Une entrevue avec Eric, syndicaliste de Sanofi Montpellier parue fin novembre sur le site de la CGA
Les Sanofi en lutte
Instantané d’une mobilisation
Au
tournant de l'élection présidentielle de mai 2012, l'actualité sociale a
été marquée par le démarrage d'une vague de plans sociaux. Menace de
fermeture de site comme à PSA, de liquidation comme à Florange, et
annonce de plans sociaux massifs dans de nombreux groupes industriels
comme à Sanofi ou Air France. Ici et là, des salariés s'organisent
contre ces licenciements qui deviennent les symboles de l'augmentation
continue du chômage en France depuis des mois. Nous avons voulu donner
la parole à un syndicaliste du site de Montpellier de Sanofi pour
témoigner de l'état de la lutte aujourd'hui et rendre compte de sa
réalité comme de ses difficultés, dans une période où les luttes
sociales peinent encore à se développer autant que la situation
économique et sociale le nécessiterait. L'interview qui suit, réalisée
fin octobre, se veut donc une photographie à un moment donné d'un
fragment des conflits sociaux qui ont cours aujourd'hui.
CGA
: Bonjour, Éric, nous sommes sur le site de l'entreprise de Sanofi à
Montpellier, et tu es militant syndical à Sud pour Sanofi depuis un
certain nombre d'années, et également élu au Comité d'entreprise sur
l'unité de Montpellier. Les Sanofi, à Montpellier comme dans d'autres
villes, sont en lutte depuis plusieurs mois suite aux annonces d'un plan
de licenciements de l'entreprise. Pourrais-tu, dans un premier temps,
nous présenter le groupe Sanofi, ce qu'il représente en termes de
structure, de nombre de salarié-e-s, d'activités ?
Éric :
Sanofi existe depuis 1972. Cette entreprise a été créée par deux
personnes de chez Total qui voulaient rentrer dans le secteur
pharmaceutique pour se diversifier. Aujourd'hui, le groupe Sanofi
comprend des sites de recherche et développement, mais aussi de chimie,
de production, et une entité à part pour les vaccins. La fonction
support administrative est gérée par Sanofi-Aventis Groupe.
Jusqu'en
2009, l'entreprise a grossi en procédant par de nombreuses acquisitions
et fusions. Le groupe ne licenciait jamais ; il ne se séparait pas du
personnel qu'il avait racheté. En 2009, il y a eu un changement de
directeur, avec le départ de Jean-François Dehecq, l'un des fondateurs,
qui fut remplacé par monsieur Viehbacher. À ce moment-là, la direction a changé de politique.
Viehbacher
a annoncé qu'il fallait économiser deux milliards d'euros sur deux ans,
en 2009-2010. Ce qu'il a très bien réussi, en effectuant de nombreux
départs. A l'époque, il s'agissait de mesures d'âge, de départs
volontaires. En 2011, il a de nouveau attaqué, cette fois-ci avec un
plan de fermetures européen, voire plus large, puisqu'il a également
fermé Bridgewater aux États-Unis. A ce moment-là, les sites de Milan,
Budapest, ainsi qu'une usine en Espagne ont été fermés, le site de
Francfort restructuré. Toute l'Europe a été touchée, mais pas la France.
Mais
le 5 juillet, Viehbacher a annoncé qu'il s'attaquait au secteur de la
recherche en France. Dans sa présentation, il a dit vouloir se
désengager du site de Toulouse, pour respecter ses termes. Il n'a donné
aucune précision, alors que 614 salarié-e-s travaillent sur ce site. Et
sur le site de Montpellier, qui comprend un secteur recherche et un
secteur développement, il décidait de supprimer toute la partie
recherche. Sur le site de Montpellier, 250 salarié-e-s seraient
concernés, sur un effectif de 1100 aujourd'hui. À la suite
de cette annonce, à partir du mois de juillet, une mobilisation s'est
mise en place, notamment à Toulouse, où il a été décidé d'une
mobilisation hebdomadaire, « les jeudis de la colère ». Il s'est mis en
place assez rapidement la même chose sur Montpellier pour essayer de
faire de la communication vers l'extérieur, informer les gens, informer
les élus locaux, régionaux, etc. pour les sensibiliser à ce que pouvait
engendrer la fermeture d'un site entier ou, pour Montpellier, de la
partie recherche.
CGA
: Lorsque Sanofi, comme beaucoup d'autres groupes, a lancé sa politique
de restructuration, avec pour objectif de baisser le nombre d'emplois
et donc la masse salariale pour augmenter les bénéfices, tu disais qu'il
avait attaqué dans différents pays européens. Est-ce qu'il y a eu des
actions concertées des organisations syndicales à l'échelle européenne ?
Dans cette période là, comme c'était malheureusement le cas dans
beaucoup d'autres grands groupes, chacun s'est mobilisé en ordre
dispersé et chacun à son tour, ou bien il y a-t-il eu au moins des
prises de contacts, des échanges entre les différents pays pour
renforcer les liens entre les salarié-e-s ?
Éric
: A cette époque là, il n'y a pas eu d'appel intersyndical, car les
grosses organisations syndicales qui sont présentes dans les différents
pays n'ont pas fait d'appel. Il y a eu des appels locaux et quelques
arrêts de travail en solidarité, mais pas de réel mouvement pour essayer
de contrecarrer les projets de restructuration. Cela a manqué. À
Sud, nous ne sommes pas représentés dans tous les pays touchés. Lors de
la création de Sud à Sanofi, on avait contacté des syndicats allemands.
Mais ils ont une manière particulière de travailler, puisqu'ils
fonctionnent en syndicat unitaire par branche, et nous n'avons pas
poursuivi de travail en commun. En 2011, quand ils ont fait beaucoup
d'annonces de fermetures de sites, il n'y a donc pas eu de grosses
manifestations en France, mais seulement des appels de sections
syndicales sur certains sites. La mobilisation n'était pas unanime.
CGA
: Pour ce qui est de la France, dans les annonces de suppressions
d'emplois qui ont été faites cet été, les deux sites les plus impactés
sont ceux de Toulouse et de Montpellier. Pour Montpellier, puisque c'est
la partie recherche qui est touchée, est-ce que cela signifie que les
emplois supprimés ne sont que des emplois de chercheurs ou cela va
au-delà, c'est-à-dire qu'il y a des personnels administratifs associés,
du personnel technique ou ouvrier qui est également touché ? Sur
Toulouse, vu que le site en entier est menacé de fermer, tout type de
personnel est-il concerné ?
Éric
: A Toulouse, effectivement, tout type de personnel est touché, il y a
des chercheurs, des administratifs. Pour ce qui est de la fonction
support administrative, qui comprend les achats, les payes, la finance,
etc., administrativement, elle était déjà rattachée à Sanofi-Aventis
Groupe. Jusqu'à maintenant, on avait défendu les emplois sur site, donc
ils n'avaient pas été déplacés, mais juridiquement ils étaient déjà
rattachés à des sites parisiens. Le secteur informatique avait déjà été
complètement démantelé, et il ne reste qu'une trentaine de personnes,
qui étaient également déjà rattachées à Sanofi-Aventis Groupe. Pour
certains-es de ces salarié-e-s, la direction va leur proposer une
mutation sur Paris. Mais ils vont en profiter pour faire du tri dans le
personnel. Sur Montpellier, ce sont effectivement les chercheurs qui
sont touchés, ainsi que les mêmes fonctions support qu'à Toulouse. Ces
derniers auront aussi des propositions pour aller sur Paris ou sur Lyon.
Depuis
ces annonces, l'intersyndicale s'est mobilisée et reste unie pour
l'instant. On fait tout pour ça, car ce qui nous a pénalisés dans le
temps lors de grosses négociations, c'est le fait qu'un syndicat cède à
un moment donné.
CGA : Est-ce que la proposition de mutation dont vous avez parlé concerne tout le personnel ?
Éric
: Dans le projet de restructuration remis par la direction, nous
n'avons que des chiffres. On nous a uniquement transmis des
organigrammes, un avec la situation au 30 juin 2012, et l'autre avec
celle qu'ils souhaitent pour le premier janvier 2013. On voit qu'il y a
des postes qui disparaissent, mais ce n'est qu'une idée quantitative. On
n'a aucun nom, aucune fonction. On sait qu'il y a tant de cadres et
tant de techniciens, mais on ne sait pas ni lesquels ni comment. Alors
il y a beaucoup d'endroits où on a du mal à savoir qui va être touché ou
muté.
Dans certains secteurs où il n'y a
qu'une partie du personnel qui est impactée, cela permet de freiner la
mobilisation, parce que, ne sachant pas qui va être ciblé, certain-e-s
n'osent pas trop bouger. Le manque d'information sur les départs, les
mutations, est donc aussi l'une des stratégies de la direction pour
calmer la moitié du personnel qui peut espérer ne pas être concernée, et
ainsi éviter que la mobilisation ne prenne trop d'ampleur. Quand c'est
le secteur complet qui disparaît, là il n'y a pas de problème, tout le
monde se mobilise.
CGA : Quels sont les arguments que le groupe Sanofi met en avant pour justifier l'ensemble de ces suppressions d'emploi ?
Éric :
Quand on écoute la direction, c'est le manque de résultats. On ne
trouve pas, ça coûte trop cher de faire de la recherche. Tous les grands
laboratoires arrêtent de faire leur recherche en interne. Tout le monde
fait du partenariat avec les établissements publics. C'est vrai que
c'est intéressant de faire faire des recherches par l'Inserm, par le
CNRS, ça coûte beaucoup moins cher. Surtout si après c'est Sanofi qui
prend les Royalties, une fois que le médicament sera déposé. Ils ne
parlent que de baisse des coûts, des réductions de la dépense du groupe,
ce sont vraiment leurs objectifs.
Notre directeur a promis à ses actionnaires d'augmenter les dividendes de 35 à 50 % des bénéfices d'ici 2014.
Pour leur donner 15 % de plus, il faut bien qu'il fasse des économies,
et donc il supprime du personnel. Mais cette stratégie ne peut marcher
qu'un temps. Je pense que d'ici quelques années, quand il n'y aura plus
de personnel, il n'y aura plus beaucoup de bénéfices non plus. En effet,
les droits de propriété sur les médicaments durent dix ans, mais après,
ces médicaments deviennent des génériques et rapportent beaucoup moins.
CGA
: La stratégie du groupe est donc une forme d'externalisation de la
partie recherche pour augmenter les bénéfices qui peuvent être générés, à
court terme en tout cas.
Éric :
Oui, c'est bien ça. Leur volonté est d'accroître les bénéfices très
rapidement, sans s'occuper de l'avenir de la société. De toute façon,
Viehbacher n'a pas l'intention de rester vingt-cinq ans à la direction
de Sanofi, puisqu'il a déjà négocié son parachute de sortie avant son
arrivée. Il va seulement piller le capital de la société, et après, il
ira voir dans une autre ce qu'il peut récupérer. Contrairement à la
mentalité de monsieur Dehecq qui avait créé ce groupe et qui l'a fait
monter en puissance jusque dans les premières places des laboratoires
mondiaux, lui ce n'est pas du tout son objectif. L'unique chose qui
l'intéresse est d'être le premier au CAC 40, et il y est presque, juste
derrière Total. Et encore, un jour sur deux, c'est Sanofi le premier.
Mais c'est vraiment du court terme. Bientôt il va annoncer qu'il n'aura
plus rien à faire développer, puisque l'on aura supprimé la recherche.
Donc dans trois ans, il s'attaquera au développement, et puis après,
quand il n'y aura plus de recherche ni de développement, ce sera la
production qui sera attaquée. En effet, tous les produits fabriqués par
Sanofi seront des génériques, et d'autres fabriqueront moins cher que
nous. Donc les sites de chimie et les sites de production peuvent
s'attendre à subir les mêmes plans de restructuration ou de suppression
dans un avenir proche.
Je crois que les
travailleurs du groupe commencent vraiment à prendre conscience de
l'ampleur du mécanisme que la direction a mis en place. D'ici 10 ans, 15
ans, il risque de ne plus y avoir de Sanofi en France.
CGA
: Cette politique de fonctionnement des entreprises n'est pas
particulière à Sanofi, et est menée dans d'autres secteurs actuellement.
Est-ce qu'il y a des contacts avec toutes les autres entreprises qui
sont dans cette situation ? Est-ce que vous cherchez à fédérer les
luttes ?
D'autre part, tu as
parlé de l'intention que la direction avait de sous-traiter la recherche
au CNRS. A la dernière manifestation, une personne du CNRS était
intervenue pour expliquer qu'ils allaient être dans le même cas dans
quelque temps. Est-ce que vous avez des contacts avec la recherche
publique ? Il y a-t-il quelque chose qui se construit au niveau de la
lutte ?
Éric :
Sur Montpellier, avant la manif du 11 octobre, nous avons rencontré le
personnel de la recherche publique. On a distribué ensemble des tracts
appelant à cette manifestation commune dans les universités, Montpellier
1, Montpellier 2, et dans les différents établissements de recherche
publique, à l'Inserm, au CNRS, à l'INRA. Des gens de Sanofi ont
participé à la soirée-débat qu'ils organisaient sur la recherche, et à
laquelle ils nous avaient invités. Je pense qu'un travail commun est en
train de se mettre en place.
Avec les autres
sociétés, sur Montpellier, il ne me semble pas qu'on ait de contacts,
mais je ne crois pas qu'il y ait de plans sociaux très importants ici.
Par contre, à Toulouse, les Sanofi sont régulièrement soutenus lors de
leurs mobilisations par des salarié-e-s de l'aérospatial, et ceux des
quelques sociétés qui connaissent en ce moment les mêmes problèmes. Par
exemple, les Airbus ne subissent pas le Transforming, mais le Transform,
qui consiste en fait exactement dans le même type de plan.
Quand
on était à Lyon jeudi dernier, des gens d'autres laboratoires
pharmaceutiques sont venus, comme ceux de GSK. Eux aussi vont subir des
plans semblables. Car parmi les quatorze grands laboratoires existant
dans le monde, il y en a sept aujourd'hui qui suivent la même politique,
c'est-à-dire ne plus faire de recherche en interne, mais la
sous-traiter.
La lutte commence donc à se fédérer. A Solidaires, on essaie de regrouper les contacts que l'on a chez Ford, Arcelor-Mittal,
PSA, Electrolux... Comme les plans de licenciements touchent toutes les
professions, il faudrait mutualiser les informations et essayer
d'organiser une grosse manifestation nationale pour aller porter tous
ensemble des revendications au gouvernement.
Régionalement,
on a eu des vœux de la mairie de Montpellier, ceux de l'agglo, du
conseil régional, et de toutes les différentes structures politiques qui
se sont prononcées contre ce plan de licenciement. Ils nous soutiennent
moralement, mais ça ne suffit pas. On a rencontré Montebourg, mais il
change de discours à chaque fois, et maintenant déclare qu'il ne peut
plus rien faire. On a encore des rendez-vous, dont un avec le Sénat.
Mais les politiques sont gentils, ils nous reçoivent, ils nous écoutent,
ils nous laissent parler, mais il n'y a pas d'action derrière. Pour que
cela change, je crois qu'il va falloir maintenant que l'on passe à la
taille au-dessus.
CGA
: Lorsque la boîte a fait des annonces au mois de juillet sans en
donner le contenu intégral, il devait y avoir une très forte inquiétude
des salarié-e-s, au moins sur les sites de Toulouse et Montpellier.
Comment la mobilisation a démarré ? Le mouvement est-il parti
spontanément, ou bien l'intersyndicale, ou telle organisation syndicale,
a pris les devants ? Comment les sites se sont organisés ? Comment les
salarié-e-s se sont-ils/elles approprié-e-s la lutte ?
Éric
: Il faudrait que vous en discutiez avec Toulouse, car c'est de là que
le mouvement est parti. L'appel a été directement lancé par
l'intersyndicale, car, face à une annonce d'une telle ampleur, il n'y a plus de divisions entre les syndicats.
Les salarié-e-s ont immédiatement mis une grosse pression, et surtout
font preuve d'une volonté très forte de marquer les esprits par leur
slogans et leur fameux haka. Les différents slogans, les affiches, c'est
vraiment le fruit du travail et de l'imagination des salarié-e-s. Il y a
des termes et des symboles que n'oserait pas mettre une intersyndicale.
Sur
Montpellier, l'intersyndicale a démarré assez vite, mais peut-être un
peu plus timidement. Lorsque nous sommes partis manifester à Toulouse
avec deux ou trois bus, nous avons vu leur équipement, leurs carnets de
chansons, leur organisation, les stands avec des boissons, des
autocollants, tout ce qu'il fallait pour faire le guide du parfait
manifestant. Nous avons pris une très bonne leçon de manifestation, et
cela a été très formateur pour les 150 salarié-e-s de Montpellier.
Je
pense qu'il y a une grosse part des salarié-e-s qui se sentent vraiment
concerné-e-s et qui se rendent compte que les syndicats tout seuls ne
pèsent pas lourd face à une direction qui se fout du code du travail, du
droit et qui possède une armée d'avocats.
Aujourd'hui,
la direction passe au tribunal parce que le CCE a déposé un référé pour
vice de forme dans la procédure. Les dirigeants ne respectent rien, ils
essaient de passer en force. D'ailleurs, ils ne comprennent même pas
qu'on ne se laisse pas faire. Aux États-Unis, ils disent simplement,
demain, il y en a 500 de moins. La dernière fois, ils ont annoncé les
licenciements par répondeur téléphonique. Les gens ont reçu un mail,
avec un numéro qu'ils devaient appeler, et un répondeur leur disait
« vous êtes virés à telle date ».
Heureusement,
nous avons maintenant nous aussi des avocats, même si on n'en a pas
autant qu'eux. Donc en ce moment ils doivent passer au tribunal d'Evry,
et on espère au moins que le tribunal exige une nouvelle copie conforme,
pour qu'on puisse discuter sur des bases solides.
CGA
: Sur le site de Montpellier, y a-t-il des assemblées générales, des
formes de structuration permettant aux salarié-e-s impliqué-e-s dans la
lutte d'avoir des espaces pour échanger entre eux, discuter des
stratégies, des actions, et prendre des décisions collectives ?
Éric : On
leur met à disposition tous nos locaux. Quand les syndicalistes ne sont
pas là, lorsqu'il y a des manifs dans d'autres villes à Toulouse, à
Paris, à Lyon, les salarié-e-s qui restent sur place organisent des
petits mouvements à l'entrée des sites, avec des distributions aux
automobilistes de tracts et de prospectus pour les informer, ou alors
ils préparent les prochaines manifestations avec le matériel que l'on
met à disposition, des supports, des autocollants, des pancartes, des
blouses.
CGA
: Il y a donc une participation effective des salarié-e-s, mais à
l'initiative réelle des militants des organisations syndicales, au moins
sur le site de Montpellier, puisque le mouvement a pris une autre
ampleur à Toulouse. Sur le site de Montpellier, pour le moment, il n'y a
pas d'espaces comme des assemblées générales décisionnelles ou des
choses de cette nature là, en l'état de la lutte aujourd'hui ?
Éric : On
fait des assemblées décisionnelles principalement avant les mouvements.
Par exemple, quand on parle du prochain déplacement, on essaie de
recenser l'effectif pour le train ou le bus. Ensuite, une fois arrêtés
la date et le nombre de participants, c'est soumis au vote. Si les gens
sont d'accord, on commence le travail logistique. On demande aux
personnes de s'inscrire, on récupère des sous. Une petite participation
est demandée à ceux qui se déplacent et des quêtes sont faites vers ceux
qui ne peuvent pas se déplacer mais qui veulent participer
financièrement. Jusqu'à maintenant, ils sont très généreux, et leur
participation finance bien le déplacement des autres.
CGA
: Aujourd'hui, les revendications principales qui sont communes
s'expriment précisément sur le refus du plan de licenciement social ?
Qu'est-ce qui fédère les différents sites et corps de métier qui sont
concernés par le plan de licenciement aujourd'hui ?
Éric :
Toute la partie recherche demande le retrait pur et simple du plan. La
direction le présente comme un Plan de Sauvegarde de l'Emploi (PSE).
Quand on fait comme l'année dernière 8,8 milliards de bénéfices, la
sauvegarde de l'emploi par les restructurations, on peut peut-être faire
autrement. Nous ne sommes pas contre qu'ils veuillent financer les
départs à 55 ans, comme lors du premier plan de restructuration. Mais il
faut remplacer les gens qui partent, justement, avec des jeunes, cela
amènerait des innovations. De plus, il faut qu'il y ait un transfert du
savoir. La dernière fois, les gens sont partis en quinze jours ou un
mois. Aujourd'hui, on renvoie des gens en formation apprendre ce que
faisaient ceux qui sont partis il y a trois ans, parce qu'il y a des
secteurs complets qui sont partis, et que plus personne dans la société
n'est capable de faire ce qu'ils faisaient auparavant. C'est quand même
un peu triste. Donc un transfert du savoir, des départs progressifs,
avec des formations des jeunes, on n'est pas contre.
CGA
: Aujourd'hui, quelles sont les suites envisagées ? Il y a eu plusieurs
manifestations, à Toulouse, à Montpellier, la semaine dernière à Lyon,
quels sont pour vous les perspectives et les moments un peu clés dans
les semaines à venir ?
Éric : Pour le moment, on attend le résultat du référé déposé par le CCE.
CGA : Il s'agit d'une demande d'annulation du plan de sauvegarde de l'emploi présenté par le groupe ?
Éric :
Oui. Donc si le tribunal nous donne raison, ça va nous permettre de
gagner un peu de temps. On envisagera les suites en fonction de sa
décision. Il peut décider que la copie n'est pas bonne et qu'il faut la
refaire, ou décider qu'il ne peut s'agir d'un PSE, car justifier le
licenciement de 15 % de l'effectif est impossible avec les résultats
qu'ils ont aujourd'hui.
CGA
: part le fait de les mettre en justice pour les erreurs qu'ils peuvent
faire au niveau procédure, est-ce que vous pensez que la lutte de tous
les jeudis est suffisante pour faire changer d'avis la direction ? Et
est-ce que vous n'envisagez pas un durcissement de la lutte d'une
manière quelconque ?
Éric :
C'est difficile à dire à l'heure actuelle. Il y a quelques années, on
avait réussi à faire une grève pendant 10 jours consécutifs.
Actuellement, je crois qu'une mobilisation à plein temps pour l'ensemble
du personnel serait difficile à mettre en place. Même à Toulouse, on
sent qu'ils s'essoufflent.
La suite dépend
aussi des prochaines décisions et annonces de la direction. Mais pour
elle, vu la taille du groupe, on ne représente pas grand chose. Il y a
aujourd'hui plus de 100 mille personnes qui travaillent pour Sanofi dans
le monde. Quand on leur parle de 600 à Toulouse et de 200 et quelques à
Montpellier, ça leur paraît minime, et c'est d'autant plus difficile de
les faire reculer.
CGA
: Tu expliquais qu'ils s'attaquent aujourd'hui à la recherche, que
demain ce sera le développement, et après-demain la production. Est-ce
que par rapport à ça, il y a une conscience qui s'éveille dans d'autres
sites qui ne sont pas obligatoirement impactés par le plan social que
propose Sanofi aujourd'hui. Et est-ce qu'en dehors des sites directement
touchés par ce plan là, il y a des bouts ou des semblants de
mobilisation, ou au moins le soutien à la mobilisation, au moins en
France, voire à l’étranger ?
Éric :
Pour la dernière grève de jeudi dernier, effectivement, comme il y
avait eu un tract intersyndical au niveau du groupe cette fois-ci, il y a
eu des mouvements de manifestation en soutien. Il y avait deux cents
personnes à Chilly-Mazarin, qui est le siège social, et également du
monde à Vitry-Alfortville, qui est un petit site de production près de
Paris aussi.
Il y a eu des mobilisations à
Sisteron, à Aramon, qui sont des sites de chimie, et il y avait des
travailleurs de la production qui se sont également mobilisés, notamment
à Ambarès.
Je pense qu'il y a vraiment
maintenant une prise de conscience au niveau du groupe en France du
processus et des larges menaces de fermeture dans tous les secteurs. A
l'échelle européenne, c'est plus compliqué à dire, car il y a un réel
manque de transmission d'informations.
Les
salarié-e-s de Sanofi Pasteur, le secteur des vaccins, ont également eu
des annonces en septembre. Même un pôle aussi important que celui-ci
risque d'être fermé en France, parce que les coûts de production sont
moindres dans d'autres pays.
CGA
: La lutte sur les deux sites de Montpellier et Toulouse a donc aussi
servi à déclencher une prise de conscience plus large, qui a entraîné
quelques autres mouvements de mobilisation dans l'entreprise. Par
ailleurs, avez-vous réussi à informer la population de ce qui est en
train de se passer sur les différents sites ? Est-ce qu'il y a une
recherche volontaire du soutien de l'ensemble de la société ? Si oui,
avez-vous eu des réponses positives, du soutien ? Avez-vous dans vos
objectifs d'avoir plus de personnes dans vos manifestations, d'avoir un
soutien populaire ?
Éric :
On a l'impression que le message passe bien. Lors des manifs, le public
trouve ça scandaleux, au moins autant que nous sinon plus, qu'une
société qui fait des milliards de bénéfices se permette de supprimer des
emplois. Car la direction n'utilise jamais le terme de licenciement,
mais de suppressions d'emplois. On a donc le soutien de la population,
mais de là à la mobiliser, ça va être beaucoup plus difficile.
Je
crois savoir qu'il est prévu au mois de novembre une assez grosse
manifestation au niveau européen. Là il est certain qu'on y participera
et qu'on essayera de nouer des contacts avec le maximum d'autres
personnes.
En ce qui concerne le secteur
scientifique sur Montpellier, comme sur Toulouse d'ailleurs, les écoles,
les laboratoires sont solidaires avec nous et ont adressé des courriers
à la direction. L'Inserm ou le CNRS font beaucoup de partenariats avec
Sanofi, et quand on travaille sur une étude ensemble, Sanofi leur
apporte de l'argent. Si demain, il n'y a plus de recherche à
Montpellier, les établissements publics de recherche peuvent se faire du
souci, parce que ce n'est pas l'État qui va financer toute leur
recherche. Je ne connais pas toute la stratégie de la société, peut-être
qu'ils feront des partenariats à distance, mais, puisqu'ils nous
présentent le fait de vouloir supprimer Toulouse et Montpellier pour
tout regrouper sur Lyon et Paris, cela serait étonnant qu'ils financent
le CNRS ou l'Inserm à Montpellier ou à Toulouse.
CGA
: Comment les salarié-e-s vivent la rencontre avec la réalité des élus
politiques ? Tout à l'heure, tu nous disais que vous aviez vu Montebourg
quatre ou cinq fois, et que vous aviez eu quatre à cinq discours
différents. De la même façon, tu nous disais que les structures
intermédiaires où le Parti Socialiste est aux commandes
vous font des vœux et des promesses, mais qu'en même temps le
gouvernement, qui est lui-même dirigé par le Parti Socialiste, vous
tient des discours différents qui sembleraient donner un autre son de
cloche. Quelle est la perception que les organisations syndicales, et
aussi les salarié-e-s, peuvent avoir par rapport à ça ? Est-ce que les
gens sont lucides sur les façons dont les uns et les autres peuvent se
comporter, ou est-ce que il y a une telle désespérance que les gens sont
accrochés au moindre soutien, qu'il soit sincère ou pas ? Comment
abordez-vous collectivement ces questions ?
Éric : alors,
je pense qu'au début, l'intersyndicale comme les salarié-e-s fondaient
beaucoup d'espoir sur le fait qu'il y ait des soutiens politiques.
Seulement, on voit qu'il n'en découle rien, à part les portes ouvertes
pour aller où l'on veut et être très bien reçus. Les politiques sont
très gentils avec nous, mais j'ai l'impression qu’ils nous endormiront
tous. On parle, et à la fin, quand on a fini de parler, ils ferment le
dossier. Au niveau de l'intersyndicale en tout cas, on commence à le
percevoir de cette façon là, et il me semble que les salarié-e-s
également, même s'il subsiste un espoir.
Après
avoir fait la mairie de Montpellier, le Conseil régional, toutes les
structures de Montpellier, on a commencé depuis trois semaines à aller
dans les communes sur lesquelles des salarié-e-s habitent. Dans
les petites communes et village, quand on regarde le nombre de
salarié-e-s de Sanofi, ça commence à avoir un certain impact. Les
petites communes commencent donc à faire des vœux aussi, et on est
particulièrement attentifs à ce qu'il y ait un vote à l'unanimité.
CGA
: En considérant que les espoirs fondés sur l'action des politiques
sont limités, et du rapport entre ce que font et disent les politiques,
au vu aussi du fait que les recours juridiques restent assez aléatoires,
du coup vous, les salarié-e-s et/ou l'intersyndicale, où fondez-vous
votre espoir de réussite en termes de mobilisation et de revendications ?
Quelles sont les perspectives que vous vous donnez, quels sont les
objectifs ?
Éric :
La grosse inconnue va être la décision du tribunal. S'ils donnent
raison à l'intersyndicale en disant qu'il y a un vice de forme, ça nous
laissera un peu de délai. Après, je ne sais pas comment va réagir la
direction, car elle est vraiment très spéciale. Pour
l'instant, nous faisons tout pour arrêter leur procédure. Il y a un
rendez-vous le 8 novembre au Sénat. On essaie encore d'accentuer la
pression sur les politiques, de leur dire que c'est bien beau de
déclarer que le changement c'est maintenant, mais qu'il va falloir que
cela change vraiment.
Si ça ne suffit pas, on
espère qu'on arrivera à se réunir avec tous les autres groupes qui ont
les mêmes problèmes que nous, pour effectuer une démarche commune dans
le but d'influer sur les politiques et tous ceux qui les entourent. Car
même pour les politiques, les 600 ou 800 de Sanofi ne doivent pas
représenter grand chose à eux tout seuls... Chez Peugeot, Ford, ils sont
beaucoup plus nombreux.
CGA
: par rapport au tribunal, quelle que soit sa décision, cela ne fait
que repousser le problème ? Cela n'enlèvera en rien, il me semble, aux
licenciements et fermetures du groupe ?
Éric :
Notre demande est le retrait total du plan en argumentant qu'il n'est
pas justifié. Parce qu'un Plan de Sauvegarde de l'Emploi avec les
bénéfices de l'entreprise, on ne comprend même pas que cela puisse
s’appeler comme ça. Il y a eu une décision de justice sur un autre
laboratoire, où les salariés dénonçaient également la mise en place d'un
PSE alors que l'entreprise faisait des milliards de bénéfice, et la
justice leur a donné raison. La boîte n'a pas complètement perdu parce qu'entre temps, il y a toujours des suppressions de postes déguisés en départs volontaires.
Actuellement,
on avance au coup par coup. Parmi la direction, il y a des
interlocuteurs qu'on a du mal à avoir. Ou bien, quand on leur pose les
bonnes questions, ils ont l'air de ne pas comprendre. Pour les
anglophones, quand les questions sont gênantes, ils n'ont pas de
traducteurs.
Aujourd'hui, on fait tout en
douceur, mais peut-être qu'il faudra durcir un peu. Les cadres se
plaignaient au début parce qu'on avait mis des affiches un peu partout,
des slogans. Ils disaient « ce n'est pas bien, ce n'est pas normal, cela
gène des personnes ». Je leur avais répondu que ce n'était que des
Post-it ou des affiches collés sur des vitres. On a plein de chimistes
de partout, on pourrait aussi utiliser la chimie comme moyen de
revendication. Et là, cela risquerait de faire un peu plus de bruit et
de fumée.
Alors, je ne sais pas comment la
direction va agir, mais je pense que, de notre côté, nous avons encore
de la marge pour durcir. On a des stocks suffisamment importants. C'est
malheureux d'en arriver là, mais on est quelques uns à penser que si
l'on doit partir, on partira, mais ils ne garderont peut-être pas tous
les murs.
CGA
: Au delà de la décision de justice, pour les Sanofi, comme pour de
nombreux salarié-e-s qui sont dans des entreprises où il y a des Plans
de Sauvegarde de l'Emploi, terme très orwellien, l'enjeu semble
d'augmenter le rapport de force. On pressent que sont à l’œuvre les
mêmes logiques qu'il y a quelques années en arrière, quand le groupe a
démantelé d'abord tel site, puis tel autre. Le risque semble de se
mobiliser en ordre dispersé et de ne pas peser assez. Pour vous, comme
pour les autres boîtes, l'enjeu est souvent que toute la boîte se
mobilise, et non pas juste un site. Et ensuite, pour une boîte, que se
mobilisent les autres boîtes qui sont dans le même secteur. Et au-delà
du secteur, d'arriver à se mobiliser avec les autres boîtes qui
subissent les mêmes situations. Dans les syndicats, tout le monde en a
fait l'analyse et le constat. Mais ces idées deviennent-elles la base
des réflexions des salarié-e-s, ou bien l'implication dans la lutte est
trop récente pour qu'émerge cette idée d'intérêt commun de l'ensemble
des salarié-es subissant de tels plans ? De la même façon, le fait que
des salarié-e-s soient en lutte sur Montpellier depuis plusieurs mois,
modifie-t-il leur perception de la finalité du travail qu'ils font ?
Est-ce que cela les amène à s'interroger plus largement sur le
fonctionnement général de la société dans laquelle on vit, la place de
la santé publique, la place du médicament, le fait de générer du profit
sur la santé ?
Éric :
Lors des déplacements en manif, on en parle beaucoup. Les salarié-e-s
de Sanofi ont en tête les problèmes de société, comme le fait que Sanofi
reçoive des crédits impôts recherche, que la base du financement de nos
métiers, c'est le remboursement de la Sécurité Sociale, qu'on vit aux
crochets de la société. Et que, de l'autre coté, Viehbacher veut donner
toujours plus de sous qui arrivent de là à tous les actionnaires, à
l'Oréal. Et que les autres bénéfices partent dans des fonds de pension
américains.
En ce moment, avec la réduction des
budgets pour l'achat des produits avec lesquels on travaille, notre
charge de travail a diminué. Nous avons plus de temps pour échanger
entre nous, ce qui renforce la prise de conscience chez tous les
salarié-e-s. À chaque annonce, aux informations, de
fermeture d'entreprises ou de licenciements, malheureusement presque
quotidiennement, nous réagissons.
Nous avons
fait beaucoup de travail sur les nouveaux moyens de communication, que
cela soit Facebook, Twitter, et je crois que l'on est pas mal suivi. Il y
a de nombreux commentaires qui viennent. C'est intéressant de voir que
les gens sont aussi écœurés que nous. On sent de la solidarité un peu
partout, ce qui n'a pas toujours été le cas, surtout avec les
salarié-e-s de Sanofi, qui ne sont pas considérés comme les plus à
plaindre, ce qui est vrai, mais qui n'empêche pas que nos revendications
soient légitimes. Il me semble qu'un mouvement général de contestation
face aux licenciements ait l'air de prendre, et c'est ce qu'il faudrait
construire et ne rien lâcher.
Interview réalisée le 29 octobre 2012.
Actuellement, la lutte des Sanofi continue. Toute l’actualité et l’agenda des actions sont sur le site http://www.facebook.com/LesSanofi.
Illustrations NPA 34
A lire aussi
Nos dossiers Capitalisme,
Montpellier,
SANOFI,
sanofric,
Santé,Luttes