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Intégrisme sécuritaire. Où est Charlie aujourd’hui ?


 Par les consignes gouvernementales qui lui sont adressées, l’école est incitée à être, non un lieu d’émancipation, mais une instance de contrôle.

 Après le massacre du 7 janvier, « Je suis Charlie » devient rapidement « Nous sommes Charlie » : le désir individuel de solidarité se métamorphose en exigence collective d’appartenance. Une question s’ensuit : « Le sommes-nous tous ? » Et le « nous » appelle aussitôt un « vous » : on invite les « musulmans » (de religion ou de culture, d’origine ou… d’apparence) à se désolidariser du terrorisme islamiste, quitte à trouver qu’ils n’en font jamais assez : « Êtes-vous vraiment Charlie ? » À l’heure d’un « nous » de fusion et d’effusion, la communauté nationale se méfie d’« eux » – d’abord de ceux qui évitent de répondre oui (ceux qui « ne marchent pas » le 11 janvier), puis de ceux qui osent dire non (« Je ne suis pas Charlie »).


La liberté se retourne ainsi en injonction : pour être authentiquement républicain, il faudrait se déclarer favorable, non plus seulement au droit au blasphème, mais au blasphème lui-même. C’est un peu comme si l’on demandait aux catholiques, non seulement de respecter la loi sur l’IVG, mais d’y adhérer sans réserve : on irait jusqu’à exiger des évêques qu’ils s’en déclarent les plus fervents soutiens... Il est donc temps de rappeler le point de départ de cette vague de consensus obligatoire. En janvier, on n’a pas seulement pleuré des victimes ; on a proclamé des valeurs. Or ce n’est pas la nation qu’on célébrait (sauf à réduire Charlie à une caricature portant baguette et béret) ; c’était la liberté d’expression, l’esprit critique et même l’insolence. En principe, on était donc aux antipodes d’un unanimisme exclusif de toute dissidence. Cliquer ici

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La grande mobilisation de l’école décrétée par l’Élysée après les attentats de Paris a accouché de mesures symboliques centrées sur la laïcité. Derrière les rodomontades républicaines, les questions douloureuses ont, elles, été soigneusement occultées.

« Il est des circonstances où l’importance de l’école apparaît encore plus décisive. C’est ce que nous vivons aujourd’hui. » Lors de ses vœux à la communauté éducative, mercredi 21 janvier, François Hollande qui avait fait de l’éducation la priorité de son quinquennat et un axe majeur de sa campagne de 2012, a souhaité inscrire « l’acte 2 de la refondation de l’école » dans l’urgence du traumatisme des attentats des 7, 8 et 9 janvier. « L'école ne peut à elle seule résoudre tous les maux de la société. Mais les espoirs qu'on place dans l'école, je les partage », a-t-il expliqué avant de présenter les grandes lignes d’un plan de « mobilisation de l’école pour les valeurs de la République » qui au-delà de la grandiloquence rhétorique ne tient pourtant qu’en quelques mesures symboliques, détaillées le lendemain par la ministre Najat Vallaud-Belkacem. 

Enseignement de la laïcité, désormais célébrée tous les 9 décembre, date anniversaire de la loi de séparation de l’Église et de l’État, mise en place d’un « parcours citoyen » – peu ou prou l’enseignement moral et civique dont la mise en œuvre était déjà prévue pour la rentrée 2015 mais qui comprendra, en plus, une éducation aux médias, ou encore restauration de l’autorité des enseignants par une plus grande systématicité dans les sanctions… Telles sont les principales mesures annoncées.

Des mesures qui visent surtout à marquer le coup auprès de l’opinion et qui ont été accueillies avec un certain scepticisme par les acteurs de l’éducation, qui savent bien qu’elles ne changeront pas grand-chose, en profondeur, aux problèmes de l’institution scolaire. Mais pour l’exécutif, après quinze jours de polémique sur l’école, il était devenu urgent de réagir. 

Depuis les attentats de Paris, l’école s’est en effet retrouvée au centre du débat public et même au banc des accusés. Quel genre de désespérance a-t-elle bien pu provoquer pour engendrer de telles dérives fanatiques ? Les incidents survenus dans un certain nombre d’établissements lors de la minute de silence en hommage aux victimes, avec des propos très durs tenus par certains élèves,  ne sont-ils pas le signe d’une école moralement en faillite ?

À droite, des ténors de l’UMP n’ont pas tardé à interroger les responsabilités d’une institution qui aurait cédé au laxisme. Au lendemain des attentats, on vit donc le député Éric Ciotti proposer de suspendre les allocations des familles dont les enfants n'auraient pas respecté la minute de silence d'hommage aux victimes, quand Bernard Debré appelait lui au retour de l'uniforme. Aucun d’entre eux ne jugeant bon de rappeler les 80 000 suppressions de postes dans l’éducation au cours du quinquennat précédent. Dans une tonalité somme toute assez proche, Manuels Valls déclarait, lui aussi, à l’Assemblée nationale qu’on avait « laissé passer trop de choses dans l’école », appelant à son tour à un sursaut républicain.

Face à l’émotion de l’opinion, Najat Vallaud Belkacem a été sommée par l’Élysée de casser son agenda pour lancer une consultation express afin de préparer une « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République ». La ministre a donc consulté tous azimuts, recevant tour à tour les organisations syndicales, les associations de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, des sociologues comme Pierre Rosanvallon, Marie Duru-Bellat ou Philippe Meirieu, mais aussi des personnalités telles que le dessinateur Plantu ou le footballeur Lilian Thuram. Une séquence qui s’est conclue par la présentation de ses mesures à l’émission de France 2 Des paroles et des actes ce jeudi 22 janvier.

Ce branle-bas de combat général autour de l’école – fût-il pour l’instant très symbolique – après de tels événement tragiques est, comme le rappelle l’historien Jean Baubérot, un grand classique en France. « Se retourner vers l’école est une constante française depuis la Révolution. Elle est à la fois un enjeu politique central et un réservoir d’espérance. On l’a vu au moment des émeutes de 2005 ou encore récemment après l’affaire Merah », souligne-t-il, en précisant que la France est l’un des pays qui investissent le plus l'école idéologiquement. « Dès qu’on a un débat de société, que ce soit l’égalité garçon/filles, la délinquance, la contraception, on se tourne en France bien plus qu’ailleurs vers l’école, à qui l'on a confié la mission historiquement non seulement de former des citoyens mais aussi de sauver la patrie », renchérit le sociologue François Dubet, qui rappelle que la défaite de 1870 avait, déjà, été attribuée à la supériorité de l’instituteur prussien. Les termes employés tant par la ministre que par le président de la République, indiquant que l’école était « en première ligne » dans les événements qui viennent d’avoir lieu, portent d’ailleurs bien la trace de cet héritage.  

Inégalités, ségrégation sociale, décrochage scolaire… le diagnostic d’une institution à bout de souffle est parfaitement connu et rappelé dans pléthore d’études chaque année. Que nous disent donc les attentats des 7, 8 et 9 janvier sur les faillites de l’école que nous ne sachions déjà ?

Rapports enterrés

« Ces événements permettent de mettre en lumière des problèmes en matière scolaire qui se posent en réalité depuis longtemps mais qu’on a tendance à enfouir tout aussi régulièrement qu’ils se révèlent. Là, il faut profiter d’une émotion collective pour nous donner les moyens d’agir », assure François Dubet. Parmi les acteurs du monde éducatif, ces rodomontades sur l’école ont pourtant un parfum de déjà-vu. En 2005, les émeutes au cours desquelles plusieurs établissements scolaires avaient été pris pour cible avaient donné lieu à de grandes envolées lyriques sur le thème du tout pour l’école… Prélude à une décennie où l’institution a pourtant été saignée à blanc.

Le sentiment que la classe politique fait mine de redécouvrir les problèmes de l’école à l’occasion de telles circonstances agace aussi le monde enseignant. « Ces événements mettent en lumière des problèmes qui sont un peu quotidiens dans certains établissements. Nous ne découvrons pas quelque chose qui surgirait, comme ça, ex nihilo. Les incidents qui ont eu lieu lors de la minute de silence font écho à ce qui s’était déjà passé au moment de l’affaire Merah, au moment du 11-Septembre. De même, cela fait des années que des enseignants sont confrontés à des difficultés à enseigner certains contenus, la Shoah, la théorie de l’évolution », assure Frédérique Rolet, cosecrétaire générale du SNES-FSU. Jugées trop sensibles, ces questions ont été mises sous le tapis.
La destinée du rapport réalisé par l’inspecteur général de l’éducation Jean-Pierre Obin en 2004, qui pointait de manière très explicite les dérives du repli religieux dans certains établissements, que Matignon tarda à publier et qui finit au fond d’un tiroir, est devenue emblématique d’une institution qui connaît précisément ses failles mais peine à les assumer dès lors que la réponse politique paraît trop périlleuse.

Au-delà de la séquence de communication politique, et des réponses pour l’instant très limitées annoncées par le ministère, certains espèrent néanmoins que les attentats de Paris serviront d’électrochoc et qu’il y aura donc un avant et un après. Mais a-t-on posé les bonnes questions ?

La question de la laïcité, placée par l’exécutif au centre de sa réponse aux attentats de Paris et qui fera l’objet d’un enseignement spécifique tout au long de la scolarité, semble passer par pertes et profits les profonds clivages chez les enseignants, qui s’étaient déjà exprimés lors du débat sur la loi interdisant le port des signes religieux à l’école. Si certains dénoncent une laïcité malmenée par des replis religieux, d’autres sont plus circonspects à l’idée que ce soit le problème numéro un posé à l’école, et craignent une nouvelle dérive. « Il ne faudrait pas que certains profitent des attentats pour imposer une conception répressive de la laïcité, qui ne ferait que stigmatiser un peu plus certains élèves », affirme ainsi l’historien et sociologue Jean Bauberot, auteur de La Laïcité falsifiée. « Je suis favorable à un enseignement de la morale laïque, à condition que l’institution accepte d’être critique sur elle-même et que cela s’accompagne de politiques publiques qui répondent à des problèmes sociaux. Pour éviter que ce ne soit un gadget, il est très important que les élèves puissent parler de leurs expériences, de ce qu’ils subissent éventuellement. L’école doit accepter d’avoir un discours critique vis-à-vis d’elle-même, sinon l’enseignement de la morale laïque sera perçu au mieux comme un gadget, au pire comme une volonté de masquer la réalité », poursuit-il.

Le fait que l’accès aux sorties scolaires des mamans voilées soit aujourd’hui laissé à la libre appréciation des chefs d’établissement montre bien le malaise persistant du gouvernement sur ces questions.

À cet égard, il n’est pas non plus anodin que le rapport sur l’intégration à l’école commandé par Matignon au sociologue Fabrice Dhume et qui proposait de revenir notamment sur la loi de 2004 interdisant le voile à l’école, estimant qu’elle avait produit chez un certain nombre d’élèves de confession musulmane un ressentiment à l’égard de l’école trop souvent ignoré, ait été lui aussi purement et simplement enterré. En décrétant un enseignement renforcé de la laïcité, le gouvernement montre qu’il n’a aucune envie d’entrer dans un débat politiquement sensible mais sans aucun doute nécessaire.

S’il est aussi un problème que les attentats de Paris auraient dû, enfin, mettre à l’agenda politique, c’est celui des discriminations ressenties par beaucoup d’élèves dans un contexte de ségrégation non seulement sociale et scolaire, mais aussi ethnique, qu’il devient de plus en plus difficile d’ignorer. Les propos parfois très durs tenus par certains élèves au lendemain des attentats posent clairement ces questions sur lesquelles les alarmes n’ont pas manqué ces dernières années. « Il faut entendre ce que disent certains élèves par ces comportements : nous ne pouvons pas nous reconnaître dans la communauté nationale car ses mots d’ordre sont la négation de ce que l’on vit », affirme Fabrice Dhume. « Cela montre qu’ils ont une conscience critique et c’est une base fragile mais intéressante pour un travail éducatif. » Les déclarations de Najat Vallaud-Belkacem à l’Assemblée nationale, dénonçant les « questions qui nous sont insupportables » à propos de celles posées par certains élèves refusant d’« être Charlie », montrent bien la tentation de refermer une fois de plus le couvercle sur une réalité trop douloureuse. Comme le rappelle le Conseil national d’évaluation du système scolaire dans une note publiée ce 22 janvier, « plus les écoles sont ségréguées socialement et ethniquement, plus les problèmes de santé des jeunes, leur consommation de stupéfiants, les incivilités, les maternités précoces, l’intolérance vis-à-vis de l’étranger ou plus généralement de l’altérité, la difficulté à dialoguer et à travailler avec des jeunes de milieux sociaux et culturels différents… progressent. Les écoles ghettos créent de plus des dynamiques d’apprentissage négatives qu’éclairent aujourd’hui les statistiques scolaires ». Ainsi, « les résultats scolaires des élèves issus de l’immigration se sont dégradés durant la dernière décennie et l’écart de performance entre les jeunes autochtones et les immigrés de la seconde génération est supérieur, en France, à celui observé dans les autres pays de l’OCDE », précise la note. 

Autant dire qu’il y a peu d’espoir qu’un nouveau catéchisme républicain ait de quelconques effets sur un terrain scolaire aussi dégradé.

Point aveugle de la refondation de l’école lancée par Vincent Peillon en 2012, la mixité sociale à l’école, pour laquelle rien n’a été vraiment essayé hormis un retour à une plus stricte application de la carte scolaire, dont on sait à quel point elle n’empêche pas l'évitement scolaire et les phénomènes de ghettoïsation, a été renvoyée par Najat Vallaud-Belkacem à un « état des lieux » qui devra être réalisé au cours de l’année à venir… Lequel donnera lieu sans aucun doute à un nouveau rapport.

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Les explications qui veulent trouver dans le Coran et dans la religion islamique les raisons des phénomènes de violence des attentats de Paris, de Daech, Boko Haram, etc… font fausse route, mais surtout renforcent les amalgames racistes et islamophobes tout en voulant octroyer une nature intrinsèquement violente à l’Islam et plus généralement aux populations musulmanes.
Les phénomènes cités doivent être analysés dans leurs contextes politiques, sociaux et économiques et ne trouvent pas leur raison dans le Coran. Cliquer ici

Joseph Daher est un militant de la gauche révolutionnaire syrienne résidant en Suisse. Il est l'auteur de divers articles dont Lutter contre deux maux à gauche : l’islamophobie et l’orientalisme de retour (texte de 2012)

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Texte de 2012


 



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