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Béziers. Le voyage sans frontières de Robert Ménard vers le FN ...

 
 
 Et enfin, le FN : comment Robert Ménard a glissé
 
 
Robert Ménard dans un café parisien, le 25 juin 2013 (Audrey Cerdan/Rue89).
Nolwenn Le Blevennec | Journaliste Rue89
 
Dans une autre vie, Robert Ménard se battait pour la liberté de la presse à Reporters sans frontières (RSF). Il se présente aux municipales à Béziers, avec le soutien du FN. Parcours idéologique. 
 
Dans le répertoire de son téléphone portable, la journaliste « Florence Aubenas » et le cadre FN « Louis Alliot » doivent être très proches.
Dans sa première vie, Robert Ménard a fondé Reporters sans frontières (RSF) en 1985. Il vivait dans un studio d’ado bordélique et ne construisait rien de privé, ses journées étaient entières tournées vers le travail. RSF se battait pour la liberté de la presse dans le monde. En Afrique ou ailleurs, il vivait des « moments privilégiés », forts et inoubliables, avec des collaborateurs, des artistes, des journalistes. Aucun de ses proches de l’époque ne l’a jamais entendu prononcer des idées racistes ou gênantes.
Aujourd’hui, Robert Ménard se présente aux élections municipales de 2014 à Béziers (Hérault), dans sa ville d’enfance. Il accepte le soutien du parti de Marine Le Pen. Comment le héros d’un monde médiatique de gauche s’est-il mis à comprendre si bien le FN ?
 
1. La colère 

La gauche « bien-pensante et tiède »


Le défaut de Robert Ménard, celui qui fait consensus, c’est son tempérament caractériel. A RSF, personne ne s’en plaignait vraiment parce que c’était le revers de son énergie et, de l’énergie, il en fallait pour faire de RSF une organisation incontournable. Une ancienne collaboratrice :
« Il n’arrêtait pas, il savait fédérer, il était bouillonnant d’idées. On lui pardonnait tout le reste. »
Dans les bureaux de RSF, Robert Ménard, petit homme à la tête de chouette, s’est toujours laissé aller à des colères et grognements. Il aimait beaucoup pester contre les journalistes par exemple. Rengaine quotidienne de leur médiocrité : « Celui-ci est un idiot », « celle-la devrait apprendre à lire une dépêche ».
Ménard à Béziers 
Sur ses affiches bleu ciel (qui fait penser au code couleur du FN) « Choisir Béziers », Ménard pose avec sa Légion d’honneur bien en vue. Son adversaire principal devait être Raymond Couderc, qui laissait entendre qu’il tenterait un quatrième mandat de maire UMP à Béziers. Mais fin juin, il a passé le relais à son ancien premier adjoint, le député Elie Aboud, membre de la Droite populaire et candidat anti-FN assumé. Jean-Michel Du Plaa (PS) est le leader d’une gauche qui pourrait ne pas passer le premier tour si elle part trop divisée.
Rony Brauman, essayiste et cofondateur de RSF, parti très fâché dans les années 90, pense que l’irascibilité de Ménard explique peut-être la radicalité de ses idées.
« On a les opinions politiques de son tempérament. »
Avant, beaucoup plus jeune, Robert Ménard a côtoyé l’extrême gauche. Puis, il a voté un peu dans tous les sens. Désormais, c’est vers l’extrême droite qu’il regarde – guidé entre autres par la colère. L’existence d’un ennemi commun les rapproche : la gauche, « bien-pensante » et « tiède » (les éditos de Libération l’irritent chaque matin).

Quand j’ai appelé Robert Ménard pour lui demander un rendez-vous, c’était prévisible, il a crié. Rue89 est tout ce qu’il déteste : « Vous êtes ordurier », « quelle honte », « je me contrefous de qui vous êtes », « média crapuleux », et il a raccroché. Le lendemain, il a accepté de me voir. Il aime convaincre.

Brauman pense qu’il y a aussi chez Ménard « un enthousiasme BHLien pour des personnes ou des idées ». Une façon de se jeter dans le vide sans prudence et un goût très fort pour le seul-contre-tous.
 
 Robert Ménard dans un café parisien le 25 juin 2013 (Audrey Cerdan/Rue89)
 
2. Le bon sens près de chez vous 

 « Si cela arrivait à ma fille »


Après sa campagne contre l’organisation des Jeux olympiques en Chine au printemps 2008, Ménard est devenu l’invité-chouchou des journalistes. Après son départ de RSF, en septembre 2008, rodé aux studios, il n’a d’ailleurs eu aucun problème à trouver une place à la télé et à la radio (i>Télé, RTL).

Soudainement, Ménard est invité à donner son avis sur tout. Il dévoile une manière de penser émotionnelle et empathique (recours systématique au « si cela arrivait à ma fille »).

Cette approche était bien utile quand il s’agissait de se battre pour la libération d’otages. Sur les plateaux de télé, les victimes n’ont jamais tort. Un toboggan qui l’entraîne du compassionnel vers des positions réactionnaires.

Des anciens collaborateurs de RSF ne sont pas surpris de ce côté terre à terre : Robert Ménard n’est pas un intellectuel, disent-ils, mais un « pragmatique survolté » qui ne prend pas toujours le temps de « s’extraire des sujets pour y réfléchir ».
 
« Vous qui êtes une jeune maman » 
 
Dès 2007, alors qu’il est encore à la tête de RSF, Ménard est épinglé par Rue89 à cause de cela. Il est l’objet d’un article où il est écrit qu’il légitime la torture. Quand il y repense, son corps se tend et il dit « vous êtes des salopards ».

L’histoire de ce papier : lors d’une émission sur France Culture, Ménard raconte avoir rencontré la femme de Daniel Pearl (journaliste enlevé par islamistes). Des proches des ravisseurs de son mari ont été torturés dans le cadre de l’enquête. Sur les ondes, Ménard dit :
« Je ne dirai pas qu’ils ont eu tort de le faire parce qu’elle, elle a pensé que c’était bien de le faire, qu’il fallait faire ça, qu’il fallait sauver son mari ; elle était enceinte… pour le petit qui allait naître, tout était permis. »
En me regardant, il ajoute :
« Je vous raconte tout ça, le contexte, parce que vous pouvez comprendre, vous êtes une jeune maman. »
Même façon de raisonner quand Robert Ménard parle de l’homosexualité comme d’une condition non enviable (« J’ai envie que mes enfants aient une sexualité hétérosexuelle ») ou qu’il approuve la peine de mort dans certains cas (« Je m’identifie aux victimes »).

Sa femme, Emmanuelle Duverger, juriste de formation, que j’ai rencontrée également, utilise aussi ce ressort. Elle dit que c’est « comme cela » que « les Français » pensent.

3. La liberté d’expression poussée à l’extrême 
 
« Vive Le Pen »


Robert Ménard pense que la France est engluée dans le politiquement correct. Les médias ne font aucune place aux idées marginales (complotistes, racistes, révisionnistes) à s’exprimer, elles sont circonscrites sur des sites et blogs obscurs. Il a écrit avec sa femme plusieurs livres à ce sujet, le premier en 2003 titré « La Censure des bien-pensants » (Ed. Albin Michel).

La France a aussi voté des lois mémorielles, notamment la loi Gayssot, qui rend l’expression des idées révisionnistes pénalement répréhensible. Robert Ménard est contre cette loi, il pense qu’on doit combattre les idées en débattant. Jean-Claude Gayssot, c’est drôle, est un ancien député communiste de Béziers.
C’est le journaliste Claude Moisy, ancien de l’Agence France presse (AFP) et de RSF, qui a beaucoup influencé le couple Ménard sur l’idée d’une « approche américaine de la liberté d’expression ». Robert Ménard ne cesse d’en faire l’éloge.

Position banale qui pourrait être entendue sans douleur. Pourtant, en 2003, quand Robert Ménard parle sur France 2 des victimes de la Shoah avec Arno Klarsfeld, l’incompréhension est totale entre les deux hommes. L’avocat, dont la nervosité est à son comble, finit par lui jeter un verre d’eau à la figure.

Ménard et Klarsfeld sur France 2, en 2003 (cliquer ici pour voir la vidéo)
 
Plus tard, en 2010, « par souci de cohérence », Robert Ménard a signé, aux côtés de plusieurs révisionnistes, une pétition qui appelait à la libération du prof néo-nazi Vincent Reynouard. Il a aussi publiquement soutenu Dieudonné.

Le sujet tient à cœur à Emmanuelle Duverger. Elle me promet « sur la tête de ses enfants » que son mari n’est pas antisémite.
« L’émission a été coupée et montée. Cela me tord les tripes de vous entendre dire ça. Notre avocat, c’est William Goldnadel, il aurait le moindre soupçon d’antisémitisme, il ne travaillerait pas avec nous... La liberté des gens, c’est le combat de notre vie. »
Plus tard dans la conversation, elle explique que « les minorités visibles, les juifs et les franc-maçons » bénéficient de « protection », contrairement à Ménard « qui lui est tout seul ».
 
Le lancement de Boulevard Voltaire 
 
Quand Robert Ménard est redevenu journaliste, ce jusqu’au-boutisme de la liberté d’expression a posé de nombreux problèmes (il a invité l’historien monarchiste Bernard Lugan, cela n’a pas plu). Il a aussi donné l’impression de toujours laisser la parole au même camp.

Dans son livre « Vive Le Pen ! » (Ed. Mordicus), publié en 2011, Ménard assume l’orientation prise par son combat pour la liberté d’expression :
« Défendre la liberté d’expression, aujourd’hui, revient fatalement à défendre celle de la droite extrême et de tous ceux qui y sont assimilés. Pour les autres, pas de problème. »
En novembre dernier, il est allé encore plus loin : lui et sa femme ont lancé le site Boulevard Voltaire (Ménard revendique 500 000 visiteurs uniques par mois) où les articles ou tribunes d’extrême droite prolifèrent.
On y trouve, par exemple, des articles de Christine Tassin qui appelle à tirer sur les musulmans qui refuseraient de se rendre invisibles.

4. Emmanuelle et le catholicisme 
 
« Elle l’a décomplexé »


Robert Ménard a « évolué » ces dernières années, il n’est plus le même que celui qui était à la tête de RSF :
« J’étais plus libéral plus jeune, on évolue avec le temps et les rencontres. »
Un ancien ami dit que la rencontre de sa femme, en 2000, lors d’une mission au Mali, l’a changé :
« Elle l’a décomplexé sur pas mal de sujets. »
« Une grande femme, une belle fille », décrit Ménard qui se dit « très amoureux ».

A son contact, Ménard s’est « recatholicisé ». Emmanuelle Duverger, 44 ans, est catholique pratiquante, ancienne de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (Fidh). Elle a grandi à Lille, dans une famille plutôt à droite. Duverger dit que leur fille, qui étudie dans une école catholique privée, a aussi joué un rôle dans ce rapprochement avec Dieu.
« Quand elle a dû se préparer à sa première communion, nous avons décidé de l’accompagner et de retourner à la messe régulièrement. »
Il est contre le mariage gay, qui relève du « caprice » 
 
Ménard ne se prononce pas sur les questions de l’euthanasie et de l’avortement, « trop compliquées ». Mais il est contre le mariage gay qui « fragilise » la famille et qui relève du « caprice ».

Par ailleurs, Emmanuelle Duverger ne sait pas qui a influencé l’autre, mais elle dit que le couple a évolué sur la question de l’islam, « c’est peut-être moi ». Robert Ménard admet avoir changé d’avis sur le port du voile : il était contre l’interdiction du foulard à l’école, ce n’est plus le cas.
« Le voile est un problème par sa présence massive. Mais je combats l’idée que l’islam serait ontologiquement un problème, c’est une monstruosité. »
Emmanuelle Duverger nous explique que le couple a quand même entamé « une phase de réflexion » sur le danger d’un islam conquérant, agressif.

Sur Boulevard Voltaire, elle s’inquiète du « chantage » des musulmans. Elle et Robert Ménard y réfléchissent beaucoup, dit-elle, et ils écoutent pour se faire une idée « des intellectuels comme Renaud Camus ou Michèle Tribalat ».

 Robert Ménard dans un café parisien le 25 juin 2013 (Audrey Cerdan/Rue89)

5. Changement de fréquentation 
 
Conférencier de l’extrême droite


Renaud Camus, le couple Ménard l’a vu il y a quelques jours... Au fur et à mesure, ces dernières années, Robert Ménard et sa femme se sont coupés de quasiment tous les intellectuels et journalistes de gauche qu’ils côtoyaient.

Plutôt que d’acter des désaccords avec ce milieu, il le rejette dans son ensemble. Seule la journaliste Florence Aubenas, pour qui il s’est débattu lorsqu’elle était otage en Irak, reste une amie précieuse. « Cela dépasse la politique. »

A l’inverse, les milieux de droite et d’extrême droite prennent de plus en plus de place dans leur vie. Les journalistes (de Valeurs actuelles) et des intellectuels (comme le magistrat à la retraite Philippe Bilger) flattent la pensée et le courage du couple Ménard.

Les origines de Ménard, pied-noir avec un père ancien de l’Organisation armée secrète (OAS) séduisent évidemment la droite de la droite.

Plus récemment, Robert Ménard a accepté de faire des conférences chez les identitaires de Lyon, Serge Ayoub, les royalistes du Cercle de Flore, les partisans de l’ancien mégrétiste Jean-Yves Le Gallou... Il assure penser « pis que pendre » de ces gens, mais le ton de l’exposé est complice. Il a aussi pris la présidence du comité de soutien des identitaires qui ont occupé la mosquée de Poitiers.

6. Et enfin, le FN 
 
Deal


Avec le FN, les contacts sont aussi de plus en plus courtois. Guillaume Vouzellaud, figure locale du FN à Béziers, explique que s’il n’avait pas fait un « burn-out », lui et Ménard y seraient allés ensemble, un deal avait été passé. Robert Ménard valide une grande partie de leur programme (la préférence nationale aussi), seul « le programme économique » lui pose problème.

Le jour où le FN reviendra sur la sortie de l’euro, il est possible que Ménard bascule dans le Rassemblement bleu marine. Dans ce cas, il est probable qu’il l’assumera pleinement. L’ancien patron de RSF n’a pas peur de l’isolement que cela pourrait provoquer.

Depuis dix ans, il se sent fort :
« Emmanuelle me donne de l’assurance. Quelque chose de fort qui est là et qui ne bouge pas. Personne n’est à l’abri de trouver quelqu’un qui transforme sa vie. »
 L'article sur le site de Rue 89

A lire aussi
 

  La candidature de Robert Ménard, appuyée par le FN, sur Béziers mérite une attention particulière en ce qu'elle met en évidence la capacité qu'a ce parti actuellement (voir l'élection de Villeneuve-sur-Lot) à ratisser plus largement qu'avant les frustrations et autres mécontentements suscités par les politiques antipopulaires qui se succèdent au gouvernement. Cette candidature fait aussi apparaître des positionnements discutables, et donc à discuter, sur la gauche du PS. Un texte Ménard saute sur Béziers, la gauche de la gauche perd les pédales ! d'un camarade du NPA 34 veut contribuer à cette discussion pour qu'émerge une politique réellement alternative au libéralisme, qu'il soit de gauche ou de droite, afin d'être en situation de combattre le plus efficacement possible l'extrême droite et la droite. On trouvera ce texte dans notre rubrique Les débats nécessaires. Bonne lecture et, n'oubliez pas, nous mettrons en ligne toute réaction à ce texte. 
 
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