Mélenchon et les Indiens de Sarayaku (ode à la “révolution citoyenne”)
Habitué aux sports de haute voltige, je vais commencer, moi qui ai conchié tant de fois Jean-Luc Mélenchon, par lui rendre hommage. Attention, c’est un saut périlleux arrière retourné, et je ne suis pas sûr de bien me rattraper. Roulement de tambour. Les paroles de Mélenchon dans Libération (ici) m’ont paru sortir du cadre habituel de la simple propagande. Cette dernière y était bien sûr, mais pour qui s’en tient aux mots, nul doute qu’il y avait là une petite musique intéressante.
En deux mots, Mélenchon y affirme que le tournant de son Parti de Gauche vers l’écologie n’a rien de tactique. Il s’agirait d’une conversion profonde et sincère. L’avenir, bien que présenté d’une manière nébuleuse, appartiendrait à la « règle verte », à la « planification écologique ». Certaines formules prêtent tout de même à sourire, comme : « Il faut cesser de produire et d’échanger dans des conditions telles que la capacité de renouvellement de l’écosystème n’y répond plus. C’est simple, ça se chiffre et ça se planifie ». Mais au total, allez, une mention passable. Inutile d’insister, à ce stade, sur le but à peine caché de faire disparaître, à terme, le parti EELV. Au reste, je m’en fous bien.
Où sont passés les textes de 1992 ?
Pour être honnête ou tenter de, signalons les 18 thèses pour l’écosocialisme proposées au débat dans le Parti de Gauche (ici, puis chercher un peu). J’ai lu, ce qui ne doit pas être le cas de tout le monde. Si je veux être (très) gentil, je dirai que c’est rempli de proclamations et de bonnes intentions. Un peu comme le programme du parti socialiste d’avant 1981, que défendait d’ailleurs, à l’époque, Mélenchon. On a vu. Les programmes de partis sont comme des promesses. Des mirages. Et si j’essaie d’être franc, j’ajouterai qu’il s’agit de vieilleries assez consternantes. Le mot écosocialiste, désolé de faire de la peine aux mélenchonistes, a été employé à de nombreuses reprises dans le passé, et a même été défendu avec clarté par la Ligue communiste révolutionnaire il y a de longues années.
Le pire n’est pas là : il n’y a aucune analyse de la situation réelle du monde. De la dislocation déjà entamée de nombreuses sociétés sous le coup de la crise écologique. On se croirait en 1970. On y est, d’ailleurs. La crise diabolique du climat, la crise sans limites apparentes de la biodiversité, la crise mortelle des océans, la crise planétaire des sols fertiles ne sont pas au tableau. En somme, les questions politiques les plus essentielles ne font pas partie de la discussion publique. Quel étrange parti écosocialiste.
Retour à Mélenchon. Il est important de savoir ce que ce politicien pense. Non pour lui, je l’avoue, mais à cause des gens, souvent d’excellentes personnes, qui croient en lui. Mélenchon, dans l’article de Libération évoqué, se vante de textes qu’il aurait écrits sur l’écologie dès 1992. Qu’il les publie donc, que l’on puisse rire un peu ! Ne remontons pas à Mathusalem, seulement au 22 octobre 2012. Ce jour-là, l’agence chinoise Xinhua publie une dépêche (ici, en français) qui résume un entretien que lui a accordé Mélenchon. Que dit-il ? « Je considère que le développement de la Chine est une chance pour l’humanité ». Une telle phrase, je pense, a le mérite de la clarté, mais comme elle m’a littéralement soufflé, j’ai cherché une confirmation. Les bureaucrates chinois, staliniens dans l’âme, avaient peut-être tordu le propos de notre grand Leader Écosocialiste ?
La croissance chinoise est une chance pour l’humanité
Eh bien non. Le 28 octobre 2012, Mélenchon était l’invité de Tous Politiques sur France Inter (ici), et y parlait à nouveau de la Chine (à partir de la minute 44). Il y confirme sans détour que la « croissance chinoise est une chance pour l’humanité ». Je crois pouvoir affirmer, car à la différence de Mélenchon, je sais de quoi je parle, que notre Grand Homme de poche démontre ainsi qu’il n’a strictement rien d’un écologiste. L’inculture profonde, l’ignorance abyssale ne sauraient être une excuse pour raconter de telles inepties. Car la Chine, comme je l’écris en de nombreux endroits depuis une dizaine d’années, nous menace tous, elle d’abord, d’un krach écologique à côté duquel la Grande Dépression d’après 1929 ressemblerait à une dispute pour un bout de chocolat.
Je n’ai pas le temps de détailler, mais même ici, sur Planète sans visa, il est aisé de retrouver certains textes grâce au moteur de recherche. La Chine, qui devient la plus grande économie mondiale, n’a plus d’eau, plus d’air, plus de terres agricoles capables de supporter une croissance démentielle. Et elle ruine en conséquence, pour des siècles au moins, quantité de pays d’Asie - le Cambodge et le Laos sont en haut de la liste - et désormais d’Afrique, s’emparant aussi bien du bois que du pétrole ou encore de millions d’hectares de terres destinées à produire, in fine, la viande que réclame tant sa classe moyenne.
Dire que la croissance chinoise, qui n’est que dévastation, est une chance pour tous n’est pas seulement imbécile. C’est aussi criminel. Je pèse mes mots, si. Dans la même émission d’Inter, Mélenchon se répand comme à son habitude sur la supposée vitalité des gauches latino-américaines. C’est justement de cela que je voulais vous parler, comme en atteste le titre que j’avais placé tout là-haut avant de commencer ce roman-fleuve. Le 17 février 2013, l’Équateur vote pour l’élection de ses président et vice-président de la République. Le président actuel, Rafael Correa, se représente et espère l’emporter une nouvelle fois. Qui est-il ? Un homme de gauche, à coup sûr. Est-il plus proche de la ligne Chávez que de la ligne Lula ? C’est hautement probable, et ce qui est certain, c’est que Correa est l’un des grands inspirateurs de Mélenchon. Il a notamment popularisé l’expression un brin étrange connue sous le nom de « révolution citoyenne » que le Français arrange désormais à toutes les sauces. Pendant la campagne présidentielle du printemps dernier, Correa a envoyé à Mélenchon un vibrant message de soutien, rendu public, qui commençait ainsi : « Querido Jean-Luc ». Et finissait par ce vieux slogan guévariste : « ¡ Hasta la victoria, siempre ! ».
Les 1200 habitants de Sarayaku
Je pense que cela suffit
pour établir la grande proximité entre les deux hommes. Et je poursuis.
Les élections équatoriennes approchent, et surtout, ne quittez pas, car
je vais (probablement) vous apprendre quelque chose. L’Équateur est un
pays deux fois plus petit que le nôtre, peuplé de 15 millions
d’habitants. Entre Quito, la capitale, installée sur les flancs d’un
volcan, à 2850 mètres d’altitude, et l’Amazonie équatorienne, il n’y a
pas grand chose en commun. Dans la forêt légendaire, des peuples indiens
survivent tant bien que mal. Mal. Et parmi eux les kichwa. Et parmi
eux, les 1200 habitants du village de Sarayaku (ici). Ils vivent de, ils vivent avec la forêt depuis des milliers d’années.
Mais le pétrole ne vaut-il pas mieux que tout ? Voici un court résumé, emprunté à Frontière de vie (ici) : «
Afin de développer l’exploitation du pétrole amazonien, l’Etat
équatorien a emprunté des milliards de dollars à l’étranger,
s’endettant de façon effrayante. Cercle vicieux, l’Etat ne peut espérer
rembourser ses dettes qu’en augmentant encore l’exploitation
pétrolière, ce qui implique une surexploitation dépassant toutes
limites. 1.500.000 hectares de forêts sont déjà en exploitation. 500 km
de routes ont été construites pour permettre l’installation de 400
puits de pompage. Ces puits génèrent quotidiennement 17 millions de
litres de déchets toxiques non traités. Ces déchets sont déversés dans
des bassins à ciel ouvert qui débordent lors des pluies tropicales et
se répandent dans la forêt. Dans certaines rivières, toute vie a
disparu ».
Un grand désastre, donc, synonyme de « développement »,
cette parole maudite qui réunit les droites comme les gauches. Mais
Sarayaku résiste aux compagnies pétrolières depuis 25 ans. Surtout
depuis qu’en 2003, ces frères humains ont réussi à foutre dehors des
ouvriers payés par un pétrolier, défendus par 400 militaires, venus pour
de premiers travaux. Il est impossible de seulement évoquer les
principaux événements de cette saga. Elle fait des habitants de Sarayaku
des héros de l’humanité. Et ils tiennent. Encore et toujours. Greg
m’envoie de Colombie un article du quotidien de Bogotá El Espectador (ici, en espagnol). J’y apprends que Los hijos del jaguar, les fils du jaguar comme ils se nomment, sont au cœur du débat de la présidentielle en cours. Correa, ce fier combattant de la « révolution citoyenne »
entend ouvrir un peu plus aux pétroliers l’Amazonie équatorienne,. D’un
mot, l’Équateur est l’une des zones les plus riches en biodiversité de
notre planète. Peut-être la plus riche. Sans doute. On y a recensé
environ 1 600 espèces d’oiseaux, 4 000 d’orchidées, 382 de mammifères.
Les Indiens vendus par Correa aux transnationales
Je lis une dépêche en espagnol de l’agence chinoise - décidément - Xinhua, en date du 29 novembre 2012 : «
El gobierno de Ecuador convocó hoy a la XI Ronda Petrolera de
Licitación 13 campos del suroriente del país para la exploración y
explotación de crudo, en medio de la resistencia de comunidades
indígenas de la Amazonía ». Le gouvernement de Quito vient de
lancer des enchères pour l’exploitation de 13 champs pétrolifères au
beau milieu de la résistance de communautés indiennes de l’Amazonie.
Voici les propres mots du querido compañero de Mélenchon, Correa soi-même : « Bienvenidos todos los inversionistas que buscan esa rentabilidad razonable, pero con altísima responsabilidad ambiental ».
Bienvenue à tous les investisseurs qui cherchent une rentabilité
raisonnable, mais avec un haut sentiment de responsabilité
environnementale : on croirait du Total dans le texte. Mélenchonistes
éventuels, qui me lisez, épargnez-moi vos leçons : Correa vend son
pétrole et les Indiens qui sont au-dessus aux transnationales. Point
final. Et tant pis pour le climat, et tant pis pour la biodiversité, et
tant pis pour ces extraordinaires cultures indiennes qui sont pourtant, razonablemente, une partie de notre avenir possible.
Le NPA et l'écosocialisme
Le capitalisme se révèle incapable de prendre en charge, dans l’intérêt
de l’immense majorité de la population, la crise écologique planétaire
qu’il a générée. L’échec du sommet de Copenhague à définir des objectifs
impératifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour
faire face à la crise climatique marque un tournant. Cette situation se
retrouve dans toutes les dimensions de la crise écologique: effondrement
de la biodiversité, crise de l’eau, érosion des sols, pollution
chimique généralisée, etc. En même temps, les classes dominantes
s’efforce d’instrumentaliser la crise écologique pour imposer des
attaques redoublées contre les conditions de vie et de travail des
exploitéEs au nord comme au sud. [...]
Défendre des conditions de vie décentes pour la population passe par des
services 100 % publics et une extension de la gratuité : santé,
transports collectifs de proximité, télécommunications... Il s'agit de
constituer de nouveaux «communs» en donnant accès à des biens et
services hors des circuits marchands échappant à la domination qu'exerce
le capital sur la consommation via la maîtrise de la production et le
marketing. La mise en place de ces services publics implique une
socialisation de leur gestion et de leur financement qui associe les
consommateurs, les salariés et les représentations des collectives
publiques pertinentes. S’agissant de certains biens communs tels que
l’eau ou l’énergie, la garantie du droit d’accès pour tous et toutes
doit s’accompagner d’une maîtrise de leur utilisation pour des raisons
écologiques. La gratuité de la consommation de base pour tous les
citoyens – fixée au niveau de la consommation moyenne d’un salarié –
doit donc être complétée par une taxation fortement progressive de la
consommation excédentaire qui pénalise le gaspillage et les usages de
luxe. [...]
4 - Engager une transition écologique et sociale en rupture avec le capitalisme et le productivisme
La grande crise que nous traversons est une crise globale :
économique, sociale, mais aussi écologique et civilisationnelle. Les
réponses proposées doivent être aussi globales. La transition écologique
et sociale que nous défendons vise à mettre au cœur du fonctionnement
des économies la satisfaction des besoins humains individuels et sociaux
dans le respect des équilibres écologiques de plus en plus menacés.
La crise écologique en cours résulte en premier lieu du fonctionnement même du capitalisme et de sa fuite en avant destructrice. Les atteintes portées aux écosystèmes comme les perturbations des grands cycles régissant la biosphère – comme celle du cycle du carbone à l’origine du changement climatique en cours – menacent la pérennité de nombreuses activités humaines qui reposent sur leurs bases.
Si la «chasse passionnée» au profit est le moteur de la croissance au sein du capitalisme, la mise au centre des problèmes de besoins et de sauvegarde des conditions écologiques de la reproduction sociale suppose de rompre avec le productivisme tout en mettant fin dans le même mouvement au chômage structurel. L’enjeu est de sortir d’une situation où la fuite en avant productiviste refuse à beaucoup de femmes, hommes et enfants plus que des moyens de survie. Notre projet s'inscrit dans une logique de «bien vivre» et vise à donner à chacun la possibilité de participer à la production sociale au lieu d’en être marginalisé. Cette transition suppose de s’attaquer aux mécanismes d'oppression inhérents aux rapports sociaux capitalistes : l'exploitation par laquelle les détenteurs du capital s'approprient le fruit de notre travail ; la soumission à l'autorité patronale et la manipulation de nos désirs par la publicité ; la concurrence qui nous oppose les uns aux autres tant au sein d'un même établissement que d'un bout à l'autre de la planète ; les rapports impérialistes sur lesquels sont fondés la production d’énergie notamment le pétrole (Total), l’uranium (Areva)] exigée par les modes de transport, d’habitat et de consommation qui nous sont actuellement imposés.
La rupture avec le capitalisme vers le socialisme repose sur la construction d'autres relations entre les êtres humains et de ceux-ci avec la nature. Il s'agit d'établir une démocratie étendue notamment à la sphère économique : les travailleurs doivent se saisir de la gestion des entreprises ; les citoyens doivent décider des grandes orientations de l'évolution des économies. Cette démocratisation économique implique une socialisation des grands moyens de production et de services ainsi que la mise en place de mécanismes de planification démocratique. Dans l’agriculture, il faut donner aux petits et moyens paysans les moyens de sortir de formes de production agricole dont les fortes difficultés qu’ils subissent aujourd’hui sont l’expression. Ils connaissent mieux que quiconque ce qu’il faudrait faire au plan agronomique. Ce sont les conditions économiques et politiques qui leur font défaut, celles qui les libéreront des diktats du marché mondial et du productivisme. Dans tous les domaines, la transition vers le socialisme reposera sur la libération des potentialités créatrices, sur le développement des expériences d'autogestion et des communs, à tous les niveaux de la société du local au national.
Un plan de transformation économique, écologique et sociale
L’arrêt des licenciements, la réduction du temps de travail, l’égalité hommes-femmes sur le plan salarial et du partage des tâches, sont autant de mesures qui doivent obligatoirement s’accompagner d’un «plan de transformation économique, écologique et sociale». La libéralisation et la mondialisation rendent ce plan impératif. La lutte contre le réchauffement climatique, contre la réduction accélérée de la biodiversité, les processus insidieux d’empoisonnement radioactif et chimique (liste non limitative) tout autant.
Les grands groupes industriels et de services ne font aucun mystère du fait que ce qu’il leur importe le plus est de situer leurs nouveaux investissements en Chine et en Inde, d’accepter la production locale de composants pour gagner des appels d’offre, de sous-traiter aux entreprises de pays à bas salaires chaque fois qu’ils le peuvent, jusqu’aux travaux d’ingénierie dans l’aéronautique. Leur logique est clairement incompatible avec une relocalisation des productions et encore moins avec une gestion durable et économe des ressources: même les maigres avancées du Grenelle de l’environnement ont été balayées par le poids des lobbies industriels qui ne peuvent supporter qu’une norme sociale ou environnementale entrave leurs profits.
Il n’y a que les salariés et les paysans petits et moyens eux-mêmes qui peuvent assurer l’existence, en France et en Europe, d'un outil de production garantissant l’emploi de toutes et tous, placé au service des besoins sociaux, basé sur de bonnes conditions de travail, ne gaspillant ni l’énergie, ni les matières premières ni le temps de travail humain, et préservant les équilibres écologiques. C’est la course au profit qui a façonné depuis trente ans l’organisation spatiale du travail dans l’espace français et européen et la division internationale du travail dans l’espace mondial. Les unités de production ont été disloquées entre la sous-traitance et les délocalisations, les travailleurs ont subi la précarité, les transports ont explosé, les pollutions ont été occultées. La reconstruction de filières industrielles réintégrant la chaîne de fabrication et les services associés sur un même lieu permettrait de combiner stabilité de l’emploi, visibilité et contrôle sur la production et les nuisances, réduction des transports. La transformation écologique et sociale dont les salariés et les paysans seront les protagonistes devra donc s’accompagner d’importantes relocalisations.
Les issues à la crise conjointe, sociale et écologique, sont d’abord politiques. Au plan industriel et technologique, il s’agit de mettre les «travailleurs associés», en position de construire les nouvelles interconnexions entre l’emploi, la sortie du nucléaire et des productions polluantes et la transition vers les énergies alternatives, la réorganisation des villes et des transports, la construction de logements sociaux à basse consommation énergétique, les services publics (éducation, santé, transports, eau …), la sortie des systèmes agricoles très polluants et à haute intensité d’émissions de gaz à effets de serre, l’évolution des habitudes alimentaires, etc.
La transformation économique, écologique et sociale prendra appui sur toutes les expériences régionales et locales. Mais son cadre sera nécessairement coordonné au niveau national et aussi vite que possible européen. À ces deux niveaux, des mécanismes de planification démocratique pour les principaux secteurs de l’économie et de la production devront être mis en œuvre dans une perspective de coopération internationale des peuples.
En effet, le fonctionnement désordonné et à court terme de la coordination économique par le marché ne peut pas rendre cohérente une telle transition. L'interdépendance entre les diverses dimensions des changements engagés doit être organisée : relocalisation des économies, transformations progressives du logement, des transports, des investissements industriels et agricoles, des infrastructures, de l'énergie. Il faut pouvoir établir des priorités, par exemple favoriser le développement des transports collectifs et des modes de déplacements non polluants. À un autre niveau, un maillage des territoires garantissant l'accès de l'ensemble de la population aux services de santé (prévention et soins) se construit dans la durée et nécessite des investissements et des politiques de formations adéquates.
Les mécanismes du marché sont incapables de faire émerger efficacement de tels choix qui engagent le long terme. Dans le cadre des échanges marchands, nul n'est incité à se préoccuper des conditions de la production des biens et services qu'il consomme sauf sur un mode culpabilisateur des individus pris séparément et qui vise à dédouaner les véritables responsables exploiteurs et pollueurs. Inversement, les débats publics qui accompagneraient des processus de planification ouverts participeraient au contraire d'une politique des modes de vie poussant les individus à intégrer dans leur comportement les intérêts de la communauté étendue, c'est-à-dire y compris les générations futures.
La crise écologique en cours résulte en premier lieu du fonctionnement même du capitalisme et de sa fuite en avant destructrice. Les atteintes portées aux écosystèmes comme les perturbations des grands cycles régissant la biosphère – comme celle du cycle du carbone à l’origine du changement climatique en cours – menacent la pérennité de nombreuses activités humaines qui reposent sur leurs bases.
Si la «chasse passionnée» au profit est le moteur de la croissance au sein du capitalisme, la mise au centre des problèmes de besoins et de sauvegarde des conditions écologiques de la reproduction sociale suppose de rompre avec le productivisme tout en mettant fin dans le même mouvement au chômage structurel. L’enjeu est de sortir d’une situation où la fuite en avant productiviste refuse à beaucoup de femmes, hommes et enfants plus que des moyens de survie. Notre projet s'inscrit dans une logique de «bien vivre» et vise à donner à chacun la possibilité de participer à la production sociale au lieu d’en être marginalisé. Cette transition suppose de s’attaquer aux mécanismes d'oppression inhérents aux rapports sociaux capitalistes : l'exploitation par laquelle les détenteurs du capital s'approprient le fruit de notre travail ; la soumission à l'autorité patronale et la manipulation de nos désirs par la publicité ; la concurrence qui nous oppose les uns aux autres tant au sein d'un même établissement que d'un bout à l'autre de la planète ; les rapports impérialistes sur lesquels sont fondés la production d’énergie notamment le pétrole (Total), l’uranium (Areva)] exigée par les modes de transport, d’habitat et de consommation qui nous sont actuellement imposés.
La rupture avec le capitalisme vers le socialisme repose sur la construction d'autres relations entre les êtres humains et de ceux-ci avec la nature. Il s'agit d'établir une démocratie étendue notamment à la sphère économique : les travailleurs doivent se saisir de la gestion des entreprises ; les citoyens doivent décider des grandes orientations de l'évolution des économies. Cette démocratisation économique implique une socialisation des grands moyens de production et de services ainsi que la mise en place de mécanismes de planification démocratique. Dans l’agriculture, il faut donner aux petits et moyens paysans les moyens de sortir de formes de production agricole dont les fortes difficultés qu’ils subissent aujourd’hui sont l’expression. Ils connaissent mieux que quiconque ce qu’il faudrait faire au plan agronomique. Ce sont les conditions économiques et politiques qui leur font défaut, celles qui les libéreront des diktats du marché mondial et du productivisme. Dans tous les domaines, la transition vers le socialisme reposera sur la libération des potentialités créatrices, sur le développement des expériences d'autogestion et des communs, à tous les niveaux de la société du local au national.
Un plan de transformation économique, écologique et sociale
L’arrêt des licenciements, la réduction du temps de travail, l’égalité hommes-femmes sur le plan salarial et du partage des tâches, sont autant de mesures qui doivent obligatoirement s’accompagner d’un «plan de transformation économique, écologique et sociale». La libéralisation et la mondialisation rendent ce plan impératif. La lutte contre le réchauffement climatique, contre la réduction accélérée de la biodiversité, les processus insidieux d’empoisonnement radioactif et chimique (liste non limitative) tout autant.
Les grands groupes industriels et de services ne font aucun mystère du fait que ce qu’il leur importe le plus est de situer leurs nouveaux investissements en Chine et en Inde, d’accepter la production locale de composants pour gagner des appels d’offre, de sous-traiter aux entreprises de pays à bas salaires chaque fois qu’ils le peuvent, jusqu’aux travaux d’ingénierie dans l’aéronautique. Leur logique est clairement incompatible avec une relocalisation des productions et encore moins avec une gestion durable et économe des ressources: même les maigres avancées du Grenelle de l’environnement ont été balayées par le poids des lobbies industriels qui ne peuvent supporter qu’une norme sociale ou environnementale entrave leurs profits.
Il n’y a que les salariés et les paysans petits et moyens eux-mêmes qui peuvent assurer l’existence, en France et en Europe, d'un outil de production garantissant l’emploi de toutes et tous, placé au service des besoins sociaux, basé sur de bonnes conditions de travail, ne gaspillant ni l’énergie, ni les matières premières ni le temps de travail humain, et préservant les équilibres écologiques. C’est la course au profit qui a façonné depuis trente ans l’organisation spatiale du travail dans l’espace français et européen et la division internationale du travail dans l’espace mondial. Les unités de production ont été disloquées entre la sous-traitance et les délocalisations, les travailleurs ont subi la précarité, les transports ont explosé, les pollutions ont été occultées. La reconstruction de filières industrielles réintégrant la chaîne de fabrication et les services associés sur un même lieu permettrait de combiner stabilité de l’emploi, visibilité et contrôle sur la production et les nuisances, réduction des transports. La transformation écologique et sociale dont les salariés et les paysans seront les protagonistes devra donc s’accompagner d’importantes relocalisations.
Les issues à la crise conjointe, sociale et écologique, sont d’abord politiques. Au plan industriel et technologique, il s’agit de mettre les «travailleurs associés», en position de construire les nouvelles interconnexions entre l’emploi, la sortie du nucléaire et des productions polluantes et la transition vers les énergies alternatives, la réorganisation des villes et des transports, la construction de logements sociaux à basse consommation énergétique, les services publics (éducation, santé, transports, eau …), la sortie des systèmes agricoles très polluants et à haute intensité d’émissions de gaz à effets de serre, l’évolution des habitudes alimentaires, etc.
La transformation économique, écologique et sociale prendra appui sur toutes les expériences régionales et locales. Mais son cadre sera nécessairement coordonné au niveau national et aussi vite que possible européen. À ces deux niveaux, des mécanismes de planification démocratique pour les principaux secteurs de l’économie et de la production devront être mis en œuvre dans une perspective de coopération internationale des peuples.
En effet, le fonctionnement désordonné et à court terme de la coordination économique par le marché ne peut pas rendre cohérente une telle transition. L'interdépendance entre les diverses dimensions des changements engagés doit être organisée : relocalisation des économies, transformations progressives du logement, des transports, des investissements industriels et agricoles, des infrastructures, de l'énergie. Il faut pouvoir établir des priorités, par exemple favoriser le développement des transports collectifs et des modes de déplacements non polluants. À un autre niveau, un maillage des territoires garantissant l'accès de l'ensemble de la population aux services de santé (prévention et soins) se construit dans la durée et nécessite des investissements et des politiques de formations adéquates.
Les mécanismes du marché sont incapables de faire émerger efficacement de tels choix qui engagent le long terme. Dans le cadre des échanges marchands, nul n'est incité à se préoccuper des conditions de la production des biens et services qu'il consomme sauf sur un mode culpabilisateur des individus pris séparément et qui vise à dédouaner les véritables responsables exploiteurs et pollueurs. Inversement, les débats publics qui accompagneraient des processus de planification ouverts participeraient au contraire d'une politique des modes de vie poussant les individus à intégrer dans leur comportement les intérêts de la communauté étendue, c'est-à-dire y compris les générations futures.