Non, Manuel Valls, le nouveau ministre de l’intérieur, ne fera sans
doute pas de déclaration sur l’inégalité entre les civilisations. Il ne
faudrait donc pas lui faire de procès d’intention. Il faudrait se garder
de toute caricature.
Le problème est que Manuel Valls est sa propre caricature, même s’il
s’abstiendra, du moins faut-il l’espérer, d’affirmer comme son
prédécesseur qu’il y a trop de musulmans en France. C’est tout de même lui qui, se promenant sur un marché de sa bonne ville d’Evry, le 7 juin 2009, interpellait ses collaborateurs : « Belle image de la ville d’Evry… Tu me mets quelques Blancs, quelques White, quelques Blancos ! »
Manuel Valls ne représente pas grand-chose dans son parti : il n’a
récolté que 5,7 % des voix lors de la primaire d’octobre 2011. Il est
vrai que cet admirateur de Dominique Strauss-Kahn et de Tony Blair
aurait sans doute plus sa place au Nouveau centre ou au Modem de
François Bayrou, dont il reprend les thèses économiques et sociales.
Nicolas Sarkozy avait tenté de le débaucher en 2007 et Martine Aubry lui
avait écrit une lettre ouverte en juillet 2009 : « Si
les propos que tu exprimes reflètent profondément ta pensée, alors tu
dois en tirer pleinement les conséquences et quitter le Parti
socialiste. »
Mais Valls a su faire le bon choix : rester au PS tout en combattant
tous les principes de la gauche et, finalement, accéder à un poste où il
pèsera lourd dans les choix gouvernementaux des prochains mois sur la
sécurité, l’immigration, l’islam. Concédons-lui donc le fait qu’il est
un habile politicien, mais mettons entre parenthèses l’idée qu’il serait
de gauche.
C’est sur le terrain de la sécurité que Valls a voulu se faire un
nom, en montrant que la gauche pouvait être aussi répressive, voire
plus, que la droite. Il a multiplié les articles et les livres sur le
sujet, dont Sécurité, la gauche peut tout changer (Editions du
Moment, Paris, 2011). Cet ouvrage rend un hommage appuyé et répété aux
forces de l’ordre, sans jamais évoquer les violences policières, les
jeunes assassinés dans les quartiers, les procès de policiers qui
débouchent toujours sur des non-lieux. En revanche, il est impitoyable
avec le terrorisme, ayant été l’un des seuls socialistes à exiger
l’extradition de Cesare Battisti. Et aussi avec les délinquants, ces
classes dangereuses dont la bourgeoisie a toujours eu peur. Valls ne
regrette-t-il pas, dans son livre, que la gauche n’ait pas assez rendu
justice à Clemenceau, l’homme qui n’hésitait pas, entre 1906 et 1908, à
faire tirer sur les ouvriers au nom, bien sûr, de l’ordre républicain ?
Lors du soulèvement des banlieues de 2005, il a été l’un des trois
députés socialistes à ne pas voter contre la prolongation de l’état
d’urgence, une décision qui ramenait la France à l’époque de la guerre
d’Algérie. En octobre 1961, s’il avait été ministre de l’intérieur,
Valls n’aurait certainement pas hésité à faire appliquer l’ordre
républicain à tous ces Algériens qui osaient défier le couvre-feu (lire
Sylvie Thénault, « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi »)…
Pour Valls, la violence dans nos villes « augmente de manière constante » depuis plus de trente ans. Il reprend les arguments de son ami Alain Bauer (lire Les marchands de peur. La bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire),
l’homme qui a imposé à la gauche comme à la droite le thème de
l’insécurité — avec l’aide active du Front national et de Jean-Marie et
Marine Le Pen. Conseiller de Sarkozy, Bauer est aussi proche de Manuel
Valls car, pour lui, la sécurité n’est ni de gauche ni de droite
(l’économie non plus, sans doute...). Et personne ne sera trop regardant
sur les médecines du docteur Bauer, l’homme qui propage la peur dans
les villes et en profite pour leur vendre, à travers sa société AB
conseils, et à prix d’or, les remèdes à l’insécurité. Un peu comme si un
responsable de l’industrie pharmaceutique établissait les prescriptions
pour les malades...
Nous ne reviendrons pas ici sur la critique détaillée de ses théories
de la sécurité. Laurent Mucchielli, l’un des meilleurs spécialistes de
la question et qui est plusieurs fois cité de manière élogieuse par
Valls, a un diagnostic ravageur (« La posture autoritaire et populiste de Manuel Valls », Lemonde.fr, 5 juin 2011). Critiquant Sécurité, la gauche peut tout changer, qui vient alors de sortir, il fait deux remarques :
« La première est que M. Valls n’a pas un niveau de connaissance
suffisant des problèmes. Nous l’avons vu, son diagnostic est globalement
plutôt superficiel. Ses propos ressemblent étrangement aux discours de
certains syndicats de police et parfois même d’un certain café du
commerce. La violence explose, les délinquants rajeunissent sans cesse,
il n’y a plus de valeurs et plus de limites, la justice ne fait pas son
boulot, on les attrape le soir ils sont remis en liberté le lendemain...
etc. En cela, M. Valls est proche d’un certain terrain politique :
celui des plaintes de ses administrés, des courriers de protestation
reçus en mairie, des propos entendus en serrant des mains sur le marché
le samedi matin ou encore de ce que lui racontent les policiers
municipaux de sa ville. Mais il est totalement éloigné de ce que
peut-être le diagnostic global d’un problème de société et l’approche
impartiale d’une réalité complexe. Telle est sans doute la condition
ordinaire d’un responsable politique de haut niveau, dont on imagine
l’agenda très rempli. Mais l’on attendrait alors de lui qu’il ait
l’intelligence de comprendre les biais et les limites de sa position
pour s’entourer de personnes capables de lui donner le diagnostic de
base qui fait ici défaut. Encore faut-il toutefois le vouloir et ne pas
se satisfaire de ce niveau superficiel d’analyse, au nom d’une posture
volontairement très politique pour ne pas dire politicienne. C’est la
deuxième hypothèse. »
Voici donc pour la compétence du nouveau ministre de l’intérieur. Par ailleurs, poursuit Mucchielli :
« C’est bien une posture politique qui irrigue fondamentalement la
pensée de Manuel Valls, une posture politicienne même dans la mesure où
elle vise manifestement à se distinguer en politique, en particulier
vis-à-vis d’autres personnalités du parti socialiste. Cette posture, on
la retrouve d’abord dans les pages consacrées à une sorte d’éloge de
l’ordre comme “socle des libertés” (p. 58), comme on la retrouve à la
fin du livre dans l’éloge de « l’autorité » qui serait aujourd’hui
« bafouée » et « attaquée de toutes parts » (p. 156-157). De nouveau,
c’est exactement aussi la posture qui traverse toutes les lois votées
ces dernières années par ses adversaires politiques. »
Valls n’est pas seulement un défenseur de la sécurité, mais aussi un contempteur du communautarisme et un pseudo-partisan de la laïcité (c’est évidemment tout à fait par hasard que les cibles de ses attaques sont les populations des quartiers populaires).
On ne compte plus les exemples de ces attaques contre un soi-disant
communautarisme, c’est-à-dire contre les musulmans, de sa volonté
d’interdire à un Franprix de ne vendre que des produits halal —
aurait-il interdit des magasins qui ne vendraient que des produits
casher ? — à l’affaire de la crèche Baby Loup et au licenciement d’une employée qui portait le foulard. Après l’absurde décision de Nicolas Sarkozy d’interdire à des théologiens musulmans d’intervenir au congrès de l’UOIF, il a fait de la surenchère, non seulement en approuvant la décision mais en écrivant :
« Tariq Ramadan, leader européen de l’Internationale des Frères
Musulmans, présenté par ailleurs comme un “intellectuel” muni d’un
passeport suisse, doit s’exprimer le week-end prochain à Bagnolet. Il
propagera les mêmes idées extrémistes que ceux qui ont déjà été
interdits de territoire français. » Quelques jours plus tard, le candidat Nicolas Sarkozy à son tour,
mettait en doute les qualités d’intellectuel de Tariq Ramadan. Quant à
ces déclarations sur les idées « extrémistes » défendues par Ramadan, il
devrait plutôt lire ses textes et écouter ses interventions.
On ne peut s’étonner alors que Manuel Valls fasse l’éloge du dernier
livre de Hugues Lagrange, qui met en avant l’origine culturelle des
immigrés pour expliquer les difficultés de l’intégration — rappelons que
le même argument culturel était avancé pour expliquer les difficultés
des immigrés juifs d’Europe centrale, italiens ou portugais à s’intégrer
dans les années 1930, 1940 ou 1950 (lire Gérard Mauger, « Eternel retour des bandes de jeunes », Le Monde diplomatique, mai 2011). Aucune idée de droite n’est vraiment étrangère à M. Valls.
Une dernière question : Manuel Valls est aussi signataire d’un appel indigne
appelant à poursuivre les militants qui prônent le boycott des produits
israéliens. Parmi eux, Stéphane Hessel ou Alima Boumediene. Que fera le
ministre de l’intérieur, alors que plusieurs de ces militants ont été
relaxés par la justice, mais que certains restent poursuivis ?
RASSEMBLEMENT CONTRE LES PROPOS TENUS PAR VALLS A EVRY : JEUDI 25 JUIN - 20H00 - MAIRIE D'EVRY
Le pire de Manuel Valls en dix vidéos (d’époque)v
Le pire de Manuel Valls en dix vidéos (d’époque)v