L’Espagne de 1936 annonçait l’avenir d’une bonne partie de l’Europe. L’avenir du reste de l’Union européenne se joue aujourd’hui en Grèce.
La Grèce et nous
(paru dans "TEAN la revue, le mensuel du NPA, de juillet-août)
par Henri Wilno
Dans un article de Mediapart, le 23 mai dernier, le journaliste Edwy 
Plenel écrivait : « La guerre d’Espagne fut l’épreuve européenne du 
Front populaire, la crise grecque est celle de la présidence Hollande ».
On peut discuter la formule, mais la référence a un fond de vérité. 
Juillet 1936 : le Front populaire est au pouvoir en France lorsqu’a lieu
 le coup d’Etat du général Franco en Espagne. Plutôt que de voler au 
secours du gouvernement républicain, Léon Blum se rallie à l’hypocrite 
« non-intervention ». Bien sûr, il tolère quelques envois discrets et 
limités d’armes, mais quoi de commun avec les interventions directes et 
massives des troupes italiennes et allemandes au côté de Franco ? Seule 
l’URSS apporte une certaine assistance mais, derrière l’héroïsme des 
combattants des Brigades internationales, il s’agit pour Staline 
d’apporter un soutien suffisant pour durer mais pas pour vaincre, et de 
se débarrasser des  trotskystes et des anarchistes. La 
« non-intervention » de Hollande, ce sont ces déclarations de ministres 
français à la veille des élections combinant un rappel de principe du 
droit des Grecs et des invites appuyées à « bien voter » sous peine de 
sanctions.
L’Espagne de 1936 annonçait l’avenir d’une bonne partie de l’Europe. 
Toutes choses égales par ailleurs, l’avenir du reste de l’Union 
européenne se joue aujourd’hui en Grèce.
Les recettes imposées à la Grèce par la troïka (Commission 
européenne, Banque centrale européenne et FMI) sont à la fois absurdes 
et rationnelles. Absurdes car chacun sait que des objectifs intenables 
sont fixés, objectifs qui ne peuvent que provoquer misère et récession. 
Et que l’austérité au nom de la dette qui se généralise en Europe, pèse 
sur l’activité et les recettes publiques et donc rend plus difficile la 
réduction des déficits.
Mais s’en tenir à qualifier ces politiques d’absurdes serait  erroné.
 L’économiste Costas Lapavitsas en résume ainsi le noyau rationnel : 
« En insistant pour que tout le monde “devienne allemand” ils [les 
dirigeants allemands]  disent fondamentalement que les pays déficitaires
 devraient accepter  une austérité permanente accompagnée d’une pression
 sans relâche sur les travailleurs. Ils espèrent probablement que cela 
conduira à un nouvel équilibre en Europe fondé sur une baisse des 
revenus, et peut-être, après plusieurs années, seraient ainsi réunies 
des conditions renouvelées pour une croissance générale. »
Le grand capital européen s’est mondialisé et a avant tout les yeux 
braqués sur ses concurrents américains, chinois, etc. De façon générale,
 le lien des grandes firmes, financières mais aussi industrielles, avec 
leur pays d’origine s’est distendu. Une part importante de leurs profits
 est réalisé sur les marchés extra-européens et leur nationalité ne 
reprend de l’importance qu’en période de crise, pour obtenir des aides, 
pour faire soutenir leurs intérêts dans des négociations commerciales 
internationales, ou afin de voir leurs ventes facilitées par un 
Président ou un Premier ministre transformé en voyageur de commerce.
De ce point de vue, même si elle déprime pour de longues années la 
croissance en Europe,  l’idée d’imposer aux peuples européens un carcan 
budgétaire et la remise en cause de leur modèle social a une 
rationalité. Une première expérience a été faite en Allemagne avec les 
réformes Hartz, mises en place en 2003-2005 par le chancelier 
social-démocrate Gerhardt Schroeder, qui ont amélioré la compétitivité 
en accroissant la précarité et les inégalités. à terme, l’espoir est une
 relance de l’économie européenne sur la base d’acquis sociaux et de 
salaires révisés à la baisse. Ce projet est celui d’un ajustement fondé 
sur la « barbarie sociale » (pour reprendre l’expression de l’économiste
 Jean-Paul Fitoussi).
La Grèce constitue un terrain de manœuvre pour cette orientation. Les
 dirigeants européens (François Hollande compris) appellent le peuple 
grec à faire des efforts, à payer ses impôts, à lutter contre le 
clientélisme… et soutiennent les partis (Nouvelle Démocratie droite - et
 Pasok - « socialiste » -) qui ont mis en place ce clientélisme et cette
 corruption, ce système où Eglise et armateurs richissimes sont à peu 
près dispensés d’impôts. Les banques sont pratiquement les seules à 
profiter des crédits européens.
Au-delà de la solidarité nécessaire qui est un des aspects de la 
lutte contre l’austérité, chez nous, à domicile, nous devons étudier 
avec sérieux et sans conclusions hâtives la situation grecque. S’y 
entrecroisent de multiples questions : devenir de la crise économique et
 financière, difficultés des mobilisations générales même si existent 
des actions locales résolues, recomposition politique, tactiques 
d’alliance, montée de l’extrême-droite… La Grèce antique est souvent 
présentée comme le berceau de l’Europe ; c’est bien dans la Grèce 
actuelle que se dessine en partie la trajectoire future de l’Union 
européenne.
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