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Par DAVID GOUARD Docteur en science
politique, Attaché temporaire d’enseignement et de recherche (Ater) à
Montpellier-I, Centre d’études politiques de l’Europe latine (Cepel) [Libération, 13 juin 2012]
Dimanche, le Parti communiste français a perdu la circonscription la plus
emblématique de ce que fut la banlieue rouge. En effet, dans la
10e circonscription du Val-de-Marne, qui regroupe les villes
d’Ivry-sur-Seine, du Kremlin-Bicêtre, de Vitry-Nord et de Gentilly-Est, le
dernier député communiste du département s’est désisté au profit du candidat
chevènementiste, soutenu par le Parti socialiste. L’événement n’est pas anodin
puisque, dans ce pôle historique d’expansion de la banlieue rouge, la
circonscription était systématiquement restée communiste depuis la candidature
de Maurice Thorez, en 1932.
Le phénomène d’affaiblissement (d’extinction ?) du PCF se poursuit donc en
dépit d’une conjoncture nationale favorable à la gauche, dont les diverses
composantes retirent des bénéfices très inégaux. La situation est telle que le
secrétaire national du PCF a dû quémander auprès de ses partenaires de la gauche
un nouvel abaissement du seuil de députés donnant droit à la constitution d’un
groupe parlementaire à l’Assemblée nationale.
Dans cette circonscription, le maire communiste d’Ivry, Pierre Gosnat, n’est
pas parvenu à devancer Jean-Luc Laurent, son principal concurrent. Ce dernier
est donc assuré de remporter le siège de député en vertu du principe de
désistement en faveur du candidat le mieux placé à gauche. Il n’aura en effet
aucun candidat face à lui dimanche puisque la droite n’a pu atteindre le seuil
nécessaire pour pouvoir être représentée au second tour.
Le basculement de cette circonscription est significatif de l’incapacité du
PCF à faire face aux profondes transformations sociodémographiques affectant
depuis trente ans l’ex-banlieue industrielle. Il révèle la rétraction du noyau
dur formant les soutiens aux représentants communistes locaux, sans qu’un
nouveau modèle d’affiliation sociopolitique ne parvienne à garantir à
l’étiquette communiste une attractivité supérieure à celle dont bénéficie le
Parti socialiste auprès des nouveaux habitants, souvent bobos, mais aussi des
milieux populaires issus d’Ivry.
En 2007, le PCF avait misé, avec succès, sur la notoriété de Pierre Gosnat
pour succéder au député communiste sortant. Il est en effet le fils de Georges
Gosnat, ancien trésorier du parti et, surtout, député de la circonscription
de 1964 à 1982. Depuis plusieurs scrutins, cette élection législative s’inscrit
aussi dans un jeu de rivalité entre les maires de deux villes composant la
circonscription : Pierre Gosnat pour Ivry et Jean-Luc Laurent pour le
Kremlin-Bicêtre. Si, dans sa ville, Pierre Gosnat enregistre encore cette
fois-ci 15 points de plus que Jean-Luc Laurent, ce dernier surpasse nettement le
candidat communiste dans la ville dont il est le maire. Plus significatif
encore, il le devance aussi dans le canton de Vitry-Nord, dont le conseiller
général et le maire sont pourtant communistes et dans le canton de Gentilly-Est,
dont la ville est dirigée par un maire communiste.
Mais l’échec de Pierre Gosnat ne s’explique pas seulement par le vote des
électeurs résidant hors d’Ivry. Dans sa propre ville, comparativement à 2007, il
perd tout de même 6% du nombre de bulletins à son nom, tandis que Jean-Luc
Laurent en a comptabilisé 69% de plus. Ainsi, en valeur absolue, alors que le
candidat communiste voit son soutien s’éroder, le reste de la gauche progresse.
Le phénomène révèle la faiblesse du soutien rencontré par le PCF dans ce qui
avait longtemps constitué son électorat traditionnel. Pour s’en convaincre, il
suffit d’examiner les évolutions du bureau de vote du quartier populaire de la
cité Youri-Gagarine, particulièrement significatif de la désaffiliation
politique consécutive au renouvellement des différentes générations d’Ivryens.
Les recherches que je conduis sur ce quartier montrent que le vote communiste
est aujourd’hui essentiellement porté par les anciennes générations. Dans ce
bureau de vote, en 1981, quelques semaines après l’accès de François Mitterrand
à la présidence de la République, le candidat communiste Georges Gosnat obtenait
dès le premier tour 72,1% des suffrages exprimés, soit 594 bulletins ; un volume
quatre fois supérieur à celui dont son fils a été crédité dimanche dernier.
Depuis trente ans, le recul communiste n’y a jamais été enrayé.
Le résultat de dimanche s’inscrit donc dans le temps long du déclin de
l’influence communiste dans le quartier. L’échec du PCF dans cette
circonscription montre que la mobilisation des descendants de l’aristocratie
ouvriéro-communiste locale, pour la plupart résidant dans le centre-ville
d’Ivry, ne suffit plus à faire contrepoids au conglomérat électoral composé des
cités et des «bobos» qui assure le succès, ici comme dans d’autres
circonscriptions de la banlieue nord, des candidatures socialistes.
Sur le plan politique, ce cas illustre les limites de «l’effet Front de
gauche». En effet, il y a un an, les deux tiers des adhérents communistes
ivryens avaient investi Jean-Luc Mélenchon à la candidature de la
présidentielle. La dynamique semblait avoir touché l’électorat ivryen lui-même.
Jean-Luc Mélenchon y avait enregistré parmi ses tout meilleurs résultats en
banlieue parisienne (25,5% des suffrages exprimés). Contrairement à ce qui était
attendu, l’effet Mélenchon n’est guère parvenu à mobiliser au-delà des
allégeances communistes traditionnelles.
Le résultat de dimanche peut constituer un premier coup de canif dans cet
ancien bastion communiste qui faisait jusque-là preuve de capacités de
résistances étonnantes. Bien que bénéficiant toujours d’une assise locale,
notamment par la présidence du département, pour les représentants communistes
la menace d’une éviction se fait de plus en plus précise. On pense à la
direction municipale, mais aussi aux conseillers généraux des deux cantons. Plus
que jamais, les élections municipales de 2014 vont être l’occasion de
convoitises et de rivalités acérées entre les différentes forces politiques de
gauche, autour de ce qu’il reste de la banlieue rouge.
PCF : l’inexorable démantèlement de la banlieue rouge (Libération)
Illustration : 7749541341_pierre‑laurent‑secretaire‑national‑
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