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Loi Travail. Tout faire pour que le 9 mars engage l'épreuve de force...


"Les formes d’action comptent au moins autant que le contenu des revendications politiques"
 

Avertissement au lecteur/à la lectrice : à l'orée d'un nouveau grand mouvement social se construisant pour obtenir le retrait immédiat et sans condition du projet de loi Travail, qui saccage le Code du Travail, nous incitons à lire la tribune ci-dessous publiée ce jour par Libération et signée par deux enseignants chercheurs. Elle a le mérite, alors que, tout légitimement, nos efforts sont tendus à assurer le succès du premier moment fort de notre lutte, le 9 mars, de nous inviter à un temps de recul permettant de "penser" ce qui, d'emblée peut poser des obstacles à la pleine efficacité de notre action. La réflexion de nos auteurs se place à ce point de cristallisation essentiel mais si lourd de contradictions où se rencontrent les deux grandes figures de la contestation de l'ordre misérable du monde : d'une part, le mouvement social et, d'autre part, les organisations syndicales et politiques de gauche. De la façon dont le premier règlera, de par ses propres organisation et dynamique, son rapport, au demeurant nécessaire, aux secondes dépendra qu'il se donne le maximum de chances d'éviter les échecs passés, dont le plus récent, celui du mouvement de défense des retraites en 2010, a largement pesé jusqu'à aujourd'hui pour que l'offensive capitaliste, de droite comme de gauche, se soit développée sans que lui soit opposée une résistance à la hauteur des enjeux. 

Cycle de reculs cumulés auquel, souhaitons-le et agissons pour que ce souhait se traduise en actes forts, l'actuelle remobilisation contre le projet El Khomri pourrait mettre fin. Nous proposons en exergue, pour clore ces lignes, la conclusion de cette tribune en ce qu'elle condense "l'esprit" qu'il faut à tout prix et sans attendre, insuffler à ce que nous sommes en train de bâtir afin de nous donner toutes les chances d'infliger leur première défaite depuis longtemps à ceux qui se sont institués impunément "maîtres de nos vies": "Il ne suffit pas de s’opposer au contenu d’une réforme anti-sociale pour que tout soit enfin pour le mieux dans la meilleure des gauches. Encore faut-il que cette opposition se fasse sous la forme d’un mouvement authentiquement démocratique, où l’initiative revient à celles et ceux ordinairement privés du droit à gouverner."

Pour le blog du NPA 34, Antoine

 Malgré le report de l'examen de la loi, la contestation contre la réforme du code du travail s'amplifie. Cette mobilisation montre que les formes d’action comptent au moins autant que le contenu des revendications politiques.

En reportant de quinze jours l’examen de la loi El Khomri, le gouvernement alimente une contestation qu’il espérait enrayer. La pétition en ligne atteindra prochainement le million de signataires. La vidéo du collectif de Youtubeurs #OnVautMieuxQueÇa a été visionnée plus un million trois cent mille fois. L’appel à la manifestation du 9 mars lancé sur Facebook a désormais acquis le soutien des organisations syndicales, dont la réaction avait jusque-là tardé à se faire entendre. Alors qu’elle n’a pas encore dépassé le stade virtuel, cette mobilisation a déjà suscité la crainte du gouvernement et des dissensions de premier ordre à l’intérieur du Parti socialiste.

De nombreux experts ont décortiqué le contenu de cette attaque inédite contre le droit du travail qui, dès son premier article, n’hésite pas à subordonner les libertés fondamentales de l’individu au «bon fonctionnement de l’entreprise». Une fois professée cette sentence inaugurale, le reste du texte livre allégrement les dix-huit millions de salariés français à l’appétit vorace de leurs employeurs. Après quatre années de régression sociale – pacte de compétitivité, pacte de responsabilité, austérité, réduction du nombre de fonctionnaires – François Hollande et son gouvernement vont peut-être enfin être confrontés à la contestation qu’ils méritent. Or cette contestation ne manque pas d’étonner par sa forme et son déclenchement.

La société a sonné le tocsin

La première surprise a trait aux initiateurs de la mobilisation. Face à une loi attaquant si violemment les droits des salariés, il eut été logique de voir les syndicats réagir promptement et appeler à la grève. Or, tandis que ces derniers dissertaient patiemment sur la date de leur prochaine rencontre, c’est de la société elle-même qu’a sonné le tocsin. Il est profondément révélateur que les organes censés constituer l’avant-garde de la classe salariale soient ainsi à la remorque du mouvement social. Ce que donne à voir cette mobilisation ne se limite donc pas à l’affrontement entre une «gauche» convertie au néolibéralisme et une gauche de combat, comme l’analyse Pierre Khalfa dans sa tribune publiée par Libération le 3 mars. C’est également – mais cela reste en général peu perçu – l’affrontement entre deux conceptions du combat.

D’un côté, des organisations syndicales à bout de souffle, désertées par leurs militants, en voie de bureaucratisation avancée, et dirigées par des chefaillons qui, comme Thierry Lepaon, apprécient les bureaux à 62 000 euros ou, comme François Chérèque, se reconvertissent au service de l’État pour un modeste salaire de 7 250 euros mensuels. De l’autre, une multiplicité de subjectivités rebelles qui, orphelines des syndicats et des partis censés les représenter, prennent en main leurs propres affaires. On ne saurait donc se contenter de pointer la scission entre des gouvernements «sociaux-libéraux» convertis au «néolibéralisme» et une gauche radicale cherchant à défendre les acquis sociaux et les fondements du système de protection sociale.

S’arrêter à ce constat conduit à une stratégie politique désireuse de recréer un vrai «front» de la vraie «gauche», capable de faire revivre les fondamentaux sociaux-démocrates qui, dans le cadre par exemple du Front populaire en France, étaient parvenus à imposer au Capital un compromis un tant soit peu favorable au monde du travail. Ou, pour le dire plus trivialement, de revenir aux temps heureux où le capitalisme était régulé par un État stratège. Aussi louable soit-il, un tel point de vue témoigne cependant d’une certaine cécité à l’égard des formes nouvelles prises par la mobilisation populaire en réponse au projet de réforme de code du travail mise en œuvre par le gouvernement.

A suivre l’analyse de Pierre Khalfa, les mobilisations populaires ne constitueraient qu’un marche-pied sur lequel la «gauche de transformation sociale» devrait «s’appuyer», afin de faire pression sur le gouvernement pour exiger de lui qu’il fasse moins de concessions au Capital. Nous pensons pour notre part qu’il ne peut y avoir d’émancipation qu’à la condition que les subjectivités s’organisent par elles-mêmes afin de transformer leurs conditions d’existence, sans attendre qu’une instance dite représentative (syndicat, parti, front populaire ou front de gauche) vienne parler en leur nom. Ce qui n’a rien voir avec une quelconque primauté accordée au mouvement social au détriment de son articulation institutionnelle, mais indique simplement que la politique commence précisément là où les gens décident par eux-mêmes de la façon dont ils veulent organiser leur vie, individuellement aussi bien que collectivement.

La lutte contre le néolibéralisme est indissociable d’une lutte contre l’oligarchie

De trop nombreux militants et intellectuels peinent encore à penser la politique autrement que dans les formes héritées de la social-démocratie d’antan, préservée alors de sa corruption par le «néo-libéralisme» : il suffirait que la «gauche de transformation sociale» soit enfin unie pour qu’elle puisse peser suffisamment sur la «gauche de gouvernement», ou même mieux, qu’elle arrive enfin à prendre le pouvoir, afin de mettre en œuvre une politique de plein-emploi. Or le problème ne vient pas seulement de ce que le gouvernement de François Hollande prenne de mauvaises décisions, il tient plus largement à ce que l’on confie à des gouvernements dits «représentatifs» le pouvoir de prendre des décisions. Autrement dit, la lutte contre le néolibéralisme est indissociable d’une lutte contre l’oligarchie. Le progrès social ne prend sens que s’il s’articule à une reviviscence démocratique. C’est bien là le principal défi qui attend la mobilisation contre la loi El Khomri. 

Au-delà de la défense d’un État social réduisant les inégalités, nous voudrions donc défendre l’idée que les formes d’action comptent au moins autant que le contenu des revendications politiques. De ce point de vue, il n’est guère étonnant que l’action autoritaire d’un Chavez au Venezuela ait été jugée sans distance critique par une partie de la gauche française, puisqu’elle a émané d’un État censé œuvrer pour le bien être du peuple (ce qui semble, d’après cette gauche, constituer la définition même de toute bonne politique). Dans ce cas, le contenu de la politique mise en œuvre semblait davantage compter que ses formes d’action non-démocratiques.

Il ne suffit donc pas de s’opposer au contenu d’une réforme anti-sociale pour que tout soit enfin pour le mieux dans la meilleure des gauches. Encore faut-il que cette opposition se fasse dans sous la forme d’un mouvement authentiquement démocratique, où l’initiative revient à celles et ceux ordinairement privés du droit à gouverner.

On peut retrouver cette tribune sur le site de Libération en cliquant ici 

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