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L' Egypte qui interpelle et appelle le débat : celle de la gauche qui soutient l'armée contre les Frères Musulmans...

 
Egypte : la gauche doit reconsidérer son analyse du coup d’État militaire
RIDDELL John, Europe Solidaire Sans Frontières 20 août 2013 

Avertissement du blog du NPA 34 

Les lignes qui suivent abordent, à propos de la situation en Egypte, des questions essentielles pour ceux qui se réclament de l'anticapitalisme dans ce pays mais aussi ailleurs dans le monde. Ladite situation avec, en particulier, l'intervention violente de l'armée contre le gouvernement des Frères Musulmans et contre les actions de protestation organisées par ceux-ci, est de ces situations-limites, d'une extrême complexité, qui mettent à dure épreuve les orientations des socialistes, des révolutionnaires, de quiconque se revendique, peu ou prou de l'alternative au "système". 

On constate en effet qu' "à de rares exceptions (dont les Socialistes révolutionnaires), les courants de gauche en Egypte soutiennent le régime militaire – ou du moins ne condamnent pas la répression dont sont aujourd’hui victimes les Frères musulmans, malgré son extrême violence." (lire ici). On conviendra que ce soutien de gauche à l'armée égyptienne au nom de la lutte contre l'islamisme mérite que l'on s'y arrête, ici en France aussi, car il interroge, entre autres choses, notre rapport à la démocratie que nous qualifions de bourgeoise et à l'armée qui s'en prétend la garante. Malgré les évidentes différences entre ce qui se passe en Europe et en Egypte, réfléchissons à ce qui transcende ces particularités et touche au schéma général de nos positionnements en faveur de la sortie du capitalisme. Et débattons-en...

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Les massacres perpétrés par l’armée en Egypte font « partie d’un plan visant à liquider la révolution égyptienne et restaurer l’Etat militaro-policier du régime de Moubarak », disent les Révolutionnaires Socialistes (RS) d’Egypte dans leur déclaration du 15 août [1]. Leur analyse actuelle contraste fortement avec leur précédente évaluation positive du coup d’Etat militaire du 3 juillet qui a renversé le gouvernement égyptien élu.

Les Révolutionnaires Socialistes, qui jouissent d’une grande réputation en tant que courant révolutionnaire inséré dans la lutte en Egypte, sont en train de reconsidérer la signification de cet événement. Et la gauche, à l’étranger, devrait tout autant le faire. (…)

Les massacres de l’armée et de la police sont « une répétition sanglante pour la liquidation de la révolution égyptienne », déclarent maintenant les Révolutionnaires Socialistes. « Ils visent à briser la volonté révolutionnaire de tous les Egyptiens qui revendiquent leurs droits, ceux des travailleurs, des pauvres, des jeunes ou des révolutionnaires, en créant un état de terreur. »

Pourtant, il y a seulement un mois, le courant des RS, et ceux qui à l’étranger suivent leur exemple, voyaient le renversement du président Mohamed Morsi par l’armée comme l’aboutissement d’un grand pas en avant pour la révolution égyptienne.

Les manifestations géantes anti-Morsi du 30 Juin qui ont précipité son éviction étaient « le commencement historique d’une nouvelle vague de la révolution égyptienne », écrivaient les Révolutionnaires Socialistes le 5 juillet dernier [2]. Certes, l’armée et la police avaient gagné en influence, ont-ils déclaré, mais « cette influence est passagère et superficielle ». Le 30 Juin représentait une « nouvelle explosion révolutionnaire ». En remplaçant le gouvernement élu par une junte triée sur le volet - la définition même d’un coup d’Etat militaire – le putsch militaire du 3 juillet ne faisait que « sanctionner la volonté du peuple en révolte ».

Maintenant que les Révolutionnaires Socialistes ont, enfin, identifié le pouvoir militaire comme l’ennemi principal, il faut construire la solidarité internationale.

Les droits démocratiques

D’autres aspects de l’analyse des Révolutionnaires Socialistes doivent également être revus. Par exemple, leur déclaration du 15 août dernier affirme qu’ils ne vont pas « défendre ne serait-ce qu’un seul jour les sit-in des Frères Musulmans et leurs tentatives de ramener Morsi au pouvoir. » En réalité, les manifestations publiques des Frères Musulmans représentent une tentative pour affirmer leur droit à l’existence en tant que mouvement politique après six semaines de répression brutale et sanglante. Leur droit de protester contre la violence militaire doit être défendu.

La position des Révolutionnaires Socialistes tendait à être équidistante, en s’attaquant à la fois à l’armée et aux Frères Musulmans. Leur déclaration du 15 août rejette maintenant explicitement cette approche, en repoussant « une sorte de balance équilibrée dans nos attaques contre l’armée et les islamistes. » Paradoxalement, leur principal slogan « A bas le régime militaire... non au retour des Frères Musulmans » reste dans le vieux sillon.

En fait, ce sont les militaires qui sont en selle et les Frères Musulmans qui sont réprimés et qui subissent des massacres. Dans cette situation, une approche « équidistante » est une formule qui conduit à la paralysie et à l’abstention. Ce qui est nécessaire, c’est une défense unitaire des droits démocratiques et humains.

La déclaration initiale des Révolutionnaires Socialistes indiquait la voie à suivre dans ce domaine. « Nous devons être cohérents en nous opposant à toutes les formes de violence et de répression à laquelle les islamistes seront exposés sous la forme d’arrestations et de fermetures de chaînes par satellite et de journaux, car ce qui arrive aujourd’hui aux islamistes se passera demain pour les travailleurs et la gauche », déclaraient ainsi les Révolutionnaires Socialistes le 5 juillet dernier.

La gauche à l’échelle internationale doit soutenir et encourager les protestations contre la négation des droits démocratiques et humains par l’armée en Egypte – y compris les droits des Frères Musulmans et de leurs sympathisants. Morsi et les autres prisonniers politiques de la Confrérie doivent être libérés, les droits politiques et juridiques de leur organisation doivent être restaurés et de nouvelles élections devraient être organisées sans délai et sans aucune restriction sur qui peut y participer.

La gauche devrait mettre particulièrement en évidence le rôle joué depuis plusieurs décennies par l’impérialisme dans l’orchestration, le financement et la défense de la montée de la tyrannie militaire de droite en Egypte - un processus qui a transformé l’Egypte en un instrument docile de la politique américano-israélienne.

La démocratie bourgeoise

Le renversement de Morsi a balayé les formes limitées de démocratie obtenues après la révolution de 2011 en les remplaçant par un pur régime militaire. La première déclaration des Révolutionnaires Socialistes ne prenait aucunement note de ce changement et suggérait plutôt que le renversement représentait un pas en avant permettant de passer de la « démocratie formelle avec ses urnes » à la « légitimité au travers de la démocratie de la révolution populaire : une démocratie directe créant une légitimité révolutionnaire ». Ce qui « ouvre l’horizon à de nouvelles formes de pouvoir populaire, qui réduisent à l’état de nain la démocratie temporaire des urnes », déclaraient alors les Révolutionnaires Socialistes.

Ce déni des institutions élues est encore évident dans la déclaration des Révolutionnaires Socialistes du 20 août, qui se réfère, apparemment en l’approuvant, à « la chute de la légitimité des urnes ».

Mais il est clair désormais que le discours sur les « nouvelles formes de pouvoir populaire » était une illusion. Loin de réaliser un nouveau système de démocratie directe révolutionnaire, le mouvement populaire en Egypte est désormais éclipsé par la montée de la tyrannie militaire. Cette erreur de jugement suggère la nécessité de revoir notre attitude envers les acquis démocratiques - même limités à la « démocratie formelle avec ses urnes » - obtenus par la révolution de 2011.

Depuis 2011, les institutions démocratiques limitées égyptiennes ont été soumises de façon répétée à l’intervention musclée de l’aile militaire de la bourgeoisie, y compris par la dissolution d’un parlement élu. Néanmoins, l’élection d’un gouvernement dans un processus non soumis au contrôle militaire direct constituait une garantie pour les droits démocratiques des travailleurs. Et quand cet ordre constitutionnel a été balayé, il n’y avait alors plus aucun obstacle institutionnel à la répression militaire effrénée et meurtrière.

Certes, les travailleurs vont remplacer un jour le parlementarisme bourgeois par une forme supérieure de démocratie. Mais dans les circonstances actuelles, les révolutionnaires ne sont pas indifférents à la forme que prend la domination capitaliste. Nous nous efforçons de défendre et d’étendre les éléments démocratiques gagnés au sein de l’ordre capitaliste. Ainsi, le parlementarisme capitaliste offre des conditions plus favorables pour la lutte des travailleurs que la dictature capitaliste sans restriction. (…)

John Riddell




Notes


* Extrait d’un article paru dans : http://johnriddell.wordpress.com/20... Version originale intégrale disponible sur ESSF.

* Traduction française pour Avanti4.be : G. Cluseret.

L'article sur le site d'Europe Solidaire Sans Frontières 

Notre illustration est tirée de 88028401_o.jpg

A lire aussi  

«A bas la domination militaire! A bas Al-Sissi, dirigeant de la contre-révolution!» Déclaration des Révolutionnaires socialistes d’Egypte (14 août 2013)




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