De l’inconvénient d’être né en ZEP
04 septembre 2012
Par Sebastien Rome (Mediapart)
Une classe maternelle de Lodève va fermer conséquence de la rentrée Chatel. Mais plus que l’anecdotique fermeture au milieu de milliers d’autres, il s’agit d’un cas d’école qui permet d’illustrer pourquoi les élèves des « ZEP » sont toujours, in fine, perdants.
Une fermeture de classe d’une école, c’est d’abord un nombre d’élèves qui baisse et une administration qui décide, à partir d’un certain « seuil » du nombre d’élèves moyen par classe, de déplacer l’enseignant dont la classe subit une mesure de fermeture (par exemple, on divisera 100 élèves de l’école par le nombre de classes, disons 5, quelque soit le nombre d’élèves par classe ; ainsi, deux classes à 10 et 30 sont équivalentes à deux classes de 20 élèves). Je passe sur les règles de ce « déplacement » d’enseignant et j’en reste aux élèves.
Cette baisse d’élève ne tombe pas du ciel. C’est un effet structurel, largement prévisible même si les nombres en jeu sont petits (parfois une fermeture se joue à quelques élèves). Ces effets se lisent dans le type logement où habitent les élèves « recrutés » par l’école. Ainsi, des écoles rurales qui ont connu une forte croissance avant l’augmentation des prix du foncier. Les jeunes couples étaient nombreux à venir s’installer en construisant des pavillons gourmands en espace. En l’espace de cinq ans, les prix augmentent fortement limitant l’arrivée de nouveaux couples avec enfants. Entre temps, la municipalité investit pour accueillir les nouveaux enfants qui…cinq à huit ans plus tard ne sont plus à l’école élémentaire mais au collège. Les classes commencent à fermer…
A Lodève, on retrouve une autre logique. Le centre ville qui accueille une population en quête de logements peu chers suite à des évènements de rupture : divorces, fuites de maris violents, pertes de travail, chômage de longue durée. Ces logements, souvent vétustes, seront un moment de transition dans la vie, l’école devient alors un lieu de passage, avant une possible reconstruction. L’école maternelle Fleury, du nom du cardinal Fleury, ministre de Louis XV, né à Lodève et dont l’hôtel abrite le magnifique musée portant son nom, accueille les enfants de ce centre-ville. L’Hérault est un des départements où la pauvreté est la plus haute en rapport à sa population et Lodève est dans la moyenne haute du département. Ainsi, le phénomène d’évitement scolaire, bien connu et analysé par Agnès Van Zerten ou Eric Maurin, conduit à fuir d’une manière ou d’une autre cette école. Est-ce que les enseignants sont en cause : non, ils font un travail remarquable. Il s’agit d’un phénomène très simplement « humain » où l’essentiel est de ne pas vivre avec ceux dont on estime qu’il faut se distinguer, afin de ne pas s’assimiler soi-même comme plus pauvre que ce que l’on se pense. Tout lutte, dans notre société, contre la mixité sociale. Cette tendance, voire habitude a été prise et encouragée par l’équipe municipale de droite qui conseillait de ne pas y inscrire les enfants des « notables » nouvellement arrivés en ville. La baisse des effectifs est donc tendancielle à l’école Fleury, chacun préférant habiter ailleurs ou contourner la carte scolaire. Ceux qui restent sont « pris au piège ».
C’est alors qu’avec des effectifs moins nombreux on pouvait s’attendre à ce que l’Etat maintienne les moyens pour donner plus à ceux qui ont moins. Mais les « logiques » sociales sont tout autres. D’abord, c’est une classe maternelle de Prémerlet qui devait fermer. On y retrouve le quartier résidentiel, anciennement nommé Versailles-Prémerlet, le plus proche de la ville. C’est l’école publique qui a bonne réputation. Une mobilisation rapide, forte et efficace s’est organisée. Les parents d’élèves font le tour des maisons pour motiver les inscriptions dans l’école et « enquête » sur le nombre prévisionnel d’élèves dans les écoles. La municipalité permet l’inscription de quelques enfants hors secteurs dans l’école « en danger », ce qu’elle avait déjà fait l’année précédente en changeant les règles de dérogations sans concertation pour « ne pas fermer » et ne pas faire « fuir les élèves dans le privé ». Les parents d’élèves de Prémerlet vont voir les élus, dont le député de droite de 2002 à 2012, Robert Lecou. En faisant pression sur l’Inspecteur d’Académie, l’ex-député obtient les chiffres confidentiels des prévisions d’effectifs des écoles de la ville qui montrent qu’il y a peu près le même nombre d’élèves dans les écoles ZEP et l’école non-ZEP. Suivant les observations des parents d’élèves de Prémerlet, Robert Lecou écrit à Madame Le Maire de Lodève qu’il faut éventuellement fermer à Fleury plutôt qu’à Prémerlet. Selon ces mêmes parents d’élèves, il fait cette même demande à l’Inspecteur d’Académie par téléphone et lui adresse un courrier précisément la baisse d’effectif concerne les autres écoles de la ville, sauf la leur. (tous les éléments sont dans le fichier pdf téléchargeable en fin de billet)
Quelques mois plus tard, au vu du nombre d’élèves à Prémerlet et peut-être d’autres paramètres dont je n’ai pas la clef, l’Inspection recherche une autre « solution », c’est-à-dire fermer ailleurs. L’idée initiale était de préserver l’école de centre-ville et donc de fermer une classe dans la troisième école maternelle, Pasteur, dont le public a changé du fait d’un changement de type d’habitation sur le bassin de recrutement de l’école (Les barres ont été détruites au moment même où de nombreux pavillons se construisaient). Immédiatement, la mobilisation, à la fin du mois de juin, est forte provoquant deux réunions publiques avec la municipalité en moins d’une semaine. Les parents d’élèves défendent les écoles, ne souhaitant aucune fermeture dans la ville. La municipalité PS, après l’élection présidentielle, écrit au Ministre pour l’informer de la situation.
Les jeux sont faits : un nombre d’élèves en chute « organisée », une faible mobilisation de parents d’élèves qui ont d’autres préoccupations et qui n’espèrent n’être que de passage rendant « nécessaire » la fermeture de la classe à Fleury. A la marge, sans le réseau et les moyens de mobilisation reconnus par les institutions, ces habitants se marginalisent un peu plus ; le départ vers un autre quartier ou une autre ville comme seul horizon. Ces sont les élèves qui, bien sûr, subissent les conséquences des inconséquences des adultes ; ce qui ont moins n’auront pas plus. Voilà comment les écoles ZEP sont moins dotées*. Pourtant, cela aurait pu être l’occasion de donner un peu plus à ceux qui ont moins. Mais il n’en sera rien…sans intervention politique.
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Le texte sur le site de Mediapart
*Ce matin, le jour de la rentrée, à Lodève, la moyenne d'élèves en classe maternelle est plus élevée en ZEP qu'en hors-ZEP.
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