Législative à Béziers: le triple test
Mediapart 08 décembre 2012 |
De notre envoyé spécial à Béziers
Un univers intellectuel que France Jamet connaît bien. Candidate à la législative partielle de Béziers, elle représente le FN canal historique. Son père, Alain Jamet, a fondé le parti avec Jean-Marie Le Pen. Elle-même dirige le groupe FN au conseil général du Languedoc-Roussillon. Avec sa voix rauque et ses bons mots, elle fait immanquablement penser à Marine Le Pen. Ce dimanche, France Jamet est candidate à la législative partielle de Béziers. Et elle ne compte pas faire de la figuration.
En juin, le candidat FN était son compagnon, Guillaume Vouzellaud. Mais après un accident de la route – dû à un mystérieux « burn-out » –, ce dernier a disparu de la circulation. France Jamet a repris le flambeau. En juin, la législative à Béziers avait donné lieu à une triangulaire PS-UMP-FN. En pleine vague rose, la socialiste Dolorès Roqué avait été élue face à l'UMP Élie Aboud avec dix petites voix d'avance (sur 50 000 suffrages exprimés), à la surprise générale dans cette circonscription très à droite. Le 24 octobre, l'élection a été invalidée à cause de 23 procurations irrégulières.
Six mois plus tard, la configuration politique est fort différente. L'UMP a implosé. Le PS est déjà en délicatesse avec son électorat. Si bien que l'élection de Béziers, une des trois législatives partielles de ce week-end (deux autres sont prévues dans les Hauts-de-Seine et dans le Val-de-Marne), fait à plusieurs égards figure de test politique.
« Nous sommes devenus un laboratoire électoral national », s'amuse Dolorès Roqué. La socialiste, enseignante devenue députée un peu par surprise en juin dernier, entend bien « confirmer le changement et ne pas se laisser voler la victoire de juin », même si la présidence Hollande vit des moments difficiles. En face, l'UMP Élie Aboud, député de 2007 à 2012, veut récupérer son mandat malgré le chaos dans son parti. Quant au FN, bien implanté localement, il veut croire que son moment est venu. « Ce qui va sortir des urnes est bien incertain », explique le Front de gauche Paul Barbazange, pourtant vieux briscard de la politique locale. Seule (quasi) certitude : dimanche, il devrait y avoir un mort. L'abstention – 40 % en juin – risque d'être plus forte encore. Il semble impossible que trois partis dépassent 12,5 % des inscrits, le seuil requis pour se maintenir au second tour.
Pour éviter la disparition dès le premier tour, chaque parti a mobilisé jusqu'au bout. Vendredi matin, candidats et militants ont encore investi le marché de Béziers. Dolorès Roqué la première, car malgré le retrait de deux dissidents (un PS et une radicale de gauche), elle convient que la réélection sera « difficile ».
Certains électeurs de gauche l'embrassent ou lui glissent des encouragements. Mais avec d'autres, les échanges sont vifs. « Je suis vraiment déçu, je ne voterai pas pour toi, lui lance Gilles, qui la connaît bien. Vous auriez pu faire des choses plus vite, le vote des étrangers par exemple, vous ne le ferez jamais ! Il y a aussi eu le traité européen... et puis regarde ces usines qui ferment. Moi je voudrais une politique de gauche ! » La députée sortante lui rappelle qu'elle s'est abstenue sur le traité européen, jure que « l'histoire de Florange n'est pas terminée ». Gilles ne veut rien entendre et s'en va furieux.
« Hollande président, pour moi, c'est un concept ! »
« C'est fini, j'en ai ras-le-bol, lâche Véronique, des sanglots dans la voix. J'ai voté François Hollande, j'ai voté pour vous, mais là franchement je ne comprends pas pourquoi il faut revoter. Les électeurs, ils en ont marre, marre, en plus avec ce qui se passe à l'UMP... Et puis ça ne va pas assez vite. Hollande a trop traîné sur les licenciements, le chômage, la pauvreté qui augmente. C'est trop dur. » La socialiste tente de la persuader d'aller voter dimanche. Peine perdue.
« Je sens un malaise dans l'électorat PS, une profonde déception », analyse le candidat du Front de gauche, Paul Barbazange. « Il y a une attente mais aussi sans doute une déception, nuance Dolorès Roqué. L'attente, je la comprends, mais la déception, je ne la partage pas. Nous avons hérité d'une situation très compliquée et nous avons tout un quinquennat pour agir. » L'ex-députée PS souligne que François Hollande a déjà tenu « 20 engagements » sur 60. Elle parle inlassablement du retour partiel de la retraite à 60 ans, de la revalorisation de l'allocation de rentrée scolaire, de la banque publique d'investissement, etc. Cela ne convainc pas toujours. « Pour moi, Hollande président c'est encore un concept ! dit Faïsa, commerciale de 25 ans qui a voté PS au printemps dernier. J'espère quand même qu'il va se réveiller un peu. »
Ces derniers jours, la sortante a convié sur place quelques cadors : le président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone, la ministre déléguée Marie-Arlette Carlotti, le premier secrétaire du PS, Harlem Désir, venu jeudi soir dans une salle remplie de militants et d'élus socialistes de la région – un exploit au vu des divisions locales du PS. Elle a animé seize réunions publiques, multiplié les séances de tractage, en priorité dans les quartiers populaires où elle fait de bons scores. « Nul escalier, nul bâtiment, nulle rue n'échappe à notre vigilance », affirme-t-elle. « Ça va quand même être compliqué de gagner », s'inquiète Patrick Vignal, autre député PS de l'Hérault venu la soutenir jeudi soir. « Il n'y a plus de vague rose, et les gens pensent peut-être que ce n'est pas si grave si on perd un siège. »
Jusqu'au mois dernier, le candidat de l'UMP Élie Aboud pensait d'ailleurs tenir une revanche facile. C'était avant « la merde » à l'UMP, dit sans détour ce chirurgien fort en gueule. Très proche de Jean-François Copé, le maire-adjoint de Béziers a donc supplié son mentor de ne surtout pas venir le soutenir. Et misé toute sa campagne sur son image : sympa, hâbleur, au cœur de tous les réseaux locaux... et à droite toute.
Entre 2007 et 2012, à l'Assemblée nationale, ce membre de la Droite populaire a déposé des propositions de loi très symboliques : un texte pour honorer la mémoire des victimes de la guerre d'Algérie – importance locale du vote rapatrié oblige ; d'autres sur les fraudes à la carte vitale et aux retraites. Il a aussi voulu s'attaquer aux « outrages à la nation » et déposé une loi pour faire « respecter » les « symboles républicains » pendant les mariages en mairie. Aboud assume : « Je suis intraitable avec certains sujets pour ne pas les laisser à des connards de fachos. » C'est surtout qu'à Béziers, la droite locale se caractérise par un véritable « néant idéologique », selon Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS. Avec l'extrême droite, le discours et l'électorat se confondent souvent, au gré des circonstances. Cette communion pourrait d'ailleurs être fatale à la candidate PS au second tour.
A priori, Aboud dispose de quelques longueurs
d'avance face au FN. En juin, il avait fait bien mieux que le score à la
présidentielle de Nicolas Sarkozy et distancé le candidat FN de 5 600
voix. Sa suppléante est de Valras, une des communes les plus à droite de
la circonscription. « J'ai du mal à croire que
je pourrais être éliminé au premier tour, mais franchement, les médias,
vous m'avez parasité l'esprit, dit Aboud. À force de l'entendre
du matin au soir, je me dis que c'est peut-être une éventualité. En tout
cas si c'est le cas, il faut dire à Copé et Fillon qu'ils n'ont plus
qu'à tout lâcher et recommencer à zéro. »
Son électorat a en tout cas très mal vécu le chaos interne au parti. « Tu n'aurais pas déjà été député, franchement je dirais que tu ne passes pas », lui dit franco un militant. « Ça a trop duré, ils ont fait une connerie terrible et ça va laisser des traces, prédit Salah, ancien employé municipal qui vote à droite. Aboud nous dit qu'il faut voter sur les enjeux locaux, mais un député c'est quand même à l'Assemblée nationale, c'est là-haut ! » dit-il en levant le doigt vers le ciel. Il reste évasif sur son vote, n'exclut pas de voter blanc. « On était de droite mais la droite est décevante, dit Simone, une retraitée croisée au marché. On votera Marine. Comme dit mon mari : ils n'ont jamais été au pouvoir, faut les essayer. »
C'est
exactement sur cette rancœur des militants de droite que parie France
Jamet, la candidate du FN. Ici, son parti est en confiance. « Sur ce territoire, le FN est déjà en très bonne position, explique Emmanuel Négrier.
Il se sent relativement légitime car il a déjà capitalisé une certaine
influence. Même si le vote FN reste intermittent, des gens ont pris
l'habitude de voter pour lui. » Aux dernières cantonales, le FN a
frôlé l'élection de 170 voix dans un des cantons de la circonscription.
Le polémiste Robert Ménard, désormais proche des thèses du FN, vise la
mairie de Béziers en 2014. Ces derniers jours, la députée Marion
Maréchal-Le Pen et le numéro deux du FN, Louis Aliot, sont venus en
personne soutenir l'héritière Jamet.
Son électorat a en tout cas très mal vécu le chaos interne au parti. « Tu n'aurais pas déjà été député, franchement je dirais que tu ne passes pas », lui dit franco un militant. « Ça a trop duré, ils ont fait une connerie terrible et ça va laisser des traces, prédit Salah, ancien employé municipal qui vote à droite. Aboud nous dit qu'il faut voter sur les enjeux locaux, mais un député c'est quand même à l'Assemblée nationale, c'est là-haut ! » dit-il en levant le doigt vers le ciel. Il reste évasif sur son vote, n'exclut pas de voter blanc. « On était de droite mais la droite est décevante, dit Simone, une retraitée croisée au marché. On votera Marine. Comme dit mon mari : ils n'ont jamais été au pouvoir, faut les essayer. »
« La fracture est consommée entre l'UMP et sa base », affirme France Jamet qui dit avoir reçu « 20 à 30 coups de fil par jour de militants UMP en colère » après l'implosion de l'UMP. « Il y a quelques semaines, ce vote, c'était la voie royale pour Aboud mais là je suis clairement optimiste, poursuit-elle. L'accueil
est positif, le contexte assez exceptionnel. Notre électorat a plus de
raison de se mobiliser que le PS et l'UMP. On a une vraie chance. » Elle s'en prend aussi à la gauche. « Les gens sont catastrophés, c'est le changement dans la continuité. » Elle évoque le « traité Merkozy », les « 1 500 chômeurs de plus par jour », etc.
France Jamet a basé sa campagne sur la crise et le déclin de la cité. Béziers, 70 000 habitants, n'en finit pas de sombrer. Depuis 1968, 10 000 habitants sont partis. La ville ne s'est jamais remise des restructurations dans la viticulture. Au cours des dernières décennies, de nombreux services publics ont déserté vers Montpellier, rationalisation et réforme de l'État obligent : EDF, la Caf, l'Urssaf, la Sécurité sociale. La Banque de France fermera en 2014. Le dépôt SNCF employait 800 personnes il y a trente ans, ils ne sont plus que 190. Avec 15,4 % de demandeurs d'emploi, Béziers est la cinquième zone d'emploi (sur 321) la plus touchée en France par le chômage.
Le centre est décati, comme figé par endroits dans les années 1960. Les commerces ferment, la ville se précarise, l'immobilier est au plus bas, les marchands de sommeil pullulent. « Ici, dès que les gens gagnent un peu de sous, ils cherchent à partir. Restent ceux qui ne peuvent pas faire autrement, d'où un sentiment très fort de relégation », note le conseiller général PS Jean-Michel Du Plaa. Une commerçante des allées Riquet, les ramblas de Béziers, se lamente : « Le centre-ville, on le refera plus, il est mort. J'ai connu les rues grouillantes de monde, les cinémas en centre-ville. Maintenant, c'est désert et il n'y a que des cas sociaux et de la racaille. » Un climat délétère dont le FN fait son miel électoral.
« Jamet reprend mot pour mot le discours de la CGT ! » s'étrangle Paul Barbazange, le candidat Front de gauche. En juin, cette figure du PCF local créditée de 6 % des votes au premier tour avait soutenu la candidate socialiste au second. Il refuse encore de dire ce qu'il fera cette fois-ci, même s'il souligne que Dolorès Roqué est une « camarade ». Et que « le vrai danger est la collusion de la droite et de l'extrême droite ».
Illustration NPA 34 : BeziersVue1_WEB.jpg
Sur Midi Libre : Le Front national s’apprête à porter son coup de Béziers
France Jamet a basé sa campagne sur la crise et le déclin de la cité. Béziers, 70 000 habitants, n'en finit pas de sombrer. Depuis 1968, 10 000 habitants sont partis. La ville ne s'est jamais remise des restructurations dans la viticulture. Au cours des dernières décennies, de nombreux services publics ont déserté vers Montpellier, rationalisation et réforme de l'État obligent : EDF, la Caf, l'Urssaf, la Sécurité sociale. La Banque de France fermera en 2014. Le dépôt SNCF employait 800 personnes il y a trente ans, ils ne sont plus que 190. Avec 15,4 % de demandeurs d'emploi, Béziers est la cinquième zone d'emploi (sur 321) la plus touchée en France par le chômage.
Le centre est décati, comme figé par endroits dans les années 1960. Les commerces ferment, la ville se précarise, l'immobilier est au plus bas, les marchands de sommeil pullulent. « Ici, dès que les gens gagnent un peu de sous, ils cherchent à partir. Restent ceux qui ne peuvent pas faire autrement, d'où un sentiment très fort de relégation », note le conseiller général PS Jean-Michel Du Plaa. Une commerçante des allées Riquet, les ramblas de Béziers, se lamente : « Le centre-ville, on le refera plus, il est mort. J'ai connu les rues grouillantes de monde, les cinémas en centre-ville. Maintenant, c'est désert et il n'y a que des cas sociaux et de la racaille. » Un climat délétère dont le FN fait son miel électoral.
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