Sur fond d'affaire Cahuzac, voyage dans les coulisses d'un parti, le PS, qui n'a plus rien à voir avec les travailleurs...
De Rocard à Hollande, la galaxie Valls-Cahuzac (extraits)
(Mediapart 21 avril 2013 |
Notes d'introduction
L'article de Mediapart
dont nous publions des extraits ci-dessous ne doit pas susciter de méprises :
derrière des noms (Valls, Cahuzac mais aussi Fouks, Bauer ou Colmou ou encore
Rocard et Hollande), des individus donc, ce sont des effets de structures, qui
plus est, à forte connotation politique, qui sont à l'oeuvre et qui font du PS
un des deux grands partis de l'ordre capitaliste : il est, à cet égard,
important de saisir le paradoxe qui fait du grand vaincu historique des luttes
internes dudit parti, le rocardisme, le pourvoyeur en personnes et en
idéologie, du cours social-libéral initié dans les années 80 sous l'égide de
celui qui apparaissait a priori le moins à même de l'incarner, François Mitterrand,
l'homme par excellence de la "première gauche" tellement exécrée par
la "deuxième" !
La lecture de
ces lignes de Mediapart permet de cerner, au plus près des personnes qui
alimentent au quotidien l'adaptation du PS au capitalisme, la duplicité, devenu
seconde nature, avec laquelle celui-ci agite l'épouvantail de l'idée de gauche
pour mieux mettre en pratique des réponses politiques qui participent du
patrimoine commun avec la droite. Valls, présenté ici comme plus impliqué qu'il
n'y paraît dans l'affaire Cahuzac, est particulièrement représentatif de cette
convergence et de cette complicité avec l'UMP sur le terrain sécuritaire mais,
ne nous y trompons pas, ce recoupement gauche-droite va bien au-delà desdites
questions de police et touche au coeur des choix économiques et sociaux des
Hollande-Ayrault (eux-mêmes surdéterminés par le cadre commun libéral européen
polarisé par la
Commission Européenne et la BCE). Seule la question du "mariage pour
tous" (lutte au demeurant juste) apporte la note clivante et établit des
effets d'occultation tendancielle de ce qui, malgré tout, se vérifie à travers le
dramatiquement "historique" ANI obtenu sous le pilotage du Medef et du syndicat le plus
"travaillé" par le rocardisme, la CFDT : la volonté de faire payer la crise
capitaliste aux salariés et aux couches les plus défavorisées.
Sous cette lumière,
l'affaire Cahuzac pose bien des questions essentielles sur la république
"des copains et des coquins" pour autant cependant qu'on la rapporte
à ce qui est dit dans l'article de Mediapart sur ce qui lie et relie le Parti
Socialiste au système : les Cahuzac, Valls, Bauer, etc. mais on pourrait
mentionner un autre sarkosocialiste, Jouyet,
particulièrement proche de Hollande, leurs options politiques, constituent l'axe politique d'acier du PS.
Lequel axe invalide tout projet d'infléchissement à gauche de ce parti, comme
le défendent, chacun à sa façon, tonitruante ou plus placide, le PCF et Jean-Luc
Mélenchon, en particulier en espérant jouer sur son courant gauche (1) : à
travers Cahuzac and Co il se confirme décidément que le PS est intégré, sans
retour possible, à l'ordre bourgeois, qu'il s'en nourrit, financièrement mais
aussi et peut-être surtout politiquement, les supposés courants oppositionnels
en son sein ne faisant au mieux que de la figuration et entretenant la fiction
d'un parti pluriel et de gauche.
L'anticapitalisme
conséquent ne peut donc esquiver qu'une opposition ouverte à ce parti et à son
gouvernement est la condition sine qua non pour aider le mouvement social à
dépasser son actuel éclatement et, plus généralement, la population à sortir de
sa difficulté à riposter aux agressions qu'elle subit sans solution de
continuité depuis des années, voire des décennies. Telle est l'orientation que
le NPA propose de mettre en oeuvre aux forces politiques, syndicales et
associatives ne participant pas au gouvernement ou ne le soutenant pas. Le 1er mai et le 5 mai peuvent être des pas importants en
ce sens si l'on veut bien accepter qu'il n'est plus temps de jouer au chat et à
la souris avec un gouvernement et son parti qui sont en extériorité totale avec
le monde du travail et les couches populaires et agissent servilement accrochés
aux desiderata du capital ! Tricher avec ce constat c'est leur donner, malgré
le fort discrédit qui les gagne, suffisamment de marges de manoeuvre pour mener
à bien leur sale besogne. C'est aussi permettre aux droites de capitaliser à leur
profit un mécontentement qui devrait pourtant logiquement se retourner contre
elles aussi. Voilà qui dessine un méchant défi à tous ceux qui veulent en finir
avec le capitalisme et gagner à leur cause de larges pans de la société
!
Antoine (NPA
Pic-Saint-Loup)
(1) Mélenchon :
"Il y a une majorité de gauche à l’Assemblée : je propose qu’elle
change de centre de gravité. Je suis prêt à être Premier ministre, mais je peux
aussi imaginer de ne pas l’être. Qu’une coalition se fasse avec des
socialistes, des écologistes et des élus du Front de Gauche, sur une ligne de
rupture évidemment avec la logique capitaliste et productiviste. C’est
possible. A nous de faire la démonstration que nous sommes des partenaires
fiables, idéologiquement stables, non dogmatiques." (Mélenchon : « Je suis prêt à être
Premier ministre », Rue 89)
Politique, relations d’affaires, amitiés
De Rocard à Hollande,la galaxie Valls-Cahuzac
(Mediapart)
Comme tous les grands scandales politiques, l’affaire Cahuzac a de
multiples facettes. Celle du parcours d’un élu de la République,
conseiller des laboratoires pharmaceutiques et chirurgien capillaire.
Celle d’un chef d’État, François Hollande, dont la droite se demande ce
qu’il savait, et d’un ministre des finances, Pierre Moscovici, accusé
d’avoir voulu blanchir l’ex-ministre du budget. C’est aussi celle d’un
silence médiatique de plusieurs mois et d’opérations de communication.
À chaque étape pourtant, les mêmes personnages de l’ombre affleurent et dessinent une galaxie mêlant politique, relations d’affaires, amitiés et intérêts au sein et à la marge du parti socialiste. Au cœur de cet écheveau complexe se trouve un des ministres les plus puissants du gouvernement : Manuel Valls.
Depuis les aveux de Jérôme Cahuzac, lui aussi a dû se justifier alors que plusieurs journaux rapportaient qu’une note de la DCRI confirmant les informations de Mediapart, avait été envoyée par la place Beauvau à l’Élysée. Déstabilisé pour la première fois depuis son entrée au gouvernement, Valls a nié en bloc, juré qu’aucune enquête parallèle n’avait été menée et fini par affirmer qu’il avait tout de même convoqué le patron de la DCRI en décembre pour lui demander si les services disposaient d’informations. [...]
Mais au-delà d’hypothétiques alertes des services, c’est sa proximité avec Jérôme Cahuzac qui embarrasse l’hôte de la place Beauvau. Quand il se rend sur le plateau de RMC et de BFM TV début avril, au cœur de la panique qui s’est alors emparée du pouvoir, plusieurs conseillers jurent que Manuel Valls est nerveux. « Je ne l’avais jamais vu comme ça, il avait l’air mal, tendu », dit un cadre socialiste. Certains de ses collaborateurs ne masquent guère leur gêne. Le ministre, lui, tente de se faire tout petit pour échapper à la tornade que prédisent alors plusieurs membres du gouvernement. Elle n’aura finalement pas lieu mais l’affaire Cahuzac a remis dans la lumière une galaxie dont certains membres étaient déjà au cœur de l’affaire DSK voilà deux ans et dont la plupart sont issus de l'ancienne « Rocardie ».
Manuel Valls et Jérôme Cahuzac ne sont pas des amis de trente ans. Longtemps, ils se sont peu fréquentés. Mais ils se connaissent depuis de longues années. Tous deux sont d'anciens rocardiens de la fin des années 1980 et 1990, quand l'ancien leader du PSU affrontait la première gauche de François Mitterrand. Mais alors que Valls était un jeune cadre du courant (il est entré à la direction du PS en 1993 quand Michel Rocard en a brièvement pris la tête), Cahuzac était dans l'ombre – conseiller technique d'une figure du rocardisme, Claude Evin.
Surtout, nuancent plusieurs “ex”, la « Rocardie » est balayée depuis longtemps – Jospin, DSK et Hollande ont créé d'autres fidélités, d'autres affiliations. Cahuzac n'a d'ailleurs pas soutenu Manuel Valls à la primaire, mais François Hollande. [...]
Les deux ministres se sont cependant rapprochés au gouvernement. En toute logique. Parce qu’ils appartiennent malgré tout à la même sensibilité politique (ex-rocardiens puis ex-strauss-kahniens, plutôt à la droite du PS), et qu’ils ont des proches en commun. L’été dernier, raconte Ariane Chemin dans Le Monde, le ministre de l’intérieur fête ses 50 ans dans la maison de la Côte d’Azur de l’avocat d’affaires Gilles August. Le ministre du budget est là aussi – c’est un ami du couple August. Il saute en parachute avec l’épouse et choisira le mari pour assurer sa défense quelques mois plus tard – il a finalement changé de conseil en mars et opté pour Jean Veil, l’avocat de DSK.
Les deux ministres partagent aussi l’entregent d’un très proche de l’ancien directeur général du FMI, Stéphane Fouks. Patron de l’agence de communication EuroRSCG, rebaptisée en septembre Havas Worldwide, c’est un homme puissant qui compte parmi ses clients de nombreuses entreprises du CAC 40 et qui, après avoir fait la campagne (ratée) de Lionel Jospin en 2002, fit celle (ratée aussi) de DSK.
Malgré la défiance de François Hollande, Stéphane Fouks est parvenu à rester près du pouvoir. Durant la campagne déjà, il n'était jamais visible mais c'est à Manuel Valls que le candidat socialiste avait confié sa communication, associé à un autre ancien proche de Dominique Strauss-Kahn, André Loncle – devenu chef de l'audiovisuel à l'Élysée.
Plusieurs ministres, et le chef de l’État, se sont aussi depuis entourés d’anciens d'EuroRSCG : c’est le cas d’Aquilino Morelle, le conseiller spécial de Hollande à l’Élysée, de Sacha Mandel au ministère de la défense, de Gilles Finchelstein auprès de Pierre Moscovici, de Marion Bougeard qui officia auprès de Cahuzac après avoir travaillé pour Liliane Bettencourt, ou encore de Marie Murault, attachée de presse de Manuel Valls place Beauvau.
Le ministre de l’intérieur connaît Stéphane Fouks depuis trente ans : ils ont milité ensemble à la fac de Tolbiac et faisaient partie à l’époque de la jeune garde rocardienne, avec un troisième complice, Alain Bauer – dont le nom apparaîtra lui aussi dans l’affaire Cahuzac... En attendant, c’est Fouks, devenu spécialiste de la communication de crise, qui a conseillé le ministre du budget depuis les révélations de Mediapart (il avait déjà travaillé pendant cinq ans pour Jérôme Cahuzac, avant qu'il ne soit ministre). La veille de notre premier article, un mail est envoyé à Bercy pour que le ministre puisse s’expliquer. Mais c’est d’emblée Stéphane Fouks qui décroche son téléphone et appelle directement Fabrice Arfi, l’auteur de l’enquête [...].
Fouks sera [...] soupçonné d’être l’instigateur de l’opération de “blanchiment” du ministre, dans le Nouvel Obs et le Journal du dimanche. Depuis les aveux, c’est Pierre Moscovici lui-même qui l’insinue quand il raconte avoir été furieux de découvrir ces fuites dans la presse. « J’ai été utilisé », a-t-il expliqué à Mediapart. Interrogé sur la personne de Stéphane Fouks, il botte en touche mais ne dément pas (lire ici). Les intéressés, eux, démentent.
Le « gourou de la com » s’est depuis mis en retrait et a passé le relais à une vieille connaissance, Anne Hommel. Ancienne d’EuroRSCG, elle était le « sherpa» de DSK et connaît comme sa poche les arcanes de cette frange du parti socialiste – elle est l’ex-femme de Christophe Borgel, député et secrétaire national aux élections à Solférino, et l’actuelle compagne de François Kalfon, secrétaire national adjoint aux élections du PS et spécialiste des sondages. C’est à ce titre que Kalfon vient d’ailleurs de répondre à un chat du journal 20 Minutes où il a commenté la prestation télé de Cahuzac préparée par... Anne Hommel.
Dans cet entrelacs de relations personnelles, professionnelles et politiques, Alain Bauer joue aussi un rôle important. Il est, avec Fouks, l’ami de toujours de Manuel Valls (lire «Le pacte de Tolbiac»).
Spécialiste de la police et du renseignement, il est devenu un des
“experts” autoproclamés des questions de sécurité dont les médias
raffolent, tout en étant le patron de sociétés privées de sécurité.
Rocardien historique, grand maître du Grand-Orient de France à 38 ans
(2000-2003), il se rapproche de Nicolas Sarkozy dès 2001. L’ancien maire de Neuilly, quand il était place Beauvau, en 2006, avait même indiqué : « Rien au ministère ne se fait sans les conseils, l'impulsion, les idées d'Alain Bauer. »
Un compagnonnage qui ne s’arrêtera qu’avec la défaite de Sarkozy l’an
dernier, et qui l’a empêché d’entrer au cabinet de Manuel Valls place
Beauvau. Mais les deux hommes sont toujours amis.
C’est une petite confidence qui va propulser Bauer au cœur de l’affaire Cahuzac. Comme lui, il est franc-maçon. Comme Valls et Fouks, c’est un ancien rocardien. Et il est souvent bien renseigné. Le 12 décembre, le maître à penser de Sarkozy en matière de sécurité confie à Ariane Chemin du Monde : « Mais évidemment, qu'il a un compte en Suisse ! » [...]
Et promis juré, Alain Bauer, Stéphane Fouks et Manuel Valls n’ont jamais discuté de l'affaire. « Personne ne m’a posé la question, M. Fouks pas plus que M. Valls. Ce ne sont pas mes clients », dit Bauer, quand Valls indique que « Alain Bauer ne m'a pas parlé de ce compte ».
Selon un témoin de la scène, les oreilles d’Alain Bauer ont chauffé quand Manuel Valls a découvert la petite phrase de son ami sur Jérôme Cahuzac. « Ce n’est pas la première fois que Valls remet à sa place Bauer. Il s’est déjà pris une avoinée pour avoir laissé entendre qu’il conseillait Valls. Pour son business, Bauer a besoin de prétendre tout savoir. Et ces derniers temps, il est obligé d’en rajouter », insiste un proche du ministre de l’intérieur.
Depuis les aveux de Jérôme Cahuzac, le nom d’un troisième proche
de Manuel Valls revient dans toutes les conversations d’initiés,
rebondissant de cabinet en cabinet : celui d’Yves Colmou, conseiller spécial auprès du ministre de l’intérieur depuis juin 2012, rocardien historique (« le terme n’a plus de sens en 2012 ! » tient-il à relativiser), homme de coulisses par excellence.
Lui ne fréquentait pas l’ancien ministre du budget aussi assidûment que son ami Stéphane Fouks – les deux hommes se sont rencontrés en 1975 quand le futur communicant a adhéré dans la même section du PS, à Charenton-le-Pont (Val-de-Marne). Il n'est pas non plus de la même génération, il n'a pas le même parcours et n'a joué aucun rôle depuis les révélations de Mediapart sur le compte de Jérôme Cahuzac. Mais beaucoup de socialistes brûlent tout de même de l’entendre : tous ceux qui s’interrogent sur la destination de l’argent dissimulé par l'ex-ministre du budget en Suisse et craignent que la justice ne découvre une caisse noire bâtie en vue d’une candidature de Michel Rocard à la présidentielle de 1995.
Bien sûr, lors de son interview du 16 avril sur BFM, Jérôme Cahuzac a démenti que son compte genevois ait jamais servi à « financer de campagne du Parti socialiste ». Mais sa formulation en a ému plus d’un à Solférino : stricto sensu, elle ne ferme pas la porte au financement d’un simple courant, celui des rocardiens, alors en guerre avec la Mitterrandie.
Or Yves Colmou a suivi Michel Rocard comme son ombre, d’abord aux ministères du plan et de l’agriculture au début des années 1980, puis à Matignon (1988-1991). Son rôle auprès du premier ministre ? Chef de cabinet, c’est-à-dire super-intendant. Par la suite, quand Michel Rocard a pris les rênes du PS (1993-1994), Yves Colmou est devenu son directeur de cabinet. En clair : dans la « rocardie », la logistique, c’était beaucoup lui. [...]
Ce qui frappe, dans le parcours d’Yves Colmou, c’est la facilité avec laquelle il a recyclé son savoir-faire logistique une fois Michel Rocard éliminé du circuit (après sa lourde défaite aux européennes de 1994). Dès la présidentielle de 1995, il décroche un poste clef auprès du candidat Lionel Jospin : celui de directeur de campagne adjoint. Rebelote en 2002, au même poste.
En quelques décennies, Yves Colmou a su se rendre incontournable, sorte de fil rouge entre la rocardie, la jospinie, et aujourd’hui Manuel Valls. « On n’est pas très nombreux, au PS, à connaître aussi bien le fonctionnement des cabinets, à avoir participé aux quatre législatures de la gauche », souffle l’intéressé.
En janvier dernier, Yves Colmou a en tout cas bénéficié d’une promotion exceptionnelle : le conseil des ministres l’a nommé préfet, « hors cadre » qui plus est (lui permettant d’éviter toute affectation en préfecture et de rester place Beauvau). Vu le nombre de préfets en attente de poste, rémunérés « à blanc » par la République, le décret avait de quoi surprendre.
Mais aux yeux de Manuel Valls, Yves Colmou a bien des atouts dans sa poche. Dès 1995, l’homme a en effet travaillé comme chasseur de têtes au service des collectivités locales de gauche, pour un cabinet de recrutement privé baptisé Progress. Son métier : fournir des cadres dirigeants (directeurs généraux des services, etc.) aux communes, départements, intercommunalités... Un marché ultra juteux, de plus en plus vaste au fur et à mesure des victoires remportées par la gauche aux élections locales – la Chambre régionale des comptes d’Alsace vient de pointer les contrats passés en 2008 et 2009 entre Progress et la ville de Strasbourg (tenue par l’ancien rocardien Roland Ries), pour le recrutement de cinq directeurs (12 à 14 000 euros engagés à chaque fois sans mise en concurrence).
Au fil des ans, Yves Colmou s’est imposé comme l’un des meilleurs « DRH » du parti socialiste, au point d’avoir joué un rôle clef en mai 2012, lorsque les ministres de François Hollande ont dû constituer leurs cabinets. Discrètement, il a placé ses ouailles – « Sans doute pas plus de dix personnes au total ! » s’efforce-t-il de relativiser. « Et je n’ai pas conseillé Jérôme Cahuzac sur la composition de son cabinet… »
Surtout, Yves Colmou est devenu l’un des meilleurs connaisseurs de la carte électorale. Pour les législatives de juin 2012, il a contribué à faire et défaire les investitures du PS, dans l’ombre du secrétaire national aux élections, Christophe Borgel. Comme un poisson dans l’eau au ministère de l’intérieur, il conseille aujourd’hui Manuel Valls sur le redécoupage des cantons, imposé par le nouveau mode de scrutin départemental (voté le 17 avril par l’Assemblée et qui fait hurler l’UMP). Une mission ultra politique, propice aux deals en tous genres. « On ne gagne pas une élection avec un découpage, répond Yves Colmou. Et Manuel Valls n’a pas l’intention de laisser son nom sur un découpage polémique. On va faire quelque chose de propre. » Comme nombre d’anciens rocardiens embarrassés par l’affaire Cahuzac, Yves Colmou est visiblement pressé de passer à autre chose.
L'article intégral de Mediapart (réservé aux abonnés)
À chaque étape pourtant, les mêmes personnages de l’ombre affleurent et dessinent une galaxie mêlant politique, relations d’affaires, amitiés et intérêts au sein et à la marge du parti socialiste. Au cœur de cet écheveau complexe se trouve un des ministres les plus puissants du gouvernement : Manuel Valls.
Depuis les aveux de Jérôme Cahuzac, lui aussi a dû se justifier alors que plusieurs journaux rapportaient qu’une note de la DCRI confirmant les informations de Mediapart, avait été envoyée par la place Beauvau à l’Élysée. Déstabilisé pour la première fois depuis son entrée au gouvernement, Valls a nié en bloc, juré qu’aucune enquête parallèle n’avait été menée et fini par affirmer qu’il avait tout de même convoqué le patron de la DCRI en décembre pour lui demander si les services disposaient d’informations. [...]
Mais au-delà d’hypothétiques alertes des services, c’est sa proximité avec Jérôme Cahuzac qui embarrasse l’hôte de la place Beauvau. Quand il se rend sur le plateau de RMC et de BFM TV début avril, au cœur de la panique qui s’est alors emparée du pouvoir, plusieurs conseillers jurent que Manuel Valls est nerveux. « Je ne l’avais jamais vu comme ça, il avait l’air mal, tendu », dit un cadre socialiste. Certains de ses collaborateurs ne masquent guère leur gêne. Le ministre, lui, tente de se faire tout petit pour échapper à la tornade que prédisent alors plusieurs membres du gouvernement. Elle n’aura finalement pas lieu mais l’affaire Cahuzac a remis dans la lumière une galaxie dont certains membres étaient déjà au cœur de l’affaire DSK voilà deux ans et dont la plupart sont issus de l'ancienne « Rocardie ».
Manuel Valls et Jérôme Cahuzac ne sont pas des amis de trente ans. Longtemps, ils se sont peu fréquentés. Mais ils se connaissent depuis de longues années. Tous deux sont d'anciens rocardiens de la fin des années 1980 et 1990, quand l'ancien leader du PSU affrontait la première gauche de François Mitterrand. Mais alors que Valls était un jeune cadre du courant (il est entré à la direction du PS en 1993 quand Michel Rocard en a brièvement pris la tête), Cahuzac était dans l'ombre – conseiller technique d'une figure du rocardisme, Claude Evin.
Surtout, nuancent plusieurs “ex”, la « Rocardie » est balayée depuis longtemps – Jospin, DSK et Hollande ont créé d'autres fidélités, d'autres affiliations. Cahuzac n'a d'ailleurs pas soutenu Manuel Valls à la primaire, mais François Hollande. [...]
Les deux ministres se sont cependant rapprochés au gouvernement. En toute logique. Parce qu’ils appartiennent malgré tout à la même sensibilité politique (ex-rocardiens puis ex-strauss-kahniens, plutôt à la droite du PS), et qu’ils ont des proches en commun. L’été dernier, raconte Ariane Chemin dans Le Monde, le ministre de l’intérieur fête ses 50 ans dans la maison de la Côte d’Azur de l’avocat d’affaires Gilles August. Le ministre du budget est là aussi – c’est un ami du couple August. Il saute en parachute avec l’épouse et choisira le mari pour assurer sa défense quelques mois plus tard – il a finalement changé de conseil en mars et opté pour Jean Veil, l’avocat de DSK.
Les deux ministres partagent aussi l’entregent d’un très proche de l’ancien directeur général du FMI, Stéphane Fouks. Patron de l’agence de communication EuroRSCG, rebaptisée en septembre Havas Worldwide, c’est un homme puissant qui compte parmi ses clients de nombreuses entreprises du CAC 40 et qui, après avoir fait la campagne (ratée) de Lionel Jospin en 2002, fit celle (ratée aussi) de DSK.
Malgré la défiance de François Hollande, Stéphane Fouks est parvenu à rester près du pouvoir. Durant la campagne déjà, il n'était jamais visible mais c'est à Manuel Valls que le candidat socialiste avait confié sa communication, associé à un autre ancien proche de Dominique Strauss-Kahn, André Loncle – devenu chef de l'audiovisuel à l'Élysée.
Plusieurs ministres, et le chef de l’État, se sont aussi depuis entourés d’anciens d'EuroRSCG : c’est le cas d’Aquilino Morelle, le conseiller spécial de Hollande à l’Élysée, de Sacha Mandel au ministère de la défense, de Gilles Finchelstein auprès de Pierre Moscovici, de Marion Bougeard qui officia auprès de Cahuzac après avoir travaillé pour Liliane Bettencourt, ou encore de Marie Murault, attachée de presse de Manuel Valls place Beauvau.
Le ministre de l’intérieur connaît Stéphane Fouks depuis trente ans : ils ont milité ensemble à la fac de Tolbiac et faisaient partie à l’époque de la jeune garde rocardienne, avec un troisième complice, Alain Bauer – dont le nom apparaîtra lui aussi dans l’affaire Cahuzac... En attendant, c’est Fouks, devenu spécialiste de la communication de crise, qui a conseillé le ministre du budget depuis les révélations de Mediapart (il avait déjà travaillé pendant cinq ans pour Jérôme Cahuzac, avant qu'il ne soit ministre). La veille de notre premier article, un mail est envoyé à Bercy pour que le ministre puisse s’expliquer. Mais c’est d’emblée Stéphane Fouks qui décroche son téléphone et appelle directement Fabrice Arfi, l’auteur de l’enquête [...].
Fouks sera [...] soupçonné d’être l’instigateur de l’opération de “blanchiment” du ministre, dans le Nouvel Obs et le Journal du dimanche. Depuis les aveux, c’est Pierre Moscovici lui-même qui l’insinue quand il raconte avoir été furieux de découvrir ces fuites dans la presse. « J’ai été utilisé », a-t-il expliqué à Mediapart. Interrogé sur la personne de Stéphane Fouks, il botte en touche mais ne dément pas (lire ici). Les intéressés, eux, démentent.
Le « gourou de la com » s’est depuis mis en retrait et a passé le relais à une vieille connaissance, Anne Hommel. Ancienne d’EuroRSCG, elle était le « sherpa» de DSK et connaît comme sa poche les arcanes de cette frange du parti socialiste – elle est l’ex-femme de Christophe Borgel, député et secrétaire national aux élections à Solférino, et l’actuelle compagne de François Kalfon, secrétaire national adjoint aux élections du PS et spécialiste des sondages. C’est à ce titre que Kalfon vient d’ailleurs de répondre à un chat du journal 20 Minutes où il a commenté la prestation télé de Cahuzac préparée par... Anne Hommel.
Alain Bauer : « Mais évidemment, qu'il a un compte en Suisse ! »
C’est une petite confidence qui va propulser Bauer au cœur de l’affaire Cahuzac. Comme lui, il est franc-maçon. Comme Valls et Fouks, c’est un ancien rocardien. Et il est souvent bien renseigné. Le 12 décembre, le maître à penser de Sarkozy en matière de sécurité confie à Ariane Chemin du Monde : « Mais évidemment, qu'il a un compte en Suisse ! » [...]
Et promis juré, Alain Bauer, Stéphane Fouks et Manuel Valls n’ont jamais discuté de l'affaire. « Personne ne m’a posé la question, M. Fouks pas plus que M. Valls. Ce ne sont pas mes clients », dit Bauer, quand Valls indique que « Alain Bauer ne m'a pas parlé de ce compte ».
Selon un témoin de la scène, les oreilles d’Alain Bauer ont chauffé quand Manuel Valls a découvert la petite phrase de son ami sur Jérôme Cahuzac. « Ce n’est pas la première fois que Valls remet à sa place Bauer. Il s’est déjà pris une avoinée pour avoir laissé entendre qu’il conseillait Valls. Pour son business, Bauer a besoin de prétendre tout savoir. Et ces derniers temps, il est obligé d’en rajouter », insiste un proche du ministre de l’intérieur.
Yves Colmou : « C’est de l’anachronie complète »
Lui ne fréquentait pas l’ancien ministre du budget aussi assidûment que son ami Stéphane Fouks – les deux hommes se sont rencontrés en 1975 quand le futur communicant a adhéré dans la même section du PS, à Charenton-le-Pont (Val-de-Marne). Il n'est pas non plus de la même génération, il n'a pas le même parcours et n'a joué aucun rôle depuis les révélations de Mediapart sur le compte de Jérôme Cahuzac. Mais beaucoup de socialistes brûlent tout de même de l’entendre : tous ceux qui s’interrogent sur la destination de l’argent dissimulé par l'ex-ministre du budget en Suisse et craignent que la justice ne découvre une caisse noire bâtie en vue d’une candidature de Michel Rocard à la présidentielle de 1995.
Bien sûr, lors de son interview du 16 avril sur BFM, Jérôme Cahuzac a démenti que son compte genevois ait jamais servi à « financer de campagne du Parti socialiste ». Mais sa formulation en a ému plus d’un à Solférino : stricto sensu, elle ne ferme pas la porte au financement d’un simple courant, celui des rocardiens, alors en guerre avec la Mitterrandie.
Or Yves Colmou a suivi Michel Rocard comme son ombre, d’abord aux ministères du plan et de l’agriculture au début des années 1980, puis à Matignon (1988-1991). Son rôle auprès du premier ministre ? Chef de cabinet, c’est-à-dire super-intendant. Par la suite, quand Michel Rocard a pris les rênes du PS (1993-1994), Yves Colmou est devenu son directeur de cabinet. En clair : dans la « rocardie », la logistique, c’était beaucoup lui. [...]
Ce qui frappe, dans le parcours d’Yves Colmou, c’est la facilité avec laquelle il a recyclé son savoir-faire logistique une fois Michel Rocard éliminé du circuit (après sa lourde défaite aux européennes de 1994). Dès la présidentielle de 1995, il décroche un poste clef auprès du candidat Lionel Jospin : celui de directeur de campagne adjoint. Rebelote en 2002, au même poste.
En quelques décennies, Yves Colmou a su se rendre incontournable, sorte de fil rouge entre la rocardie, la jospinie, et aujourd’hui Manuel Valls. « On n’est pas très nombreux, au PS, à connaître aussi bien le fonctionnement des cabinets, à avoir participé aux quatre législatures de la gauche », souffle l’intéressé.
En janvier dernier, Yves Colmou a en tout cas bénéficié d’une promotion exceptionnelle : le conseil des ministres l’a nommé préfet, « hors cadre » qui plus est (lui permettant d’éviter toute affectation en préfecture et de rester place Beauvau). Vu le nombre de préfets en attente de poste, rémunérés « à blanc » par la République, le décret avait de quoi surprendre.
Mais aux yeux de Manuel Valls, Yves Colmou a bien des atouts dans sa poche. Dès 1995, l’homme a en effet travaillé comme chasseur de têtes au service des collectivités locales de gauche, pour un cabinet de recrutement privé baptisé Progress. Son métier : fournir des cadres dirigeants (directeurs généraux des services, etc.) aux communes, départements, intercommunalités... Un marché ultra juteux, de plus en plus vaste au fur et à mesure des victoires remportées par la gauche aux élections locales – la Chambre régionale des comptes d’Alsace vient de pointer les contrats passés en 2008 et 2009 entre Progress et la ville de Strasbourg (tenue par l’ancien rocardien Roland Ries), pour le recrutement de cinq directeurs (12 à 14 000 euros engagés à chaque fois sans mise en concurrence).
Au fil des ans, Yves Colmou s’est imposé comme l’un des meilleurs « DRH » du parti socialiste, au point d’avoir joué un rôle clef en mai 2012, lorsque les ministres de François Hollande ont dû constituer leurs cabinets. Discrètement, il a placé ses ouailles – « Sans doute pas plus de dix personnes au total ! » s’efforce-t-il de relativiser. « Et je n’ai pas conseillé Jérôme Cahuzac sur la composition de son cabinet… »
Surtout, Yves Colmou est devenu l’un des meilleurs connaisseurs de la carte électorale. Pour les législatives de juin 2012, il a contribué à faire et défaire les investitures du PS, dans l’ombre du secrétaire national aux élections, Christophe Borgel. Comme un poisson dans l’eau au ministère de l’intérieur, il conseille aujourd’hui Manuel Valls sur le redécoupage des cantons, imposé par le nouveau mode de scrutin départemental (voté le 17 avril par l’Assemblée et qui fait hurler l’UMP). Une mission ultra politique, propice aux deals en tous genres. « On ne gagne pas une élection avec un découpage, répond Yves Colmou. Et Manuel Valls n’a pas l’intention de laisser son nom sur un découpage polémique. On va faire quelque chose de propre. » Comme nombre d’anciens rocardiens embarrassés par l’affaire Cahuzac, Yves Colmou est visiblement pressé de passer à autre chose.
L'article intégral de Mediapart (réservé aux abonnés)
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Accord emploi : ils ont voté… et puis après ?
Avatars du jour à gauche...Cahuzac avoue, le gouvernement est sonné, Besancenot est dans l'opposition, Mélenchon, lui, est... en opposition...! Les droites se frottent les mains...
Avatars du jour à gauche...Cahuzac avoue, le gouvernement est sonné, Besancenot est dans l'opposition, Mélenchon, lui, est... en opposition...! Les droites se frottent les mains...
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