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Le délit de racolage, une vision surannée, partielle et souvent caricaturale de la prostitution



Prostitution et racolage : les risques du métier ?


Par BRUNO SPIRE Président d’Aides, CARINE FAVIER Coprésidente du Planning familial, THIERRY BRIGAUD Président de Médecins du monde

Dix ans déjà. Le 18 mars 2003, le «délit de racolage passif» était introduit par la loi pour la sécurité intérieure (LSI). Sous couvert de vouloir «protéger les personnes en situation de prostitution», considérées de façon uniforme comme des victimes, ce tour de vis répressif aura surtout accru leur vulnérabilité sanitaire, sociale et juridique. 

En introduisant une confusion sur l’illégalité de la prostitution - car, faut-il le rappeler, la prostitution n’est pas interdite en France - cette loi a produit des effets contre-productifs en termes de santé publique et de respect des droits. Plus isolés, moins accessibles aux associations de support et de prévention, les travailleurs du sexe sont depuis cette loi beaucoup plus exposés aux violences : celle des proxénètes, des réseaux, de la délinquance ordinaire, des forces de l’ordre et de certains clients. En définitive, cette loi a surtout agi comme un cache-sexe visant à dissimuler ce qu’une partie de la société se refuse à voir.

Le délit de racolage révèle d’abord une vision surannée, partielle et souvent caricaturale de la prostitution. Car, il n’y a pas une, mais des prostitutions. Comme en témoigne le rapport rendu public en décembre 2012 par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), les travailleurs du sexe ne constituent pas un groupe social homogène. Femmes, hommes, trans, hétéros, homos, migrants ou non, précaires et moins précaires, le phénomène prostitutionnel se compose d’une large diversité de profils et de conditions d’activité avec des besoins et des contraintes qui leur sont propres. Qu’y a-t-il de commun entre un «escort» en appartement à Lyon, une femme sans-papiers victime des réseaux à Limoges, une mère de famille qui se prostitue occasionnellement et un jeune gay exclu du domicile familial se retrouvant en situation de prostitution ? Face à cette réalité polymorphe soulevant de nombreux enjeux sociaux et sanitaires, la réponse publique ne peut être efficace que si elle est adaptée à la variété des situations et des vécus.

Or, si la loi n’a pas fait reculer la prostitution, elle a en revanche largement dégradé les conditions d’exercice. Acculés à l’isolement et à la clandestinité, il est de plus en plus difficile aux travailleurs du sexe de négocier des rapports protégés ou de se prémunir des viols, des agressions ou des vols. En créant l’amalgame entre travail du sexe et délinquance, cette loi a aussi accru leur vulnérabilité juridique : victimes de harcèlement policier, d’humiliations et de gardes à vue abusives, nombre d’entre eux renoncent à porter plainte lorsqu’ils subissent des violences dans le cadre de leur activité. C’est tout le paradoxe de ces politiques répressives : sous la volonté affichée de protéger les personnes, on les prive de leurs droits fondamentaux. Les conséquences sanitaires de cette loi sont d’autant plus inquiétantes qu’elles touchent souvent des populations déjà fragilisées. Le rapport de l’Igas révèle, à ce titre, un cumul des risques liés à la fois à l’activité, à l’insécurité du statut de sans-papiers, à la précarité et à la présence dans la rue : exposition aux violences, addictions, troubles mentaux, mais aussi tuberculose et infections sexuellement transmissibles comme le VIH et les hépatites. Or, en favorisant leur dépendance financière et le joug des réseaux, en réduisant leur aptitude à négocier des rapports protégés et en les éloignant des structures de prévention et de soin, on accroît les risques de contamination. C’est un danger de plus pour la santé des personnes et la santé publique.

Si ces risques sont bien réels, la capacité des individus à y faire face reste très inégale. Pour échapper aux pressions policières, les personnes en situation de prostitution sont reléguées dans des zones rendant difficile le maintien du lien avec les associations. Et sans l’intermédiaire des acteurs associatifs, certaines barrières vers le soin deviennent infranchissables. Celles de l’information et de la langue, qui empêchent une bonne connaissance de ses droits et des outils de prévention. Celle des soignants aussi parfois : jugeant les personnes et leur activité, certains soignants en viennent à refuser des soins de première urgence, comme le traitement postexposition au VIH. Car, voyez-vous, «ce sont les risques du métier».

Loin de protéger la dignité humaine ou d’affaiblir les réseaux, le prisme répressif renforce le stigma social et précarise les travailleurs du sexe. Il faut abroger le délit de racolage passif et prendre enfin en compte la parole des personnes concernées. Seule la compréhension de leurs véritables besoins permettra de leur proposer des réponses adaptées, et de leur garantir un accès aux droits les plus élémentaires. A commencer par le droit à la santé.

L'article sur le site de Libération 

Illustration : ’La Prostituée misérable’ par les frères Gao, Pékin (Jason Lee/Reuters) : 20081106Prostitution.jpg

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