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Montpellier. Syrie : avec Julien Salingue pour retrouver des repères...


 ... et pour refonder une politique de solidarité avec un peuple en lutte !

En lisant et en écoutant tant d'énormités proférées ici et là, en décembre dernier, sur la Syrie au moment où la population d'Alep-Est subissait une horreur sans nom, nous nous étions dit au NPA 34 qu'il n'était pas possible de cautionner par notre inaction et notre silence l'inacceptable. Il fallait, de toute urgence et, au vu d'enjeux qui nous dépassent à ce point, en toute humilité, faire quelque chose : des articles sur ce blog n'hésitant pas à aller à contre-courant, tant il est vrai qu'à Alep se jouait aussi la crédibilité de l'ensemble de notre positionnement ici et maintenant; une distribution de tracts appelant à un soutien sans réserve au peuple martyr de cette ville et à la résistance qui se menait ailleurs dans le pays et puis, hier mardi 31 janvier, pour finir (et continuer) d'aller au fond des choses afin de sortir de l'indignité dans laquelle une certaine gauche radicale risquait de nous entraîner, des interventions de Julien Salingue, pour ce qu'il connaît de cette révolution piétinée, ce qu'il en a étudié et qui rattache à une vision politique qui échappe à la honte d'être du côté des massacreurs.

L'après midi à la fac Paul Valéry, à l'appel de Solidaires Etudiants, de RUSF (Réseau Universités Sans Frontière) et de la Société Louise Michel, dans le cadre de la Semaine Université sans Frontière, devant une quarantaine de présent-es, le soir dans la salle de notre local où il fut difficile de trouver à s'asseoir, mission accomplie... La politique solidaire, révolutionnaire, toute en compréhension ouverte sur la complexité, face à une situation des plus inextricables, fut au rendez-vous. L'anticapitalisme montpelliérain pouvait se targuer d'avoir ouvert une brèche, toute petite que l'on voudra mais réelle, dans les accommodements inadmissibles à l'oeuvre dans une gauche se postulant radicale dans l'instant où elle se déconsidère moralement et politiquement en assumant de laisser que soit massacré un peuple en lutte. En assumant de laisser faire mais aussi de laisser croire que la lutte contre le totalitarisme djihadiste doive se payer d'une monstruosité innommable : celle résultant d'une alliance aussi improbable  que celle d'une Russie impérialiste, mafieuse et négatrice chez elle des libertés fondamentales, d'un Iran, emblème d'un islamisme (chiite celui-là) intégriste attentant, entre autres droits, à ceux des femmes (sans parler d'une Turquie fraîchement basculée dans une dictature combinant en Syrie un appui à des djihadistes, contre lesquels elle finit par se retourner, sa guerre historique contre les Kurdes, un rapprochement avec la Russie hier détestée, etc.) et enfin du clan Assad vérifiant, dans ce qu'il impose à son peuple depuis 2011, qu'il est l'un des pires dictateurs de la planète. Une monstruosité présentée comme le passage obligé pour que, nous est-il expliqué, l'omelette syrienne ne pouvant se faire sans que l'on casse des oeufs (des vies humaines !), ... l'humain continue à être "d'abord" pour que nous construisions un radieux "avenir en commun" !


Nous retiendrons des exposés faits hier, en deux temps, par Julien, les idées force suivantes indispensables pour recréer de l'information et poser les jalons permettant de reconstituer une cohérence analytique internationaliste.

La révolution née en 2011, impliquant des millions de Syrien-nes, a immédiatement déstabilisé un régime clanique autour de revendications sociales radicales (refus de la misère) constituant le socle des revendications politiques (chute du pouvoir en place) auxquelles ledit clan, propriétaire à 40-50% des richesses du pays, a immédiatement répondu par une répression féroce.

Ce niveau extrême de répression a, dans le cours même de l'année 2011, amené immédiatement le mouvement populaire à se poser la question de sa militarisation, en profitant des nombreuses défections de soldats désertant, en emportant leur armement,  et se proposant de créer l'autodéfense de la révolution en cours.

Le rapide affaiblissement du régime qui s'en est suivi a amené la Russie et l'Iran à intervenir pour éviter l'effondrement que connaissaient d'autres régimes de la région soumis au processus général de soulèvement dont participait celui de la Syrie. Cette intervention  de basse intensité au début a fini, vu l'incapacité du régime à vaincre, par se transformer en intervention directe, d'une violence inouïe, de ces puissances et des auxiliaires locaux de l'Iran dont ce qu'il est advenu d'Alep Est a donné une idée.

Les Etats-Unis dans tout cela ? C'est là l'un des rappels décisifs que fait Julien pour déconstuire le discours "campiste", de soutien de fait au "camp" Poutine-Assad-Rohani, d'une partie de la gauche : les Etats-Unis ne sont pas les inspirateurs du soulèvement révolutionnaire.

Comme tout le monde, ce mouvement les a pris au dépourvu. Par ailleurs, tirant les leçons de son échec en Irak, ils n'ont jamais appelé à faire tomber le régime de Assad (aucun bombardement américain n'a jamais visé les troupes de Assad !) : ils ont seulement essayé de construire, par un appui dosé, via l'Arabie Saoudite (et le Qatar), à certains secteurs de l'opposition, un schéma  de transformation, et non de renversement, du régime par intégration en son sein de "bouts de cette opposition". Comme l'a souvent rappelé Gilbert Achcar, la politique étasunienne en Syrie pariait sur le départ d'Assad pour que le régime, régénéré par ces transformations, se survive à lui-même ! C'est pour cette raison que l'opposition armée s'est vu refuser par les Américains toute fourniture de l'armement antiaérien qui, créant le rapport de force décisif en faveur de l'insurrection, aurait rapidement fait chuter Assad ! Nous sommes loin des fariboles avancées par ceux qui ont réduit l'affaire syrienne à un complot des Etats-Unis pour reconstituer son influence mise à mal depuis les campagnes d'Irak. Complot face auquel il aurait fallu soutenir... en le laissant faire le "camp" d'Assad et de ses appuis internationaux.

La révolution syrienne a donc dû faire face à deux contre-révolutions, convergeant sur le fond contre elle tout en étant en conflit indirect entre elles, sous l'égide, d'un côté, de l'Iran et, de l'autre, de l'Arabie Saoudite, deux puissances régionales mobilisant dans leur stratégie deux puissances mondiales, d'une part, la Russie et, de l'autre, les Etats-Unis dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils n'étaient pas impliqués comme imaginé (fantasmé) par certain-es ! Ce jeu d'opposition entre deux qui sont, en même temps, en opposition commune à un tiers explique la complexité d'un conflit au départ syrio-syrien (modélisant certes, à sa façon, un processus à dimension régionale) qui s'est rapidement trouvé médiatisé par une internationalisation brouillant les données de fond. Mais il importe que l'analyse de cette complexité évite la tentation des simplismes binaires de ce "campisme" (autour du schéma Etats-Unis vs Russie), faisant retour depuis les tréfonds de l'histoire, dont nous avons parlé et qui reviennent à se positionner contre le pôle révolutionnaire au profit de l'un des "camps" contrerévolutionnaires, en l'occurrence en faveur de la dictature et de sa politique d'extermination de la révolution.


Enfin pour finir de démêler l'écheveau de la situation syrienne, Julien a expliqué comment la convergence des deux contrerévolutions, par-delà le conflit qui les oppose, a renforcé les djihadistes de Daesch : en attaquant brutalement le mouvement révolutionnaire (les proAssad) ou en en bridant sa capacité à vaincre pour les autres (Etats-Unis/Arabie Saoudite), les contre-révolutions ont eu pour premier effet de renforcer l'influence islamiste (bénéficiaire principal de l'armement fourni par ces derniers) dans la révolte antiAssad au détriment des forces non islamistes. Elles ont ensuite permis à Daesch d'apparaître comme les seuls conséquents, et attractifs pour une partie des insurgés, dans la lutte contre le régime et dans l'affirmation de l'indépendance vis-à-vis des puissances régionales et internationales dont on a vu qu'elles travaillaient, d'une manière ou d'une autre, à pérenniser ledit régime ! Avec le résultat catastrophique que Daesch constitue, c'est peu dire, l'autre option contrerévolutionnaire de ce théâtre (sic) d'opérations militaires et politiques !

Il reste, Julien l'a également rappelé, que la révolution syrienne c'est aussi l'émergence d'une impressionnante capacité à s'auto-organiser, y compris en résistant aux tentatives des islamistes de se l'accaparer, pour répondre en premier lieu au retrait de l'Etat syrien de larges zones du pays, retrait impliqué par l'avancée de l'insurrection. Embryon d'un nouvel Etat appuyé sur le processus révolutionnaire, cette auto-organisation civile autour des nécessités de base (santé, éducation, gestion de la vie quotidienne par quartiers, etc.) a subi, jusqu'à en être profondément déstabilisée, voire détruite selon les endroits, l'impact de la militarisation obligée du conflit et des ravages produits par l'intensification des affrontements armés des derniers mois.

Julien reste cependant persuadé que, dans l'espoir d'un cessez-le-feu obtenu dans les pourparlers internationaux en cours, qu'il juge absolument nécessaire dans le contexte militaire et politique actuel défavorable à la révolution, peuvent se reconstituer les possibilités de relance d'une expérience provisoirement vaincue militairement mais peut-être pas aussi politiquement que certains l'imaginent.

Dans les échanges conviviaux d'après conférence revenait, parmi les présent-es, la satisfaction d'avoir clarifié les "choses syriennes", qui évidemment sont aussi les nôtres, et d'avoir dégagé notre représentation politique générale de nombre de scories encombrant (et comment !) nos perceptions politiques de l'ici et de l'ailleurs. Décisif pour que nos orientations anticapitalistes ne s'ensablent dans la realpolitique qui est le plus souvent la politique de nos ennemis !

Un grand merci à Julien Salingue ! Et à tous ceux, toutes celles qui ont répondu à notre invitation à débattre.

Antoine


A Paul Valéry l'après midi



Dans notre local le soir







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