Des syndicats d'enseignants interdits (Mediapart)
C’était il y a tout juste un siècle. Et cela a bien changé depuis, dès
l’entre-deux guerres, en dépit de l’hostilité affichée sur ce point par
Jules Ferry, le fondateur de l’Ecole républicaine.
La circulaire du 23 août 1912 du ministre de l’Instruction publique prescrit la dissolution ( sur décision du gouvernement ) des syndicats des instituteurs appartenant à la « fédération des syndicats » en raison de la résolution prise par leur congrès de Chambéry de soutenir le « sou du soldat », un dispositif de propagande antimilitariste de la CGT.
La circulaire du 23 août 1912 du ministre de l’Instruction publique prescrit la dissolution ( sur décision du gouvernement ) des syndicats des instituteurs appartenant à la « fédération des syndicats » en raison de la résolution prise par leur congrès de Chambéry de soutenir le « sou du soldat », un dispositif de propagande antimilitariste de la CGT.
Dès le début du XXème siècle, un mouvement de syndicalisation qui allait bien au-delà de la simple coordination des « amicales d’instituteurs » ( qui avaient d’abord été simplement « tolérées » puis « encouragées » par les autorités administratives et/ou politiques ) se développe, plus ou moins en liaison avec la montée en puissance d’une CGT qui se situait alors dans la mouvance « syndicaliste révolutionnaire ».
Les épisodes de conflits sont récurrents. On peut citer en particulier celui qui a abouti le 27 avril 1907 à la révocation de Marius Nègre, le secrétaire général de la « fédération nationale des instituteurs et des institutrices de France » ( contre l’avis de la majorité du conseil départemental de la Seine qui s’était prononcé contre cette révocation ).
Il
faut remarquer que tout mouvement de syndicalisation ou même tout
mouvement d’organisation dans le cadre national ( qui pouvait aller de
fait dans ce sens ) des enseignants avait suscité jusqu’alors plus que
de la défiance de la part des autorités politiques, même républicaines.
On peut citer en particulier Jules Ferry qui met en cause le 1er septembre 1887 l’un de ses successeurs à la tête du ministère de l’Instruction publique, Eugène Spuller ( lequel avait cru opportun de présider un congrès d’amicales d’instituteurs qui réclamait la constitution d’un mouvement national ) : « Tout ce qu’il y a d’esprit de révolte, d’orgueil envieux, de prétention à gouverner l’Etat dans la minorité brouillonne et tapageuse d’une corporation honnête et modeste, éclate dans le tumulte et, ce qui est grave, apparaît dans les résolutions. De pédagogie, l’on n’a cure : on n’en dit qu’un mot, pour la forme. Mais les traitements, les retraites, les intérêts matériels, l’organisation ‘’autonome’’, voilà le véritable objet…Si Spuller laisse se constituer cette coalition de fonctionnaires, outrage vivant aux lois de l’Etat, à l’autorité centrale, au pouvoir républicain, il n’y a plus de ministre de l’Instruction publique, il n’y a plus d’inspecteurs ». Eugène Spuller suit l’avis de Jules Ferry, et interdit catégoriquement toute union nationale des instituteurs.
Après la première guerre mondiale, un changement fondamental s’opère. La ''fédération des amicales" ( largement majoritaire parmi les instituteurs ) va à la CGT ( devenue réformiste ) dirigée par Léon Jouhaux, et se transforme en « syndicat national des instituteurs » ( septembre 1919 ). Le Cartel des gauches ( qui réunit les radicaux et les socialistes ) vainqueur aux élections de 1924, reconnaît aux fonctionnaires le droit de se syndiquer par la circulaire du ministre de l’Intérieur Chautemps du 25 septembre 1924 ). Et le ministre de l’Instruction publique Anatole de Monzie recommande aux inspecteurs d’académie, par sa circulaire du 20 juin 1925, de préparer le mouvement du personnel en accord avec les délégués élus au conseil départemental ( c’est à dire, de fait, presque toujours , avec les candidats du SNI ).
Une autre histoire commence.
La République qui, au début du siècle dernier, traquait le syndicalisme enseignant était bourgeoise et était obsédée par le danger révolutionnaire. Il n'en a pas toujours été ainsi : "A ses débuts, elle fit corps avec la Révolution." (Daniel Bensaïd). Au début, oui...mais nous sommes dans l'après... Relisons Daniel Bensaïd sur le rapport clé de la République à la révolution !
Daniel Bensaïd, la république et la révolution
Derrière la mythologie consensuelle républicaine, ses monuments
aux morts, ses taxis de la Marne, ses cours d’instruction civique, ses
leçons de morale calligraphiées au tableau noir par des maîtres austères
et vertueux, ses plumes gauloises et sergent-major, ses saints et ses
martyrs laïques, s’affrontent des républiques opposées et querelleuses.
Réputée « une et indivisible », la république est plurielle et divisée.
Elle n’est pas un spectre sans corps, elle est historique et charnelle.
A ses débuts, elle fit corps avec la Révolution. Ce furent deux
sœurs jumelles, nées sous le signe de la vierge, séparées et brouillées
par Thermidor. Débraillée, dépoitraillée, échevelée, la Révolution
devint alors infréquentable pour les gens comme il faut, les gens
d’ordre et de propriété. Elle fut condamnée à la vie souterraine des
taupes, à leur patient travail de creusement et de fouissement. La
République commença au contraire à s’étourdir dans les mondanités. A
fréquenter incroyables et muscadins, agioteurs et trafiquants de biens
nationaux, elle s’est embourgeoisée, bureaucratisée, conformisée.
Juliette et Justine : les prospérités du vice et les infortunes de la
vertu.
Elle a cependant continué à entretenir des rapports discrets avec
sa sœur rebelle. Déjà mise à l’épreuve des journées de Juin 1848, leur
relation ambiguë a connu une tumultueuse rupture sous la Commune. Péguy
datait précisément de 1871 le début de la plaine sans reliefs
historiques, dans laquelle s’est installée la République parvenue, avec
son rituel positiviste, son école publique et ses expéditions
coloniales. Ferry Jules - le vrai Ferry, l’original, pas la copie -
c’est bien sûr l’enseignement obligatoire et gratuit, mais c’est aussi
Ferry-Tonkin. C’est le début de la République affairiste. Qui marche au
pas. Qui anti-dreyfuse. Qui zéro-de-conduite. Et qui fusillera pour
l’exemple.
Cette République cynique et sénile n’a pourtant pas réussi à faire
disparaître son double, sa part maudite, la générosité juvénile de ses
débuts, lorsqu’avec la révolution, elles faisaient la paire, rêvant de
liberté, d’égalité, de solidarité. Ce rêve s’est bien vite brisé : avec
l’exclusion des pauvres du suffrage et la répression du mouvement
populaire, avec l’exclusion des femmes de l’espace public et de la
citoyenneté, avec les tergiversations à abolir l’esclavage et
l’empressement à le rétablir, avec la guillotine de Thermidor. Depuis,
il y a leur République, thermidorienne et chauvine, et la nôtre, sociale
et universelle. C’est une affaire sur laquelle, à moins de n’y plus
rien comprendre, on ne se réconciliera plus.
Tiré de 14 juillet, notre drapeau est tricolore : rouge, mauve et vert !
A lire aussi
L’Ecole émancipée, une histoire singulière (1/2) [Alternative Libertaire]
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Extraits : Dès les origines - tardives en 1872 avec la première tentative,
groupusculaire, de Marie Bonneval, puis plus significativement avec la
constitution en 1903 de L’Émancipation qui se
transforme en 1905 en Fédération nationale des syndicats d’instituteurs
(FNSI ou FSI) et adhère aux Bourses du travail - la première rupture a
lieu entre les « amicalistes » développant une conception corporatiste
et attachés au système et les syndicalistes, souvent révolutionnaires,
inspirés par Pelloutier et proches des positions de l’Association
internationale des travailleurs et de la CGT dont l’idéal de
« l’instruction intégrale » pour les enfants du peuple est repris par la
FSI.