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Gouvernement et Medef (et les syndicats ?) : comment insécuriser les délégués du personnel et affaiblir les droits des salariés...





Négociations sur la sécurisation de l'emploi : le gouvernement risque d'obtenir ce que la droite n'aurait même pas osé proposer lorsqu'elle était au pouvoir !

Sécurisation de l'emploi ou sécurisation de l'employeur ?

Le Monde.fr |

 
Dans le cadre des négociations entre les partenaires sociaux engagées à la demande du gouvernement, le Medef a présenté un projet d'accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l'emploi. Ce projet en cours de négociation met gravement en cause les prérogatives des représentants du personnel et les droits des salariés en matière de conditions d'emploi et conditions de licenciement. Quelques exemples suffisent à montrer l'ampleur des dégâts.


MISE EN CAUSE DU DROIT DES RELATIONS COLLECTIVES DE TRAVAIL


Tout en annonçant vouloir "renforcer l'information des salariés", le Medef propose d'encadrer les procédures d'information et consultation des représentants du personnel, en figeant le contenu des informations dues (base de données unique), en fixant des délais incompressibles et en bordant les conditions de recours des représentants du personnel à des expertises (en termes de délais comme de coûts). De leur côté, les entreprises utilisent bien les délais qu'elles souhaitent et font appel aux experts de leur choix, souvent incomparablement plus coûteux que ceux des élus. Exiger alors de ceux-ci qu'ils émettent un avis dans l'urgence au prétexte que l'employeur ne peut pas attendre davantage n'est pas loyal et ne peut qu'inciter les représentants du personnel à adopter des méthodes "jusque-boutistes".



En pratique, les entreprises mènent trop souvent une stratégie d'apparence avec pour seul objectif de se protéger en cas d'action en justice, les débats judiciaires portant immanquablement sur la distinction entre quantité et qualité de l'information. 


Non seulement le projet proposé par le Medef met en cause les prérogatives légales des représentants du personnel, mais il n'est pas conforme à l'article 8 du Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises".


En France où la cogestion n'existe pas, le seul droit dont disposent les représentants du personnel face aux choix stratégiques de l'entreprise est le droit d'être valablement consultés. Le Medef voudrait, à travers ce projet d'accord, vider ce seul droit de sa substance.


MISE EN CAUSE DU DROIT DES RELATIONS INDIVIDUELLES DE TRAVAIL


A travers les propositions de période de mobilité volontaire sécurisée, de gestion active de l'emploi et des compétences ou d'accords de maintien dans l'emploi, présentées comme ouvrant des perspectives aux salariés, le Medef tente de permettre aux employeurs d'imposer plus facilement des mobilités fonctionnelles ou géographiques aux salariés, ou des modification de leurs conditions d'emploi (rémunération, durée du travail...) sans les contraintes liées aux régimes de la modification du contrat de travail et du licenciement pour motif économique (en particulier les obligations de reclassement et d'adaptation). Ces accords priveraient le salarié du droit de contester le motif de son licenciement, tandis qu'ils exonèreraient l'entreprise de l'ensemble des obligations légales et conventionnelles qui auraient résulté d'un licenciement pour motif économique ! Les accords majoritaires relatifs au PSE visent de même à sécuriser l'employeur qui, une fois obtenue la signature d'un accord, se verrait assuré de n'avoir à faire face à aucun contentieux prud'homal, puisque les licenciements prononcés seraient "réputés avoir une cause réelle et sérieuse" !


Les propositions visant à rationaliser les procédures de contentieux judiciaire constituent la "cerise sur le gâteau". Prévoir que les irrégularités de forme ne puissent plus être assimilées à des irrégularités de fond revient purement et simplement à supprimer une jurisprudence établie depuis des années selon laquelle : "la lettre de licenciement fixe les limites du litige"


Le Medef propose aussi un plafonnement des indemnités liées au licenciement sans cause réelle et sérieuse, selon des conditions d'autant plus inacceptables qu'il ne suggère aucune distinction selon la taille de l'entreprise ou le préjudice du salarié. En réalité, il s'agit de permettre aux employeurs de licencier des salariés sans aucun motif valable, voire pour un motif discriminatoire, en connaissant d'avance leur risque financier ! Les délais de prescription et de procédure ont la même finalité.


En conclusion, si ces modifications fondamentales du Code du travail et de certaines jurisprudences, proposées par un Medef plus déterminé et décomplexé que jamais, devaient être consacrées, que ce soit par la négociation ou par la loi, le gouvernement pourrait se targuer d'avoir réussi à faire passer des mesures que la droite n'aurait même pas osé proposer lorsqu'elle était au pouvoir ! Quant aux éventuels syndicats signataires, comment pourraient-ils encore prétendre représenter les intérêts des salariés devant un tel recul du droit du travail ?


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Par Patrick Le Moal

Extrait

Ne laissons pas les patrons (dé)faire le droit du travail !


L’offensive continue, car nombre d’acteurs, notamment le Medef et la CFDT, proposent même de modifier la Constitution afin de reconnaître aux organisations patronales et syndicales un rôle de législateur en matière de droit du travail. Ils sont dans la même logique que Jacques Delors dont la formule « en finir avec le mythe de la loi à tout faire » est régulièrement reprise. Ce serait une accélération considérable du processus de déréglementation du code du travail, qui sécuriserait tous les reculs actuels.


Lors de la conférence sociale des 9 et 10 juillet, François Hollande est revenu sur cette question, en assurant que le principe de la « phase de dialogue et de concertation » doit être élevé au rang de principe constitutionnel, sans remettre en cause « la primauté de la loi et donc du législateur ». Mais si la loi se contente de valider la négociation, cela ne change rien sur le niveau qui décide du contenu des textes !

A quoi servent les débats politiques, les luttes sociales, les élections si ceux qui sont censés représenter les employeurs ont un pouvoir de décision sur la majorité de la population, celle qui travaille et vit de son travail ? Comment peut-on revenir sur ces accords, dès lors que les employeurs ont un pouvoir de veto sur les décisions ?


Le débat sur cette question est un enjeu majeur, car la quasi totalité des organisations syndicales, l’écrasante majorité des dirigeants syndicaux à tous les niveaux, jusque dans les entreprises, sont aujourd’hui impliquées dans ces négociations à froid. Nous devons partout expliquer que ce qu’ils appellent la « démocratie sociale » n’est ni démocratique, ni sociale !


Pour que les salariés décident de leur sort


Un autre effet direct ou indirect de cette évolution est l’accentuation de l’institutionnalisation, de la « technicisation » et professionnalisation des organisations syndicales, donc l’accroissement de la distance entre les négociateurs et ceux qu’ils sont censés représenter.

Les patrons et les gouvernants cherchent à avoir des interlocuteurs « responsables », à lier les mains des signataires pour avoir la paix sociale et éviter le recours à l’arme judiciaire : ceux qui ont signé ne sont pas ceux qui luttent contre l’accord ou qui l’attaquent en justice. Toutes les confédérations se sont impliquées dans les accords 35 heures et toutes ont signé des centaines d’accords mettant en place une flexibilité du travail qu’elles dénonçaient parfois auparavant – mais le silence s’est abattu dès les signatures.



Peu à peu, les négociateurs deviennent des professionnels de la négociation ; des militants devenus permanents passent plus de temps dans les séances de travail, de négociations qu’avec ceux qu’ils sont censés représenter, les salariés. Il y a ainsi dans toutes les confédérations des spécialistes, des techniciens de la négociation, comme si le succès venait de la capacité de convaincre et non du rapport de forces social. Certaines confédérations embauchent des juristes professionnels, sans aucune expérience syndicale. Des séances de négociations se déroulent avec, du côté patronal, des juristes salariés qui n’ont jamais été employeurs et, du coté des organisations syndicales, des permanents qui n’ont pas travaillé depuis fort longtemps. Il se crée entre ces personnes une sorte de connivence, qui n’a rien à voir avec les intérêts des salariés car la logique de la négociation est bien loin de leurs préoccupations. Plus les thèmes et les modalités de négociations sont complexes, plus cette tendance générale s’accentue.


Le rôle néfaste de la social-démocratie


Comme on l’a vu, ce sont les gouvernements « de gauche » qui ont fait sauter les verrous, la droite s’étant ensuite engouffrée dans l’ouverture.


Le PS défend l’idée d’une société où, comme en Allemagne, les lois prévoient le strict minimum, le reste étant négocié entre « partenaires sociaux ». Les conditions de régulation sociale passeraient ainsi par une négociation/intégration des directions syndicales, sur les conditions de libéralisation de la société.

Pour accroître la liberté de gestion des entreprises et permettre les adaptations nécessaires à la concurrence capitaliste, la social-démocratie préfère asseoir le compromis social sur les négociations entre tous les partenaires. Pour les « socialistes » actuels, il ne s’agit pas de se donner les moyens de prendre aux patrons pour améliorer la situation des salariés, mais de trouver les moyens d’adapter les structures politiques et juridiques au nouvel ordre économique mondial, marqué par la compétitivité et la nécessité d’une forte productivité, ce qui suppose la réduction du « coût de la main d’œuvre ».


La politique de la social-démocratie est facilitée par l’attitude des directions syndicales, qui attendent des retours en termes de droits syndicaux, comme si cela avait des effets sur les conditions de vie et de travail des salariés. Les directions syndicales échangent leur accord ou leur silence contre des moyens afin de maintenir leurs structures. Les grandes confédérations sont aujourd’hui toutes gagnées à cette problématique, FO depuis des décennies, la CFDT de manière caricaturale, mais aussi la CGT malgré les débats en son sein.


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