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En débat. Quelles positions à la gauche de la gauche sur la guerre du Mali ?



Extrait de L’intervention française en Afrique : combattre notre propre impérialisme
par Pierre Rousset

Le Parti communiste français

Les députés du Front de gauche avaient initialement voté en faveur de l’intervention française au Mali lors du débat au Parlement en janvier 2013. Cette fois-ci, lors du débat du 22 avril dernier sur la prolongation de l’opération Serval, ils se sont abstenus – en clair, de même qu’EELV, ils ne se sont pas opposés à la prolongation de cette intervention. Dans ces conditions, l’abstention est un soutien honteux, avec pour résultat que le vote à l’Assemblée nationale s’est fait sans une seule voix contre.

Cela fait plusieurs décennies que pour le PCF, ses alliances avec le Parti socialiste ne doivent pas être mises en cause par la politique impérialiste de la France en Afrique (ou ailleurs) ; une politique qui a été mise en œuvre par le PS – et avant lui la SFIO – à chaque fois qu’il était au gouvernement. Le Parti communiste émet des « doutes », fait part de ses « inquiétudes », comme aujourd’hui sur la situation au Mali, mais ne rompt pas, ne condamne pas. L’argument du « moindre mal » et du danger de chaos a été invoqué pour soutenir une intervention qui se prétendait (mensongèrement) à l’origine ponctuelle, limitée à des frappes aériennes. Cette logique du « moindre mal » le conduit aujourd’hui au laisser-faire face à un engagement terrestre qui s’inscrit dans la durée.

Rappelons que le PCF est (de loin) la principale composante du Front de gauche.

Mélenchon et le Parti de gauche

Jean-Luc Mélenchon a, pour sa part, violemment critiqué le Livre blanc sur la défense – mais parce qu’il annonce l’affaiblissement de la capacité militaire française ! Il titre son communiqué du 29 avril « Non à la liquidation de l’argument militaire de la France », au nom de sa « souveraineté » et de son « indépendance ». « Ce livre blanc marque un nouvel étiolement de la puissance militaire de la France. »

Jean-Luc Mélenchon utilise dans ce communiqué – reproduit in extenso ci-dessous – un langage « contourné » (« argument militaire » pour « forces armées ») et ne recule pas devant les formules les plus grotesques (« la France doit construire une défense souveraine et altermondialiste ») ; mais tout cela ne change rien au contenu. Or ce n’est pas une posture conjoncturelle, mais une ligne de fond de la figure de proue du Front de gauche [2].

Le vocabulaire et l’argumentaire d’un récent discours de J.-L. Mélenchon intitulé « pour une défense souveraine et altermondialiste » sont très parlants à ce sujet, à commencer par l’usage du « nous », du « notre » et du mot « puissance » : « Nous sommes la France », « Nous les Français ». « Notre puissance satellitaire ». « Notre position particulière » due au fait que « nous sommes le deuxième territoire maritime du monde. ». Mélenchon assume la responsabilité qu’impose « notre rang de puissance maritime » alors qu’« inévitablement les conflits de puissances arriveront dans la mer »… Ainsi, grâce à sa « puissance » et ses « points d’appui » (dont la francophonie, son réseau diplomatique…), « la » France doit proposer une « alliance altermondialiste » en particulier aux « puissances émergentes » [3].

L’usage martelé du « nous » et du « notre » induit une identification à l’Etat réellement existant. L’invocation du « territoire maritime de la France » ne tire aucune conséquence de ce qu’il résulte du défunt grand empire colonial français. Ce discours de politique étrangère long d’une heure trente ne contient aucune critique de l’impérialisme français réellement agissant : il cible l’atlantisme dans un argumentaire aux tonalités gaullistes.
Sur l’intervention au Mali, le Parti de gauche a fini, avec quelques réticences, par se déclarer contre – mais sans pour autant qualifier d’impérialiste la politique africaine de l’Etat français. Cela reste toujours le cas. Voici ce qu’en dit Arthur Morenas dans un article du 20 mai sur le Livre blanc : « Cette opération s’est réalisée dans le flou le plus total et en l’absence de consultation préalable du Parlement. Des militaires français ont été envoyés sur le champ de bataille sans que les représentants du peuple français n’aient eu leur mot à dire. Une pratique avec laquelle la VIe République permettra de rompre. On ne peut commander à des militaires de risquer leur vie sur un champ de bataille au nom du peuple français sans une clarté absolue sur des buts de guerre conformes aux principes fermes établis par le peuple français. » [4]

Arthur Morenas dénonce la « logique désastreuse » du Livre blanc « pour le statut géostratégique du pays » et la réduction des effectifs décidée par Sarkozy, puis Hollande. Il ne s’inquiète pas du choix de se doter de drones tueurs : il juge simplement qu’ils ne devraient pas être achetés aux Etats-Unis, mais être issus d’un programme français (Talarion d’EADS).

Si la formule mélenchonienne de « défense altermondialiste » est si grotesque, c’est que sa politique en ce domaine s’inscrit dans une conception très traditionnelle des jeux de puissances : « la » France devrait être à la tête (son « rang » exige) d’un bloc d’Etats constitué pour contrer « l’hégémonisme américain » – avec donc les Etats chinois, indiens, brésiliens, sud-africains et quelques autres (l’Algérie, le Maroc pour la zone méditerranéenne ?)

Des mouvements sociaux et antiguerre se sont attachés à définir une conception de la sécurité internationale du point des peuples, fondamentalement alternative à la conception dominante portée par les Etats, par les puissances – et qui mérite donc, elle, d’être qualifiée d’altermondialiste. Fondée sur la solidarité entre peuples, elle implique que les mouvements progressistes luttent contre le « nationalisme de puissance » dans leurs pays ; et tout particulièrement contre le nationalisme des puissances impérialistes.


Soyons clairs. Dans un pays impérialiste, qui ne combat pas son propre impérialisme n’est pas anti-impérialiste du tout !

La Gauche Anticapitaliste et le « troisième pôle »

La Gauche anticapitaliste a, pour sa part, reproduit sur son site l’interview de Grégoire Chamayou dans Libération qui explique la portée profonde du recours aux drones « chercheurs-tueurs » [5]. Elle avait aussi publié plusieurs communiqués contre l’intervention française au Mali, mais ne s’est pas investie sur ce terrain.
Ainsi, au-delà de prises de position ponctuelles et partielles, il n’y a sur son site (et encore moins dans ses activités) aucune campagne suivie contre la politique africaine et militaire de l’impérialisme français, ni aucune polémique au fond contre les positions affichées par le PCF ou Jean-Luc Mélenchon en ce domaine. Comme si tout cela ne méritait pas d’alourdir le climat au sein du Front de gauche et la préparation des prochaines échéances électorales.

La direction de la GA était divisée sur l’engagement à prendre contre la guerre du Mali. Les « anti-impérialistes actifs » ont obtenu des communiqués de condamnation et ont participé à des actions. Mais les membres de la direction qui étaient pour que la GA reste en retrait sur ce terrain ont, en pratique, obtenu gain de cause. Le tout sans même qu’un débat impliquant la direction soit organisé.

Peut-être ai-je mal cherché, mais je n’ai rien (rien !) trouvé concernant ces questions sur le site des Alternatifs ! Certaines autres petites composantes du Front de gauche sont en revanche clairement engagées contre la guerre française au Mali. Mais quelle sera l’importance accordée par le « troisième pôle » du FG (ni PCF ni PG) s’il réussit à se formaliser ?

Une réunion doit se tenir le 15 juin prochain pour en discuter sur la base de documents préparatoires présentés par les Alternatifs, la Fase, Convergences et alternatives, la Gauche anticapitaliste, les animateurs du groupe « tous ensemble », des militants de la Gauche unitaire. Force est de reconnaître que pour l’instant, l’impérialisme français n’apparaît pas comme l’une des questions prises en compte pour définir les contours politiques ou programmatiques de ce regroupement ; ni pour profiler ses campagnes et activités à venir.

Pour nous qui vivons et militons en France, combattre notre propre impérialisme est pourtant de notre responsabilité. Une responsabilité dont on ne se dédouane pas avec quelques communiqués de presse, quelques phrases dans une déclaration, quelques rares articles.

Les « résistants »

Il y a bien des résistants, mais peu nombreux. Côté « associatif », il faut souligner le travail très important réalisé sur la Françafrique par l’Association Survie, ainsi que l’engagement, chacune dans leur domaine, du Cedetim, de l’Association française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique (AFASPA) ou de la Fédération des Droits de l’Homme (FDH).

Côté « politique », des organisations comme Alternative libertaire, Lutte ouvrière et le NPA se sont engagées sans mettre d’eau dans leur vin (rouge). Le NPA, par exemple, a initié ou participé aux quelques (petites) mobilisations qui se sont tenues depuis le début de l’intervention au Mali. Il traite régulièrement de ces questions dans sa presse et sur son site. Il les met à l’ordre du jour de ses réunions de direction et les intègre en bonne place à ses textes de congrès.

Ces mouvements – et quelques autres, bien entendu – tentent de contrer la propagande mensongère du pouvoir (armée, diplomatie, gouvernement…), de battre en brèche le mur du silence médiatique, de refonder, de reconstituer et d’élargir un front de résistance à l’intervention française en Afrique. Mais ils le font dans des conditions politiques très difficiles, à contre-courant.

Curieusement, dans une contribution de février 2013, Claude Gabriel jugeait que l’anti-impérialisme se portait bien en France [6]. C’était une affirmation étonnamment minimaliste à l’époque, cela l’est encore plus aujourd’hui, vu avec le bénéfice du recul.

Claude Gabriel concentrait sa critique contre « l’anti-impérialisme conventionnel », qui serait incapable de comprendre ce qu’il y a de nouveau sous le soleil franco-africain. On se demande cependant où est l’anti-impérialisme non conventionnel : il brille par son absence ou son inaction.

Pour l’heure, les seuls à combattre notre propre impérialisme – malheureusement avec des moyens très limités – affichent, aux yeux de Gabriel, des positions fort « conventionnelles ». Peut-être parce que le neuf est moins nouveau qu’il ne l’affirme. [...]

Dans le fond des objectifs poursuivis comme dans les méthodes utilisées, la Françafrique est toujours là [9]. Nous sortons d’une période durant laquelle Paris a réduit son dispositif militaire en Afrique : il y a aujourd’hui beaucoup moins de bases qu’il y a vingt ans. Mais il est bien question maintenant d’un nouveau redéploiement. L’intervention malienne en est l’illustration. Le Livre blanc dernièrement remis à Hollande insiste sur l’importance de l’Afrique ; or ce continent était négligé dans le précédent. Le rapport récent du groupe « Sahel » au Sénat enfonce le clou : « L’intervention au Mali a permis de prendre la pleine mesure de l’intérêt des forces françaises prépositionnées et de l’erreur d’appréciation qui consisterait à réduire notre dispositif en Afrique de l’Ouest » [10].

L’une des raisons qui expliquent la profondeur de la crise économique de l’Union européenne, c’est son déclin international. Les bourgeoisies européennes ont perdu beaucoup de « marchés », de zones d’influence, et ne peuvent plus bénéficier comme auparavant des surprofits liés à l’exploitation du « tiers monde ». Elles se retournent avec d’autant plus d’agressivité contre leurs propres salariats, mais cherchent aussi comment stabiliser et reconquérir leur accès aux surprofits postcoloniaux. La particularité de la bourgeoise française, c’est qu’à cette fin elle peut utiliser son armée.

L’engagement français en Afrique de l’Ouest est assez unique : quel autre impérialisme bénéficie-t-il en permanence d’une telle liberté de présence et d’action militaires dans un tel ensemble de pays étrangers ? Malheureusement, en France, la dénonciation de cet état de fait n’a jamais été à la hauteur de l’enjeu solidaire, malgré le travail d’information remarquable d’une association comme Survie. Nous ne pouvons rester passifs à l’heure de l’intervention malienne et alors que le gouvernement affiche sa volonté de renforcer à nouveau son dispositif – en collaboration étroite avec les Etats-Unis qui, eux aussi, annoncent leur « retour ».

Il faudrait de même s’attacher plus au rôle de l’Etat français dans la crise haïtienne (non sans analogie avec sa politique malienne, malgré des différences fondamentales) et les raisons pour lesquelles il se montre si violent à l’encontre des mouvements populaires en Guadeloupe et Martinique.

Nous sommes à un moment charnière. Sans garantie de succès vu son affaiblissement, l’impérialisme français cherche à moderniser et rationaliser ses moyens et ses ambitions. Il en appelle pour ce faire à l’union nationale. C’est à nous de la briser et de faire entendre une autre voix… Une autre voix qui ne se contente pas de dire que l’avenir est incertain ; que la solution militaire est insuffisante, comme le fait le PCF (tout le monde le sait, y compris l’Elysée) ; ou qu’il ne faut en rien affaiblir notre armée nationale, comme le proclame Mélenchon !

Il faut nommer un chat un chat et la « puissance » française un impérialisme ; pour assumer nos responsabilités anti-impérialistes.

...................................  

Annexe : communiqué de J.-L. Mélenchon


Communiqué du 29 avril 2013

Non à la liquidation de l’argument militaire de la France


Austérité et atlantisme sont les maîtres mots du livre blanc de la Défense remis ce jour au président de la République. Ce sont deux dangers mortels pour la souveraineté et l’indépendance de la France.

Ce livre blanc est une nouvelle preuve de l’hypocrisie des solfériniens et de l’incohérence du gouvernement. 
François Hollande annonce qu’il ne touchera pas à la dissuasion nucléaire mais il a accepté d’inscrire la France dans le projet atlantiste de bouclier anti-missile en Europe. 
François Hollande annonce des moyens préservés pour le budget militaire mais le livre blanc prévoit des dizaines de milliers de suppressions d’emplois et la vente d’actions de l’Etat dans les industries de Défense.

Ce livre blanc marque un nouvel étiolement de la puissance militaire de la France. Il prépare les grandes phrases selon lesquelles « on ne peut rien faire sans les autres ». Air trop connu !
Le renoncement à l’indépendance et à la souveraineté est toujours présenté comme une fatalité indépendante de notre volonté.
Je refuse cette liquidation de l’argument militaire de la France. Loin de l’atlantisme et de l’austérité, la France doit construire une défense souveraine et altermondialiste.

Notes

[2] Voir sur ESSF (article 25138), Pierre Rousset, « Jean-Luc Mélenchon, l’habit présidentiel, l’arme nucléaire et la gauche française »
[3] Discours du 30 mars 2012 : http://www.jean-luc-melenchon.fr/20...
[4] http://www.lepartidegauche.fr/actua...
[5] Voir note 1.
[6] Voir sur ESSF (article 27959), Mali et contradictions d’un anti-impérialisme conventionnel.
[9] Voir à ce sujet le bilan présenté par Survie disponible sur ESSF (article 28862), « Françafrique : un engagement non tenu de François Hollande, des reculs préoccupants » et les articles des Billets d’Afrique dont certains sont aussi reproduits sur ESSF.
[10] Voir Raphaël Granvaud, « Mali & Opération Serval : un rapport sans accroc pour un vote sans surprise (et réciproquement), disponible sur ESSF (article 28860].

L'intégralité de ce texte est à lire sur le site d'Europe Solidaire Sans Frontières

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