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Canal du Midi. Pourquoi donner la part belle à des arbres non autochtones ?



Le plein d'essences pour le Canal du Midi

Fin de règne pour les platanes. Comme dans toute succession, les héritiers potentiels se disputent la couronne. Qui remplacera le roi du Canal ? Quelle est donc l’essence la plus belle, la plus adaptée et la plus résistante au champignon ricain ? Fin du suspens. Des arbres exotiques ont été élus. Laissant coi prétendants autochtones et spécialistes au moment où une grande campagne de mécénat a été lancée par Voies Navigables de France.

Par Maylis Jean-Préau sur www.frituremag.info

En septembre dernier, le Canal a reçu un sacré cadeau de Noël : la Commission supérieure des Sites a validé le programme de replantation présenté par VNF. Un premier projet, jugé pas assez respectueux de la cohérence et de l’aspect monumental du site, avait été rejeté par cette même Commission en 2010. Enfin ! On allait pouvoir remplacer ses grands arbres moribonds par de jeunes plants sains. 

Sur le papier, le plan de replantation est séduisant. Une essence jalon va être plantée sur 40% du linéaire afin de garder le caractère uniforme de la voûte arborée. Pour ne pas revivre le drame des platanes, d’autres espèces, dites intercalaires, vont venir compléter le tableau. Des chênes chevelus en Haute-Garonne, des ormes résistants et des peupliers dans l’Aude, relayés par des micocouliers dans l’Hérault, des pins d’Alep ou encore des tamaris vers la Méditerranée.


L’essence jalon, elle, n’est pas encore définie. Sept espèces exotiques sont en compétition et vont être testées sur une période de dix ans à la fin de laquelle l’essence la plus adéquate sera plantée en majorité. Mais pourquoi donner la part belle à des arbres non autochtones ? « Ces essences ont été choisies car elles répondent aux critères requis : elle sont monumentales, ont une durée de vie de 150 à 200 ans, leurs racines permettent de tenir les berges et elles offrent un ombrage de qualité. Par ailleurs elles ne sont pas vulnérables aux parasites connus ou émergents et peuvent s’adapter à un climat parfois rude », énumère Émilie Collet, écologue et chargée de mission à VNF.


A terme, l’essence jalon choisie comptera 20 000 individus. Or, les sept en compétition sont pour beaucoup inconnues des botanistes de la région et absentes de nos paysages : le copalme d’Orient et le chêne à feuille de châtaignier viennent de Turquie, le chêne des Canaries porte bien son nom, le pacanier est l’arbre officiel du Texas, le tilleul argenté a plus l’habitude de pousser sur les rives de la Mer Noire et le caryer a feuille cordée n’est même pas sur Wikipédia. Dernier sélectionné, le platanor, ce clone résistant au chancre coloré.


Premiers grains de sables

Sur le papier toujours, ces arbres exotiques répondent à tous les critères recherchés pour remplacer les platanes, de plus ils sont censés perpétuer l’esprit d’innovation des descendants de Riquet. Pourtant, de véritables problèmes ont émergé sur le terrain. Une potentielle essence jalon, le tilleul argenté, a déjà été plantée en 2011 à Villedubert (Aude) en 210 exemplaires. Mauvaise pioche. Des apiculteurs les accusent d’être toxiques pour les abeilles en période de sécheresse. Une étude scientifique doit être menée.

Sur le banc des accusés, on retrouve aussi un arbre planté à Trèbes en 2011 par la super-héros d’un jour, l’ex-ministre de l’écologie Nathalie Kosciusko-Morizet, pelle à la main. D’abord considéré comme La solution pour remplacer les platanes, le platanor fait polémique. « Aujourd’hui, il résiste au chancre coloré, mais les champignons se recombinent en permanence et peuvent évoluer pour contourner la résistance. Or, il s’agit d’un clone, donc d’un individu unique qu’on réplique. Si l’un est touché, tous le seront », précise un botaniste. Même VNF se montre désormais frileux avec le platanor et souhaite l’utiliser uniquement dans les secteurs emblématiques. Tout et n’importe quoi a été dit sur ce clone mis au point par l’Inra en partenariat avec les pépinières Rouy-Imbert, propriétaires pour moitié du brevet. « On a dit que les pépinières allaient s’engraisser en vendant les arbres 5000€ l’un. C’est faux, le plant coûte 480€ et la pépinière a pris des risques dans cette affaire », défend André Vigouroux, ancien chercheur à l’Inra et père du cousin résistant au chancre coloré. Selon lui, l’arbre est très prometteur : « pendant 13 ans j’ai cumulé les tests de résistance à la maladie avec beaucoup de succès ».


Derrière l’esthétique, les risques

Toulouse, bureaux de l’association Solagro, engagée dans la promotion de pratiques agricoles et sylvicoles économes et respectueuses du milieu. Frédéric Coulon, en charge de l’agroforesterie et du patrimoine arboré, hausse les sourcils à la lecture du plan de replantation. « Pourquoi planter une essence exotique sur 40% du linéaire ? Ce n’est pas gênant d’expérimenter de nouvelles espèces, le problème c’est de se dire que l’arbre dominant ne sera pas local ! », lance t-il. « Nous manquons de recul sur leur adaptabilité. Au 20ème siècle on a déjà tenté d’importer de nombreuses espèces venues d’ailleurs. Beaucoup, trop sensibles aux grosses amplitudes thermiques, ont périclité ». Mais il y a plus grave, les essences exotiques représentent un frein à la biodiversité cachée : « chaque arbre a des affinités avec des espèces végétales, des insectes et donc des oiseaux. Ce cortège est équilibré localement, il peut de ne pas s’adapter à une nouvelle essence qui va donc perturber la chaîne alimentaire ». Sans parler du risque inverse, la colonisation des espèces autochtones par les exotiques. « En France, l’implantation de peupliers cultivars hybrides a causé une pollution génétique des peupliers noirs autochtones, explique Mathieu Menand, botaniste à Nature Midi-Pyrénées. Il faut faire attention à ne pas introduire des espèces exotiques qui font disparaître les indigènes ».


Illustration Herbot

Le platane lui-même n’est pas un rejeton du Midi. Implanté en Europe au XVIIIe siècle, il s’est néanmoins bien adapté mais reste très pauvre en biodiversité hébergée. Bien avant les platanes, des arbres fruitiers, des arbres à bois ou encore des mûriers blancs pour l’élevage de vers à soie peuplaient les berges. Riquet voit la plantation d’arbres dans un objectif de production. C’est dans la seconde partie du XIXème siècle que la plantation de platanes sera généralisée pour son aspect fonctionnel (il tient les berges et limite l’évaporation de l’eau) mais aussi esthétique. Sans parler de l’ombre gratuite qu’il fournit aux touristes.

« On ne va pas revenir à une fonction productrice des arbres, mais préserver l’esthétisme pour maintenir le classement au patrimoine mondial de l’Unesco n’est pas un critère suffisant. L’aspect biologique est essentiel », poursuit Frédéric Coulon. « Une même essence sur 40% c’est beaucoup trop ! Moins il y a d’essences différentes plus le risque est grand, les bactéries évoluent a un rythme très rapide et peuvent contourner les défenses des arbres. Regardez la graphiose qui a décimé tous les ormes d’Europe ! ».


A l’heure où, dans le grand sud, botanistes et associations de paysagistes œuvrent pour la promotion des espèces locales, on se demande ce que l’implantation d’arbres exotiques apportera au Canal. D’ici la fin de l’année 2013, quatre essences jalon vont être testées dans les espaces les plus touchés par l’arrachage. Rendez-vous dans dix ans pour voir qu’elle tronche tirera le Canal avec son costume tropical

  • Et si tout s’était passé autrement
Certes, avec des si, on mettrait Toulouse en barrique. Et pourtant le jeu est tentant. Car si le Canal avait été bien géré on n’en serait pas là à disserter sur le caryer, le copalme et autres noms barbares. Si Napoléon III avait été visionnaire, il n’aurait pas planté que des platanes. Si les ricains n’avaient pas débarqué en Provence, on n'aurait jamais entendu parler du chancre coloré. Si les péniches faisaient un poil attention, les racines des platanes seraient moins abîmées et donc moins vulnérables à la maladie. Si l’entretien avait été bien fait, on n'aurait pas à chercher des millions pour tout abattre d’un coup. Oui, car tout aurait pu se passer autrement : « L’arrachage et la replantation doivent se faire chaque année, petit à petit. Dans ces conditions, un arbre coupé permet de financer la plantation d’un nouveau, explique Frédéric Coulon. Mais si l’arbre est trop vieux et mal entretenu, il perd sa valeur économique ».

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