[...] Le « coup de pouce » accordé par le gouvernement est seulement de
0,6 %, ce qui correspond donc à un gain net pour les smicards de l’ordre
de 6,45 euros par mois, ou si l’on préfère d’environ… 20 centimes par
jour !
À cette aune-là, on comprend mieux qu’il s’agit d’une hausse
riquiqui. Presque une aumône. Avec ce ridicule surplus, les smicards ne
pourront pas s’acheter grand chose de plus : peut-être un Carambar, et
encore… Par comparaison, le gouvernement de Lionel Jospin avait décidé
en 1997 une hausse du Smic proche de 4 %, ce qui correspondait à un
« coup de pouce » de près de 2,26 %, dans un contexte économique il est
vrai sensiblement différent.
[...] François Hollande et Jean-Marc Ayrault prennent donc un risque politique
lourd en décidant, d’emblée, d'annoncer une mesure qui va créer de la
déception. Pas d’état de grâce, pas de dynamique de la victoire! Brutal
retour sur terre… Le risque est d’autant plus grand que le nouveau
gouvernement s’est mis au travail dans un contexte singulier et
n’envoie, pour l’heure, à l’opinion que des messages inquiétants.
Recherche en urgence de 7 à 10 milliards d’euros d’économies pour le
budget en exécution de 2012 ; recherches de nouvelles économies pour le
budget de 2013, avec en perspective une stabilité en valeur des dépenses
de l’État jusqu’en 2015 – en clair, un gel durant trois ans – et une
réduction des effectifs publics dans de nombreux ministères pour
compenser les créations de postes dans l’enseignement, la police, la
gendarmerie et la police : on ne peut pas dire que les priorités
annoncées par le premier ministre (elles sont consignées
dans ce communiqué de presse) sont de nature à soulever l’enthousiasme. [...]
De nombreux arguments plaident pour une politique économique beaucoup
plus audacieuse, favorable à une relance de la demande. Et c’est en
cela, précisément, que la
Note de conjoncture de l’Insee est précieuse : elle dessine, en creux, la faute économique que constitue ce geste
a minima en faveur du Smic. [...]
Le gouvernement est face à une équation terrible : s’il conduit une
politique restrictive, il risque d’asphyxier plus encore l’économie et
d’avoir, en retour, des cascades de difficultés nouvelles à surmonter.
Avec à la clef de nouvelles mesures de rigueur budgétaires à prendre,
davantage d’austérité. Sans fin, la vis infernale…[...]
Ces chiffres [de l'Insee] plaident clairement pour un changement de cap
économique. D’autant qu’ils indiquent très clairement l’origine de cette
atonie de l’économie : elle provient pour une grande part d’un
effondrement de la consommation des ménages, lui-même généré par un
phénomène nouveau et massif, un effondrement… du pouvoir d’achat des
ménages.
Observons en effet les chiffres qui figurent dans le tableau ci-dessus :
ils révèlent que la consommation des ménages est en train de décrocher.
Elle qui, depuis des lustres, est le principal moteur de la croissance
française a baissé de -0,2 % au deuxième trimestre de 2012 et devrait
progresser seulement de 0,2 % sur l’ensemble de l’année. En clair, le
moteur de la croissance a calé net.
Et s’il a calé, c’est effectivement pour une raison très précise : le
pouvoir d’achat des ménages est en chute libre, ce qui est sans
précédent depuis de longues années. Dans le même tableau,
l’Insee relève ainsi une tendance majeure, sans précédent depuis de
longues années : le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des
ménages devrait baisser de -0,6 % sur l’ensemble de l’année 2012, après
des hausses modestes de +0,9 % en 2010 et +0,5 % en 2011. Ce chiffre de
-0,6 % est considérable. [...]
Selon d’autres calculs de l’Insee, la baisse serait de 1,1 % par
habitant et de 1,6 % par ménage. Du jamais vu, donc, depuis plusieurs
décennies. [...]
On comprend mieux qu’en tournant le dos à une authentique politique de
relance, le gouvernement commet aussi une faute sociale. Car c’est le
tableau inquiétant d’un pays laminé par plusieurs années de crise que
dresse l’Insee, un pays où les fractures sociales se sont gravement
accentuées.
Car, il n’y a pas que le pouvoir d’achat que s’effondre, il y a aussi
l’emploi qui pique du nez, et le chômage qui est parti vers de nouveaux
sommets.
Dans les secteurs marchands, l’économie française perdrait ainsi près
de 37 000 emplois au cours du second semestre de 2012, dont 29 000 dans
les seuls secteurs industriels. Résultat implacable : le taux de
chômage va donc continuer, de mois en mois, d’établir de nouveaux et
tristes records. [...]
D’ici à la fin de l’année, le taux de chômage devrait ainsi grimper
jusqu’à 9,9 % de la population active en France métropolitaine contre
9,2 % deux ans plus tôt. Et pour la France entière, DOM compris, le taux
de chômage pourrait même atteindre un sommet à 10,3 % d’ici fin
décembre. [...]
Pour la gauche, les mauvaises nouvelles ont d'ailleurs commencé ce
même mardi 26 juin, puisque en fin de journée, Pôle emploi a annoncé des
chiffres catastrophiques pour le mois de mai: +33 000 demandeurs
d'emplois en plus, soit +1,2 %.
Et encore, il faut bien mesurer que cette traditionnelle
Note de conjoncture
de l’Insee, qui est publiée chaque semestre, ne donne qu’un tableau
incomplet de la situation sociale du pays, qui fait l’objet
périodiquement d’autres études plus détaillées. On de nombreuses autres
indications font clairement apparaître que les souffrances sociales sont
encore beaucoup plus lourdes que ne le suggère cette note.
À preuve, le taux de chômage, aussi élevé soit-il, ne prend en compte
qu’une seule catégorie de demandeurs d’emplois, soit 2,9 millions de
personnes. Mais si on agrège la totalité des demandeurs d’emplois, on
arrive à un nombre beaucoup plus considérable, qui dépasse 4,9 millions
de personnes. [...]
La pauvreté, elle-même, ne cesse de ronger le pays. Pour la seule
année 2010, elle a ainsi augmenté de plus de 400 000 personnes, portant
le nombre de pauvres en France à plus de 8,2 millions de personnes, un
niveau historique. Et pour 2011 et 2012, les chiffres ne sont pas encore
connus, mais ils seront naturellement en hausse spectaculaire, compte
tenu de l’envolée du chômage. Et pour ceux qui ont un travail, cela vaut
à peine mieux, puisque le revenu médian des Français est actuellement
de 1 584 euros par mois. Autrement dit, 50 % des Français ont un revenu
inférieur à ce seuil.
Par quelque bout que l’on prenne ces statistiques, elles conduisent
donc toutes au même constat : depuis 2007, pour traverser la crise, la
France a fait le choix d’un ajustement social. En clair, ce sont
l’emploi et les salaires qui ont été ajustés pour permettre aux
entreprises de traverser la crise du mieux possible.