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Contre les bobards libéraux : La fiscalité française sur les entreprises n'est pas la plus lourde d'Europe

 
 Impôts sur les sociétés : idées fausses et vrais enjeux
 
LE MONDE |
 

En matière de fiscalité, les comparaisons internationales sont bien souvent trompeuses : elles véhiculent de nombreux clichés, surtout si elles ne tiennent pas compte des différents éléments de la réalité économique et fiscale des pays concernés (taux d'impôts, mais aussi assiette d'imposition, etc.).

L'article intitulé "La France championne européenne de la taxation des entreprises et du capital", publié dans Le Monde du 2 mai, n'échappe pas à ce travers. Procédant à une simple comparaison des taux d'imposition nominaux des sociétés, il affirme que la fiscalité sur les entreprises françaises est la plus lourde d'Europe, ce qui illustrerait l'incapacité de la France à "s'adapter à la rude concurrence fiscale".

Certes, le taux nominal de l'impôt sur les sociétés (IS) français est l'un des plus élevés de l'Union européenne, même s'il faut rappeler que les PME bénéficient d'un taux réduit de 15 %. Mais la comparaison des taux d'imposition ne signifie rien si on néglige de prendre en compte l'assiette sur laquelle s'applique ce taux, ainsi que les dérogations (les "niches fiscales").

Or il existe en France des déductions qui ne se pratiquent pas dans d'autres pays : il en va ainsi de certaines provisions, des intérêts d'emprunt ou de certains amortissements. Ces déductions réduisent l'assiette imposable et, in fine, le montant de l'IS.

NOMBREUX DISPOSITIFS DÉROGATOIRES

De même, il existe de nombreux dispositifs dérogatoires à l'IS. Le Conseil des prélèvements obligatoires a ainsi calculé qu'en matière d'IS le coût de ces dispositifs est passé de 18,5 milliards d'euros en 2005 à 66,3 milliards d'euros en 2010... à comparer au montant net de l'IS, qui devrait dépasser de peu 40 milliards d'euros en 2012.

La France se caractérise donc par une stratégie fiscale assise sur le développement d'incitations sans équivalent dans des pays comme l'Allemagne, où la baisse des taux nominaux s'est accompagnée d'un élargissement de l'assiette de l'IS. Or, cette différence reste occultée lorsque la comparaison se limite aux taux nominaux.

Au final, les écarts entre les taux effectifs d'imposition des pays sont bien inférieurs à ce que laisse supposer la comparaison des taux nominaux. La direction générale du Trésor a ainsi établi que le taux implicite d'imposition des sociétés non financières était de 27,5 % en 2007, pour un taux nominal de 33,3 %.
On peut aussi noter que les grandes entreprises, qui savent mieux jouer de l'optimisation fiscale, se trouvent moins taxées que les petites : selon le Conseil des prélèvements obligatoires (2010), le taux d'imposition moyenne des entreprises du CAC 40 n'était que de 8 %, quand celui des PME était de 22 % et celui des très petites entreprises de 28 %.

La fiscalité française sur les entreprises n'est donc pas la plus lourde. Si l'on considère le poids de l'IS rapporté au produit intérieur brut (PIB), la France n'est plus qu'au 12e rang européen, avec 2,5 % du PIB, selon une étude Eurostat d'avril 2013.

D'ailleurs, le discours sur un manque d'attractivité de la France du fait de sa fiscalité est démenti par les faits. Elle accueille près de deux fois plus d'investissements étrangers par rapport à la richesse nationale que l'Allemagne ou l'Italie. En 2012, ces investissements ont augmenté de 43,8 % par rapport à 2011, soit 58,9 milliards de dollars (45,3 milliards d'euros), alors qu'ils se sont effondrés en Allemagne, passant de 40,4 milliards à 1,3 milliard de dollars.

IDÉES FAUSSES

L'attractivité d'un pays ne se mesure pas à son taux d'imposition, mais dépend de nombreux facteurs parmi lesquels la qualité des infrastructures et des services publics et la qualification de la main-d'oeuvre.
Au-delà, c'est l'ensemble du discours sur la fiscalité, toujours réputée trop forte, qui entretient des idées fausses. Il n'y a, par exemple, aucun sens à stigmatiser les pays qui ont les plus forts taux de prélèvements obligatoires si on ne met pas en regard les services publics mis à disposition, leur qualité (santé, éducation, etc.) et le bien-être qui en découle pour la population. Ce taux reflète simplement le degré de socialisation de dépenses qui, autrement, relèveraient de la sphère privée.

Sacraliser la baisse des impôts au nom de l'adaptation à la concurrence fiscale relève de l'aveuglement. D'une part, il s'agit, par définition, d'une politique non coopérative qui aboutit à un jeu à somme nulle : si tous les pays réduisent dans le même temps leur fiscalité, l'avantage concurrentiel de cette réduction s'évanouit. D'autre part, il n'y a aucune limite à la course vers le moins-disant fiscal, si ce n'est un impôt nul, ce qui signifie la disparition de tout budget public !

La concurrence fiscale mène donc à l'abîme. Loin de ces politiques non coopératives qui minent la construction européenne, c'est au contraire la coopération qu'il faut promouvoir et c'est la concurrence fiscale qui doit disparaître par un processus d'harmonisation par le haut. Toutes les réformes fiscales de ces trente dernières années ont été, avant la crise, dans le sens d'un allégement de la fiscalité, contribuant ainsi à l'accroissement des déficits publics et de la dette.

A l'opposé, il s'agit à la fois de faire jouer à l'impôt son rôle redistributif, et d'assurer des recettes fiscales suffisantes à la puissance publique pour lui permettre de remplir la fonction qui doit être la sienne.

Alors même que l'Europe s'enfonce dans la récession précisément en raison de la poursuite des politiques menées au nom de la baisse des impôts, véritable religion mortifère, la fiscalité a un rôle déterminant à jouer notamment en matière de reconversion écologique de l'industrie et de réponse aux besoins sociaux.


 
  Vincent Drezet (Solidaires finances publiques), Jean-Marie Harribey (Economistes atterrés),  Pierre Khalfa  (Fondation Copernic) et Christiane Marty (Attac) sont coauteurs d'Un impôt juste pour une société juste (Editions Syllepse).
 
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