Inopportun renforcement des relations entre l'Union européenne et Israël
LE MONDE |
Par Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH et Michel Tubiana, président du REMDH
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Par Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH et Michel Tubiana, président du REMDH
C'est entendu, l'Union européenne (UE) ne va pas "rehausser" ses rapports avec Israël, elle va "seulement" renforcer
ses liens par le biais de plus de 60 nouvelles activités très
concrètes, comme le mouvement des personnes, l'agriculture, la sécurité
ou encore la coopération, grâce à sept des agences les plus importantes
de l'UE. Simultanément, elle va maintenir
ses regrets, voire ses préoccupations concernant le blocage du
processus de paix, les progrès de la colonisation, les entraves au
développement de la Cisjordanie et de Gaza, tout en proclamant son
attachement à résoudre le conflit israélo-palestinien.
Trois éléments caractérisent la politique européenne dans cette région du monde : le constat critique des errements de la politique israélienne, le refus ou l'incapacité de tirer les conséquences de ce constat et le rôle de pourvoyeur de fonds, pour se donner sans doute bonne conscience. En attendant, le drame continue.
De leur côté, les Palestiniens vivent depuis des décennies dans une
situation insupportable et arbitraire. Ils sont confrontés à la
violence, aux obstacles pour produire, apprendre, se soigner, se marier et être reconnus comme un peuple ayant droit à un Etat, avec des frontières aussi sûres et reconnues que celles d'Israël.
Inutile de s'étendre sur la véritable politique de prédation menée
par les gouvernements israéliens qui se sont succédé, même si certains
veulent l'oublier ou la dissimuler
sous d'autres mots. L'immobilisme de la politique européenne est encore
moins acceptable qu'auparavant parce qu'il semblerait que l'Union
européenne n'ait toujours pas pris la mesure des bouleversements
intervenus autour d'Israël et de la Palestine. En Tunisie et en Egypte, de la Libye à la Syrie, et même dans les monarchies du Golfe, les régimes sont tombés ou sur le point de vaciller.
Ce que l'on nous disait impossible - peut-être parce que l'on pensait
que ces peuples ne partageaient pas la même humanité - est advenu : la
dictature et le népotisme ont été refusés, l'aspiration à la dignité et à
la liberté l'ont emporté sur la peur. Le modèle démocratique, avec les
incertitudes qu'il comporte, est bien à l'ordre du jour.
Pourtant, l'Union européenne, décrédibilisée par son soutien quasi
systématique aux dictatures et par une crise économique et sociale sans
précédent, ne semble toujours pas avoir
pesé les conséquences de cette situation. Le sort du peuple palestinien
ne sera plus la variable d'ajustement sur laquelle jouaient les régimes
conservateurs arabes pour calmer les impatiences de leur propre peuple. Pour que l'avenir
des transitions en cours s'inscrive dans une perspective démocratique
et que les mots de liberté, d'égalité des sexes et de liberté de
conscience s'ancrent dans des sociétés qui ne demandent qu'à respirer, il faut cesser de tenir un double discours et restituer aux faits leur sens.
Comment justifier
que la politique des différents gouvernements israéliens trouve
toujours, au-delà de l'allié permanent que sont les Etats-Unis, une
oreille complaisante auprès des Européens ? La culpabilité qui résulte
de la destruction des juifs d'Europe par les Européens eux-mêmes ? Cette rhétorique culpabilisante n'a plus la même résonance aujourd'hui.
Parce qu'Israël serait un morceau de cette Europe pétrie de
démocratie et de liberté, perdu au milieu de notre traditionnel ennemi
que serait l'islam ? Ce serait renouer avec le choc des civilisations de la pire des manières qui soit mais, plus encore, ce serait faire croire à Israël qu'il peut vivre en dehors de son environnement.
Qu'elle porte le nom d'impératif moral ou d'intérêt géopolitique, en appelant à rendre justice au peuple palestinien, aucune raison ne justifie la politique abstentionniste de l'Union européenne.
L'"approfondissement" des rapports économiques et de coopération
entre l'UE et Israël résonne dans ce contexte comme une légitimation. Il
s'agit d'un permis délivré aux autorités israéliennes pour poursuivre
une politique empêchant de résoudre le conflit, au grand bénéfice des
plus radicaux, mais aussi au préjudice des transitions en cours dans
toute la région. On peut s'imaginer, comme les dirigeants israéliens, que tout est bon à prendre tant que cela dure. Jusqu'à l'abîme ?
Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH et Michel Tubiana, président du REMDH
Inopportun renforcement des relations entre l'Union européenne et Israël
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