Midi-libre
Béziers : pourquoi la fac
portugaise Fernando-Pessoa dérange
La rentrée, prévue ce lundi pour une centaine d’étudiants kinés et
dentistes, a été reportée. Un dossier miné.
Actions devant les tribunaux, colère ministérielle, lourdes accusations
de "tromperie" et histoires de “fric” sur fond de psychodrame local. La
faculté portugaise privée Fernando-Pessoa, qui devait ouvrir ce matin à
une première promotion d’une centaine d’étudiants en kinésithérapie et
odontologie, a
une nouvelle fois reporté sa rentrée déjà décalée d’une semaine.
L’affaire, explosive depuis l’hiver dernier, dès l’annonce de l’arrivée
des Portugais, serait désormais presque anecdotique, reléguée au second
plan par la menace planant sur la rentrée 2014 des 700 étudiants qui
suivent les formations délocalisées de la faculté de lettres de
Montpellier.
Fernando-Pessoa, un cas d’école, aujourd’hui unique en
Languedoc-Roussillon. Le principe : une université étrangère privée aux
frais de scolarité conséquents (jusqu’à 9 400 € pour une année de
formation) ouvre une voie parallèle aux circuits drastiques imposés aux
filières de santé en France, qu’il s’agisse d’écoles agréées, avec des
concours d’entrée à haute sélectivité, ou de la redoutable première
année de médecine. Les diplômes sont validés à l’étranger : les
étudiants passent leurs deux premières années en France et finissent
leur cursus à Porto, au Portugal.
"Pro-européen convaincu", Jacques Bringer, doyen de la faculté de
médecine de Montpellier, y voit les effets de la "dérégulation
européenne". S’il n’"a pas d’avis sur la qualité des formations
dispensées", notant juste que "ce qui vient de l’étranger n’est pas
toujours contrôlé", il pointe un autre problème : celui d’un numerus
clausus drastique des facultés de médecine qui, en France, empêche des
gamins talentueux d’embrasser leur vocation. "Les familles qui ont les
moyens peuvent ainsi contourner le problème", déplore le doyen, qui
rappelle que cette année, pour 2 400 candidats au concours de première
année de médecine, seulement 207 ont été pris. Le 208e a pourtant une
moyenne de 14,4.
Olivier Dravon, patron de l’ordre des dentistes du
Languedoc-Roussillon, ne dit pas autre chose. Pour lui, l’arrivée de
Pessoa "aurait dû ouvrir le débat sur les problèmes de démographie et
de répartition sur le territoire des professionnels de santé. La
formation, je ne la connais pas. On se trompe de combat si on débat de
la qualité ou du coût de l’enseignement". Pour lui, le problème est
ailleurs : "Chaque année, 30 % des nouveaux praticiens inscrits à
l’ordre ont des diplômes étrangers", rappelle le dentiste. Et ce sont
"eux qui rachètent les cabinets", insiste-t-il.
Qualité et prix des formations, déontologie, le docteur Philippe
Schweizer, chirurgien-dentiste chargé de superviser la formation à
Béziers, et Bruno Ravaz, correspondant de Fernando-Pessoa en France,
désamorcent les critiques et ne se posent "pas en adversaire du
public". Ils refusent d’alimenter "des polémiques inutiles" et ne
donnent pas dans "le discours belliqueux".
"On propose 500 heures de cours la première année, contre 370 heures en
médecine... Il ne faut pas croire qu’on achète un diplôme", glisse
Philippe Schweizer qui se défend de vouloir "casser la profession avec
des diplômes qui ne valent rien", ou encore de "la déstabiliser". La
majorité des inscrits ont d’ailleurs "raté de peu le concours de
médecine". À Béziers, on pense d’ailleurs déjà à l’avenir : un diplôme
de formation continue sur la petite enfance va ouvrir sous la
responsabilité du célèbre psychiatre Boris Cyrulnik ; une filière en
architecture "placée sous la responsabilité d’un professionnel de
renom" est programmée à la rentrée 2014.
À Toulon, où l’université portugaise s’est implantée l’an dernier, 300
étudiants suivent des cursus de pharmacie, orthophonie, odontologie,
kiné. Pour calmer les esprits et "se mettre en adéquation avec la loi",
Fernando-Pessoa France vient d’être rebaptisé Centre libre
d’enseignement supérieur international. En vain. À Béziers, une
nouvelle date de rentrée a été fixée, en attendant de régler les
problèmes administratifs. Cette fois, les étudiants ont rendez-vous le
11 octobre.