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Yves Rouquette... Ives Roqueta... Un poète, une langue, une culture, une région...


"Ives se n’es anat e nos manca ja"*
 
  Yves Rouquette, chantre de la culture occitane, est mort dimanche 4 janvier à l'âge de 78 ans à son domicile de Camarès, dans l'Aveyron, a annoncé lundi son entourage.

Né en 1936 à Sète, Yves Rouquette, qui exerça longtemps son métier de professeur de français à Béziers, s'est imposé au fil de ses écrits et de son action comme une figure incontournable de la défense et de la promotion de la langue occitane. Il fonda ainsi la revue Viure (1965-1973) et fut un des principaux animateurs du mouvement « Volèm viure al païs » (« nous voulons vivre au pays »), mouvement autonomiste et socialiste.

Il fut également à l'origine de la maison de disques Ventadorn (1969) consacrée à la chanson occitane, ainsi que du Centre international de documentation occitane (1974), devenu aujourd'hui le Centre interrégional de développement de l'occitan, installé à Béziers. Cliquer ici

* Yves s'en est allé et il nous manque déjà 

Sur L'Hérault du jour : Yves Rouquette, une parole universelle

Ecouter Yves Rouquette disant un extrait de son premier recueil publié en 1958. 

L'escriveire Public

Quand aurai tot perdut

mon lassitge ma lenga e lo gost de luchar

me virarai encara un còp cap a vosautres

òmes mieus

carretièrs jornalièrs pastres varlets de bòria

caratges doblidats esperduts renegats

òmes dels vilatges esconduts

dins un temps que vòl pas

que pòt pas espelir

e traparai dins vòstre agach

dins lo quichar de vòstras mans

dins vòstres crits mandats de lònga

de fons a cima de la tèrra

e que degun pòt far calar

una rason de creire encara

Tornarai èsser per vosautres

abitants grèus e maladrechs

d’un país de la votz d’enfança e de tèrra

lo mainatge qu’ai pas quitat d’èsser

un enfant de la vila en cèrca de l’amor

del pibol plegadís coma un cant de pelhaire

trevant los nauts pelencs de la vòstra mementa

d’òmes que sabon tot sens aver ren legit

que lo libre del temps que fai


Quilharai una taula

còntra lo vam dels sèrres

e me farai per vosautres

escriveire public. 

Traduction : 

L'écrivain public 

 Quand j'aurai tout perdu
mes souvenirs ma langue et le goût de la lutte
J'irai à nouveau vers vous tous
hommes miens
charretiers journaliers bergers valets de ferme
visages oubliés éperdus reniés
dans un temps qui ne veut
ni ne peut éclore
et je trouverai dans vos yeux
dans vos mains que je presserai
dans vos cris jetés sans fin
d'un bout à l'autre de la terre
et que rien ne peut faire cesser
une raison de croire encore

Je serai à nouveau pour vous

habitants lourds et maladroits
d'un pays à la voix d'enfance et de terre
le petit enfant que je n'ai jamais cessé d'être
un enfant de la ville en quête de l'amour
du peuplier flexible comme une chanson de laboureur
hantant les hauts-plateaux de votre mémoire
d'hommes qui savent tout sans avoir rien lu d'autre
que le livre du temps qu'il fait (fin de l'extrait sonore)


Je dresserai ma table
contre la ruée des collines
et je me ferai pour vous
écrivain public

Tiré d'ici

L'oeuvre d'Yves Rouquette

Extrait de  Yves Rouquette « La faim, seule », un choix de poèmes, 50 ans de poésie occitane

[Il s'agit] , non de poésie paysanne, mais de « poésie élémentaire ». Elle en a en effet la force, l’impudeur, parfois la violence et puise sans pathos à tous les thèmes fondamentaux de la condition humaine et de la vie tout court. Yves Rouquette le proclame : « Lexique aussi bien que syntaxe / nous viennent du foirail / de la vie aux champs, du café, / de la table et du lit, / des plus ordinaires des jours, / mais c’est grâce quand ils irradient. » Le vers râpeux et vigoureux sait en effet « aller au monde aiguiser notre faim / d’absolu / dans le trivial ou la beauté ». Les poèmes sont tableaux, odes, célébrations ou contes, tout pétris de cruauté et de pitié pour les vivants douloureux, de piété aussi, dans une foi sans doute pas très orthodoxe, mais fervente, avec un Christ plutôt anar, un Christ qu’on force aujourd’hui à rire jusqu’aux oreilles à coups de rasoir…
Oui, les poèmes racontent de petites histoires, une scène d’hospice, un four qu’on rebâtit tout en consolidant sa langue, une fille qui frotte une pomme et la jette aux rats qui attendent « pour se rendre maitres de tout », ou cette autre belle qui sert l’eau de vie le jour de battage et allume les yeux des hommes... Oui, « c’est toujours / la même innocence, / toujours la même cruauté / qui d’un bout de la chaîne à l’autre / font exister tout ce qui vit. » Oui, les poèmes sont un chant qui décline « les chaudes raisons de s’accrocher à la terre », la chair qui nous donne « la certitude d’un infini à notre mesure exacte », la femme qui « vous pousse dans le sens de plus de clarté », et il s’agit bien de « traduire tout ça en langage commun qui donne faim et force », il s’agit bien d’user de « la plume pour pioche » pour « arracher à la vie les autres vies qu’il nous fallait / pour ne pas désespérer de la nôtre ».
 

Truculent et tonique

Le poème « est un travail » et n’a certes rien d’innocent. Yves Rouquette ne se paie pas de mots ni d’illusions : « Je ne réponds de rien. Et pour personne. Nous sommes seuls » affirme-t-il. Mais en dépit de la mort toujours terriblement présente, des « angoisses de l’origine » et des mille autres tourments des vivants, il a le verbe truculent et tonique, rappelant que « tout, absolument tout, / est d’une indécence totale » et que « nos hymnes les plus désespérés / sont de merci et de louange. »
« Je m’entends cheminer vers le jour », dit-il, ramenant de cette naissance du fond des temps, et de ses pérégrinations, les cailloux du chemin qui le lestent, qui nous lestent. Lui qui a été un des animateurs du mouvement politique et culturel occitan (il a notamment fondé le label Ventadorn ayant permis à la nouvelle chanson occitane de trouver une nouvelle audience), le fait – et ce n’est pas le moindre de ses engagements – dans une belle langue d’Oc que ceux qui ont la chance de l’entendre sauront apprécier, et qui sans doute est consubstantielle à son propos. Ne l’oublions pas, « C’est au pied de la lettre / que nos mots sont à prendre. » Cliquer ici

 
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Philippe Martel

Marti, Patric, Mans de Breish, d’autres encore : ceux qui dans l’immédiat après 68 modifient radicalement le paysage culturel d’oc et l’image de sa langue, en faisant de la chanson l’arme de diffusion massive du message révolutionnaire de l’occitanisme de ce temps. Car cette Nòva Cançon est en effet un des vecteurs qui permettent au mouvement de sortir du statut confidentiel qui était le sien jusque là pour toucher, pour la première fois depuis Mistral, un public très large, chez lui et ailleurs. Nòva, nouvelle, cette chanson protestataire l’est par rapport à ce qu’était la chanson occitane d’avant, qu’il s’agisse du répertoire traditionnel traqué par les collecteurs dans les campagnes, ou de la chanson urbaine fin de siècle, félibréenne ou non. Elle est nouvelle aussi par son mode de diffusion (spectacles-débats, vente militante hors du circuit des « majors » du disque). Mais cette nouveauté n’empêche pas que l’on peut y retrouver, à côté de la rhétorique révolutionnaire du moment la trace de thématiques qui circulaient déjà dans l’occitanisme, voire le Félibrige, bien avant 68. C’est ainsi qu’à côté de la dimension proprement sociale — contre le sous-développement régional, pour la défense du « vivre et travailler au pays » — est présent un autre discours, où la référence à l’histoire propre du sud et à la valorisation de la langue introduit une dimension nationalitaire, parfois presque nationaliste. On essaiera de suivre cette chanson occitane dans son parcours, jusqu’à son essoufflement final dans la seconde partie des années 1970, quand elle est relayée par d’autres formes musicales d’expression de la revendication occitane. [...]

La diffusion de la chanson d’oc passe d’abord par le contact direct avec le public, celui des villages viticoles que Marti connaît bien, celui des étudiants de Montpellier, celui de toute cette jeunesse éduquée qui a à présent les moyens de s’informer et de s’engager. Marti a raconté ce qu’étaient ces premiers « concerts », en fait des meetings, où les chansons doivent ouvrir sur un débat, qui permette aux spectateurs de discuter de la situation du pays. Yves Rouquette, qui fait déjà figure de vieux militant, et qui est aussi poète et se charge d’encadrer et d’assurer la fabrication et la diffusion artisanale des premiers disques, a lui aussi raconté les débuts de l’aventure dans Viure dès mai 1969, puis dans sa Nouvelle chanson occitane de 1972. Dans la même revue, l’épouse de Rouquette, Marie Rouanet qui n’imagine pas encore ce que sera bien plus tard sa carrière d’auteur à succès, en français, donne elle aussi une idée de ce que sont ces premiers spectacles d’un genre particulier, où se mêlent chansons, soigneusement expliquées en français avant d’être chantées, lecture de textes poétiques ou politiques, et chaude discussion, avant d’inclure, deux ans plus tard, quelques textes de ces chansons dans l’anthologie qu’elle consacre à la nouvelle poésie d’oc sous le titre éloquent Occitanie 1970, les poètes de la décolonisation (Rouanet 1969, 1971). Cliquer ici

 
 1977-1979 : L’enthousiasme des fondateurs !


1977 :  Au congrès de l’Institut d’Etudes Occitanes de Béziers, le président, Yves Rouquette, critique la situation de la langue occitane. Une langue enseignée à la faculté, optionnelle au baccalauréat, mais qui n’est pas enseignée à l’école maternelle. Parmi les personnes qui l’écoutent, se trouve une enseignante de maternelle d’une école privée de Cazouls les Béziers. Son nom : Jaumeta Galinier-Alemani, qui deviendra plus tard Madame Arribaud. C’est une militante de la langue occitane dans l’association « Volèm Viure Al País », mais aussi militante du mouvement de la pédagogie Freinet dans le groupe de Béziers, auquel participe déjà René Laffitte. Elle se sent profondément concernée par l’appel d’Yves Rouquette. Au début, près d’elle, deux collègues de « Volèm viure a País » se démènent sur le projet d’ouvrir une école maternelle occitane : Edmond Albi, professeur de Sciences et d’Occitan an collège, et Michel Marti, un pharmacien de Béziers d’origine catalane. 1978 En Béarn, un groupe composé en majeure partie par « Los de Nadau », lance le projet d’ouvrir une école en gascon sur le modèle des Ikastolak basques qui existent depuis 1969. Lors d’une réunion d’Entau País, les amis de la langue occitane de Béarn décident qu’il faut transmettre la langue aux enfants dès l’école maternelle, et qu’il ne suffit plus de faire des discours et de lancer des idées : il est temps de faire et non plus de parler ! Ceux de Béziers et ceux de Pau travaillent chacuns de leur côté. C’est Anne-Marie Roth qui « invente » ce mot de Calandreta devenu célèbre pour désigner l’école occitane. Elle choisit un mot panoccitan, compatible avec la notion d’école. "Calandreta" désigne à l’origine un petit oiseau des vignes. Les occitanistes disent qu’il annonce le printemps de la langue... D’autre part, Calandreta désigne aussi un apprenti. 

En septembre 1979 naît la première association Calandreta : La Calandreta Paulina, qui existe toujours. Cliquer ici

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 NPA 34, NPA

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