Non, les Roms ne sont pas nomades... et autres clichés (Libération)
A l'occasion de la réunion interministérielle sur les Roms ce mercredi,
revue de quelques idées reçues qui ont la vie dure.
Pour deux tiers des Français, les Roms sont «un groupe à part», si
l’on en croit un sondage mené cette année par la Commission nationale
consultative des droits de l’homme. A part comment ? Revue de quelques clichés
qui collent à la peau des Roms.
Cliché numéro 1 : ils sont nomades par nature
«Il n’y a pas de Roms ou de Tsiganes nomades. Du tout.» Martin
Olivera, anthropologue membre de l’Observatoire européen Urba-rom et formateur
en Seine-Saint-Denis auprès de l’association Rues et Cités, est clair : «Il
n’y a qu’une petite minorité de groupes qui ont une tradition de mobilité
saisonnière, sur de petites distances et toujours à partir d’un point d’attache,
lié à leur travail : ferronnerie, musique... Mais l’immense majorité d’entre eux
est sédentaire.» D’où vient alors ce cliché du bohémien de grands chemins ?
Il n’a pas toujours existé. «Ce n’est que récemment que l’étiquette "nomade"
a été accolée aux Roms», rappelle le sociologue rom Nicolae Gheorghe dans
une tribune publiée en 2010. «Dans les années 1930, l’Union
soviétique a commencé à interdire aux artisans roms et à leurs familles de se
déplacer à travers le pays pour chercher du travail. Les autorités soviétiques
recouraient au qualificatif de "nomades" pour justifier la répression de ces
Roms itinérants. Dans les années 1950, cette étiquette était reprise dans toute
l’Europe centrale et orientale.»
Le Rom éternel errant est une pure construction politique, abonde Martin
Olivera : «Cette image a été formée par les élites du XIXe siècle, au moment
où s’est fabriquée l’identité nationale. Une identité liée à l’idée
d’autochtonie, de filiation nationale. Par opposition, les Roms, appelés
Tsiganes à l'époque, ont été désignés comme les étrangers, ceux "qui ne sont pas
comme nous", qui seront toujours "d'ailleurs". Peu importait qu’ils soient
implantés en France depuis le XVe siècle.» Par la suite, l’instauration de
lois et du «régime des nomades» en 1912 (texte de loi ici, analyse là) pour contrôler ces
populations n’ont fait que figer ce stéréotype du nomadisme, poursuit le
chercheur.
Quant à l’idée de peuple, bien des Roms se définissent d’abord par leur
appartenance à leur pays ou localité d’origine plutôt qu'à une minorité
supranationale mal établie. «Un Rom de Transylvanie ne va pas se sentir
particulièrement proche d’un gitan de Perpignan», résume Martin Olivera.
Cliché numéro 2 : ils déferlent sur l'Europe
Il résiste mal aux chiffres. Certes, on dénombre entre 10 et 12 millions de
Roms en Europe, dont six millions au sein de l’Union européenne. Ces chiffres,
retenus par le Conseil européen, regroupent des communautés hétérogènes :
«les Roms, les Sintés (Manouches), les Kalés (Gitans) et les groupes de
population apparentés en Europe, dont les Voyageurs et les branches orientales
(Doms, Loms).» Beaucoup sont Roumains (entre 500 000 et 2,5 millions de
Roms) et Bulgares (environ 700 000).
En France, ensuite : on estime cette population rom, gens du voyage compris,
à 500 000 personnes, essentiellement Français et installés. Les Roms «migrants»,
ceux dont il est question dans le débat public, seraient 15 000, dont une moitié
d’enfants, selon diverses estimations, dont celle du collectif Romeurope. Présents
pour la moitié en région parisienne, les autres principalement autour de Lille,
Lyon et Marseille, ils sont pour la plupart Roumains et Bulgares. Or, ce chiffre
est stable depuis plusieurs années malgré les politiques d’expulsions. Autrement
dit, ce sont les mêmes groupes qui vont et viennent, via le système, critiqué,
des aides au retour. Ce qui invalide l’idée, chère au Front national, d’un
réservoir inépuisable de millions de Roms prêts à débarquer.
D'autant que «tous les Roms de Roumanie ne sont pas pauvres et
marginaux», rappelle – si besoin est – Martin Olivera. Car les Roms
migrants sont d'abord des migrants économiques comme tant d'autres, comme l’ont
été les Portugais et Italiens par le passé. Le chercheur en veut pour preuve que
le taux d’émigration est le même chez les Roms et chez les Roumains (environ
10%). Enfin, les Roms ne sont pas des populations sans attache. «Ce sont des
gens qui ont des lieux d’origine, on n’a pas affaire à un peuple qui aurait
vocation à se déverser vers l’ouest comme si l’Europe était en
pente.»
Cliché numéro 3 : ils s'entassent dans des bidonvilles
Les Roms n’ont ni pour idéal de vie ni pour tradition de s’entasser à 40 dans
des squats. Ni de camper
dans des recoins urbains. Pas davantage en Roumanie ou Bulgarie qu'en
France. C’est une résultante de la précarité dans laquelle il sont plongés,
recadrent de concert les associations. «Bien des Roms vivent le plus
normalement du monde en appartement, dans des maisons, mais ceux-là sont
"invisibles" aux yeux de la société. Il y a donc un effet de loupe sur les
autres, qui sont en bidonville parce qu’ils n’ont pas d’autre lieu où
aller», souligne Malik Salemkour, vice-président de la Ligue des droits de
l’homme et cofondateur de Romeurope. «Leur idéal de vie ce n’est pas de
constituer des immeubles des Roms ! Ils aspirent à se disperser, à s’installer
et à sortir de la stigmatisation.»
Le regroupement ? Un réflexe d’entraide et de sécurité. «Il y a chez les
Roms une culture familiale forte, mais pas plus que chez les migrants chinois ou
africains, sans que pour ces derniers on ne parle de clanisme», note Malik
Salemkour.
Cliché numéro 4 : tous des voleurs de poules
Ou de tuyaux de cuivre. On se souvient des «problèmes que posent les
comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms» érigés
priorité nationale par Nicolas Sarkozy en juillet 2010. Ou des impressionnantes
statistiques du ministère de l’Intérieur d’où il ressortait une subite
explosion de la «délinquance impliquant des ressortissants roumains»,
comprendre Roms.
Là encore, conséquence de la précarité et de la
stigmatisation, répondent les associations. Les ressortissants roumains et
bulgares, citoyens européens depuis 2007, font l’objet jusqu’au 31 décembre 2013
de «mesures transitoires» qui, de fait, les excluent du marché du
travail. S’ajoute à cela la faible qualification globale de ces familles, même
s’il y a toujours des exceptions. D’où le développement, chez les Roms migrants
des bidonvilles, d’une économie parallèle où coexistent mendicité, travail au
noir, mais aussi, aucun observateur ne le nie, revente de ferraille, vols et
trafics. «Là-dessus, on a construit des statistiques par une politique de
profilage ethnique», dénonce Malik Salemkour. «Evidemment, quand on
crée un délit de mendicité et qu’on arrête une famille qui a l’air de ressembler
à des Roms, on fait du chiffre.»
Cliché numéro 5 : ils ne veulent pas parler français
Dans les bidonvilles, la plupart des enfants, quand ils sont scolarisés comme
le prévoit la loi française pour les moins de 16 ans, apprennent assez vite le
français. Les choses se compliquent avec les expulsions, qui entraînent une
rupture de la scolarisation. Même difficulté chez les parents, qui sont
généralement accompagnés dans leur apprentissage du français par des
associations, comme pour beaucoup de primo-arrivants. Les Roms migrants parlent
souvent deux langues : le romanès et la langue de leur pays d’origine. Reste que
l’illetrisme est, chez eux, une réalité. Ainsi, en Roumanie, 30 % des Roms
adultes sont analphabètes et n’ont jamais été scolarisés en raison de leur
situation de pauvreté, selon une étude de l’Unesco. En France, leur apprentissage de la
langue est facilité par la proximité du roumain, langue latine, avec le
français.
Illustration : article_romsmontreuil.jpg
[...] Le gouvernement n’a-t-il pas aussi le mérite de prendre cette question complexe à bras le corps ?
Roms : faciliter l’accès au travail, "une vraie-fausse annonce" (NouvelObs)
Le gouvernement pouvait faire bien plus pour aider les Roms à s'intégrer, estime Benjamin Abtan, président du Mouvement anti-raciste européen Egam. Interview.
[...] Le gouvernement n’a-t-il pas aussi le mérite de prendre cette question complexe à bras le corps ?
- Certes, mais il a choisi pour le faire a minima, en
n’écoutant que le collectif Romeurope – autrement dit en choisissant un
interlocuteur français, et humanitaire. Le problème des Roms va bien
au-delà. Non seulement il n’a pas été considéré dans sa dimension
européenne, mais le gouvernement n’a même pas prêté l’oreille à l’Union
française des associations tziganes, qui représente la communauté. Si
ces aspects avaient été pris en compte, il serait allé beaucoup plus
loin.
Exemple ?
- L’an dernier, tous les pays de l’Union européenne ont présenté
devant la Commission européenne leur stratégie d’intégration des Roms.
Celle de la France était très insuffisante. On attendait donc du
gouvernement une révision profonde de cette stratégie, aussi bien en
matière de budget que de calendrier. Il existe à Bruxelles d’importants
budgets – des milliards d’euros - destinés à soutenir les projets
d’insertion des Roms. Or ils sont largement sous-utilisés. La France
pourrait choisir de mobiliser ces fonds. Et en matière de droits de
l’homme, elle aurait pu prendre l’engagement de porter au niveau
européen la lutte contre les discriminations et le racisme à l’égard de
ces populations.
Qu’auraient pu demander les communautés Roms et Tziganes si elles avaient été reçues en bonne et due forme ?
- L’abolition de la loi de 1969 conter les itinérants. Ce texte
discriminatoire impose à ces populations la détention d’un carnet de
circulation, la perte du droit de vote pendant dix ans en cas de
changement de commune de rattachement, ou encore un quota à ne pas
dépasser de 3% de gens du voyage par commune. L’an dernier, nous avons
demandé la suppression de cette loi et le Parti socialiste s’y est
engagé. Si le gouvernement avait reçu les porteurs de cette
revendication, il s’y serait peut-être engagé.
[...] Que répondez-vous à ceux qui estiment que ces populations sont impossibles à sédentariser ?
- De qui parle-t-on ? Les Roms de France, c’est 15.000 miséreux
Roumains et Bulgares. A l’échelle du territoire français, c’est gérable !
Dans leur pays, ils sont sédentaires et urbains depuis des décennies.
Il s’agit avant tout d’immigrés pauvres qui se retrouvent dans des
bidonvilles parce qu’ils n’ont pas les moyens de se loger. Il n’est pas
inscrit dans leurs gènes d’aller de bidonville en bidonville. Dit-on des
nouveaux immigrés espagnols qui fuient la crise économique que ce sont
des "nomades espagnols" ?