«Pour beaucoup, l'islamophobie est devenu un racisme acceptable»
Libération 21 septembre 2013
[L'édition du jour de Libération consacre son dossier à l'islamophobie. Nous renvoyons ici au seul texte de ce dossier accessible hors abonnement]
Les sociologues Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat publient à La Découverte l'ouvrage Islamophobie, Comment les élites françaises fabriquent le «problème musulman». Interview.
Qu’est ce que l’islamophobie ?
Abdellali Hajjat. Au départ, c’est une expérience sociale, c’est une expérience vécue directement par des présumés musulmans. Pas seulement des actes ouvertement islamophobes, mais le fait d’être ramené à son statut de présumé musulman. Aujourd’hui, même si vous êtes une jeune fille française, élevée en France et dans certains lieux, certains métiers vont vous être interdits. C’est une forme d’altérisation religieuse, où l’on va considérer que les discours ou les comportements d’un individu sont déterminés par son appartenance religieuse. Ce sont aussi des discours hostiles aux musulmans en tant que groupe. Avec, derrière, la question de la légitimité de leur présence sur le territoire. C’est la même question qui se posait pour les Juifs. Les discours antisémites du XIXème et XXème avaient pour enjeu la légitimité de leur présence sur le territoire. Il y a une logique analogue pour les musulmans qui sont également considérés comme étrangers.
Comment ce mot d’islamophobie est-il devenu un
enjeu politique au point que beaucoup, le ministre de l'Intérieur par
exemple, refusent de l'employer?
Marwan Mohammed.
C’est l’émergence de cette notion en 2003 qui a amené la journaliste
Caroline Fourest ou Pascal Bruckner à s’y opposer, en expliquant que le
terme d’islamophobie serait une arme utilisée par les intégristes
iraniens pour interdire le blasphème et la critique de l’islam. A partir
de ce moment là, ce terme qui visait pourtant à décrire les discours et
pratiques hostiles aux musulmans est devenu problématique. En réalité,
le terme islamophobie n’a jamais été inventé par les mollahs iraniens
comme le prétendait Caroline Fourest. Il n’existe pas en persan, on doit
son origine à des administrateurs coloniaux français du début du XXème
siècle. Mais cette critique initiale a été prescriptrice, en obligeant
les élites politiques à se positionner à son égard. Qui prendrait le
risque de légitimer les stratégies intégristes? Or, ce déni du terme
d’islamophobie a durant longtemps laissé dans l’ombre l’expérience de
l’islamophobie. Et ceux qui la subissent le vivent très mal.
Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat sont les auteurs de “Islamophobie”: une invention française qui revient sur l'histoire de ce mot.
En contrepoint
Manuel Valls : "L'islamophobie est le cheval de Troie des salafistes" (NouvelObs)
Le ministre de
l'Intérieur préfère parler d’actes "anti-musulmans", le mot étant selon
lui utilisé à mauvais escient par les fondamentalistes. Interview.
Comme le président de la République – et certaines
associations vous en font le reproche –, vous parlez d’agressions
"anti-musulmanes" et refusez d’utiliser le mot "islamophobes". Est-il
tabou ?
- Je suis ministre de l’Intérieur, il ne m’appartient pas de réglementer l’usage d’un mot. Les mots ont un sens, et le terme suscite la polémique. Moi, je choisis ceux que j’emploie. L’important est de souligner une réalité : les actes racistes et xénophobes exercés à l’encontre de nos compatriotes musulmans ont augmenté de 28% depuis 2012 ! [de 31% selon cet observatoire, NDLR] Mais, derrière le mot "islamophobie", il faut voir ce qui se cache. Sa genèse montre qu’il a été forgé par les intégristes iraniens à la fin des années 1970 pour jeter l’opprobre sur les femmes qui se refusaient à porter le voile.
C’est au mot près l’argumentaire de l’essayiste Caroline Fourest, combattu par nombre de collectifs ou d’associations. Pour eux, pendant de l’antisémitisme, "[l']islamophobie" devrait être inscrite dans le discours public et dans la loi.
Je crois que Caroline Fourest et avec elle d’autres intellectuels ont raison. Evidemment, le terme étant entré dans le langage courant, certains parlent "[d’]islamophobie" de bonne foi pour évoquer le racisme contre les arabo-musulmans. En revanche, d’autres, défenseurs d’un islam fondamentaliste –en particulier les salafistes – l’utilisent avec un objectif bien clair : empêcher toute critique de la religion et s’opposer aux principes de la République.
Le texte complet
- Je suis ministre de l’Intérieur, il ne m’appartient pas de réglementer l’usage d’un mot. Les mots ont un sens, et le terme suscite la polémique. Moi, je choisis ceux que j’emploie. L’important est de souligner une réalité : les actes racistes et xénophobes exercés à l’encontre de nos compatriotes musulmans ont augmenté de 28% depuis 2012 ! [de 31% selon cet observatoire, NDLR] Mais, derrière le mot "islamophobie", il faut voir ce qui se cache. Sa genèse montre qu’il a été forgé par les intégristes iraniens à la fin des années 1970 pour jeter l’opprobre sur les femmes qui se refusaient à porter le voile.
C’est au mot près l’argumentaire de l’essayiste Caroline Fourest, combattu par nombre de collectifs ou d’associations. Pour eux, pendant de l’antisémitisme, "[l']islamophobie" devrait être inscrite dans le discours public et dans la loi.
Je crois que Caroline Fourest et avec elle d’autres intellectuels ont raison. Evidemment, le terme étant entré dans le langage courant, certains parlent "[d’]islamophobie" de bonne foi pour évoquer le racisme contre les arabo-musulmans. En revanche, d’autres, défenseurs d’un islam fondamentaliste –en particulier les salafistes – l’utilisent avec un objectif bien clair : empêcher toute critique de la religion et s’opposer aux principes de la République.
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NPA 34, NPA