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Islamophobie. Un mot désormais repris par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)


 "Le mot laïcité est devenu « un mot valise », […] qui s’identifie de plus en plus à l’hostilité au seul islam"

 

Extraits. Hasard du calendrier, le rapport produit cette année par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Année 2013, a été remis le jour où le nouveau premier ministre Manuel Valls prenait ses fonctions (le texte intégral est téléchargeable sur Médiapart). Celui-là même qui a tenu des propos indignes sur les Roms (« Pour Valls, “les Roms ont vocation à rentrer en Roumanie ou en Bulgarie” », Libération, 24 septembre 2013). 

Le rapport note d’ailleurs les propos de personnalités politiques qui ont pris part aux attaques contre les Roms et n’ont « guère arrangé les choses », dont Christian Estrosi, Eric Ciotti, Nathalie Kosciusko-Morizet, et… Manuel Valls qui déclarait, le 24 septembre 2013, que « les Roms sont des populations qui ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation ». […]

La nouveauté essentielle de ce rapport, soulignée dans l’introduction, est le fait que, pour la première fois et après un large débat interne, la CNCDH a décidé d’adopter le terme d’islamophobie. Celui-ci est entré au Petit Robert comme au Larousse, il a été adopté dès 1998 par la Commission des droits de l’homme des Nations unies et par l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes de Vienne, mais il continue à susciter des réticences parmi les partis politiques et au sein des institutions françaises. Certes, précise le texte, il s’agit d’une « terminologie imparfaite », susceptible de critiques (peut-on vraiment parler de phobie ? ne risque-t-on pas de voir le terme instrumentalisé par tous ceux qui refusent la critique de l’islam comme religion ?) — reproche qui peut aussi viser le terme d’antisémitisme, le mot « sémite » ayant pratiquement disparu, et qui pourtant recouvre une réalité. Par ailleurs, les autres termes proposés (racisme antimusulmans ou musulmanophobie) sont encore plus contestables.

« Le racisme, notent les rapporteurs, a subi un profond changement de paradigme dans les années post-coloniales, avec un glissement d’un racisme biologique vers un racisme culturel. Se cachant derrière ce nouvel habillage, le terme d’“islamophobie” a été utilisé par les groupes politiques pour fédérer un électorat plus large et revendiquer la détestation de la religion musulmane et du musulman. Plus inquiétant encore, une certaine frange radicale franchit le pas du discours aux actes. »

Et, de ce point de vue, le bilan dressé par le rapport sur les violences racistes est accablant. Alors que, de manière globale, ces actes sont en nette diminution (de 1 542 à 1 274 par an, soit une baisse de près de 20 points), de même que les actes antisémites (31 % de moins), les actes antimusulmans progressent pour la troisième année consécutive : ils ont augmenté de 11,3 % en 2013, après avoir s’être accrus de 30 % en 2011 et 28 % en 2012.

Dans ces conditions, le terme islamophobie « présente de nombreux atouts dans la perspective de la lutte contre les discriminations. Le terme présente un fort potentiel évocateur, il est incisif et clair. La puissance du mot rend visible un phénomène grave. (…) Si cette terminologie a investi progressivement et de manière importante le langage courant et institutionnel, c’est bien pour reconnaître l’acuité de cette hostilité grandissante et fortement ressentie, construisant un “problème musulman” en France ». (…) […]

« La CNCDH est d’avis qu’il convient de nommer ce que l’on dénonce et souhaite combattre. C’est pourquoi, sans pour autant faire fi des impropriétés sémantiques ni occulter les risques d’instrumentalisation, elle a pris pour parti de désigner par le terme “islamophobie” ce phénomène rampant, dangereux, qui menace le “vivre ensemble” et appelle à toutes les vigilances. » […]

En fait, depuis plusieurs années, les rapports soulignent la montée d’une islamophobie de gauche : électeurs du Front de gauche, ou même des Verts qui, tout en étant ouverts envers l’immigration et favorables au droit de vote des immigrés, souffrent d’une véritable phobie concernant l’islam, souvent au nom d’une laïcité mal comprise et qui n’a rien à voir avec la laïcité des fondateurs, celle d’Aristide Briand et de Jean Jaurès (Lire « Oui à Briand et Jaurès, non à Guéant et à Valls (I) »).

Comme le note le rapport de la CNCDH, le mot laïcité est devenu « un mot valise », qui recouvre des réalités différentes, mais qui s’identifie de plus en plus à l’hostilité au seul islam. Il est important de rappeler, par exemple, que si l’égalité entre hommes et femmes est un principe de la République qu’il faut mettre en œuvre, il n’a rien à voir avec la laïcité : la laïcité de la IIIe, de la IVe et de la Ve République s’est longtemps accommodée de l’absence de droit de vote des femmes, de leur statut de mineures, et, encore aujourd’hui, des nombreuses inégalités. La laïcité définit les rapports entre les Eglises et l’Etat, et rien d’autre.

La différence fondamentale entre le racisme et l’islamophobie, c’est que la seconde peut être brandie par des personnes de gauche qui se croient à l’abri de l’accusation de racisme. Mais le racisme culturel est devenu, dans notre société, à l’égard des musulmans (mais aussi des Roms), le racisme dominant. […]

Quoi qu’il en soit, les musulmans, qu’ils soient relativement « intégrés » socialement comme ceux-là, qu’ils appartiennent à une classe ouvrière paupérisée ou qu’ils soient des « jeunes de banlieue », posent un défi à la gauche française, qu’elle semble bien incapable de relever. L’échec du Parti communiste à Bagnolet offre à cet égard un enseignement intéressant (lire Aya Ramadan, « Bobigny 2014 : quand les Arabes et les Noirs font campagne pour la droite blanche », 2 avril 2014).


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NPA 34, NPA

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