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Là-bas, si Daniel Mermet y est ... Retour sur la polémique...



Lire : Réactions à l’article d’Olivier Cyran sur Daniel Mermet et « Là-bas si j’y suis » 
par Acrimed, le 17 juillet 2013


Comme nous nous y sommes engagés dans notre précédent article [1], nous publions ci-dessous une 

présentation de la plupart des réponses de collaborateurs de « Là-bas si j’y suis » à l’article d’Olivier Cyran « Daniel Mermet ou les délices de l’“autogestion joyeuse” »

Nous n’avons retenu dans ces récits que les extraits qui constituent des réponses même indirectes aux témoignages produits par Olivier Cyran, alors que la plupart de ces récits relatent effectivement une expérience, mais ne se prononcent pas du tout sur les faits rapportés dans l’article qui a mis le feu aux poudres. Pis : sur le site de « Là-bas si j’y suis », ils sont imputés à un « délire accusatoire », sans autre explication.

Nous publions également un extrait des précisions fournies par le SNJ de Radio France, suivi de quelques remarques d’Acrimed.

***

Réponse d’Anton Chao, Journaliste et reporter à « Là-bas si j’y suis », publiée sur le site de Rue 89 :
Elargissons le champ de vision et de réflexion sur l’histoire de « Là-bas si j’y suis » sans se focaliser sur le récit de quelques-uns d’entre nous dont l’expérience a été malheureuse, douloureuse, voire destructrice. Je vais essayer d’y contribuer avec quelques lignes qui témoignent de mon expérience différente à « Là-bas si j’y suis ». Beaucoup de membres de l’équipe de Mermet ne vivent pas ou n’ont n’a pas vécu cette expérience professionnelle de façon dramatique. C’est mon cas, et j’y travaille depuis bientôt douze ans.
[…]
Oui, il y a du « turn over » à « Là-bas si j’y suis ». D’abord parce que la direction de France Inter ne propose aucun CDI : on enchaîne les CDD de quelques jours ou de dix mois au mieux. L’année prochaine, l’émission sera-t-elle reconduite, et dans quelles conditions ? Nous le savons fin juin, c’est précaire, c’est usant.

Oui, la plupart des pigistes, « cachetiers » ou producteurs de France Inter qui travaillent aux programmes sont intermittents du spectacle, situation surprenante et navrante qui devrait évoluer, espérons pour le meilleur. La renégociation du protocole d’accord relatif à l’assurance chômage des annexes 8 et 10 dites « du spectacle » doit en effet se tenir d’ici la fin de l’année 2013.

Et ensuite parce que, oui, chez Mermet, c’est vrai, on bosse beaucoup, plus que dans d’autres émissions peut-être, et c’est usant aussi : il y a de l’urgence, de l’urgence quotidienne. Il faut savoir pourquoi on y est et pourquoi on y reste, pourquoi on s’entête, pourquoi on est prêt à passer des nuits blanches pour finir un montage à temps pour l’émission du lendemain. […]

Pour apprendre, ce n’est pas dans les livres, c’est sur le tas, et c’est dur. Il est indispensable, dans un premier temps, de rentrer dans le moule de cette écriture radiophonique particulière et élaborée. Oui, Il faut une certaine dose d’abnégation, il faut être capable d’apprendre encore même quand on croit savoir déjà, c’est ingrat. L’égo, pour certains, ou la confiance, pour d’autres, peuvent en prendre un coup. Mais au bout du compte, et si l’humeur du postulant est compatible avec celle de Daniel, “ Là-bas si j’y suis ” devient un fabuleux espace de travail, de création et de revendication.

- Lire la totalité de l’article.

* * *

Réponse de François Ruffin, publiée sur le site Fakir : « janvier 2005 – juin 2012 – Mes années Mermet », 8/07/2013

[…]
Mermet, à coup sûr, ne sera pas élu « manager de l’année ». Une formation complémentaire ne lui nuirait pas. Mais pour qui a traîné, un peu, ses guêtres dans ce milieu, c’est pas le pire taulier. On peut lui reprocher, en revanche, une absence de clarté : quand il me causait d’ « autogestion à Là-bas si j’y suis  », ça me faisait rigoler en coin. Je l’ai arrêté, à l’occasion, dans sa tirade : « Nan, Daniel, assume : c’est toi le patron. » Ça me paraît nocif, un pouvoir qui s’exerce et qui néanmoins se masque.
[…]
Après deux décennies de Là-bas si j’y suis, Daniel Mermet continue à former des débutants. Avec impatience, parfois. Avec le sentiment de tout recommencer à zéro, sans doute. Avec des fois où ça colle et d’autres non – pas seulement pour la qualité professionnelle (des reporters extras sont partis), mais pour les relations personnelles aussi (il faudrait ici étudier les conjonctions astrales…). La précarité lui permet, objectivement, sans qu’il l’ait formalisé, sans qu’il ait conscience de cette violence, de tester les impétrants – contrepartie d’un recrutement ouvert, sans concours d’entrée. De trier les jeunots selon leur « talent », c’est-à-dire, pour l’essentiel, selon leur constance dans l’effort.
[…]
C’est quoi comme émission ? Du re-por-tage, merde. Et il allait te chercher des mecs, des nanas, qui avaient tâté quoi, comme terrain ? Pas grand-chose. Même pas un mois en presse régionale. Qui s’étaient bien sûr jamais fadés les cuisines des restaus (moi non plus), ou les algecos dans le bâtiment (pas plus). Ils arrivaient comme des fleurs fragiles. Je dis ça sans me moquer : ils me ressemblaient, je voyais en eux un reflet de moi. Ils avaient l’air très gentils, très bien, mais délicats. Ils sortaient de leur fac, la vie ne les avait pas trop brutalisés, un courant d’air serait pour eux une tempête, une voix qui s’élève ferait un bruit de tonnerre. Tu les imaginais mal bourlinguer en banlieue, Nagra sous le coude, sortir les vers du nez d’un maire, assumer la pression de Là-bas, avec la timidité qu’ils portaient sur eux. On les envoyait au casse-pipe : pas les épaules encore.

Les premiers temps, Mermet les chouchoutait, un statut à part, collaborateur qui soi-disant « donne des idées », qui lui imprime des papiers, qui sort quelques archives. Mais nous, qui crapahutions sur la carte de France, qui nous crevions le cul, qui nourrissions quotidiennement l’antenne, on se le demandait vite, quand même,« c’est quoi cet apparatchik qui ne quitte pas le burlingue, qui lève pas son cul du fauteuil ? ». Il le sentait bien, le mec, qu’il était pas à sa place. C’était pas tenable. Il en attrapait des suées. Fallait qu’il plonge dans même potage que nous, qu’il se noie ou qu’il surnage.

Certains ont surnagé avec brio, ont fait leur trou à Là-bas. D’autres se sont noyés. Benjamin fut brisé par cet échec, manifestement, à découvrir son courrier. Je l’avais prévenu, il me semblait, que ça serait pas un champ de roses, ou alors avec beaucoup d’épines – quand Mermet lui avait sans doute vanté la douceur des pétales.

- Lire la totalité de l’article.

* * *

Réponse de Benjamin Fernandez à François Ruffin, publiée sur le site Fakir

On ne se connaît pas François Ruffin, (tu connais d’ailleurs beaucoup mieux les autres reporters dont les témoignages sont repris dans l’enquête d’Olivier Cyran, que tu ne nommes pas – par crainte de les rencontrer avant moi qui suis aujourd’hui loin ?). On s’est croisé, le temps d’un voyage en RER, et quelques fois dans le bureau. J’étais pas au mieux de ma forme, Mermet m’avait foutu dans la merde, et je devais savoir comment j’allais vivre dans les prochains mois. Je te l’avais raconté, en écoutant aussi ton histoire. Tu ne m’avais pas prodigué de conseils inoubliables il me semble, et si tu m’as prévenu que Là-bas est un chemin de croix, ce dont je n’ai pas souvenir, merci du conseil fraternel, mais j’étais déjà pris au piège de la précarité made in Mermet, tu le saurais si tu avais un peu tendu l’oreille. A moins que tu ne sois sourd à certaines histoires.
[…]
Si tu avais écouté, ça t’aurait évité d’écrire des conneries. Mais je ne me doutais pas alors du mépris avec lequel tu me regardais (ainsi que d’autres de l’équipe), pas plus que je n’avais anticipé que les promesses – douces « pétales », écris-tu – d’un Daniel Mermet s’évanouiraient au seuil du bureau 528. Le problème n’est pas que Mermet m’ait « brisé » comme tu te plais à l’écrire, mais qu’il m’ait précipité dans la précarité après m’avoir proposé des conditions de travail honnêtes. Nos rapports se sont tendus dès mon arrivée, quand j’ai insisté pour qu’il me présente le contrat qu’il m’avait vanté (un travail, un contrat, un salaire, même si cela te paraît impensable pour un journaliste, ne me semblait pas un marché de dupe, c’est pourquoi j’avais accepté de quitter un pays, un métier, des projets professionnels et humains. J’avais fait ma route, sans rien demander à personne, avait déjà eu mon compte de précarité, et j’avais construit un projet, qui fonctionnait. J’avais surtout conquis une précieuse indépendance économique et une liberté de production, que Mermet m’a confisquées. Par méthode, comme je l’ai découvert. Il faut casser les petits nouveaux, leur enthousiasme et leur confiance, et observer s’ils sont capables de sortir la tête de l’eau. S’ils se noient, on ira en chercher de nouveaux. Ca fait peur aux autres et ça ramène la discipline. Un laboratoire de la sélection naturelle en milieu radiophonique, pas sûr que tous les lecteurs de Fakir et les auditeurs de Là-bas si j’y suis adhèrent.


- Lire la totalité de la réponse de Benjamin Fernandez à François Ruffin (dans le fil des commentaires de l’article de ce François Ruffin).


* * *

On peut lire aussi le témoignage d’Agnès Le Bot (« cheffe » du répondeur en 2008-2009, puis attachée de production jusqu’en 2011), ainsi que celui de Christophe Imbert (réalisateur à France Inter, ancien chef du répondeur de 2001 à 2007), tous deux dans le fil des commentaires de l’article de François Ruffin.

***

Les précisions du SNJ Radio France : « Affaire Mermet, “Là-bas si j’y suis” : les origines du mal »

[…] il se passe des choses que nous considérons inacceptables dans le bureau 528 de France Inter. Rapports de travail compliqués et sous tension, reportages commandés non payés, plusieurs témoins ont eu le courage de dénoncer ces dérives… enfin. […]

Mais après avoir décortiqué les « méthodes Mermet », force est de constater que s’il y a souffrance au travail, c’est que la situation à Radio France le permet.

Radio France : la précarité instituée - Comment en effet bâtir une émission quotidienne avec des reporters qui couvrent les quatre coins du monde, un animateur star et un budget rikiki ? France Inter peut-elle continuer de diminuer les budgets et les équipes des émissions d’année en année, tout en demandant que le résultat antenne, lui, reste de la même qualité ? Pourquoi Radio France laisse-t-elle des producteurs se comporter en chefaillons avec leurs collaborateurs sans vérifier ce qui se passe dans les bureaux ? Enfin et surtout, comment accepter que la Maison ronde cumule et accumule des strates de précarité : ici, les reporters de Mermet sont des intermittents, payés au lance-pierre, au reportage. Journalistes, mais rémunérés au cachet alors que les rédactions, elles, payent leurs précaires en pige ou CDD, pour le même métier.

Des réponses demandées à l’unanimité - L’enquête en interne suit son cours, et malgré trois présidents successifs du CHSCT Paris Ile de France en moins d’un an, les élus tiennent le cap. Le 1er juillet dernier, ils ont redit leur inquiétude de voir les travaux d’investigation suspendus au gré des présidents. Ils ont demandé à l’unanimité que l’enquête soit menée à son terme. Ils ont également exigé de la direction qu’elle s’engage fermement pour mettre fin à ce système institué de précarité. La question n’est absolument pas de déboulonner une émission culte de Radio France, ou son animateur. Les dernières informations dont nous disposons prouvent en partie que les élus du CHSCT avaient raison de s’inquiéter d’être manipulés : il est possible que Là-bas si j’y suis perde une journée de diffusion dès la rentrée… et donc une journée de travail en moins chaque semaine pour les reporters de Daniel Mermet. Non la question est plutôt de savoir comment sortir de ce système d’exploitation des cachetiers. Le fonctionnement de Là-bas si j’y suis n’est pas isolé dans le paysage radiophonique. D’autres émissions pourraient être accusées d’exploiter aussi à outrance leurs collaborateurs. […]

- Lire la totalité de l’article du SNJ de Radio France.


***
À notre avis

Parce que nous sommes une association, nos prises de position engagent un collectif (et non une simple collection d’individus) même si les adhérents d’Acrimed sont totalement libres - faut-il le préciser ? - de s’exprimer comme ils l’entendent sans engager notre commune association.

Parce que nous sommes une association de critique des médias, et non un tribunal chargé d’en appeler à des sanctions, ni même un jury chargé de décerner les éloges ou des blâmes à des témoignages individuels, nous ne nous prononçons que sur les seuls faits qui importent à cette critique.
Quels faits ?

1. Les qualités comme les défauts de l’émission « Là-bas si j’y suis » et de sa présentation par Daniel Mermet pourraient être mis en discussion. Mais ce n’est pas le sujet, à moins de défendre, par principe, que les meilleurs résultats peuvent justifier les pires moyens. Or c’est sur les moyens que porte la controverse.
2. Daniel Mermet n’est en rien responsable ni du budget dérisoire affecté à l’émission qu’il anime, ni de la précarité statutaire des collaborateurs de l’émission, ni du détournement du régime d’indemnisation des intermittents du spectacle : tout cela relève de la direction de France Inter.

C’est cette « précarité instituée » (pour reprendre l’expression du SNJ) qui gangrène la plupart des médias qu’il convient avant tout de combattre, parce qu’elle est génératrice de toutes les formes de souffrance au travail, d’invitation à la soumission et, le plus souvent, de détérioration de la qualité de l’information, comme nous n’avons cessé de les souligner [2: la lutte contre cette précarité dépasse largement le seul cas de « Là-bas si j’y suis ». Mais elle l’englobe.

3. Si Daniel Mermet n’est pas responsable de cette précarité, il est responsable de la façon dont il en tient compte ou dont il s’en sert. « La précarité, écrit François Ruffin, lui permet, objectivement, sans qu’il l’ait formalisé, sans qu’il ait conscience de cette violence, de tester les impétrants – contrepartie d’un recrutement ouvert, sans concours d’entrée. De trier les jeunots selon leur « talent », c’est-à-dire, pour l’essentiel, selon leur constance dans l’effort. »

Tel est bien le problème : la mise à l’épreuve et l’apprentissage qu’évoquent de nombreux témoignages pour se féliciter d’en avoir bénéficié sont aussi une source de violence : comment peut-on prétendre, toutes considérations psychologiques mises à part, qu’il est possible de mettre la précarité au service de la créativité sans entériner – en toute candeur, nous dit-on – la violence qui est inscrite dans cette situation elle-même, et par conséquent, dans les comportements qu’elle peut autoriser et qui peuvent être inacceptables (surtout s’ils contredisent les valeurs proclamées) ? La réponse est dans la question.

Et encore : pourquoi faudrait-il que les éloges, parfois nuancés et sans doute mérités, décernés par certains collaborateurs de Daniel Mermet, effacent sa responsabilité ou sa part de responsabilités dans les expériences destructrices rapportées notamment dans l’article d’Olivier Cyran ? La réponse, une fois de plus, est dans la question.

Acrimed

Notes

[1] Et comme nous l’avions fait, en 2003 et 2004, en publiant des prises de positions des protagonistes de précédents conflits.
[2] Lire notre rubrique : « Le journalisme précaire », et le livre Journalistes précaires, journalistes au quotidien, d’Alain Accardo et alii (2007), présenté, avec quelques extraits, ici même.

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