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Histoire régionale : les évènements de 1907


1907, la Révolte du Midi



Ce livre apporte un éclairage qui permet de mieux comprendre les événements historiques de la crise viticole de 1907.

« 1907, la Révolte du Midi de A à Z ». Jean Sagnes et Jean-Claude Séguéla, Editions Aldacom, 2007.

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Mythes et réalité

. Les causes de la crise.
. Ses implications politiques.
. L’intérêt de l’analyse historique.

Par leur ampleur, les événements de 1907 en Languedoc-Roussillon ont marqué la mémoire collective de notre région. A un point tel que l’on a pu retenir leur caractère épique tout en oubliant certaines réalités.

L’une de ces réalités apparaît clairement dans le livre de Jean Sagnes et Jean-Claude Séguéla, « 1907, La Révolte du Midi de A à Z », paru aux éditions Aldacom : sur le plan économique, la crise viticole du début du siècle dernier était avant tout une crise de surproduction, bien plus que la conséquence de la fraude.

Par ailleurs, on ne saurait comprendre le déroulement des événements de l’époque sans prendre en compte la situation politique d’alors, auxquels ils sont étroitement liés.

L’historien Jean Sagnes et Jean-Claude Séguéla, enseignant de langues vivantes et diplômé des techniques de l’information, apportent dans leur livre des éléments précieux de compréhension de cette période historique. Cela d’une façon qui rend la lecture facile et agréable, sans pour autant que soit négligée l’analyse historique.

 

La fraude, bouc émissaire

 

Dès le début des événements, et notamment avec la création du Comité d’Argeliers, c’est la fraude qui a été mise en avant comme facteur d’explication de la crise de mévente et de chute des cours du vin. Les auteurs, rappelant le contexte, donnent un autre éclairage : la vigne, à partir des années 1850, a bénéficié du développement du transport ferroviaire, devenant une monoculture dans notre région ; cette première période de prospérité est stoppée par la crise du phylloxéra (1863-80) puis est suivie d’une deuxième période prospère, vers 1890, après la reconstitution du vignoble. Dès les années 1900 survient une chute brutale des cours du vin, en France et dans toute l’Europe. Elle est directement liée à la surproduction.
Celle-ci, chez nous, s’explique : après le phylloxéra, de nouveaux cépages ont été plantés et en particulier l’Aramon, très productif mais donnant de faibles degrés, d’où la nécessité de couper ses vins avec des vins d’Algérie. De plus, le développement des techniques modernes et l’extension de grands domaines ont joué dans le sens d’une production plus importante.

En 1907, la surproduction est nationale, mais le Midi est plus touché parce qu’il est la seule région de monoculture et parce qu’il ne produit que des vins de consommation courante.

Ignorant cette réalité, le mouvement de 1907 a pourtant attribué à la fraude les causes de la crise. Les auteurs, tout en signalant que la fraude a été l’un des facteurs de la crise, mais un facteur secondaire, précisent qu’à l’époque la production de vins artificiels était en partie licite : en 1889, la loi Griffe définit le vin naturel mais n’interdit pas la production de vin artificiel ; la loi du 6 août 1905 limite l’emploi de sucre. Ce n’est qu’après les événements de juin 1907 que la loi du 29 juin institue la déclaration de récolte et encadre strictement l’emploi du sucre. Auparavant, et donc en pleine crise, les vins artificiels (vins de marc, vins de sucre, vins de raisins secs et autres préparations) étaient donc autorisés, même si, pour certains, leur commercialisation était interdite. C’est d’ailleurs la pénurie de vin, suite à la crise phylloxérique, qui a provoqué l’expansion de ces vins artificiels. Au début du XXe siècle, le vignoble était reconstitué et la production de vins artificiels en chute libre.

Pourtant, la lutte contre la fraude a été le slogan principal du mouvement de 1907.

 

Une forte politisation

 

Si 1907 est resté dans les mémoires, c’est certainement en raison du dénouement tragique des protestations populaires, avec les six morts des 19 et 20 juin à Narbonne. Mais c’est aussi, soulignent J. Sagnes et J.-C. Séguéla, en raison de l’ampleur inouïe de la mobilisation, jusqu’à plus de 500 000 personnes le 9 juin à Montpellier : ce « mouvement de protestation » a été « particulièrement impressionnant et unique en son genre en France avant 1907 et même depuis cette date ». De fait, « aucune autre région de France n’a connu, sous la IIIe République, des rassemblements de cette importance pendant une période aussi longue ».
L’ampleur de la mobilisation est bien sûr directement liée à la gravité de la crise, qui a mis sur la paille de nombreux viticulteurs, les amenant au désespoir, et qui a eu d’immenses répercussions dans une région dont l’économie dépendait très largement de la vigne. Notons que les premières victimes de la crise sont les ouvriers agricoles, nombreux à perdre leur gagne-pain.

Mais il faut aussi souligner le rôle du contexte politique dans le déroulement des événements.

Les auteurs rappellent le contentieux entre le gouvernement républicain et l’opposition catholique et monarchiste : on se situe peu après l’affaire Dreyfus et la loi de séparation des Eglises et de l’Etat (1905). Aussi n’est-il pas surprenant que, dès sa création, le Comité d’Argeliers soit rejoint par des conservateurs puis par les socialistes, ces derniers étant aussi en opposition au gouvernement radical-socialiste.

Les mots d’ordre d’Ernest Ferroul, le maire socialiste de Narbonne (démission des maires, grève de l’impôt), joueront un rôle important dans le durcissement du mouvement et dans la réponse très autoritaire de Clémenceau, qui envoie l’armée, ce qui aura des conséquences dramatiques.

Le livre montre par ailleurs comment la vague grandissante du mouvement populaire emporte les plus lucides par rapport à la situation économique, chez les socialistes comme chez les radicaux socialistes, et les amène à soutenir l’explication de la fraude comme principale cause de la crise, ou à ne pas s’y opposer, pour ne pas se couper de leur électorat.

Notons toutefois que la population des départements du Midi n’était pas unanimement opposée au gouvernement : celui-ci comptait dans ses rangs trois députés radicaux socialistes du Midi, Gaston Doumergue (Gard), Henry Dujardin-Beaumetz (Aude) et Albert Sarraut (Aude).

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Illustration issue de l’ouvrage.

 

La dignité d’un peuple

 

Un autre grand fait marquant, dans la mémoire de 1907, est l’idée de grand mouvement identitaire régional, rassemblant d’un même bloc toutes les classes sociales.

J. Sagnes et J.-C. Séguéla soulignent le fait qu’effectivement 1907 a donné lieu, de la part de la population régionale, à l’affirmation de sa dignité. Ils apportent des nuances quant à l’unanimisme, avec les réticences du syndicalisme ouvrier à soutenir le combat des grands propriétaires. Fait révélateur, la représentation à la CGV (Confédération Générale des Vignerons, née en septembre 1907) est attribuée à chaque membre en fonction du nombre d’hectares possédés et du nombre d’hectos produits.

Par ailleurs, les auteurs notent que le mouvement est toujours resté dans le cadre national de la France, même si le thème de l’identité occitane et catalane a été énoncé par quelques intellectuels.

Autre mythe, celui du 17e régiment d’infanterie, qui aurait refusé de tirer sur la foule et aurait ensuite été durement réprimé par des condamnations au bagne ou une exposition en première ligne pendant la guerre de 14. En réalité, si d’autres soldats ont tiré sur la foule, à Narbonne, il n’a jamais été demandé au 17e de le faire. La mutinerie de ce régiment n’a pas été suivie de punitions particulièrement dures, à part le fait d’être envoyé à Gafsa (Tunisie), où il n’a pas fait l’objet d’un traitement spécial par rapport à d’autres unités.

Enfin, la personnalité de Marcellin Albert, décriée à son retour de Paris (le 23 juin), a été par la suite réhabilitée. Les auteurs parlent de lui comme d’un homme « moins naïf qu’on ne l’a dit », qui « n’avait pas la même analyse politique que ceux qui l’entouraient, qu’ils soient royalistes ou ferroulistes » et qui « se refusait à toute stratégie aventuriste ».

1907 a souvent été présenté comme le soulèvement d’une région contre un pouvoir central qui ne la prenait pas en compte, image souvent reprise par le syndicalisme viticole. La réalité est moins simple.

Cette période de notre histoire est par contre significative des problèmes économiques structurels de la viticulture régionale à partir du moment où elle rentre dans l’économie de marché. Elle est aussi un point de départ dans la mise en place de réponses à ces problèmes, en termes de gestion économique et réglementaire, avec les lois des 29/6 et 15/7 1907 puis avec le statut viticole (1931).


Le livre de J. Sagnes et J.-C. Séguéla, en permettant de mieux comprendre tout cela, est une source documentaire et d’analyse d’un grand intérêt.

Ph.C. (article paru dans le Paysan du Midi du 31/08/2007).

Le livre, réédité, est disponible en librairie et chez les marchands de presse.

Editions Aldacom, 1, rue Marcel Maury, 34500 Béziers, aldacom@msn.com , http://www.aldacom.fr

 

La surproduction

 

L’offre de vins en France (production + importations) passe de 52 Mhl (millions d’hectolitres) dans les années 1890 à 65 Mhl dix ans plus tard, la consommation taxée passant seulement de 32 Mhl à 40 Mhl. L’excédent, qui était de 20 Mhl, passe donc à 25 Mhl.

Or, l’augmentation de l’offre n’est pas due aux vins artificiels : Dans les années 1890, on a 38,8 Mhl de vin naturel, 5 Mhl de vins artificiels et 8,2 Mhl d’importation (essentiellement d’Algérie). Dans les années 1900, on passe à 56,5 Mhl de vin naturel, 3 Mhl de vins artificiels et 5,6 Mhl d’importation.

Article à retrouver sur le blog

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Paru dans Motivées, le bimestriel du NPA 34 (janvier-février 2013)

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