..."les bras en tombent devant tant de docilité de Hollande et quelques autres chefs d'Etat européens !""
L'Hérault du jour du 12 juillet 2013
La France enterre la taxe sur les transactions financières
Mediapart 11 juillet 2013 |
Par Martine Orange
Le ministre des finances vient de tirer un trait sur une autre promesse
de la campagne présidentielle : il n’y aura pas de taxe sur les
transactions financières, en tout cas, pas comme le souhaitait la
commission européenne. Le lobby bancaire a une nouvelle fois gagné
Les députés européens et les associations, qui s’alarmaient depuis
plusieurs semaines sur le jeu français dans les discussions sur le
projet européen de taxation des transactions financières, avaient
raison. :
la France fait marche arrière toute sur la taxation des transactions
financières. Sans ménagement, le gouvernement français est en train de
saborder l'un des rares projets européens qui se donnait pour objectif
de tirer quelque leçon de la crise financière et de reprendre la main
face à la finance.
Comme lors de l’annonce de l’enterrement de la réforme bancaire, le ministre des finances a d’abord réservé cette annonce aux banquiers,
réunis dans le cadre d’un colloque organisé par Europlace, le lobby
financier chargé officiellement de veiller au « rayonnement de la place
de Paris ».
Face à un auditoire acquis d’avance, le ministre des finances a repris à son compte l’argumentaire des banquiers. « La
taxe sur les transactions financières suscite des inquiétudes quant à
l'avenir industriel de la place de Paris et quant au financement de
l'économie française », a-t-il expliqué avant d’approuver : « Sa mise en œuvre rencontre de nombreux obstacles et de nombreuses questions. » « Le
travail que je veux mener, c'est un travail d'amélioration de la
proposition de la Commission pour mettre en œuvre une taxe qui ne nuise
pas au financement de l'économie », avant de promettre une large concertation avec les professionnels pour travailler aux amendements jugés nécessaires.
Mais comment expliquer un revirement si net avec la position
traditionnelle française ? A-t-il été entériné par l’Élysée, ou Pierre
Moscovici en a-t-il pris seul l’initiative, sous la pression de son
administration ? La France a été l'un des premiers pays à soutenir
l’idée d’une taxe Tobin en Europe. Dès le milieu des années 2000, le
président Jacques Chirac s’était déclaré favorable au projet. Nicolas
Sarkozy en avait repris finalement l’idée et jeté les premières bases en
France. François Hollande, lors de sa campagne présidentielle, avait
promis de tout mettre en œuvre pour l’instituer au niveau européen.
Bousculés par la crise financière de 2008, les responsables européens
avaient décidé de reprendre en urgence le dossier. Toutes les manœuvres
pour faire capoter la taxation sur les transactions financières ont été
entreprises à tous les échelons européens ces dernières années, la
Grande-Bretagne et le Luxembourg, principaux bénéficiaires de la finance
européenne, se plaçant à la tête de la cabale.
Nicolas Sarkozy, alors en pleine campagne présidentielle, décidait de
l’avant tout seul. En février 2012, le Parlement adoptait le principe
d’une taxation financière de 0,1 % sur les échanges d'actions des
sociétés dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d'euros et
dont le siège social est en France. Une autre taxe de 0,01 %
cette fois – dix fois moins – était adoptée sur certains produits ou
opérations accusés de favoriser la spéculation comme les échanges de credit default swaps
(CDS) sans contrepartie ou le trading à haute fréquence. Cette taxation
est entrée en vigueur en août 2012, mais pour les seuls particuliers.
« Lorsque la taxe européenne aura été finalisée, évidemment elle
remplacera la taxe qui vous est proposée aujourd'hui, mais la France
aura été le premier pays à mettre en place ce dispositif », avait
expliqué François Baroin, le ministre de l'économie de l’époque. Le
mouvement semblait effectivement lancé. Décidés à ne pas se laisser
bloquer par la recherche d’un illusoire consensus européen, onze pays –
l’Allemagne, la France, l’Italie, l'Espagne, l'Autriche, le Portugal, la
Belgique, l'Estonie, la Grèce, la Slovaquie et la Slovénie – ont choisi
d’adopter la méthode de la « coopération renforcée »
pour introduire la taxe en s’appuyant sur le projet de directive de la
Commission. Une grande première en Europe, qui laissait penser qu’il
était possible parfois de construire quelque chose même à un petit
nombre de pays, avec le soutien de la société civile.
En février, la commission chargée du marché intérieur a présenté ses
travaux : calquée sur la réglementation française, la taxe prévoit
d'imposer à 0,1 % les actions et les obligations à 0,01 %
les produits dérivés. Ce qui pourrait selon elle rapporter jusqu'à 35
milliards d'euros par an. Un institut autrichien chiffre même le
rendement de cette taxe à 50 milliards d’euros. La commission et le
parlement européens se prenaient alors à rêver que cette taxe puisse
être le début d’un budget européen autonome.
« Le changement de position de la France risque d’avoir un effet
psychologique très grave. Car la France et l’Allemagne ont été moteurs
dans l’adoption du principe d’une taxation sur les transactions
financières. Si la France change de cap, la dynamique va être perdue.
Beaucoup de pays qui n’osaient pas s’opposer, vont hésiter. Les
ambitions du texte de toute façon vont être réduites. Il y aura des
compromis, des exceptions. Jusqu’où ? Cela dépendra des négociations à
venir », souligne Peter Wahl, président de l’ONG allemande
World Economy, Ecology and Development (Weed), très en pointe sur
l'adoption de cette taxe.
Celui-ci dit avoir noté un changement de position française depuis
avril, date à laquelle le ministère des finances a repris directement
les négociations, après la démission de Jérôme Cahuzac. Bercy s’est fait
immédiatement le porte-parole des préoccupations des banquiers : entre
inspecteurs des finances, on se comprend. Brusquement, plus rien n’est
allé : la taxation sur chaque transaction, la taxe payée à la
fois par les acheteurs et les vendeurs, sur la valeur des produits
achetés, sur les prises en pension entre banques, etc.
À l’appui de leur argumentation, les banquiers citent une étude de
Goldman Sachs, opportunément sortie en mai, pour montrer les effets
dévastateurs d’une taxation des transactions financières, que le monde
bancaire européen s’est empressé de diffuser largement auprès de toutes
les autorités.
Comme à chaque fois que leurs intérêts particuliers sont en jeu, les
banquiers ont sorti les grands mots. Reprendre la directive européenne
en l’état compromettrait « le financement de l’économie et notamment des PME », ont-ils
expliqué. Avancer cet argument revient à avouer publiquement que,
contrairement à ce qu’elles disent, les banques sont en très mauvaise
santé – ce qui est manifeste à la lecture des chiffres sur la
distribution de crédits – et ont besoin des marchés pour se refaire à
toute force. Car à la différence des États-Unis, l’essentiel du
financement de l’économie en Europe passe par les banques et non par les
marchés.
Le deuxième argument est naturellement la préservation de la place de
Paris qui ne pourrait que pâtir d’un tel dispositif, surtout si
Londres refuse d’appliquer la même taxe. Cent fois ressassé, le propos
finit par être aujourd’hui vide de sens. Car la place de Paris tient
désormais lieu des bourses de province d’autrefois. Les banques ont
déménagé par wagons leurs salles de marché à Londres. Elle ont placé
leurs ordinateurs dans les salles informatiques d’Euronext dans les
docks de Londres, afin de ne pas perdre une nanoseconde pour leurs
opérations de trading à haute fréquence.
Le dernier argument est celui qui fait choc depuis le début de la
crise financière. La haute administration des finances a appris à le
manier avec dextérité auprès de toutes les instances publiques,
traumatisées par la crise de la zone euro, dès qu’un projet lui
déplaît : le changement ne peut que nuire au placement des obligations
souveraines et au refinancement de la dette française. Avant de se
ranger ouvertement du côté des banquiers, Pierre Moscovici avait déjà
fait sien ce point de vue, en demandant que les transactions sur les
obligations d’État soient exemptées de toute taxe. L’Italie a déjà
rejoint la France sur cette position.
De modifications en exemptions, la taxe sur les transactions
financières semble promise à devenir peau de chagrin. Son sort ne dépend
plus que de la volonté allemande qui ne semble pas prête à se battre
sur le sujet. Sans vision, totalement soumis à son administration, le
ministre des finances, Pierre Moscovici, porte une lourde responsabilité
dans l’affaiblissement renouvelé de la position française et dans le
refus de résister au monde de la finance. « Officiellement, on est social-démocrate, mais on cède dès le premier mouvement au lobby bancaire », relève sans illusion Peter Wahl.
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