Mythes et mensonges sur Hiroshima et Nagasaki
| par Ataulfo Riera (LCR-La Gauche, 5 août 2010) | |||||||||||||||||||||||||||||||
Différentes
 thèses s’affrontent pour expliquer les motivations réelles du 
bombardement atomique d'Hiroshima et de Nagasaki (les 6 et 9 août 1945) 
par les États-Unis, les amenant ainsi à commettre un crime contre 
l'humanité. La polémique ne doit pas être considérée comme une simple 
querelle entre historiens: au-delà de la simple question du « pourquoi? 
», il y a toute l'implication qui se cache derrière la réponse. 
Implication très actuelle car les États-Unis sont désormais la seule 
superpuissance atomique capable de frapper où que ce soit dans le monde [...].
La thèse officielle, celle que tous les enfants 
étasuniens apprennent par coeur à l'école et qui, dernièrement encore, a
 été réaffirmée par le Sénat des États-Unis, explique que l'usage de la 
bombe atomique en 1945 a permis de précipiter la fin d'une guerre 
sanglante, de perdre moins d'argent et d'épargner des milliers de vies 
humaines. Le président Truman, qui prit la décision finale, affirma que 
son geste avait sauvé la vie de près de 250.000 "boys". Après la guerre,
 dans ses "Mémoires", ce chiffre monta à 500.000 (1). D'autres ont été 
jusqu'à avancer des chiffres de l'ordre de 1... à 3 millions de vies 
épargnées!
Selon les tenants de cette thèse, au cas où les 
troupes U.S auraient débarqué au Japon, les soldats nippons, fanatiques 
et partisans d'une guerre à outrance, auraient opposé une résistance 
suicidaire et jusqu’au-boutiste. De plus, les soldats japonais auraient 
été épaulés par des millions de civils tout autant fanatisés.
Cet argument est toujours repris actuellement par 
certains historiens: « Sans aucun doute (sic), la population civile 
défendra pied à pied le sol de la mère patrie. Les militaires lui 
confieront des explosifs, des pieux en bois. Tous les moyens seront bons
 pour tuer des ennemis ». Conclusion ? « Truman n'a pas le choix » (2). 
Le président Truman nous est ainsi souvent présenté comme un homme 
sensé, qui a pris une décision difficile mais juste. Et un historien 
bourgeois de nous le démontrer: "Des soldats américains mouraient par 
milliers chaque jour (?). L'apitoiement n'était pas de mise. Truman 
n'avait pas le choix. Sa décision lui a coûté". (3). Il s’agit ici de 
l'argument « moral » de la thèse officielle qui accorde à la bombe 
atomique le mérite paradoxal d'avoir sauvé des vies humaines.
Un autre argument nous dit que la bombe atomique a 
permis aux Japonais de comprendre la formidable capacité de destruction 
des États-Unis: « Nous détruirons complètement la puissance qui permet 
au Japon de poursuivre la guerre » menace Truman le 6 août 1945. Sachant
 cela, les Japonais n'auraient plus eu aucune raison de lutter. Autre 
élément corollaire; la destruction d'Hiroshima et de Nagasaki, outre 
l'impact psychologique de l’événement, aurait permis à l'Empereur 
Hiro-Hito d'imposer honorablement la paix à ses chefs de guerre 
« jusqu'au-boutistes ».
Face à cette série de dogmes officiels, plusieurs 
historiens ont osé les démonter pièce par pièce. Le premier d'entre eux,
 Gar Alperovitz, politologue étasunien, soutient depuis 1965 que son 
pays a fait usage de la bombe pour faire peur à Staline, dont les « 
visées expansionnistes » menaçaient les intérêts (grandissants) des 
États-Unis dans le Sud-est asiatique et en Europe.
500.000...1.000.000?
L'argument des 500.000 (ou plus) vies épargnées ne 
tient absolument pas debout. Un rapport des stratèges militaires 
américains prévoyant le coût humain d'une invasion du japon (prévue pour
 le 1er septembre 45) contient de tout autres chiffres. Rédigé par le 
Chef d' Etat-Major, le général Marshall, et daté du 18 juin 1945, il 
estime avec précision les pertes américaines à... 46.000 hommes au 
maximum. (4). Ce rapport, qui n'a seulement été rendu public qu'en 1985,
 était adressé au président Truman, celui-ci a donc sciemment menti.
Les chiffres fantaisistes du président et consorts 
reposaient sur l'argument que les Japonais, civils et militaires, se 
battraient jusqu'à la mort. Or, pour ce qui est des soldats, ce 
fanatisme, réel à une certaine époque du conflit, commençait à se 
fissurer. Alors que durant les batailles précédentes les soldats 
japonais se faisaient tuer sur place plutôt que de se rendre, lors de 
l'importante bataille d'Okinawa au mois de juin 1945, plus de 7.000 
d'entre eux se sont constitué prisonniers. Du jamais vu. Suivant en cela
 le code d'honneur militaire japonais, bon nombre d'officiers étaient 
effectivement des jusqu'au-boutistes, mais une bonne partie des hommes 
de troupe était fatiguée des combats.
Quant aux civils, l'argument est tout simplement 
absurde: le peuple japonais était totalement à bout après presque 13 
années de guerre (d'abord avec la Chine, puis avec les Alliés): 
privations, misère, faim, souffrance et mort sous les tapis de bombes 
largués par les bombardiers américains (plus de 21 millions de Japonais 
ont été d'une façon ou d'une autre touchés par ces bombardements 
massifs), etc. Un tel peuple n'aspirait plus qu'à la paix et l'on peut 
difficilement se l'imaginer fonçant droit vers des chars étasuniens avec
 des "pieux en bois" (5).
La Bombe et le sacrifice d'Hiroshima et de Nagasaki 
ont-ils au moins permis de précipiter la fin de la guerre (d'au moins un
 an nous dit-on) en démontrant le potentiel destructif des États-Unis? 
Rien de plus faux. Le Japon avait déjà virtuellement perdu la guerre car
 il était tout bonnement matériellement incapable de la poursuivre. Le 
potentiel militaire nippon était pratiquement détruit: 90% des bâtiments
 de la marine de guerre et de la flotte marchande reposait au fond 
l'océan, ce qui, pour une île dépourvue de ressources et de matières 
premières stratégiques indispensable à l'industrie de guerre, comme le 
pétrole par exemple, équivalait à une agonie rapide.
L'aviation quant à elle ne comportait plus qu'un 
petit nombre de pilotes adolescents,  peu instruits (du fait du manque 
de carburant, l'instruction était réduite au-dessous du minimum) et 
désespérés. La plupart n'étaient d'ailleurs plus assignés qu'à des 
missions suicides "kamikazes" peu rentables militairement vu la 
supériorité matérielle des États-Unis.
Enfin, « La défense anti-aérienne s'était totalement 
effondrée » (6), ce qui explique la facilité avec laquelle des 
impressionnantes escadres de bombardiers US pénétraient dans le ciel 
nippon. Ces bombardements terroristes, aveugles et coûteux en vies 
humaines - c'était leur but ; celui de Tokyo du 9 mars 1945  a ainsi 
fait plus de 125.000 morts, soit plus de victimes directes qu'à 
Hiroshima! - avaient complètement déstructuré les entreprises et la 
machine de guerre japonaise. Tokyo était rasée à 50%, Yokohama, le 
principal port du pays, à 85%, Kobe à 56%. Quarante pour-cent des 
ouvriers avaient abandonné leur travail pour fuir la ville et ses 
bombardements. Résultat, l'activité industrielle des 5 grands centres 
nerveux japonais était annihilée à un taux de 80% (7). Imaginer dans ces
 conditions que le Japon pouvait encore soutenir le conflit pendant une 
année ou plus relève donc de la pure fantaisie.
Une bombe sans poids
La justification de l'usage de la bombe en tant 
qu'argument "de poids' pour forcer la décision du pouvoir nippon de 
capituler est souvent avancée. Là aussi, elle ne repose sur rien de 
sérieux. Dès le mois d'avril 1945 en effet, l'Empereur était persuadé 
qu'il fallait négocier et conclure la paix au plus vite. Durant le mois 
de mai, une tentative de contact entre Japonais et Américains avait eu 
lieu via les diplomates nippons en poste à Berne. Vu l'échec de ces 
démarches, la diplomatie japonaise privilégiera ensuite des négociations
 détournées via Moscou. Le 22 juin, alors que l'île stratégique 
d'Okinawa (elle était la dernière étape avant le Japon) était 
définitivement perdue, les démarches s'accélèrent: "l''Empereur invita 
le Conseil suprême de direction de la guerre à entamer des négociations 
officielles de paix, si possible en utilisant les bons offices de la 
Russie" (8).
Mais les Japonais mettaient tous leurs espoirs de 
paix sur les Russes sans se douter qu'à la  Conférence inter-alliés de 
Yalta, Moscou avait promis aux Alliés occidentaux de déclarer la guerre 
au Japon six mois après la défaite nazie en Europe. Misant ainsi toutes 
leurs cartes sur Moscou, la douche froide de l'invasion de la  
Mandchourie occupée par l'Armée rouge le 9 août 1945 fut le véritable 
coup de grâce qui amena les Japonais à la reddition, et non la 
destruction d'Hiroshima et de Nagasaki qui, pour terrible qu'elle fut, 
ne provoqua pas autant de victimes ni de destructions que les 
bombardements classiques décrits plus haut.
Les autorités étasuniennes savaient parfaitement tout
 cela. Un rapport secret des services spéciaux américains (découvert en 
1988) qui relate les discussions au sein du pouvoir nippon, nous apprend
 que "les recherches montrent que [au sein du cabinet japonais] il fut 
peu question de l'usage de la bombe atomique par les États-Unis lors des
 discussions menant à la décision d'arrêter les combats. [sans l'usage 
de la bombe], les Japonais auraient capitulés après l'entrée en guerre 
de l'URSS" (9).
Un autre fait est à mettre en lumière avec ce qui 
précède. Si les États-Unis tenaient tant à précipiter la fin de la 
guerre et répugnaient à employer la Bombe, pourquoi diable dans leur 
ultimatum adressé aux Japonais le 26 juillet 1945 n'est-il fait nulle 
part mention du futur statut de l'Empereur en cas de reddition? Lors de 
la rédaction de ce document (au cours de la conférence inter-alliés à 
Potsdam), plusieurs conseillers du président ont fait remarquer à ce 
dernier l'importance de cette question: les Japonais étaient prêts à se 
rendre à condition que les États-Unis donnent la garantie que 
l'Empereur, considéré comme un demi-dieu, puisse rester sur le trône. 
Après débat, Truman et Byrnes, son bras droit, ont finalement décidé en 
pleine connaissance de cause de ne pas faire mention du statut de 
l'Empereur dans l'ultimatum… Les Japonais, pour qui la chute de 
l'Empereur constituait le déshonneur suprême, repoussèrent donc sans 
surprise ce dernier.
Mais le 10 août, lorsque les Japonais offrent 
officiellement leur reddition tout en demandant que Hiro-Hito et la 
monarchie soient maintenues, les États-Unis accepteront sans sourciller 
cette demande. On peut donc se demander pourquoi il ne l'ont pas 
mentionné 15 jours plus tôt, ce qui leur aurait permis d'éviter 
d'utiliser la Bombe et de sacrifier inutilement des centaines de 
milliers vies humaines. La réponse est évidente, Truman et Cie savaient 
pertinemment que les Japonais refuseraient l'ultimatum de Potsdam et 
qu'ils auraient là l'occasion et la justification « morale » d'employer 
la bombe atomique. En vérité, comme on le verra plus loin, la plus 
grande crainte de Truman à cette époque n’était pas d’employer la bombe 
atomique, mais bien tout au contraire de ne pas avoir le temps ni 
l’occasion de le faire !
Il faut par ailleurs connaître certaines de ses 
déclarations pour se faire une idée du personnage tel qu'il fut, loin de
 cette fable d’un « homme torturé par une décision difficile qui lui a 
coûté ». Lorsqu'il apprit le succès du bombardement d'Hiroshima, Truman 
déclara joyeusement à ses proches: « Les gars, on leur à balancé un 
concombre de 20.000 tonnes sur la gueule!" (10). On est loin ici de la 
phrase "historique", grave et pesée que l'on pourrait attendre d'un 
homme sensé qui a pris un décision aussi terrible pour l'humanité. Peu 
de temps après, à un journaliste qui lui demande "Quel a été votre plus 
grand remord dans votre vie? ", Truman répondra: "Ne pas m'être marié 
plus tôt"! (11) On voit là combien lui aura "coûté" son choix.
Pour conclure...
Quelles furent donc les véritables raisons qui 
motivèrent Truman et sa clique? Plusieurs facteurs entrent en compte 
(12) et la thèse d'Alperovitz en apporte plusieurs. Mais elle est 
insuffisante quant à sa conclusion. Pour Alperovitz, les Étasuniens 
jugeaient que les rapports de forces, à l'heure d'un nouveau partage 
impérialiste du monde, étaient par trop favorables à l'URSS et qu'il 
fallait stopper "l'expansionnisme" soviétique. La possession (et la 
démonstration pratique) d'une arme de destruction sans équivalent était 
donc un atout important aux mains des États-Unis non pas pour terminer 
la Seconde guerre mondiale mais bien pour entrer de plein pieds dans ce 
qui allait devenir la  Guerre froide en menant une politique de 
« refoulement » de « l’expansionnisme rouge ». C'est effectivement à la 
conférence de Potsdam que les Étasuniens vont commencer à modifier 
sensiblement leur ligne de conduite par rapport à l’« Oncle Joe » comme 
la presse américaine appelait Staline. Et c'est justement à ce moment 
que Truman — qui sait depuis peu que la bombe atomique est 
opérationnelle — en rédigeant un ultimatum inacceptable pour les 
Japonais, décidait d'employer la bombe comme un atout stratégique majeur
 face à Moscou.
Mais l'explication donnée par Alperovitz d'une 
réaction motivée par «l' expansionnisme soviétique » est plus qu'à 
nuancer car elle sous-entend une volonté de la part des Soviétiques de 
dominer et d'envahir la planète. Ce qui, lorsque l'on connaît la 
pratique et la nature du régime stalinien, est entièrement faux. La 
bureaucratie soviétique se contentait en fait de créer un glacis 
stratégique protecteur autour de ses frontières et sabotait par contre 
toute possibilité révolutionnaire en dehors de ce glacis stratégique 
géographiquement circonscrit - au sein duquel d’ailleurs il s’agissait 
avant tout de modifier les régimes sociaux et politique de manière 
bureaucratique, et non par le biais d’authentiques révolutions. A la fin
 de la guerre, les Partis communistes staliniens, aux ordres de Moscou, 
ont ainsi, en France, en Italie et dans plusieurs pays coloniaux, 
étouffés les germes ou la marche en avant de la révolution. Rappelons 
également que Staline s'opposa avec véhémence à la révolution chinoise 
de Mao.
"La politique dite de refoulement (qui provoquera 
directement la guerre de Corée et du Vietnam) n'est pas une réplique à 
une prétendue politique d'expansion de Staline, mais bien le signe de la
 volonté des États-Unis de dominer le monde" (13). Le véritable 
expansionnisme était étasunien et non soviétique. La bombe atomique (et 
son usage sur Hiroshima et Nagasaki) était une arme politique (et elle 
ne peut l'être vu sa nature), c'était une arme au service de 
l'impérialisme étasunien afin de s'assurer le statut d'une 
superpuissance mondiale sans partage.
Article publié dans La Gauche en août 2000
Notes:
(1) Frédéric Clairmont, "Manière de voir" n° 12 du "Monde Diplomatique".
(2) André Kaspi, "Fallait-il bombarder Hiroshima?", "L 'Histoire" n° 188, mai 1995.
(3) André Kaspi, op. cit.
(4) Vincent Jauvert, "Le Nouvel Observateur" 13-19 juillet.
(5) "... les civils japonais n'en pouvaient plus. En 
l'espace de 5 mois, la 21e escadre de bombardiers avait transformé la 
vie quotidienne du Japon en une âpre lutte pour simplement survivre 
(..). Les attaques aériennes américaines répétées s'étaient concentrées 
sur les quartiers ouvriers (..) huit millions de personnes étaient 
désormais sans abri. " William Craig, "La Chute du Japon", Ed. Laffont, 
pages 178-179.
(6) F. Clairmont, op. cit.
(7) Éric Peter, "La Brèche", août 1985. I -(8) W. Craig, op. cit, page 65.
(9) F. Clairmont, op. cit.
(10) "La Nueva Espana", 6 août 1995.
(11) "La Nueva Espana", 6 'août 1995.
(12) Un de ces facteurs, pas très souvent cité, est 
celui du racisme des dirigeants américains envers les Japonais. Il 
suffit de voir les films de cette époque (et même par après): les 
Japonais y sont tous montrés sous des traits cruels, fanatiques, 
capables des pires atrocités sans sourciller, bref, inhumains.  Le 
président Roosevelt pensait le plus sérieusement du monde que la 
"cruauté" des Japonais était due aux petites dimensions de leur crâne! 
Enfin, Byrnes, le bras droit du président Truman, qui lui conseilla 
ardemment d'utiliser la bombe, était un politicien raciste et 
anti-communiste notoire
(13) Éric Peter, op. cit.
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