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Féminisme. Antoinette Fouque est morte, les éloges fleurissent à profusion...


 ...mais comment oublier qu'elle déposa la ... marque commerciale "MLF"?




«Merci ! Merci !», tweetent les unes après les autres, les ministres femmes qui semblent dire qu’elles lui doivent leurs postes dans le gouvernement socialiste. Et même Valérie Trierweiller qui nous confie, dans un tweet aussi, qu’Antoinette Fouque est, pour elle, un «modèle d’indépendance pour nous toutes». Et vice-versa ?

L’histoire n’est pas aussi rose que «La belle et grande voix du féminisme» que salue Najat Vallaut-Belkacem, qui n’imagine pas, bien sûr, que Fouque détestait le mot «féminisme». Encore sur France Info, dans sa dernière interview en février, elle voyait dans le féminisme «la servitude volontaire que font certaines pour s’adapter au journal Elle ou à d’autres». Féminisme , Beauvoir... aux poubelles de l’histoire vue par Fouque.


En France, on n’a pas eu de chance. On avait un mouvement joyeux, bordélique, excessif, multiple, périssable et impérissable, un mouvement, et non une organisation politique, ou un parti, et surtout pas une marque privée, «MLF», qui fut un jour déposée légalement, dans le secret, par Antoinette Fouque et ses deux amies, pour leur usage politique et commercial. Une «captation d’héritage», c’était bien ça.

Quarante-quatre ans après qu’une dizaine de copines – sans elle - a fait l’acte fondateur de mettre une gerbe de fleurs sous l’Arc de Triomphe à la mémoire de «la femme encore plus inconnue du soldat inconnu», la vie d’Antoinette Fouque est une success-story : elle s’est construit sa propre légende.

Au commencement, donc, dans la vague de mai 68 et inspiré par le Women’s Lib américain, les Françaises ont, elles-aussi, voulu parler de leur libération. Et ce fut l’année 1970, appelée assez maladroitement si l’on y pense, «Année zéro du mouvement de libération des femmes». Rappelons que nous étions filles et petites filles naturelles de celle qui fut, elle, la véritable inspiratrice de l’émancipation des femmes, en France, et dans le monde : Simone de Beauvoir, qui avait déjà écrit Le Deuxième Sexe en 1949...

A lire aussi : MLF : 1970, année zéro

Antoinette Fouque, enseignante devenue psychanalyste, entreprend sa marche vers le pouvoir en créant son propre groupe «Psychanalyse et Politique». Moderne, elle comprend la force du transfert freudien et n’hésite pas à prendre en analyse les jeunes militantes qui la rejoignent. Parmi elles, Sylvina Boissonnas, héritière d’une grosse fortune. Antoinette Fouque vivra dorénavant comme une milliardaire, de l’hotel particulier du VIe arrondissement aux magnifiques demeures en France et aux Etats-Unis, elle pourra financer sa maison d'éditions des Femmes et ses librairies Des femmes.

De drames en psychodrames, le MLF, devenue propriété commerciale estampillée Fouque, se réduira à une petite secte mais le sigle et les éditions serviront à l’ascension sociale et politique de la cheftaine dont nous racontions déjà le culte hystérique de la personnalité, dans un article de Libération («Visite au mausolée du MLF», 9 mars 1983 !) : «Sortant de cette exposition sur l’histoire du MLF on a l’impression d’avoir fait un court voyage dans la Corée du Nord de Kim Il-sung.»
Antoinette Fouque fera une carrière politique en se faisant élire députée européenne sur la liste de Bernard Tapie sans qu’on voie très bien le lien entre cet homme d’affaires et l’émancipation des femmes. Elle deviendra ainsi vice-présidente de la commission des femmes à Strasbourg. Elle conseille les ministres spécialisées ès-femmes, elle parle partout au nom du MLF.

Et maintenant, si on écoute les hommages qui répètent «A Antoinette Fouque, les Françaises reconnaissantes», on risquerait d’en oublier la vraie histoire, le courageux «Manifeste des 343 salopes» - du «star-system» dira une méprisante Fouque - la loi Veil sur l’avortement, les formidables travaux d’historiennes telles que Michelle Perrot, qui vient d’avoir le prix Simone de Beauvoir, justement. Et toutes les lois sur la parité et l’égalité. Un oubli passager.

Annette LÉVY-WILLARD

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Extrait
Le mouvement féministe de la première vague [fin du XIXème siècle-première moitié du XXème siècle] insiste avant tout sur la dimension politique des revendications féministes, à savoir les droits civiques. La femme doit être l’égale de l’homme. Le sexe de référence reste le sexe masculin. Ce féminisme est qualifié de libéral-égalitariste ou universaliste. Ce courant d’analyse perdure par exemple actuellement dans les ouvrages d’Elisabeth Badinter.

Le mouvement féministe de la deuxième vague [émerge en France dans le sillage de l’ouvrage de Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe (publié en 1949), et provient du mouvement féministe américain – le Womans Lib - (lui-même influencé par le mouvement noir américain), de Mai 68, et plus généralement de transformations sociales profondes concernant tant l’accès des femmes au travail que la contraception (loi Neuwirth sur la contraception de 1967)] Au sein du MLF il est divisé en trois tendances principales. Le féminisme « lutte des classes », qui constitue l’une d’elles, est issu du marxisme. Il y a un féminisme marxiste qui trouve sa source d’inspiration dans l’ouvrage d’Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat. Selon ce dernier, l’inégalité sociale entre hommes et femmes prend son origine dans l’avènement de la propriété privée. Les femmes ne doivent donc pas lutter prioritairement pour leur émancipation, mais pour celle du prolétariat dans son ensemble. Une fois la révolution réalisée, les femmes également seront de fait libérées. 

Le second courant théorique qui travers le féminisme des années 1970 est le féminisme radical et, en particulier, radical matérialiste. Pour les féministes radicales, les femmes doivent chercher à lutter et à s’allier principalement entre femmes, qu’elles soient bourgeoises ou ouvrières, plutôt que sur la base d’une classe économique où elles se retrouveraient avec des hommes qui ne tiendraient pas compte de leurs problèmes spécifiques. Les féministes radicales matérialistes considèrent plus particulièrement que les femmes sont victimes d’une exploitation de leur travail dans les tâches ménagères et l’éducation des enfants : ce sont des tâches qu’elles effectuent gratuitement. Parmi les théoriciennes de ce courant, on peut citer Christine Delphy.

Le troisième courant est aussi un courant féministe radical, mais différentialiste. Ce courant insiste sur la différence naturelle qui existerait entre les hommes et les femmes. Pour ces féministes, les femmes doivent revendiquer la reconnaissance de leur spécificité. Ce courant est porté en particulier dans les années 1970 par Antoinette Fouque sous le nom de Psychanalyse et politique (abrégé: psyché-po). Dans les années 1980, ce courant, influencé par la psychanalyse et le travail de Jacques Derrida, devient dominant aussi bien en France qu’aux Etats-Unis sous le nom de French feminism. Des personnalités telles que Julia Kristeva, Helene Cixous ou Sylviane Agazinski peuvent, dans des registres différents, y être rattachées. 

C’est contre le différentialisme de la French feminism qu’un courant théorique qui a eu une importance non négligeable sur la troisième vague (actuelle) du féminisme se constitue à la fin des années 1980. Il s’agit de la théorie queer. Sa représentante la plus connue est Judith Butler dont l’ouvrage Trouble dans le genre est publié aux Etats Unis en 1990. La théorie queer critique la thèse de l’identité féminine du courant différentialiste. En distinguant le sexe biologique et le genre, construction sociale, les théoriciennes du queer défendent la thèse selon laquelle les identités ne sont pas naturelles, mais sont des constructions sociales qui peuvent être déconstruites par les individus, en les jouant dans des « performances ». D’où l’importance dans la théorie queer de la figure du travestissement : l’identité biologique et l’identité sociale d’un individu peuvent ne pas coïncider. Certaines femmes sont considérées comme masculines, certains hommes comme efféminés, certaines personnes sont homosexuelles ou bisexuelles. Les identités de femmes ou d’hommes sont plus complexes dans les faits que ce qu’entendent nous imposer les normes sociales.  

Il est possible d’ajouter à cette présentation deux autres courants théoriques du féminisme qui ont un certain poids actuellement :  

Dans les pays du Sud, autour de luttes de femmes qui résistent à la destruction par des multinationales de leur environnement naturel et traditionnel, condition de subsistance de leurs tribus, se développent des discours éco-féministes portés entre autres par la physicienne indienne Vandana Shiva. Les femmes seraient plus proches des techniques traditionnelles et d’une relation plus authentique à leur environnement naturel ; ce qui expliquerait un lien quasiment intrinsèque entre luttes féministes et luttes écologistes. 

Un autre courant théorique issu des milieux afro-américains s’intéresse plus particulièrement au lien entre féminisme et minorités ethniques dans les sociétés occidentales. Ces théories de l’intersectionnalité, dont la philosophe Elsa Dorlin est l’une des introductrices en France, traitent par exemple de la manière dont la question du féminisme se pose pour une jeune fille issue de l’immigration maghrébine. Cette dernière ne souhaite peut-être pas être sommée de choisir entre des convictions féministes et sa croyance musulmane : elle peut en effet se revendiquer féministe musulmane voilée sans considérer cela comme contradictoire.

 Mais après les grands mouvements de lutte des femmes des années 1970 et les conquêtes politiques et sociales des  féministes, peut-on considérer que « le plus gros a été acquis » et que le mouvement féministe n’est plus qu’une survivance archaïque ? Le succès de la théorie queer ne montre-t-il pas que les revendications féministes sont dépassées et que la question essentielle est désormais celle des identités sexuelles ?

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