNRS
80. Gérard Noiriel, EHESS, Paris
81. Bertrand Ogilvie, professeur de philosophie, psychanalyste, université Paris 8-Saint Denis
82. Salvatore Palidda, DISFOR-UNIGE, Universita' degli Studi di Genova
83. Claude Pennetier, Directeur du Maitron, chercheur CNRS, Centre d’histoire sociale du XXe siècle
84. Germinal Pinalie, Revue Classes
85. Mathieu Potte-Bonneville, Collège International de Philosophie / ENS de Lyon
86. Jean-Luc Poueyto, anthropologue, Université de Pau et des Pays de l'Adour
87. Vincent Rafis
88. Isabelle Rèbre, cinéaste
89. Marie-Joëlle Redor, Enseignant chercheur à l'Université de Caen Basse-Normandie
90. Judith Revel, philosophe, maître de conférences, univ. paris 1 panthéon-sorbonne
91. Revue Vacarme
92. Claire Rodier, vice-présidente de Migreurop
93. Diogo Sardinha, Directeur de programme au Collège international de philosophie
94. Pierre Sauvêtre, Doctorant en science politique, chargé de cours à Sciences-Po Paris
95. Guillaume Sibertin-Blanc, Philosophe
96. James T. Siegel, anthropologue émérite, Cornell University
97. Andrée Tabouret-Keller, linguiste
98. Sébastien Thiéry, politologue
99. Louis-Georges Tin, président du CRAN
100. Michel Tort, psychanalyste
101. Transform!
102. Eleni Varikas, Professeur émérite, Université Paris 8
103. Patrick Vauday, Professeur à l'Université Paris 8
104. Patrice Vermeren, Directeur du département de philosophie, Paris 8
105. Sophie Wahnich, historienne, directrice de recherche au CNRS
  
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