Fukushima : et si le pire était à venir ?
(NouvelObs 22-08-2012)
Par Vincent Jauvert
Personne ou presque ne le dit : au cœur de la centrale japonaise dort
une "bombe" dont les effets, en cas de nouveau séisme, seraient
dévastateurs. De notre envoyé spécial au Japon.
A cause de la piscine du réacteur 4 (sur le toit), un nouvel accident peut se produire n'importe quand. (SIPA)
C'est une petite piscine - et un désastre planétaire en puissance. Un
cube en béton de onze mètres de profondeur, rempli d'eau et bourré de
combustibles nucléaires usagés : 264 tonnes de barres très radioactives !
Depuis un an et demi, ce bassin dit de "désactivation" repose à trente
mètres du sol sur le bâtiment ébranlé du réacteur numéro 4 de la
centrale de Fukushima-Daiichi. Il n'est plus protégé ni par un toit solide ni par des murs, mais par une simple bâche de plastique blanche.
Ce scénario d'apocalypse obsède la plupart des chercheurs
Les risques d'une telle situation sont incommensurables. Si, à la
suite d'un typhon (dont la saison commence fin août) ou d'un nouveau
tremblement de terre, la piscine venait à se vider ou à s'écrouler, la
catastrophe qui en résulterait serait probablement sans précédent dans
l'histoire de l'humanité. La mise à l'air libre de ces 264 tonnes de
combustibles nucléaires pourrait dégager dans l'atmosphère dix fois plus
de radioactivité que l'accident de Tchernobyl, si ce n'est davantage.
Ce serait, disent certains, la fin du Japon moderne et, en tout cas, une
calamité pour l'ensemble de l'hémisphère Nord qui deviendrait gravement
et durablement contaminé.
La piscine du réacteur 4. (Noriaki Sazaki-AP-AFP) |
Sensationnalisme ? Délire catastrophiste de militants antinucléaires ?
Malheureusement, non. Ce scénario d'apocalypse obsède la plupart des
chercheurs sérieux qui ont étudié le dossier. Jusqu'en septembre
dernier, le professeur Koichi Kitazawa présidait la prestigieuse Agence
japonaise pour les Sciences et la Technologie (JST), qui n'est pas, loin
s'en faut, une antichambre de Greenpeace. Cette année, il a dirigé une
grande commission d'enquête sur l'accident nucléaire de mars 2011.
"Après avoir écouté des centaines de témoins, ma conviction est faite,
raconte cet universitaire respecté. A la centrale de Fukushima, le pire
est peut-être à venir. A cause de la piscine du réacteur 4, un nouvel
accident peut se produire n'importe quand, qui menacerait la survie même
de mon pays." Et le scientifique ajoute :
"Je prie pour que, dans les semaines à venir, une violente tornade saisonnière ne s'abatte pas sur la centrale."
Haut responsable du département de l'Energie sous Bill Clinton,
Robert Alvarez a été l'un des premiers à tirer la sonnette d'alarme. Il
confirme : "Si un tremblement de terre ou tout autre événement venait à
affecter cette piscine, il pourrait en résulter un incendie radiologique
catastrophique, avec près de dix fois la quantité de césium 137 qui
s'est propagée à la suite de l'accident de Tchernobyl." Notons que les
explosions à la centrale de Fukushima n'ont libéré qu'un sixième de ce
césium émis à Tchernobyl. Autrement dit, la chute de cette piscine, qui
selon l'expression du physicien français Jean-Louis Basdevant, semble
être maintenue en hauteur par les seules "forces de l'esprit", pourrait
être soixante fois plus grave que la catastrophe de mars 2011. Cette
dernière ayant provoqué l'évacuation permanente de 160 000 personnes
dans un rayon de vingt kilomètres autour du site atomique, on peine à
imaginer ce que "soixante fois plus grave" veut dire.
Une radioactivité équivalente à 5 000 fois la bombe nucléaire de Hiroshima!
Un professeur à l'Institut de Recherche nucléaire universitaire de
Kyoto, Hiraoki Koide, propose, lui, une comparaison plus effrayante
encore, surtout pour les Japonais. "Si le bassin du réacteur numéro 4
devait s'effondrer, assure-t-il, les émissions de matière radioactive
seraient énormes : une estimation prudente donne une radioactivité
équivalente à 5 000 fois la bombe nucléaire de Hiroshima." A notre
connaissance, personne ne l'a contredit. [...]
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