La prison a fait son temps:  qu’elle crève !
La prise de la Bastille, acte fondateur de la Révolution 
française célébré chaque année, semble n’être plus qu’une référence 
historique désincarnée. Symbole même de la tyrannie, la prison reste 
aujourd’hui une arme de répression massive de notre camp social. 
Cul-de-basse-fosse des dictatures ou prisons aseptisées, déshumanisées, 
électroniquement surveillées dans les « démocraties », la prison tue à 
petit feu.
Les pouvoirs en place, qu’ils soient de gauche ou de droite, n’ont 
cessé de construire de nouvelles prisons, remettant aux calendes 
grecques tout débat de société sur l’utilité sociale de l’enfermement. 
Les militants anticarcéraux semblent encore bien isolés et leur slogan «
 pierre par pierre, mur par mur, nous détruirons toutes les prisons » 
résonne plus comme un défi que comme un mot d’ordre audible. Avant 
d’abattre les hauts murs,
il faudra détruire bien des préjugés et bien des idées reçues, y 
compris dans nos propres rangs. Les anticapitalistes ne doivent pas fuir
 leurs responsabilités et doivent prendre ce débat de fond à bras le corps. 
Celui-ci ne saurait être coupé d’une activité anticarcérale concrète qui
 prenne en charge la défense des droits des personnes détenues (droit à la 
santé, à la dignité, à l’application du code du travail...) et un 
soutien à toutes les formes d’auto-organisation des détenuEs. Ce dossier
 n’a pas d’autre prétention que de lancer le débat parmi nos lecteurs.
Il pourrait être le point de départ d’articles réguliers sur la question.
Anticapitalistejusqu’au bout , Résolument abolitionniste
Entretien avec Jean-Marc Rouillan, militant au NPA
Penses-tu que le débat contre la prison soit essentiel à nos mobilisations et à nos critiques anticapitalistes ?
Dans le mouvement révolutionnaire, ce débat est très récent. Il date des grandes remises en cause des années post Mai 68 avec les travaux de Michel Foucault et le groupe d’information sur les prisons. Avant, nous défendions les prisonniers politiques, nous affrontions la justice d’exception, mais nous n’avions pas saisi l’importance de la répression des pauvres et de la terreur que le système carcéral fait peser sur le travail et son obligation.
Dans le mouvement révolutionnaire, ce débat est très récent. Il date des grandes remises en cause des années post Mai 68 avec les travaux de Michel Foucault et le groupe d’information sur les prisons. Avant, nous défendions les prisonniers politiques, nous affrontions la justice d’exception, mais nous n’avions pas saisi l’importance de la répression des pauvres et de la terreur que le système carcéral fait peser sur le travail et son obligation.
Pourtant les bolchéviques s’étaient posé la question de la prison ?
Oui, ils avaient conscience qu’ils ne pourraient pas en faire l’impasse… et puis ils ont oublié… Ou disons qu’avec les reculs et les démissions, ils ont utilisé le carcéral au profit de leur répression. Et il en a été de même pour les régimes socialistes suivants. On a simplement changé l’uniforme des gardiens. Avec une éblouissante exception car au début de la révolution espagnole, en juillet 1936, la population des quartiers pauvres a attaqué des prisons, libérant non seulement les prisonniers politiques mais également les droit-communs qui, par la suite, ont participé aux combats organisés dans la fameuse Colonne de Fer. (1)
  
Oui, ils avaient conscience qu’ils ne pourraient pas en faire l’impasse… et puis ils ont oublié… Ou disons qu’avec les reculs et les démissions, ils ont utilisé le carcéral au profit de leur répression. Et il en a été de même pour les régimes socialistes suivants. On a simplement changé l’uniforme des gardiens. Avec une éblouissante exception car au début de la révolution espagnole, en juillet 1936, la population des quartiers pauvres a attaqué des prisons, libérant non seulement les prisonniers politiques mais également les droit-communs qui, par la suite, ont participé aux combats organisés dans la fameuse Colonne de Fer. (1)
Et aujourd’hui ?
Nous sommes à un tournant clé du carcéral et aucun mouvement 
révolutionnaire ou simplement progressiste ne peut faire l’impasse d’une
 véritable action contre la prison. Notre parti s’est déclaré 
abolitionniste.(2) Personne ne s’est vraiment rendu compte de ce que cela signifiait. De 
l’importance de cette déclaration qui nous engage tous et toutes. Nous 
sommes le premier parti d’extrême gauche à affirmer haut et fort qu’il 
ne pourra y avoir de bouleversement jusqu’au bout sans fin de la prison.
Crois-tu vraiment que cette question fasse l’unanimité dans notre parti ?
Je pense que nous sommes nombreux à n’en pas saisir l’enjeu réel et
 que ce positionnement risque de rester un simple bout de papier…un de 
plus ! Parler de prison aujourd’hui, c’est parler des quartiers 
populaires, c’est toucher du doigt la condition des plus exploités, des 
plus opprimés, c’est aborder la question de notre société d’apartheid, 
de la nature même du processus de fascisation dans le rapport 
État / couches populaires. Et ça, ce ne sont pas des bouts de papier, 
c’est la vie quotidienne de millions de personnes. Le militant qui nous 
dit, je préfère en rester aux luttes contre les licenciements, à la 
crise de la dette, n’a pas conscience des nouvelles réalités de notre 
classe, du nouveau processus du travail basée sur la précarisation. Pour
 le système, n’importe quel ouvrier posté est un précaire, même s’il n’en
 a pas conscience. Regarde les Aulnay, les Conti, les Molex…du jour au 
lendemain le capitalisme les jette à la rue…Le fer de lance de notre 
classe, celle qui n’a rien à perdre que ses chaînes et dont les émeutes 
de 2005 ne sont qu’une répétition, c’est bien cette population des 
grands ghettos urbains. La classe du travail et du non-travail à la 
fois. Et qui d’entre nous mène une activité dans un de ces quartiers me 
comprend, il sait pertinemment qu’on ne peut faire l’impasse de la 
question de la prison et de la répression en général. Mais il y a une 
partie de la population de ces quartiers qui réclame plus de prison, 
plus de sécurité…Dans les quartiers, deux gauches cohabitent. Une fausse
 gauche qui divise la population, celle qui soutient par exemple les 
habitants quand ils brûlent un camp de Roms, qui appelle à la 
construction de nouvelles prisons pour y enfermer des enfants des cités,
 celle qui réclame l’intervention de l’armée… Sous la bannière du 
clientélisme et sempiternellement du côté de l’ordre, ils divisent les 
pauvres en s’appuyant sur la réaction et l’air du temps. Mais nous, nous
 devons renforcer une vraie gauche, celle qui unifie la population en 
s’opposant à tous les racismes, à l’islamophobie galopante, au 
tout-sécuritaire et au tout-prison… Une gauche qui ne joue pas de la 
réaction mais qui la combat. Aujourd’hui de plus en plus de bourgeois, 
de gestionnaires, d’humanistes n’hésitent plus à revendiquer l’abolition
 de la prison…
Comme je l’exprimais plus haut, nous sommes à un tournant du 
carcéral. Même s’ils se disent plus réductionnistes qu’abolitionnistes, 
une partie des classes dirigeantes a bien compris que la prison n’est 
plus rentable en termes économiques (sans parler de rééducation), ils 
œuvrent vitesse grand V à un dépassement bourgeois de la prison (sans 
doute, une généralisation des contrôles électroniques, la prison chez 
soi, les fermes-prisons ouvertes…). Déjà ils affirment qu’ils garderont 
derrière les murs à peine 20 % des détenus. Mais ces solutions sont 
encore bloquées par la réaction ambiante (sans compter le processus de 
fascisation dans certains corps de l’État). Et puis expédier des pauvres
 en prison, les torturer à petit feu, fait grimper dans les sondages…
Nous, quand nous luttons contre la prison, nous abordons d’un point
 de vue de gauche les questions, non seulement de la torture carcérale, 
mais également de la justice dans sa nature de justice de classe. 
Pourquoi par exemple tolérer des patrons-voyous qui affament au nom des 
profits des milliers de familles en les réduisant au chômage, et durement
 condamner de petites voleurs ou des trafiquants de barrettes qui donnent
 simplement à manger à leur famille ? L’abolition de la prison d’un 
point de vue de gauche est un processus complexe de critiques et de 
remise en question de l’ordre moral et bien-pensant de la réaction 
capitaliste actuelle.
1. Note de la rédaction : il s’agit d’une colonne armée « Unión
 de Hermanos Proletarios UHP », liée à la CNT opérant dans la province 
de Palencia
2. Note de la rédaction : Plusieurs articles parus dans Tout 
est à nous ! ont défendu un point de vue abolitionniste mais le débat 
commence au NPA.
Taubira : le changement dans la continuité…
De la part d’Hollande nommer Christine Taubira à la Justice était 
habile : noire, intellectuelle, non encartée au PS, elle réunit toutes 
les qualités pour séduire la fraction progressiste du monde judiciaire 
et ainsi faire contrepoids au méchant sécuritaire Valls. Pourtant, dès 
juin 2012, un premier signal a mis la puce à l’oreille de ceux qui 
pouvaient avoir des illusions : la proposition du Contrôleur général des
 prisons d’amnistier les peines de moins de six mois était sèchement 
rejetée. Cette simple mesure aurait permis de mettre fin à la 
surpopulation carcérale. Démonstration :
- Surpopulation pénale en mai 2012 : 67 000 personnes détenues pour 57 400 places.
- Au 1er janvier 2012, un peu plus de 20 000 détenus purgeaient une
 peine de moins d’un an. Aux termes de la loi pénitentiaire de novembre 
2009, ils pourraient tous exécuter cette peine en milieu ouvert. Si la 
loi était appliquée, le nombre actuel de places de prison serait donc 
trop élevé : 67 000 détenus – 20 000 amnistiés = 47 000 détenus pour 
57 400 places. Soit plus de 10 000 places en trop !
Plus d’alternatives ou plus de prisons ?
Dans le même temps où elle annonce sa volonté de développer les 
alternatives à la prison et de créer une peine de probation, la ministre
 affirme qu’elle a pour objectif d’atteindre 63 000 places de prison 
d’ici cinq ans en créant 6 000 nouvelles places.(1) Certes, elle revient 
ainsi sur les 80 000 places votées en février dernier, mais le compte 
n’y est pas. On le mesure à l’examen du projet de budget de la Justice 
pour 2013, l’un des rares en hausse (+ 4, 3 %). Pour les aménagements de
 peines le budget 2013 crée 80 postes de juges d’application des peines, 
40 de greffiers, 43 de conseillers d’insertion, 20 de psychologues et 32
 emplois affectés à la surveillance électronique. Pour le Snepap FSU, 
syndicat majoritaire au SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation), en première ligne dans le dispositif d’aménagement des 
peines et de réinsertion des personnes détenues, ces quelques créations 
de postes ne compensent pas les pertes accumulées en 2010 et 2011 de 
sorte que, faute de moyens, l’ambition d’une réelle alternative à la 
détention restera lettre morte.
La construction de places de prison supplémentaires est 
« contradictoire avec les aménagements de peines. Lorsqu’il faudra 
financer l’investissement de ces places – une place en cellule coûte 
environ 100 000 euros – et des personnels de surveillance indispensables
 pour permettre le fonctionnement des ces prisons nouvelles, 
restera-t-il des moyens financiers pour recruter des personnels 
d’insertion et de probation supplémentaires qui permettraient la 
réussite des alternatives à l’incarcération et des aménagements de 
peines ? »
Qui a prononcé ces mots ? Le sénateur UMP J.R. Lecerf, rapporteur 
de la loi pénitentiaire de 2009 à propos des 24 000 places votées sous 
Sarkozy. Cette citation est extraite d’une pétition contre la loi 
« d’exécution des peines » de février 2012 qui avait rassemblé un 
éventail impressionnant d’associations et de syndicats. (2)
À quand une mobilisation similaire pour faire sauter les 6 000 
places Taubira ? Il est encore temps d’agir car le budget de la Justice 
n’a pas encore été présenté au Parlement.
1. La prison de Rodez ouvrira en 2013. Lancement de la 
construction des prisons d’Orléans, Vendin-le-Viel (Pas-de-Calais), 
Riom, Valence, Beauvais, Draguignan, Majicavo (Mayotte), Ducos 
(Martinique) et Papeari (Polynésie).
2. Anjap, Ban public, Cimade, CGT (pénitentiaire, justice et 
PJJ), Citoyens et Justice, Croix Rouge, Droits d’urgence, Emmaüs, 
Farapej, Fnars, Fédération protestante, Génépi, OIP, Secours Catholique,
 Snepap FSU, Syndicat de la Magistrature, SNPJJ FSU.
La France a la récidive qu’elle mérite
Entretien avec Laurent Jacqua, ancien détenu, salarié à Act Up-Paris
Que réponds-tu à quelqu’un qui dit que la prison, c’est fait pour protéger la société ?
Je dis que c’est une connerie. La prison n’est pas faite pour 
protéger la société mais pour écarter des gens dont la société ne veut 
plus. Mais à un moment ces gens vont sortir, s’ils survivent, parce que,
 il faut le rappeler, il y a un mort tous les trois jours, six 
tentatives par jour. Ils ne prennent pas tous 30 ans. Une fois qu’ils 
sont désocialisés, déstabilisés quand ils retrouvent la société, qu’on 
les a traités comme des merdes, comme des clébards…et bien voilà. La France a la récidive qu’elle mérite. Tout 
simplement. Et le type qui est désocialisé, qui n’a plus de travail, qui
 a perdu sa femme, ses enfants parce qu’il a fait un séjour en prison, 
qu’est-ce qu’il va faire sinon se révolter ou bien replonger parce qu’il
 n’a pas d’autre solution pour bouffer que d’aller voler…
Et si on améliorait la situation des prisons ?
Moi, je suis contre l’amélioration des conditions de détention. 
Parce que plus on améliore les prisons, plus on va allonger les peines 
et plus on va améliorer le système répressif. Pour ma part on n’améliore
 jamais un appareil de répression. C’est comme si on huilait une 
guillotine. Ca veut dire qu’au lieu de faire de la prévention, au lieu 
de mettre de l’argent dans l’école, au lieu de mettre des systèmes à 
l’extérieur pour aider les gens à s’en sortir, non, on trouve la 
solution la plus rapide et la plus simple, on s’en débarrasse, on les met
 en prison. Plus on améliore un système répressif, plus on l’accepte. Et
 plus on accepte la prison plus on est d’accord pour enfermer plus de 
gens et on se débarrasse d’une catégorie sociale qui essaie de survivre. 
Et en vérité, ça devient une arme contre la population. L’enfermement 
reste de l’enfermement, c’est la liberté qui compte.
Pourquoi Act Up-Paris intervient-elle sur les prisons ?
Act Up lutte pour la libération des malades, l’arrêt de cette 
répression folle envers différents types de population, envers des 
malades qui sont en train de crever dans les prisons. On laisse crever 
en prison les gens qui ont le sida. Et la contamination en prison n’est 
elle-même pas prise en compte, ne serait-ce qu’avec les programmes 
d’échange de seringues pour éviter les contaminations. Cela n’existe pas
 en France, alors qu’on enferme les gens les plus vulnérables vis-à-vis 
de la maladie, à commencer par les toxicomanes. On préfère les mettre en
 prison plutôt que de les soigner. Aujourd’hui on peut mettre un malade 
du sida au mitard ou en quartier d’isolement pendant des années, ce qui 
m’est arrivé. Les régimes les plus durs qu’on a connus dans l’histoire 
ont commencé à enfermer les malades dans les prisons.
Alors faut-il abolir ?
Je ne dirais pas abolir parce qu’on est dans un système où il y a 
des prisons, il y a des procédures pénales. Moi je dis qu’il faut déjà 
réduire la population pénale. Il y a 29 % des gens en prison qui ne sont
 pas condamnés. En préventive. La présomption d’innocence, voilà… Ils 
pourrissent en maisons d’arrêt, en attente de jugement alors qu’ils 
pourraient bénéficier d’une liberté provisoire en attendant le jugement.
 Déjà c’est 29 %. Après, vous avez les vieux, les malades, les jeunes qui
 font moins d’un an. Qu’est-ce qu’ils foutent en prison tous ces 
gens-là ? Mais c’est parce qu’il n’y a pas d’autre système que la 
prison. Il pourrait y avoir tout un tas de structures qui permettent 
d’éviter la prison, mais il n’y a pas d’argent pour ça. La prison c’est 
facile, comme ça on n’a pas besoin de s’en occuper à l’extérieur. La 
population n’a pas conscience de ce que le système est en train de leur 
faire à eux. Parce que, qui va en prison ? Ce ne sont pas les ministres 
ou les hauts fonctionnaires. On ferme une usine, on ouvre une prison. On
 ouvre une prison, on ferme une école. C’est clair, c’est net. Les 
ouvriers qui se retrouvent au chômage et qui sont dans la merde, à un 
moment donné la société les mène à faire la faute et cette faute les 
amène en prison. Tous ceux qui sont de Gandrange, les sociétés qui 
ferment aujourd’hui, que vont-ils faire ? Une fois qu’ils seront au 
chômage, qu’ils n’auront plus d’oseille, comment vont-ils faire pour 
faire bouffer leur famille ? Ou ils pètent les plombs ou ils font de la 
grivèlerie. Ces gens finissent par se retrouver un jour confrontés à la 
répression, confrontés à la prison.
À lire : J’ai mis le feu à la prison, Laurent Jacqua, éditions Gaswitch
À aller voir : le blog de Laurent, Vue sur la prison, laurent-jacqua.blogs.nouvelobs.com/











