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Algérie. La "décennie noire", ce passé qui ne passe pas...

 
"La société algérienne est tout sauf réconciliée, chacun rejetant sur les autres la responsabilité de la violence"

 
Bentalha, nuit du 22 septembre 1997. Dans ce hameau agricole situé aux confins de la périphérie d’Alger, plus de quatre cents villageois sont assassinés en quelques heures par des hommes du GIA, le Groupe islamique armé. Le lendemain, Hocine Zaourar, un photographe de l’Agence France-Presse (AFP), saisit la douleur déchirante d’une femme dont la famille a été tuée. Ce cliché, intitulé La Madone de Bentalha tant il rappelle l’iconographie chrétienne, est reproduit dans les journaux du monde entier, mettant un visage sur la violence en cours en Algérie depuis plus de cinq ans. Trois semaines plus tôt, un massacre analogue avait ensanglanté le village de Raïs, situé à quelques kilomètres de Bentalha, faisant près d’un millier de morts. L’Algérie plongeait dans une sidération que les tueries à venir n’allaient cesser d’aggraver.

Le mois suivant à Sig, dans le Sud oranais : cinquante morts. En décembre à Ammi Moussa (monts de l’Ouarsenis, wilaya de Relizane) : quatre cents morts. En janvier 1998 à Had Chekala (Ouarsenis) : plus de mille tués. Quelques jours plus tard à Sidi Hamed (Mitidja) : cent trois personnes assassinées, etc. Après quelques années de violence ciblée contre les militaires, les fonctionnaires, les intellectuels ou les étrangers, la guerre civile algérienne prenait un nouveau visage, absolument terrifiant, avec des massacres de civils, créant une onde de choc en Algérie comme à l’étranger. Cliquer ici
 
  


Un terrorisme d'Etat instrumentalisant le terrorisme islamiste *
(L’Union européenne et les islamistes : le cas de l’Algérie, par François Burgat et François Gèze, 2007)

Extrait

Depuis 1990, l’emprise des services secrets de l’armée, le Département de renseignement et de sécurité (DRS, nouvelle appellation de la SM), n’a cessé de s’accentuer, jusqu’à devenir hégémonique au sein du pouvoir réel. Le blocage progressif du système a en effet débouché, au mois de janvier 1992, sur un coup d’État militaire et sur une guerre civile sanglante (200 000 morts), marquée par des formes inédites de terrorisme d’État, méthodiquement organisées, dans le plus grand secret, par les chefs du DRS. Conjointement, ces derniers ont conduit avec succès une politique de désinformation systématique, à l’échelle nationale et internationale, visant à attribuer ces violences exclusivement à l’« intégrisme islamique ». Les effets de cette double politique (terrorisme d’État et désinformation) continuent aujourd’hui à structurer les principales dynamiques politiques algériennes.

Derrière la façade civile dirigée par le président Abdelaziz Bouteflika (élu en 1999 et réélu en 2004), le véritable maître du pouvoir est désormais le général Mohamed Médiène, dit « Tewfik », chef du DRS depuis septembre 1990. Avec ses alliés civils et militaires, il contrôle totalement la scène politique, l’activité économique et l’administration. Surtout, il contrôle les puissants circuits de corruption nourris par la rente pétrolière et gazière : la maîtrise de ces circuits constitue le cœur même et la raison d’être du pouvoir occulte des « décideurs » militaires.
5Ce n’est que dans ce cadre historique que peuvent être comprises les formes et les évolutions très particulières qu’ont connues les mouvements politiques islamistes en Algérie, depuis leur apparition dans les années 1980.  

[…]  À partir du début 1995, tous les « émirs » indépendants ont été éliminés et les GIA sont totalement sous le contrôle des agents du DRS et seront de plus en plus utilisés par ses chefs comme une arme de terreur contre les populations civiles, jusqu’aux terribles massacres de 1997 ; tandis que les forces spéciales de l’armée, frappant également surtout des civils, sont régulièrement empêchées par leurs chefs de liquider complètement les maquis « islamistes ». Durant les deux premières années de la guerre, les anciens cadres du FIS ne sont pratiquement pas impliqués dans la lutte armée. Ce n’est qu’en juin 1994 que certains d’entre eux vont créer l’Armée islamique du salut (AIS). Mais celle-ci sera très vite infiltrée par le DRS, et en butte à une guerre sans merci de la part des GIA. D’où une situation d’hyper-violence généralisée, que la désinformation soigneusement organisée par le DRS attribue exclusivement à l’islamisme.

Les autorités militaires réussissent ainsi à criminaliser, aux yeux d’une opinion internationale trop crédule, son opposition principale. Et après avoir éliminé physiquement (ou retourné) la plupart de ses cadres, pour parfaire la marginalisation institutionnelle de sa base électorale, les « décideurs » s’emploient à valoriser des pseudo-oppositions marginales. À partir de 1995, un certain nombre de formations, y compris islamistes (comme le Hamas de Mahfoud Nahnah, qui deviendra le « Mouvement de la société pour la paix », et le MNI d’Abdallah Djaballah, devenu En-Nahda, puis El Islah), vont être conviées à participer au jeu parlementaire. Un jeu « pluraliste » purement formel, puisque les élections sont systématiquement truquées et que des réformes constitutionnelles (dont la création d’une seconde chambre) limitent considérablement le pouvoir du Parlement et donc l’enjeu électoral. Extrait intégral

* Blog NPA 34 : Nous pensons, à propos des extraits de cet ouvrage de 2007, qu'aujourd'hui l'on parlerait de terrorisme djihadiste et non de terrorisme islamiste. Voir la vidéo ci-dessous, en particulier à partir de 21:44. Nous recommandons au demeurant le visionnage de l'ensemble du document pour que soient problématisées nombre d'idées dont on ne veut pas voir qu'elle pourraient être des idées reçues sur les religions ou encore la laïcité.
 

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Notre dossier Algérie où l'on trouvera référencés, entre autres documents, des articles de notre ami Pierre Daum, l'auteur de l'article qui ouvre cette page : cliquer ici

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