Mélenchon KO : le couple du Front de Gauche en grand péril (Eric Dupin)
Après la défaite de Jean-Luc Mélenchon à Hénin-Beaumont, l’alliance originale du Parti de Gauche (en déroute) et du PC (en déclin) est soumise à rude épreuve.
Mélenchon a commis la faute politique
de défier Marine Le Pen à Hénin-Beaumont sans analyser de manière
réaliste la situation locale. Il a cherché sa revanche contre la
dirigeante du FN, qui l’avait dominé lors du scrutin présidentiel, au
risque d’aggraver les divisions d’une gauche déjà fort mal en point dans
le secteur. Loin de parvenir à « éradiquer politiquement » l’extrême
droite, son initiative a sans doute renforcé les chances de victoire de
son leader.
Les limites de l’antifascisme virulent
Son élimination dés le premier tour dans la onzième circonscription du Pas-de-Calais
augure mal de la suite des évènements pour le couple Parti de Gauche -
Parti communiste. Le Parti de Gauche devrait se contenter d’un seul
député. Et nombre de députés sortants du PCF sont devancés par le PS.
Le coprésident du Parti de Gauche a négligé l’enracinement limité de
sa famille politique dans cette circonscription. Il n’est jamais très
bon signe de devoir faire venir des militants de l’extérieur.
Mais c’est surtout l’orientation de sa campagne qui est à l’origine de
son insuccès. L’antifascisme virulent, promettant au FN de « raser les
murs », ainsi que le recours à des références idéologiques et
historiques éloignées des préoccupations de la population ont prouvé
leurs limites.
En bon militant du mouvement ouvrier, Mélenchon a réagi avec une dignité responsable
à sa défaite. Il n’a pas pu néanmoins s’empêcher de s’en prendre aux
sondeurs, alors même que ceux-ci se sont plutôt trompés en sa faveur...
Et il s’est gardé de la moindre autocritique.
Le Parti de Gauche en déroute
Au-delà de cette mésaventure, le jeune Parti de Gauche sort en triste
état de l’épreuve législative. Ses candidats sont presque partout
éliminés dès le premier tour, devancés par le PS et dans l’incapacité de
se maintenir. C’est le cas de Martine Billard, député sortante, à
Paris. Tous les espoirs du PG ont été sévèrement déçus, qu’il s’agisse
de François Delapierre dans l’Essonne, d’Eric Coquerel en Corrèze ou
encore de Corinne Morel-Darleux dans la Drôme.
Le seul député qui portera les couleurs de ce parti au Palais-Bourbon
(trois sortants) sera sans doute Marc Dolez, député du Pas-de-Calais,
qui avait publiquement émis des réserves sur la stratégie de Mélenchon à Hénin-Beaumont.
Le PG est ainsi pris au piège du partage des rôles qu’il avait
accepté avec le PCF. La direction communiste avait accepté la
candidature présidentielle de Mélenchon en échange de la part du lion
des investitures législatives. Fort de son réseau d’élus locaux, le
Parti communiste était légitime à représenter le Front de Gauche dans la
grande majorité des circonscriptions. Le PG souffre, pour sa part,
d’une implantation beaucoup plus faible et d’une jeunesse qui le prive
de bastions.
Le Parti communiste en déclin
Mais la direction communiste a, elle aussi, de sérieuses raisons
d’être mécontente de ce premier tour. En dépit de la bonne performance
de Mélenchon le 22 avril, le PCF va voir le nombre de ses députés
diminuer alors même que la gauche s’apprête à retrouver la majorité à
l’Assemblée nationale. L’Humanité se plaint amèrement de « l’effet bipolarisation ».
Beaucoup de députés communistes (ou apparentés) sortants ont été
devancés dimanche par les candidats soutenus par le PS (ce qui signe
normalement leur élimination en vertu de la « discipline républicaine » à
gauche). C’est le cas de Jean-Pierre Brard ou encore de Patrick
Braouezec en Seine-Saint-Denis. Dans les Hauts-de-Seine, les deux
circonscriptions communistes ont vu le PS arriver en tête. Même cas de
figure dans un autre département de vieille implantation communiste, en
Seine-Maritime, qui perdra ses deux députés PCF.
Au total, seule une dizaine de candidats du Front de Gauche devraient
devenir députés le 17 juin contre 21 dans l’Assemblée sortante. Pierre
Laurent, secrétaire national du PCF, a déjà fait ses calculs et demandé un nouvel abaissement du nombre minimal d’élus nécessaires à la constitution d’une groupe (15 aujourd’hui).
Des perspectives stratégiques différentes
Dans le malheur, beaucoup de couples se disputent et finissent
parfois par se séparer. C’est ce qui menace aujourd’hui le Front de
Gauche. Cette alliance originale – qui a eu le mérite de revigorer les
militants communistes et aussi d’attirer une nouvelle génération à
l’engagement politique – va être soumise à rude épreuve.
Chacun sait que les perspectives stratégiques du PG et du PCF
n’étaient pas identiques. Le premier a clairement annoncé qu’il
n’entendait pas participer au gouvernement alors que les dirigeants
communistes ont indiqué qu’ils se décideraient après le scrutin
législatif.
Leur affaiblissement parlementaire et la perspective, désormais
probable, d’une majorité absolue du PS et de ses satellites à
l’Assemblée nationale compliquent encore la définition d’une ligne
commune. Il sera difficile, pour le Front de Gauche, de peser sur le
gouvernement dans une Assemblée où leurs votes ne seront pas décisifs.
Et il sera plus périlleux encore d’opter pour une stratégie du recours
misant sur l’échec de la présidence Hollande.
Le Front de Gauche pèsera institutionnellement moins que des
écologistes qui, par la grâce d’une entente avec le PS, devraient
envoyer de 16 à 18 des leurs au Palais-Bourbon. Mais les socialistes
auraient tort de l’enterrer. La bataille présidentielle a prouvé
l’existence d’une sensibilité répandue dans le pays à la gauche du PS.
La démarche du Front de Gauche a intéressé nombre de syndicalistes. Sa
survie suppose néanmoins que ses dirigeants aient le courage d’une
analyse lucide de leurs échecs.
Un commentaire à partir de cet article d'Eric Dupin
Ce qui doit être au centre de la réflexion de
ceux qui gardent le cap de l'alternative, c'est qu'après l'échec du NPA à
concrétiser l'espoir qu'il avait fait naître (je n'entre pas dans
l'analyse de ses causes, j'ai eu l'occasion de les exposer ailleurs, voir lien ci-dessous),
nous avons l'échec du Front de Gauche à faire fructifier le
frémissement qu'il a suscité à la présidentielle : l'échec du NPA est, à
cette élection, ...électoral, celui du FdG est électoraliste ! La
nuance est importante : dans le premier cas, malgré l'importance que les
élections ont dans la stratégie du NPA et, de ce point de vue, l'échec
est patent, le centre de gravité de ladite stratégie est le mouvement
social dans son autoaffirmation et sa pleine autonomie. On peut, à ce propos,
envisager tous les cas de figures : qu'un mouvement social provoque des
élections anticipées et que, celles-ci puissent peser en retour sur la
mobilisation; que des élections favorisent une radicalisation sociale,
etc.
Le fait est que l'échec électoral du NPA ne relève pas, par ce
rapport stratégique au social, de cet absolu que certains
anticapitalistes pressés usent envers lui et le reste de l'extrême gauche
(l'échec du FdG n'étant, lui, que relatif ! Donc tout va bien, ouf !) :
il a à retravailler sa construction, voire à engager une
reconstruction et à apprendre à résister au reflux des mobilisations...Mais l'affaire est autrement corsée pour une coalition
qui, non content de faire de la "révolution par les urnes", donc des
élections, l'alpha et l'omega de sa stratégie, joue ouvertement la carte
d'une instrumentalisation/limitation de la mobilisation sociale à ces
fins électorales.
Le positionnement de Mélenchon, du PG, du PCF et donc
de tout le FdG dans sa configuration du moment, lors de la grande
mobilisation en défense des retraites de 2010, est plus que révélateur
de ce que je dis : ils ont tous dit OK pour la mobilisation (grèves et
manifs) mais sont sciemment restés dans la roue des principales
directions syndicales qui pourrissaient le développement du mouvement.
Ce suivisme n'est pas anecdotique mais révélateur de l'essence même du
mélenchonisme et de son croisement avec la stratégie d'un PCF sans plus
de ressort "rupturiste" : les grèves et les manifs n'ont d'intérêt dans
cette orientation que pour radicaliser les discours électoraux et
déléguer du feu social aux appareils d'élus. Un mouvement autonome du
social inventant ses propres réponses politiques où les différents
partis soumettraient leurs propositions est impensable au Front de
Gauche. Et la campagne de Mélenchon à Hénin-Beaumont est, à sa manière,
significative de ce substitutisme congénital du FdG par rapport aux
réalités de terrain : jusqu'à la caricature avec le parachutage d'une
star pour combattre la star du FN. Tapie, à sa bien particulière façon,
s'était essayé à cette grotesque parodie de lutte "spectaculaire", donc
substitutrice et foncièrement impuissante à faire prendre en charge par
le peuple la question posée, contre l'extrême droite. Je sais, le
rapprochement n'est guère flatteur pour Mélenchon mais il contient son
grain de vérité.
Il y a donc à se poser la question du rapport du FdG à son échec
électoral qui le touche au coeur de sa démarche politique ainsi qu'à son
rapport au mouvement social qui pourrait bien, politique austéritaire
"de gauche" oblige, se décider à combler par lui-même les carences des
"politiques" : beaucoup qui, pour le coup, absolutisent les séquences
électorales (exemple : Gauche Anticapitaliste frustrée de son approche
magique de la "dynamique" mélenchonienne de la présidentielle !), ont
perdu la boussole du mouvement social et commettent l'erreur des
"penseurs" médiatiques qui tardent à l'envisager comme pouvant ressurgir et ne pensent
qu'élections en "oubliant" le rapport plus que problématique du FdG envers les mobilisations sociales... Quand ces mobilisations dans la rue, les quartiers, les
entreprises, reviendront, une nouvelle heure de vérité sonnera pour les
"alternatifs" au capitalisme : le FdG recommencera-t-il à s'aligner sur
l'impuissance (?!) des directions syndicales ? Le NPA parviendra-t-il à
reconstruire ses équipes syndicales, si tant est qu'il ait vraiment
tenté de les construire ( à mon avis c'est là une de ses carences
majeures et explicatives de sa crise)... Toutes réflexions qui ne
signifient pas l'abandon de la question électorale mais qui la
replacent...à sa place, hors de l'actuelle surévaluation qu'en font le
FdG mais aussi GA et bien d'autres qui, au demeurant, n'arrivent pas à penser ...leur propre échec induit par ladite surévaluation !
Voilà comment je vois la situation d'échec, à des degrés divers (hors des ridiculement binaires et primaires "relatif/absolu"), des
gauches à la gauche du PS...
Antoine (comité NPA du Pic-Saint-Loup)
[tiré de Clarté à gauche pour (com)battre la droite]
A lire aussi d'Eric Dupin :
Parti par parti, l’analyse des résultats du premier tour des législatives
Et aussi
La déroute du Front de gauche
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La déroute du Front de gauche
Mélenchon à Hénin-Beaumont : la pénurie (prémonitoire ?) de colleurs d’affiche
Le dossier Front de Gauche du blog. Voir aussi A la gauche du PS.